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À quand un « système bancaire ouvert » et des frais moins élevés au Canada?

Ce modèle de gestion des données financières « axé sur les clients » est à l'étude au Canada depuis 2018.

Une personne utilisé son téléphone cellulaire et son ordinateur pour accéder à sa banque.

Au Canada, le gouvernement canadien prévoit la mise en place d’un système bancaire ouvert en 2023.

Photo : getty images/istockphoto / utah778

Philippe de Montigny, journaliste.
Philippe de Montigny

Le gouvernement fédéral a réitéré, dans son budget présenté la semaine dernière, ses plans visant à améliorer les services financiers offerts aux Canadiens, à réduire les frais bancaires et à favoriser l’innovation dans le secteur. Toutefois, aucun échéancier n’a été établi, ce qui frustre des joueurs du secteur des technologies financières.

Adopter un système bancaire ouvert (ou open banking, en anglais) permettrait aux consommateurs de partager leurs données en toute sécurité entre leurs institutions financières et des applications tierces. Ces applications permettent, par exemple, d’obtenir sa cote de crédit, de gérer son budget ou encore de magasiner des prêts.

Bien que ces applications soient déjà populaires auprès des Canadiens, leur façon de récupérer les données des consommateurs laisse parfois à désirer, affirme Parna Sabet-Stephenson, avocate spécialisée en technologies financières.

L'avocate Parna Sabet-Stephenson.

Parna Sabet-Stephenson est avocate spécialisée en technologies financières au sein du cabinet Gowling WLG, à Toronto.

Photo : Radio-Canada / Vedran Lesic

Certaines entreprises procèdent actuellement par grattage d’écran, une technique rudimentaire qui consiste à copier les renseignements qui se trouvent dans les comptes financiers des utilisateurs.

Il y a beaucoup de risques avec cette méthode, d'après Me Sabet-Stephenson.

En partageant leurs identifiants, les consommateurs donnent accès au solde de leurs comptes, aux transactions qu’ils effectuent et à leurs polices d’assurance, entre autres. Ils augmentent ainsi les risques d’être victime de fraude ou d’atteinte à la sécurité de leurs données.

Hanna Zaidi, cheffe de la conformité de l’application Wealthsimple, compare la transition vers un système ouvert aux difficultés encourues il y a une dizaine d’années par les clients qui souhaitaient changer de forfait cellulaire tout en conservant leur numéro de téléphone.

Souvent, il y avait des frais d’annulation exorbitants et beaucoup de friction pour être en mesure de garder son numéro, dit-elle.

Une personne tient un téléphone intelligent avec l'application financière Wealthsimple.

L'entreprise torontoise Wealthsimple figure parmi les fintechs voulant accélérer l'adoption d'un système bancaire ouvert.

Photo :  (Wealthsimple/via Canadian Press)

Les sociétés de télécommunications se sont battues bec et ongles pour empêcher les gens de conserver leur numéro en changeant de fournisseur, mais ça les a forcés à être concurrentiels pour attirer des clients, rappelle-t-elle.

Elle estime qu'un système bancaire ouvert favoriserait aussi la concurrence. Ça réduira les coûts et favorisera l’innovation, espère Mme Zaidi.

Frustrations chez les fintechs

Les sociétés de technologie financière, souvent appelées fintechs, et les organismes de défense des droits des consommateurs ont fait pression pour une adoption rapide du système ouvert afin d'offrir plus de choix à des coûts potentiellement moins élevés.

Au Canada, le processus traîne depuis six ans. En septembre 2018, Bill Morneau, alors ministre des Finances, avait mis sur pied un comité consultatif afin d’examiner les avantages éventuels d’un système ouvert.

Julien Brault, fondateur et président de l’entreprise montréalaise Hardbacon, rappelle qu’en 2022, la mise en place d’un système bancaire ouvert était prévue au début de l’année 2023. L'automne dernier, dans son énoncé économique (nouvelle fenêtre), le gouvernement avait repoussé son échéancier à 2025. Dans le budget déposé la semaine dernière, cependant, il n’y a plus aucune date ciblée.

Je suis un peu déçu, lance M. Brault.

Le PDG de Neo Financial, Andrew Chau.

Andrew Chau est cofondateur et chef de la direction de Neo Financial, une entreprise basée à Calgary et partenaire de la Compagnie de la Baie d'Hudson pour l'offre de sa carte de crédit.

Photo : Anis Heydari/CBC

Il y a encore un certain flou et un manque de clarté concernant les délais dans le budget fédéral, remarque Andrew Chau, chef de la direction de Neo Financial. La jeune pousse de Calgary, qui offre une carte de crédit en partenariat avec les magasins La Baie, estime que le Canada prend du retard par rapport au reste du monde.

Hardbacon, une application permettant de comparer des cartes de crédit et des prêts, dit avoir bénéficié de la fermeture de sa concurrente Mint, l’une des plateformes de budgétisation les plus populaires au Canada.

Mais on a trop de gens qui n’arrivent pas à se connecter à leur compte ou bien leur compte se déconnecte, ajoute M. Brault, faute d’un système de transfert de données financières plus efficace et sécuritaire. Hardbacon, dit-il, fonctionnerait beaucoup mieux avec ce système.

Selon Andrew Chau de Neo Financial, l'absence d'un système bancaire ouvert limite la croissance de son entreprise.

Il estime qu’il est important de redonner aux clients le contrôle de leurs données financières, surtout en cette période plutôt difficile pour les Canadiens.

Réticence des grandes banques?

L’Association des banquiers canadiens, qui représente les institutions financières du pays, dit soutenir fermement un système ouvert, tant que les échanges de données sont robustes et sécurisés.

L’organisme reconnaît qu’il faut gérer de manière appropriée les risques créés par l’ajout de nouveaux acteurs au sein du système bancaire, le transfert de données à grande échelle et la présence continue de fraudeurs de plus en plus sophistiqués.

S’il est mis en œuvre de manière efficace, [ce système] peut améliorer les résultats financiers des Canadiens et les aider à prendre de meilleures décisions, a déclaré la porte-parole Mélanie Richer, par courriel.

La capacité des Canadiens d'exercer en toute sécurité et en toute confiance leur droit d'accéder à leurs données financières et de les utiliser, tout en interdisant les pratiques risquées telles que le grattage d'écran, conduira à une plus grande confiance et à un plus grand contrôle sur leurs données, dit-elle.

Un homme qui porte des lunettes et une casquette blanche.

Julien Brault, fondateur et PDG de Hardbacon, une application de gestion financière

Photo : Radio-Canada / Cécile Archer

Julien Brault dit cependant constater une certaine réticence de la part des grandes banques par rapport à la transition vers un système ouvert.

En Europe, on a aussi des protocoles pour carrément faire des transactions à distance et ça ouvre la porte à plus de concurrence parce qu’on peut imaginer toutes sortes d’applications qui viennent pratiquement remplacer les applications bancaires, donc les banques veulent ralentir ça, explique-t-il.

C'est clair que les grandes banques ne voient pas ça d'un œil favorable, même si leur discours est souvent : on est en faveur, mais on veut bien le faire et parce qu'on veut bien le faire, on veut prendre des années, des années, des années, soutient-il.

Déjà adopté ailleurs dans le monde

Cette évolution du secteur bancaire s’est déjà concrétisée dans des dizaines de pays. L’Union européenne, le Royaume-Uni, l’Australie et Hong Kong ont décidé d’encadrer leur système bancaire ouvert. D’autres pays – comme la Corée du Sud, les États-Unis, l’Inde et le Japon – ont choisi de laisser le marché guider la mise en œuvre d’un tel système.

Ottawa demeure engagé à faire avancer le dossier, mais reste avare de détails. Dans le budget, on apprend seulement qu'une agence fédérale aura la responsabilité d'élaborer un cadre réglementaire pour le système.

L’Agence de la consommation en matière financière du Canada (Agence de la consommation en matière financière du Canada) aura pour mission d’établir des règles en matière de protection de la vie privée, des mesures de protection pour assurer l’intégrité du système bancaire ouvert et la sécurité nationale, ainsi que des précisions concernant la portée et la participation au système.

Le gouvernement a débloqué une enveloppe d'un million de dollars au cours de cet exercice financier pour aider l'Agence de la consommation en matière financière du Canada à entamer cette démarche et consacre 4,1 millions sur trois ans au ministère des Finances pour qu'il puisse mener à bien l'élaboration de politiques et le travail de surveillance nécessaires.

Ottawa s’engage à déposer un projet de loi à cet effet au cours des prochains mois et à offrir davantage de détails cet automne.

Avec les informations d’Anis Heydari de CBC

Philippe de Montigny, journaliste.
Philippe de Montigny

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