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AnalysePourquoi une révolte indépendantiste en Nouvelle-Calédonie?

Un homme dont on ne voit que les bras et les mains tient une pierre et porte un couteau attaché à sa ceinture.

Les émeutes et les affrontements ont fait au moins quatre morts et des douzaines de blessés en Nouvelle-Calédonie.

Photo : Getty Images / AFP / Delphine Mayeur

Le président français Emmanuel Macron a annoncé, mercredi à Paris, l’instauration de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie. Dans ce territoire français aux antipodes de la France métropolitaine, des affrontements, des incendies provoqués et des pillages ont fait rage pendant trois nuits consécutives, entre lundi soir et jeudi matin.

Quatre personnes ont perdu la vie dans les affrontements, dont un policier de 22 ans. Mardi, les autorités locales ont imposé un couvre-feu dans la capitale, Nouméa. Et mercredi, venue de la métropole, cette annonce de l’état d’urgence et de l’envoi de quelque 2000 membres des forces de l’ordre, dépêchés par Paris.

Que se passe-t-il en Nouvelle-Calédonie? Pourquoi cette révolte?

Une colonie française

La Nouvelle-Calédonie est un archipel qui tourne autour d’une grande île principale, allongée sur 400 km (soit deux fois l’île d’Anticosti, au Québec), à égale distance entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Un « confetti » de l’ex-empire français. Ses 270 000 habitants sont toujours des citoyens de la France.

La Nouvelle-Calédonie a été colonisée par Paris à compter de 1853. Des réformes et un processus dit de décolonisation ont été entrepris depuis un quart de siècle.

Il y a eu un texte, « l’accord de Nouméa », signé en 1998 par le premier ministre socialiste de l’époque, Lionel Jospin. Il prévoyait une dévolution des pouvoirs, la définition d’une citoyenneté spécifique et la possibilité de tenir des référendums d’autodétermination.

(Chose qui, par exemple, serait impensable avec la Corse. Mais pour cette terre du bout du monde, la France était prête à aller plus loin, à envisager une décolonisation pouvant aller jusqu’à la séparation.)

Ces référendums ont eu lieu entre 2018 et 2021. Les électeurs, par trois fois, ont dit « non » à l’indépendance. Même si, au référendum de 2020, c’est passé assez proche, avec 47 % de « oui » et 53 % de « non ».

Deux conceptions de l’identité

On assiste aujourd’hui à un nouvel affrontement, le plus dangereux depuis longtemps, entre deux conceptions de l’avenir du territoire et de l’identité de ce peuple.

D’un côté, il y a les Autochtones, qu’on appelle les Kanaks, d’origine mélanésienne. Ils étaient là lorsque les Français sont arrivés, au milieu du XIXe siècle. Toujours défavorisés économiquement, la majorité d’entre eux sont aujourd’hui indépendantistes.

De l’autre côté, il y a les descendants des colons européens, qu’on appelle les Caldoches, parfois métissés, parfois pas, le plus souvent loyalistes et attachés à Paris, auxquels sont venus se joindre des Européens de souche plus récente, partis s’installer là-bas, comme d’autres immigrants.

Ce clivage politique n’est pas toujours coupé au couteau; il y a des zones grises et des exceptions. Le vote n’est pas strictement divisé selon les catégories ethniques.

Par exemple, il y a aujourd’hui 41 % de Kanaks en Nouvelle-Calédonie, mais le « oui » à l’indépendance est quand même monté jusqu’à 47 %, au référendum du 4 octobre 2020.

Un barrage de fortune composé de planches et d'objets dans un quartier de Nouméa. On voit des résidents assis à côté.

Des résidents ont érigé un barrage pour protéger leur quartier de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, secouée par des émeutes.

Photo : Getty Images / AFP / Theo Rouby

Donner le droit de vote aux immigrants

Spécifiquement, qu’est-ce qui a déclenché la présente crise? C’est une révision législative et constitutionnelle à Paris, qui soulève l’indignation des indépendantistes kanaks.

Opposés à cette révision, les partis politiques pro-indépendance (principalement le Front de libération nationale kanak et socialiste, ou FLNKS) n’appuient pas les manifestations violentes. Mais il y a manifestement, dans les rues de Nouméa, une frange radicale et assez nombreuse qui n’écoute pas les états-majors politiques.

Cette réforme, pilotée par le gouvernement d’Emmanuel Macron, a été votée par l’Assemblée nationale, mercredi. Elle doit élargir la « citoyenneté locale » néo-calédonienne – et le droit de vote – à au moins 25 000 personnes supplémentaires installées là-bas depuis plus de dix ans. Proportionnellement, c’est considérable : cela représente de 15 à 20 % de l’électorat.

Pourquoi cela? Parce que l’accord de Nouméa avait une clause – qu’on peut trouver bizarre et qui, rétrospectivement, s’avère explosive – qui « gelait » et limitait le droit de vote aux populations présentes sur le territoire en 1998 et à leurs enfants, essentiellement.

En vertu de ce texte de 1998 (l’accord de Nouméa), tous ceux et celles qui se sont installés par la suite sur le territoire (donc au cours des 25 dernières années) n’ont jamais eu – et ne devaient jamais obtenir dans l’avenir – la citoyenneté locale et le droit de vote. Même pour des citoyens français qui auraient décidé de déménager de Paris à Nouméa!

La peur de se faire ensevelir

Donc, la révision en cours à Paris – qui doit encore être sanctionnée constitutionnellement par le « Congrès » (Assemblée et Sénat exceptionnellement réunis à Versailles) – vise spécifiquement à défaire cette clause.

Elle stipule un élargissement du corps électoral de la Nouvelle-Calédonie, pour les élections locales, à tous les citoyens résidant sur place depuis au moins dix ans.

Les indépendantistes combattent cet élargissement, car ils craignent une perte de poids électoral des Kanaks, une érosion progressive de la population autochtone. Pour eux, l’immigration et le droit de vote donné aux immigrants (qui viennent des îles du Pacifique comme Tahiti, Wallis et Futuna, mais aussi d’Europe, de France) leur paraissent politiquement dangereux, voire mortels. Ils ont peur de se faire ensevelir et de devenir ultra-minoritaires.

« Le feu aux poudres »

À Paris, tout cela inspire une grande inquiétude, qui explique la « main lourde » du gouvernement Macron : l’état d’urgence et l’envoi de forces répressives spéciales. Manchette du journal Le Monde de mercredi matin : Nouvelle-Calédonie : le spectre de la guerre civile.

Un vrai danger? Il y a eu de la violence dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Mais depuis 25 ans, on avait assez bien réussi à « politiser » ce conflit, dans le meilleur sens du terme : en contenant le débat dans un cadre politique, institutionnel, référendaire.

Mais aujourd’hui, on entend Louis Le Franc, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie (une sorte de préfet qui représente Paris à Nouméa), se faire franchement alarmiste. Il a déclaré à BFM-TV : La situation est insurrectionnelle. On s’engage tout droit dans une guerre civile.

C’est aussi ce que disaient les ténors de la gauche à l’Assemblée nationale, pour justifier leur refus de voter cette loi d’extension du droit de vote aux immigrants en Nouvelle-Calédonie. Avec un jeu aux rôles inversés, où c’est la droite qui s’allie au gouvernement Macron pour élargir le droit de vote, que combat la gauche, avec des arguments anticolonialistes. Et des avertissements du genre : Vous jouez un jeu dangereux. Vous allez mettre le feu aux poudres.

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