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Le Canada perçu comme un pays totalitaire dans la complosphère internationale

Un an après l'occupation d'Ottawa par des Canadiens en colère, l'idée qu'un tyran dirige le Canada est plus populaire que jamais à l'international dans les sphères conspirationnistes et ultraconservatrices. Un phénomène que des experts expliquent par la mobilisation en ligne de groupes d’extrême droite et par la désinformation.

Une pancarte vandalisée de Justin Trudeau avec des cornes et une moustache en brosse à dents ajoutées au marqueur.

Selon la chercheuse au Centre international de contre-terrorisme, Justin Trudeau est devenu un symbole du totalitarisme « pire que l’Allemagne nazie » aux yeux de l’extrême droite canadienne.

Photo : Getty Images / Scott Olson

La semaine dernière, l’animateur de Fox News Tucker Carlson, qui pilote l’une des émissions d’actualité les plus écoutées aux États-Unis (Nouvelle fenêtre), a soulevé en ondes l’idée d’envoyer l’armée américaine au Canada pour libérer le pays de l’emprise du gouvernement « autoritaire » de Justin Trudeau.

Pourquoi devrions-nous laisser le Canada devenir Cuba? a-t-il demandé. Pourquoi ne le libérons-nous pas? Nous dépensons tout cet argent pour libérer l’Ukraine des Russes, pourquoi n’envoyons-nous pas les forces armées au Nord pour libérer le Canada de Trudeau? Je suis sérieux.

Ce n’était pas la première fois que Tucker Carlson décrivait le Canada de cette manière. En fait, l’animateur a déclaré à de multiples reprises que le Canada était devenu une « dictature » (Nouvelle fenêtre) dans la dernière année, surtout en raison de la gestion de la pandémie de COVID-19 par le gouvernement Trudeau et l’invocation de la Loi sur les mesures d'urgence pour mettre fin aux manifestations du « Convoi de la liberté », qui paralysaient notamment la capitale fédérale.

Une idée exportée du Canada

L'idée selon laquelle le Canada est un État totalitaire a pris beaucoup de galon chez les opposants canadiens aux mesures sanitaires au fil de la pandémie. La rage qu’ont provoquée ces politiques s’est notamment fait sentir tout le long de la campagne électorale fédérale de 2021, au cours de laquelle des événements auxquels participait Justin Trudeau ont régulièrement été le théâtre de manifestations antimesures sanitaires.

C’est toutefois le « Convoi de la liberté » qui a permis à cette perception de se propager outre-mer, au point où l’eurodéputé vaccino-sceptique Mislav Kolakusic a soutenu que le Canada était une « dictature de la pire espèce » (Nouvelle fenêtre) lors du passage du Justin Trudeau devant le Parlement européen l’an dernier.

Ahmed Al-Rawi, directeur du Disinformation Project de l'Université Simon Fraser, a observé que ce type de discours s’est amplifié après le convoi. C’est une idée qui se répand surtout dans des groupes très conservateurs ou d’extrême droite, donc il semble y avoir un côté idéologique à tout ça, analyse-t-il. D’autre part, le Canada est un grand exportateur de mésinformation et de désinformation. On a des acteurs très importants ici, et ça contribue aussi à ça.

Le professeur cite en guise d'exemple le média conservateur canadien Rebel News, qui compte plus de 1,6 million d’abonnés sur sa chaîne YouTube et qui attire un public international important. Son fondateur, Ezra Levant, a comparé le comportement de Justin Trudeau à celui d’un dictateur et a qualifié le chef d’État de tyran à de nombreuses reprises dans la dernière année, tant dans des chroniques (Nouvelle fenêtre) que dans des publications (Nouvelle fenêtre) sur les réseaux sociaux.

M. Al-Rawi identifie également le psychologue clinicien canadien Jordan Peterson comme une figure influente de la droite en ligne qui pourrait avoir contribué à cette perception.

Le Dr Peterson a été un important sympathisant du convoi l’an dernier, en plus d’avoir été très critique du premier ministre, qu’il a qualifié de « traître autoritaire (Nouvelle fenêtre) ». Véritable vedette à l'international, Jordan Peterson a plus de 6 millions d’abonnés sur YouTube et pilote depuis peu une émission en ligne pour le média conservateur américain The Daily Wire.

Une transnationalisation de l’extrême droite

Bàrbara Molas est chercheuse au Centre international de contre-terrorisme. Elle surveille les activités en ligne de nombreux groupes extrémistes, et signale que le premier ministre canadien est devenu un symbole du totalitarisme pire que l’Allemagne nazie aux yeux de l’extrême droite canadienne.

Selon Mme Molas, il est donc peu surprenant qu’il le soit aussi aux yeux de l’extrême droite internationale. La chercheuse explique que les mouvances antimesures sanitaires et les réseaux sociaux ont favorisé une certaine transnationalisation de l’extrême droite et des discours qui y sont véhiculés.

Ce qui définit l’extrême droite, surtout après la COVID-19, ce sont un sentiment anti-État et la propagation des théories du complot qui entrent dans un métarécit, soit un récit commun à tous. Ces théories du complot tentent d'expliquer des choses très complexes et des questions mondiales en termes très simplifiés, explique Mme Molas.

Cela signifie que différents groupes dans différents pays vont identifier une cause commune et un ennemi commun – par exemple, l’idée que nos institutions démocratiques sont contrôlées par une élite secrète. Tout à coup, les Pays-Bas discutent avec la Grande-Bretagne et discutent avec le Canada pour savoir si leurs problèmes s'expliquent ou non par les mêmes facteurs, analyse la chercheuse.

Or, si l’extrême droite canadienne démonise le premier ministre, ses homologues feront de même.

L'extrême droite ailleurs va soutenir les Canadiens, croire ce qu’ils disent, et dire qu’elle a le même problème. Parmi les groupes extrémistes, l'idée est que l'ennemi est le même, mais que les marionnettes sont différentes, résume Bàrbara Molas.

La chercheuse précise d’ailleurs que le convoi n’était pas en soi une manifestation d’extrême droite, mais que celle-ci s’est greffée au mouvement tout comme elle l’a fait avec d’autres manifestations antimesures sanitaires ailleurs dans le monde.

Des manifestants au centre-ville d'Ottawa.

Le « Convoi de la liberté » a été récupéré par l'extrême droite, selon Bàrbara Molas.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Consternation chez nos voisins du Sud

Tucker Carlson n’est pas le seul : aux États-Unis, nombreuses sont les personnalités influentes ayant qualifié Justin Trudeau de dictateur pour sa gestion du « Convoi de la liberté ».

Le baladodiffuseur le plus écouté du monde, Joe Rogan, a par exemple affirmé que Justin Trudeau est un dictateur et un communiste (Nouvelle fenêtre). L’homme le plus riche de la planète, Elon Musk, a pour sa part mis en ligne un photomontage qui comparait Trudeau à Adolf Hitler (Nouvelle fenêtre).

Les Américains ne parlent pas beaucoup du Canada, mais le pays fait sourciller certaines personnes lorsqu’il dévie trop des normes américaines, explique le directeur du Programme d'études canadiennes à l'Université Bridgewater, Andrew Holman. Trudeau est devenu la cible d'une colère et d’une diabolisation de la part des Américains de droite et d'extrême droite. Il en est venu à symboliser le genre de chef d’une démocratie qui a mal tourné. Et la crainte est que cela pourrait arriver ici.

M. Holman ajoute par ailleurs que les mesures sanitaires plus strictes mises en place par certaines autorités canadiennes – le couvre-feu au Québec, par exemple – ont provoqué la consternation d’Américains de toute allégeance politique.

Le rôle des fausses nouvelles

Le directeur général du Laboratoire sur l'intégrité de l'information de l’Université d’Ottawa, Serge Blais, a aussi observé que l’image du Canada a été mise à mal par le convoi des camionneurs et la gestion de la pandémie de COVID-19. Selon le professeur, certaines fausses informations qui ont circulé y ont joué un certain rôle.

Quand la police est intervenue au convoi, une journaliste de Fox News avait relayé une information selon laquelle une femme avait été piétinée par un cheval des forces de l'ordre et qu'elle serait morte, mais c’était faux (Nouvelle fenêtre), rappelle M. Blais.

Il y a un élément de vérité là-dedans : les policiers sont effectivement arrivés avec des chevaux, mais il y avait deux ou trois pieds de neige dans la rue et la dame a trébuché, mais elle n’est pas morte. La fausse information a été reprise dans plusieurs médias, et en l'espace de quelques heures, l'ensemble du monde croyait que l'intervention musclée de la police avait coûté la vie à une femme, relate-t-il.

Des policiers à cheval dans la rue.

Des policiers à cheval ont été déployés à Ottawa lors des manifestations du « Convoi de la liberté ».

Photo : Radio-Canada

M. Blais mentionne également les fausses nouvelles qui se sont propagées au fil de la pandémie, selon lesquelles le Canada construisait des camps d’internement (Nouvelle fenêtre) ou des camps de concentration qui serviraient à isoler de force les personnes infectées par la COVID-19 qui entraient au pays. Or, les camps en question étaient habituellement des hôtels (Nouvelle fenêtre). D’autres sites d’isolement volontaire ont aussi été construits au Canada pour que les citoyens qui le désiraient puissent s'isoler afin de protéger des proches vulnérables.

C’était présenté comme des lieux où on détenait les gens de force, ou des goulags. Ça, c'est le genre de petite chose, au goutte-à-goutte, qui peut miner la réputation ou l'image d'un pays, estime-t-il.

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