Le soleil de juillet plombe le stationnement de la Marina de Longueuil. Casquette de marin enfoncée sur la tête, Yves Gélinas regarde s’envoler Jean-du-Sud, son fidèle voilier de 30 pieds, dans les sangles d’une machine rugissante.
Dans une semaine, ça va faire 50 ans
, observe le navigateur. Il sourit avec ses yeux rieurs, comme chaque fois qu’il raconte une histoire, qu’elle soit heureuse ou triste.
Cinquante ans qu’il a acheté son Alberg 30, une petite bête de fibre de verre de quatre tonnes. Cinquante ans qu’il arpente la planète avec son bateau bleu fleurdelisé. Cinquante ans qu’il a donné à Jean-du-Sud son nom, en hommage à une chanson de Gilles Vigneault qui raconte la vie d’un marin extravagant.
Avec lui, Yves Gélinas a fait le tour du monde en solo, des côtes françaises de Saint-Malo à Gaspé, sans jamais s’arrêter, sauf pour réparer son bateau. L'exploit, réalisé à une époque où le soleil et les étoiles servaient encore de GPS aux marins, n'avait jamais été tenté par un Québécois.
Mais ce qui l’a fait entrer dans la légende, c’est son documentaire Jean-du-Sud autour du monde, un portrait intimiste de la vie de navigateur solitaire de 98 minutes tourné sur de grandes bobines 16 mm.
« Quand tu racontes que tu veux faire un tour du monde tout seul sur un bateau de 30 pieds, on te prend déjà pour quelqu’un d’un peu timbré. Mais quand tu ajoutes que tu veux tourner un long métrage en même temps, tu en fournis la preuve! »
Plouf. Jean-du-Sud est à l’eau. Yves Gélinas monte à son bord pour l'amener à quai, mais pour la première fois, il n'est pas capitaine. Il a vendu son bateau à un professionnel devenu marin à vitesse grand V durant la saison morte.
Les deux hommes prévoient deux jours de travaux à Longueuil pour préparer Jean-du-Sud à mettre les voiles sur Québec, moment symbolique où le nouveau propriétaire exercera ses fonctions de capitaine pour la première fois.
Yves Gélinas a pris soin de choisir son acheteur, craignant de voir son bateau vieillir à quai, ou pire, dans la cour arrière d'un musée. Il m’a promis de le faire naviguer
, explique-t-il simplement.
S’il le pouvait, le vieux loup de mer reprendrait le large. Mais il sait que ses jours de navigateur hauturier sont derrière lui.
« La tête veut encore, c’est le body qui lâche, laisse-t-il tomber. C’est difficile à accepter. C’est un deuil. J’essaie de ne pas trop y penser. »