Été
2002. Un été d'enfer. L'Amérique
du Nord s'embrase. À la fin juin, au Colorado,
en Arizona, 215 000 hectares de forêt
se transforment en brasier. En Alberta, en Saskatchewan,
c'est plus de 540 000 hectares. Début
juillet, c'est au tour de la forêt boréale
au nord du Québec : 235 000 hectares.
Partout, des feux spectaculaires, intenses, sur
de grandes superficies.
Est-ce un effet
du réchauffement planétaire? En climatologie
rien n'est aussi simple. Dans les faits, il faut
aborder le réchauffement région par
région car les données varient beaucoup
d'un point à l'autre du globe.
Alain Bourque est climatologue. Il fait partie du
groupe Ouranos mis sur pied au Québec, en
2001, pour étudier les impacts des changements
climatiques. Pour lui, tenir compte des différences
entre régions est un impératif si
l'on veut cibler adéquatement les problèmes
que posent le réchauffement.
« Pendant
la période de 1961 à 1990, le climat
de l'Ouest canadien, des Prairies canadiennes par
exemple, s'est systématiquement et graduellement
réchauffé, raconte-t-il. Donc
vraiment les gens de l'Ouest canadien peuvent dire
que leur climat des années 90 a été
pas mal plus chaud que le climat des années
60, ce que les gens du Québec ne peuvent
pas dire. »
La sécheresse qui a sévi au nord de
la forêt boréale en 2002, est liée
à un printemps tardif. En juin, au nord du
50e parallèle, le sol était
encore gelé. Impossible pour les racines
de puiser l'eau du sol. Pas de sève donc
pour alimenter les troncs et branches des résineux.
Même chose pour la végétation
herbacée. Tout était sec, très
sec. Dans la nuit du 30 juin au 1er juillet,
des cellules orageuses s'abattent sur la région.
La foudre frappe en succession, embrasant la forêt
de résineux en une quarantaine de points.
Près de 235 000 hectares vont s'envoler en
fumée. Un nuage gris se répand partout
vers le sud et même au delà de notre
frontière. Le soleil se voile, le ciel s'obscurcit.
Une année record, se dit-on. En fait, avec
ses 235 000 hectares disparus en fumée, le
feu de 2002 n'occupe que le 5e rang du
palmarès du siècle.
Sans un grand vent
du Nord, plutôt rare à la belle saison,
ce feu n'aurait pas laissé une impression
aussi dramatique. Le feu que nous avons tous sentis,
cet été, n'a donc rien à voir
avec le réchauffement global. En fait, un
réchauffement plus prononcé pourrait
même avoir des effets bénéfiques
pour la forêt boréale.
Étudier
le passé pour imaginer l'avenir
« La
prédiction c'est une diminution du danger
de feu. Et ça parce que la température
augmente, mais les précipitations augmentent
et l'humidité augmente de telle façon
que ça compense pour l'augmentation de la
température », explique Yves Bergeron.
Ce biologiste étudie la forêt du lac
Duparquet, au nord de Rouyn-Noranda, en Abitibi
: 15 000 km2 de grande nature, de forêts
boréales, d'îles sauvages, où
chaque kilomètre a été exploré,
cartographié. Le but : reconstituer l'historique
des feux dans la région, évaluer leur
fréquence en fonction du climat.
Les feux sont le moteur naturel de la régénération
d'une forêt. Après un feu, certaines
espèces adaptées à ce type
d'environnement viennent prendre place. Chacune
de ces espèces possède une espérance
de vie bien définie. Après un certain
temps d'autres espèces prennent la succession.
Au lac Duparquet, c'est le tremble qui s'est établi
le premier. Le sapin et l'épinette ont suivi.
Enfin, après 250 ans, on trouve surtout du
cèdre et du sapin.
Une
opération relativement simple, le carottage,
va permettre de connaître avec précision
l'âge des arbres qui ont colonisé un
site immédiatement après un feu. Il
suffit de compter le nombre d'anneaux de croissance.
Ces mesures,
répétées sur de grandes superficies
ont permis de répertorier le nombre de feux
survenus depuis 400 ans. Première constatation
importante : 1850 représente une année
charnière pour la fréquence des feux.
Elle marque la fin du petit âge glaciaire,
période de refroidissement qui s'étend
de 1600 à 1850. Les feux y étaient
plus fréquents qu'après 1850, alors
que le réchauffement climatique commence
à se manifester. Une observation assez déconcertante,
à première vue.
La découverte
inattendue de quelques vieux cèdres rabougris
accrochés à la falaise d'une île
du lac Duparquet a fourni la lumière nécessaire
pour comprendre.
Ce cèdre rabougri, c'est le plus
vieil arbre connu au Québec :
964 ans bien sonnés. Un témoin
privilégié du climat passé.
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Au lac
Duparquet, 38 cèdres plusieurs fois centenaires
ont été répertoriés.
Chez tous, on peut observer une augmentation progressive
des anneaux de croissance après 1850, ce
qui indique que les précipitations sont plus
abondantes. Une bonne nouvelle, confirmée
par l'étude des fluctuations du niveau des
eaux du lac Duparquet, un lac qui ne subit aucun
contrôle de son niveau d'eau. Depuis 1915,
le niveau du lac a augmenté de 1 mètre
par rapport au petit âge glaciaire.
Troisième
élément de preuve : l'analyse du charbon
de bois fossilisé il y a 6000 ans, une période
pendant laquelle la température s'était
réchauffée. Cette analyse confirme
que le réchauffement est associé à
un moins grand nombre de feux de forêt.
L'intérêt,
une fois le passé de nos forêts connu,
c'est d'imaginer l'avenir. Dans quelle mesure peut-on
le faire? En fait, si nous atteignons le doublement
de CO2 prévu d'ici 100 ans, le réchauffement
planétaire qui atteint, aujourd'hui, une
moyenne de 0,6 degré Celsius, va passer à
4 ou 6 degrés Celsius. Un bond spectaculaire
jamais vu
Biologistes, forestiers, climatologues
et tous les autres devront alors refaire leurs devoirs.
Pour
en savoir plus
L'ABCD
des feux de forêt
Document du ministère des richesses naturelles
de l'Ontario
La
forêt boréale
Document de Ressources naturelles Canada
Journaliste :
Solange Gagnon
Réalisatrice : Jo-Ann Demers