Gladys Radek s’agenouille au pied du totem installé au bord de l'autoroute 16, tout près de Terrace, dans le nord de la Colombie-Britannique. Elle y replace une figurine blanche en forme de licorne, puis elle jette un coup d’œil aux autres reliques déposées là.
Des fleurs, des cailloux peints, des peluches... Avec le temps, ce totem est devenu un vrai monument de commémoration. Derrière la rambarde, les voitures filent à vive allure sur cette autoroute longue de 725 kilomètres qui relie Prince Rupert à Prince George.
La route 16 est communément appelée la route des larmes
(Highway of tears).
Ce totem qui veille, c’est Gladys qui a souhaité qu’il soit réalisé. Pour les familles. Tout ce que je fais, c’est pour les familles
, insiste-t-elle en fourrant ses mains dans ses poches.
L’origine d’un nom
La route des larmes a été baptisée ainsi par Florence Naziel, la cousine de Gladys et de Lorna, disent-elles. Elles racontent qu’après la disparition de Tamara, Florence se trouvait dans un restaurant et a commencé à dessiner des larmes sur une serviette. Elle disait que trop de femmes autochtones avaient disparu. Elle a alors commencé à parler de la route des larmes
.
Il y a presque 20 ans, Gladys Radek a perdu sa nièce, Tamara Chipman. Cependant, Gladys affirme plutôt qu’elle s’est égarée. Cette aînée originaire de la communauté de Witset, au kilomètre 314 de l'autoroute 16, ne croira jamais en la mort de Tamara tant [qu’elle] n’en [aura] pas la preuve
.
Depuis 1970, sur cette autoroute, le nombre de femmes disparues ou retrouvées mortes est estimé à 80.
Ce serait incroyable qu’un jour elle cogne à notre porte
, lance-t-elle aux côtés de sa sœur, Lorna Brown.
« Je n’accepterai jamais qu’elle soit morte tant qu’on ne pourra pas me le prouver. »
L’aînée garde le sourire et a la blague facile. Elle aime dire qu’elle est timide
devant un micro tendu et un appareil photo. Toutefois, derrière cette bonhomie se cache une femme pleine de convictions qui se bat depuis presque 20 ans pour que les gens prennent conscience du destin tragique de dizaines de femmes autochtones sur cette route.
En face du totem, elle explique les significations de ce qu’il représente.
En bas, sur les côtés, on voit l'épaulard, qui est le clan qui vient d’ici, celui de la communauté de Kitsumkalum [située en face du totem, NDLR]. Puis il y a le visage spirituel de la grand-mère... Ici, ce sont le visage masculin et le visage féminin
, décrit Gladys.
Sur le totem, la communauté LGBTQIA2S n’est pas oubliée puisque son drapeau y est représenté, tout comme le clan de Gladys, celui de la grenouille, un souhait du sculpteur, Mike Dangeli, un membre de la nation Nisga’a qui a déjà réalisé plus d’une dizaine de totems.
Tout en haut, on peut voir la robe rouge à boutons et, en surplomb, un rouge-gorge. On voit aussi plusieurs enfants
, poursuit Gladys.
L'aînée a proposé d’installer le totem ici, en face de la rivière Skeena, asséchée aujourd’hui à cause du climat sec qui frappe la Colombie-Britannique. Je voulais qu’il y ait l’eau et les montagnes en toile de fond. Je voulais un endroit où les familles pourraient se recueillir avec leurs proches
, explique-t-elle.