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Commencer à peindre à 92 ans pour vaincre le deuil

Commencer à peindre à 92 ans pour vaincre le deuil

Clément Gravel s’est mis à la peinture à l’âge de 92 ans, d’abord pour redonner le sourire à sa femme mourante, puis pour traverser le chagrin de son deuil. Six ans plus tard, celui que l’on surnomme Papy a retrouvé une certaine sérénité grâce à ses pinceaux, et le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) souligne son travail dans une exposition qui porte sur le potentiel thérapeutique de l’art.

Texte et photos : Denis Wong

Publié le 17 juin 2022

Je ne suis pas un peintre, je suis plutôt un écrivain. J’écris avec un pinceau parce que l’opportunité qui m’a été donnée est une exception à la vie.

C’est ainsi que Clément Gravel décrit la passion qui l’anime ces dernières années. Dans sa résidence de Lévis, ses œuvres tapissent les murs, recouvrent le sol, s’empilent sur des tablettes. À travers chacun de ces tableaux, il dialogue avec sa défunte épouse, Pauline.

En 2016, sa femme a passé plusieurs mois à l’hôpital, victime d’un mal que les médecins n’ont jamais pu élucider. Clément Gravel se rendait à son chevet chaque matin pour apaiser ses souffrances et l’aider à sécher ses larmes. 

Un jour, elle lui a remis un paquet cadeau depuis son lit d’hôpital. Lorsque Clément Gravel est revenu à la maison et qu’il a ouvert son présent, il y a trouvé des pinceaux, des tubes de peinture et quelques toiles vierges. La nuit tombée, guidé par l’instinct et l’inspiration du moment, il s’est mis à peindre alors qu’il ne s’était jamais adonné à cet art auparavant.

Le lendemain, Clément Gravel est retourné au chevet de son épouse et lui a présenté trois petites toiles. Pauline a souri en voyant ces peintures, à travers la douleur qui voilait son visage. 

Le sourire de mon épouse a été un choc pour moi, dit l’artiste. C’était le départ de ce que je fais aujourd’hui, de ce que vous voyez aujourd’hui. Je suis allé au magasin le même après-midi pour acheter d’autres toiles, de la peinture et des pinceaux.

Pendant leurs dernières semaines ensemble, Clément Gravel apporte quotidiennement de nouvelles toiles à Pauline pour égayer ses journées. Lorsque sa femme s’éteint, le peintre nonagénaire redouble d’ardeur. Parallèlement à son processus de deuil, il poursuit son cheminement d’artiste et développe son aisance avec les pinceaux.

C’est au sous-sol que ça se passe, et souvent le soir ou la nuit, explique Papy. Quand je vais me coucher, je suis solitaire, alors ma femme vient me trouver dans mes pensées. J’ai des souvenirs qui arrivent : des fleurs, un concert à l’opéra, une anecdote. Je descends et je m’assois, et la peinture commence. C’est mon cerveau qui dicte ma main.

Si la tête dicte le mouvement de ses pinceaux, le cœur lui apporte le souffle de création. Chacun de ses tableaux représente un moment ou une anecdote de sa vie partagée avec Pauline. Ici, il se remémore une dispute. Là, des oiseaux symbolisent leurs enfants. La peinture permet à Clément Gravel de rejoindre son épouse dans un univers intangible.

Ma femme, je l’aimais et je l’aime encore. Tout est resté pareil dans la maison. Ça fait cinq ans qu’elle est décédée et les tiroirs n’ont pas été ouverts; les enfants feront le ménage.

Clément Gravel compte presque 500 œuvres à son actif. Sans se cantonner à un style particulier, il s’exprime librement et n’a jamais cherché à vendre son art. L’artiste peut peindre sur des matériaux considérés moins nobles, comme une simple planche de bois, et va parfois même peindre par-dessus une toile existante. Tout ce qui lui importe, ce sont les couleurs au bout de ses pinceaux.

Plusieurs expositions lui ont été consacrées au Québec ces dernières années, mais celle qui se déroule présentement à Québec est la plus importante jusqu’à maintenant.

Dans le passage Riopelle du Musée national des beaux-arts du Québec, on plonge dans une exposition qui conjugue les arts et le mieux-être. Intitulée Comment ça va?, elle inclut six tableaux à l’acrylique de Papy et retrace les événements qui ont déclenché son cheminement artistique.

Cette exposition s’inscrit dans un désir d’ajouter une dimension humaine à l’expérience du MNBAQ. Pour développer cet axe de la programmation, une art-thérapeute s’occupe à temps plein du volet arts et mieux-être au musée. L’un de ses objectifs est de démontrer les bienfaits que l’art peut avoir sur nous afin, entre autres choses, de traverser une période sombre.

En parallèle avec les peintures de Papy, on observe des gravures réalisées par des personnes ayant des problèmes de santé mentale, des troubles alimentaires ou vivant en situation de pauvreté et d’itinérance. De concert avec trois organismes communautaires de la Ville de Québec, le musée a organisé des ateliers de création à la gravure en plus d’inviter les participants et participantes à des visites guidées au MNBAQ.

Ce sont des gens qui sont isolés socialement, qui sont marginalisés à cause de leur santé mentale ou de leur allure physique, indique Sophie Lessard-Latendresse, responsable en médiation arts et mieux-être au MNBAQ. Le fait de se retrouver dans un lieu comme un musée, de se sentir bien accueillis, de sentir qu’ils font partie d’un groupe, ça les valorise et leur redonne confiance.

Les œuvres de cette exposition présentée jusqu’en décembre 2022 au MNBAQ témoignent toutes d’un processus de transformation positive. En ce sens, Sophie Lessard-Latendresse estime que Papy est un artiste incontournable à cause de son cheminement en tant que peintre. Selon elle, son histoire résonne auprès du public parce que celui-ci peut facilement s’identifier à ce qu’il a vécu.

Clément Gravel est un modèle, souligne-t-elle. C’est un homme qui a commencé à peindre à 92 ans, alors qu’il n’avait jamais touché à des pinceaux de sa vie. Lui-même, il a décidé de s’exprimer pour passer à travers son deuil. Il a décidé de se réinventer et de peindre parce qu’il ne savait pas comment exprimer ce qu’il vivait.

Clément Gravel est catégorique : il est persuadé que l’art peut être thérapeutique. Après le désarroi et les bouleversements du deuil, il a retrouvé un semblant de paix grâce à la peinture. Comme si l’orage s’était estompé à l’horizon. À preuve, si ses premières œuvres étaient carrément sombres, elles arborent aujourd’hui des teintes beaucoup plus lumineuses. 

« Le bocal d’émotions était plein, il débordait, illustre le peintre à propos du décès de son épouse. Aujourd’hui, il se vide peu à peu. La douleur s’en va. Je suis moins inspiré qu’avant. Au début, ça revolait, la peinture. Aujourd’hui, je suis plus calme. Et en même temps, je quitte la terre tranquillement. »

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