Regroupés dans le bureau de la Traversée, nous sommes plusieurs à nous poser la même question.
- Étiez-vous fatigué après une telle journée?
- Non. Je trouve ça drôle aujourd’hui d’entendre les jeunes qui sont bâtis comme un mur de glace et qui disent qu’ils sont fatigués. Moi, oui je fatiguais, mais ce n’était pas long que je me remettais sur pied.
D’une oreille attentive, Johanne nous écoute discuter. [Eudore], c’est comme un père pour moi
, répète-t-elle quelques fois. Celle qui a été à ses côtés pendant plus de 20 ans exprime toute son admiration pour la résilience d’Eudore.
Tu as été obligé de déplacer le sentier plusieurs fois
, dit Johanne, un peu découragée.
Naturellement, on pense à la météo qui a souvent joué les trouble-fêtes. Les forts vents et les chablis qui ont brisé des milliers d’arbres. Toutefois, la plus grande bataille, il l’a livrée contre les compagnies forestières de l’époque.
Je n’étais pas lourd au Québec, dans ce développement-là, dans le temps. J’étais tout seul. Les compagnies faisaient ce qu’elles voulaient avec moi. Elles ont coupé des sentiers, coupé des arbres où elles n’avaient pas le droit de couper. La plantation, ce n’était pas notre domaine, alors dans ce temps-là, on contournait et on aménageait un nouveau sentier
, explique Eudore, qui a livré cette lutte pendant plusieurs années.
C’était le ministère de l’Énergie, à l’époque, qui nous donnait les droits de passage. Ce qui a été difficile, c’était aussi les discussions avec le Séminaire de Québec, qui avaient des terres sur lesquelles passait le sentier.
Tout seul, installé dans son sous-sol, Eudore négociait avec toutes les parties impliquées. Probablement que je devais être convaincant!
dit-il en riant.
Les feux de forêt et les actes de vandalisme ont aussi été au cœur de sa résilience. Des six chalets et refuges qu’il a bâtis de ses mains, quatre seulement existent encore. Le chalet Le Dôme, bien connu des randonneurs et randonneuses puisqu’il peut accueillir 20 personnes, a dû être reconstruit, car la version originale qu’Eudore avait bâtie a été la proie des flammes.
Tu étais exploité!
, lance Johanne. Moi, bien des fois, j’aurais été découragée. Quand on se faisait vandaliser les chalets ou qu’il y avait un chablis, des luttes contre les motoneigistes, les chasseurs, etc. Eudore a même déjà reçu des menaces de mort quand on a décidé d’ouvrir le sentier pendant la période de chasse. Moi, j’aurais abandonné bien avant ça. Mais je le voyais qui continuait, enthousiaste, qui se relevait les manches.