Mandy
Cruickshank peut maintenir sa tête sous l'eau
pendant 5 minutes. Cet exercice fait partie de son
entraînement régulier. Cette jeune
femme est la détentrice du record mondial
féminin de plongée en apnée,
établi l'an dernier aux Îles Cayman :
une descente vers une profondeur record de 136 mètres
... sur une seule respiration. .
Pour Mandy
Cruickshank, la plongée en apnée n'est
qu'un sport extrême, qui a le mérite
de la pousser au bout de ses limites. Mais pour
Andrew Blaber, c'est beaucoup plus que ça.
C'est une porte ouverte sur la mécanique
même de la respiration.
En tant que directeur du département de kinésiologie
de l'Université Simon Fraser en Colombie
Britannique, il vient d'entreprendre une recherche
afin d'évaluer les réactions du corps
humain lorsqu'il est privé d'oxygène
pendant de longues minutes.
Les adeptes de la plongée
en apnée ne sont pas très nombreux
en Amérique du Nord. Le sport est surtout
connu en Europe où il s'est développé
sous l'influence de films comme Le grand bleu,
de Luc Besson. Mais depuis quelques années,
cette discipline gagne en popularité au Canada,
particulièrement sur la côte ouest.
Grâce à de
nouvelles techniques d'entraînement et à
la création d'une association nationale de
plongée en apnée, les personnes qui
aspirent à atteindre de nouvelles profondeurs
apprennent justement à retenir leur souffle
le plus longtemps possible. Les grands champions
peuvent retenir leur respiration pendant 5, 6, 7
et même 8 minutes, ce qui semble incroyable.
Pour Andrew Blaber,
de l'Université Simon Fraser, les adeptes
de la plongée en apnée représentent
une occasion en or d'étudier comment le psychique
peut en arriver à contrôler un mécanisme
physique aussi essentiel que la respiration : « Reconnaître
la différence entre " si je retiens
ma respiration plus longtemps, je vais m'évanouir ! "
et la réalité, cela fait partie de
l'entraînement de Mandy Cruickshank et des
autres membres de cette élite de la plongée.
En fait, au moment où on croit que ce sera
impossible de retenir sa respiration plus longtemps,
il y a probablement encore deux bonnes minutes pendant
lesquelles la quantité d'oxygène dans
le sang est suffisante pour soutenir l'activité
cérébrale. »
Pour connaître la quantité d'oxygène
dans le sang nécessaire au maintien de l'activité
cérébrale, on a soumis Mandy Cruickshank
à toutes sortes d'expériences. Pendant
qu'elle ralentit graduellement sa respiration jusqu'à
ne plus respirer du tout, les chercheurs analysent
son rythme cardiaque, son influx nerveux et sa circulation
sanguine.
Ce
qu'on veut comprendre, c'est comment réagissent
les organes cardio-vasculaires, en particulier le
cur, quand le système respiratoire
est complètement arrêté. C'est
ce qui arrive, par exemple, quand, avant de l'opérer,
on plonge un patient dans une sorte d'hibernation
en diminuant la température de son corps.
Il en va de même lorsque quelqu'un se noie.
« Si
on parvient à comprendre ce qui se passe
dans le corps humain de quelqu'un qui retient sa
respiration pendant 8 minutes, ça nous aidera
à traiter ceux qui ont été
privé d'oxygène pendant 8 minutes,
explique Andrew Blaber. Lorsqu'on sauve quelqu'un
qui a cessé de respirer, on lui donne la
respiration artificielle, mais en étudiant
ceux qui traversent volontairement ce type de situation,
ça nous donne une idée de ce qu'il
faut faire pour traiter ceux qui ont ce genre d'accident. »
Mais cette
technique de plongée en apnée, peut-elle
être apprise par des gens souffrant de maladies
respiratoires ? Si oui, présente-t-elle des
risques ?
Le principal
danger provient du CO2, un gaz produit pendant la
respiration, et qu'il faut absolument exhaler pour
faire place à l'oxygène essentiel
à la vie.
« Quand
j'étais en médecine, on disait que
la réaction du corps au CO2 était
génétique et demeurait constante.
C'est donc nouveau et emballant, parce que si nous
pouvons découvrir comment ces gens s'y prennent
pour augmenter leur tolérance au CO2, nous
pourrons être en mesure d'aider ceux qui souffrent
d'emphysème ou d'asthme à mieux réagir
à leur difficulté respiratoire »",
explique le docteur Peter Paré, pneumologue
à l'Hôpital St Paul de Vancouver.
Le réflexe
de la respiration est directement en prise avec
la présence de CO2 dans le sang.
Dès que le taux de CO2 atteint
un certain seuil, il agit comme un interrupteur
qui déclenche le désir de respirer.
Comment les plongeurs en apnée s'y prennent-ils
pour résister pendant si longtemps aux appels
instinctifs du cerveau qui demande de l'air ?
« Je
suppose que les plongeurs parviennent à entraîner
cette région du cerveau pour qu'il ignore
ce message... pour croire, en tout cas, qu'ils ne
sont pas en danger. Je pense donc que c'est davantage
une question de raisonnement que de capacité
pulmonaire », dit le docteur Peter
Paré.
Les résultats
préliminaires des expériences scientifiques
en cours et les exploits de Mandy Cruickshank semblent
indiquer que le réflexe de la respiration
peut être contrôlé beaucoup plus
qu'on ne le croyait jusqu'à maintenant.
Pour les asthmatiques,
cela pourrait bien faire la différence entre
la vie et la mort. « Si nous parvenons
à découvrir le secret de ces plongeurs,
nous pourrions être en mesure d'aider ceux
qui souffrent d'asthme ou d'emphysème à
résister à la panique le temps nécessaire
pour obtenir des soins médicaux »,
croit le docteur Peter Paré.
La recherche
faite au département de kinésiologie
de l'Université Simon Fraser ne fait que
commencer. Il reste donc encore beaucoup à
apprendre sur l'apnée et sur les techniques
de ces plongeurs. Mais d'ici 4 ou 5 ans, les chercheurs
espèrent être en mesure d'identifier
clairement les bénéfices et les inconvénients
des techniques d'entraînement de ces athlètes
remarquables.
Pour
en savoir plus
Mandy-Rae
Cruickshank
Statistiques sur cette athlète
Journaliste-réalisateur:
Pierre Claveau
Production: SRC - Vancouvers