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La Traversée en héritage

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La Traversée en héritage

Texte et photos : Mireille Roberge

Publié le 8 juin 2023

Si, à 93 ans, Eudore Fortin marche plus difficilement, il se tient encore bien droit et il est très fier. Surtout lorsqu’il regarde le chemin qu’il a parcouru.

À une époque où le plein air n'était pas encore une tendance et où la forêt était le terrain de jeu principalement des chasseurs et des compagnies forestières, ce vaillant aux bras solides a conçu la Traversée de Charlevoix. Maintenant, ce sont des milliers de randonneurs et randonneuses qui découvrent, chaque année, les 105 kilomètres de sentiers qu'il a bâtis et entretenus pendant quatre décennies.

Lucien Bouchard n’a aucune hésitation quand vient le moment de décrire son ami. Eudore est quelqu’un qui épouse la nature de Charlevoix, c’est un coureur des bois!, affirme l’ancien premier ministre du Québec, ajoutant qu’il se réjouit de savoir que son histoire est racontée et partagée.

Un homme âgé dans une forêt, tient une affiche inscrit La Traversée de Charlevoix et une autre écrite L'Eudore.
Eudore Fortin, assis dans cette forêt charlevoisienne qu’il connaît si bien. Il tient fièrement une affiche métallique, assez récente, de la Traversée et les balises de bois qu’il a lui-même fabriquées.  Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Eudore Fortin pousse la petite porte extérieure qui mène au sous-sol de sa maison. Il fait beau, c’est le mois de mai. Au cœur de Saint-Urbain, son village, le Charlevoisien affiche son habituel grand sourire.

À l’origine, c’était une fenêtre, raconte l’homme de 93 ans. J’ai dû casser le ciment pour installer une petite porte.

Cet accès, c’était pour entrer dans le bureau de la Traversée de Charlevoix. De 1979 à 2005, tout s’organisait directement dans son sous-sol familial. Un endroit qui conserve, encore aujourd’hui, l’allure de l’époque. Des murs en préfini beige, un bureau de bois dans un coin, un congélateur coffre dans l’autre, quelques cadres hétéroclites au mur et, surtout, un plafond bas de 6 pieds!

Je n’ai jamais porté de talons hauts pour venir au bureau! lance Johanne Leduc en éclatant de rire. Pendant 23 ans, elle a été la directrice générale de la Traversée. Aujourd’hui retraitée, elle revient dans son ancien environnement de travail, un peu incrédule quand elle pense à toutes les années passées dans ce lieu.

J’ai comme un pincement au cœur de revenir ici, précise-t-elle en pointant les raquettes de babiche, fabriquées par Eudore, accrochées au mur. Celle qui est rapidement devenue son indispensable complice a de nombreux souvenirs qui lui viennent en tête. Eudore, je pense que les gens trouvaient ça sympathique de venir dans ta maison. Sauf que les gens qui mesuraient plus de 6 pieds, tout penchés, avaient hâte que tu finisses de donner tes explications. Il fallait se plier même pour entrer…, se remémore-t-elle en riant. Ça saute aux yeux, le duo est content de se retrouver pour jaser, rire un bon coup et surtout replonger dans ses belles années.

Pendant plus d’un quart de siècle, les randonneurs et randonneuses qui s’aventuraient sur les sentiers de la Traversée de Charlevoix devaient nécessairement s’arrêter dans la rue Saint-Édouard pour s’enregistrer et, parfois, pour y laisser la nourriture et les bagages qui allaient être transportés par le service de navette.

Les deux complices n’en reviennent pas! Parfois, c’était 10-15 personnes en même temps, même l’hiver avec les bottes et la neige. Il fallait mettre leur nourriture dans le frigo. C’est même arrivé souvent qu’on réquisitionne les réfrigérateurs des voisins parce qu’on manquait de place! explique Eudore.

Sur le mur extérieur de la maison, près de la petite porte, la boîte à clés est encore accrochée, comme un vestige du passé. L’enseigne d’accueil a toutefois disparu. Elle a été déplacée 7 km plus au nord, au kilomètre 10,6 sur la route 381, où sont maintenant installés les bureaux et les employés qui assurent fièrement la relève depuis quelques années.

Eudore Fortin a bâti et entretenu les 105 km de la Traversée de Charlevoix pendant quatre décennies.  Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Je n’aime pas le ski!
Je n’aime pas le ski!

- Eudore, vous avez fait quoi, comme travail, avant de vous lancer dans la Traversée?

- Oh, ma p’tite fille, j’ai fait mille et un métiers. J’ai été bûcheron, j’ai fait de la drave, j’ai été gardien de tour, garde-chasse, j’ai travaillé avec des jeunes vivant avec une déficience intellectuelle, j’ai eu un restaurant-bar, une tabagie, j’ai fait du trappage, de la taxidermie. J’ai fait beaucoup de choses, j’ai même été maire de Saint-Urbain en 1988 et 1989.

Eudore Fortin le dit lui-même, il n’a jamais été un sportif. Même qu’il n’a jamais aimé le ski.

C’est pourtant vers lui que se tourne la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade (FQME), en 1977, lorsque vient le moment de développer des sentiers d’approche pour l’escalade. Eudore habite proche, il est disponible et il a envie de relever ce type de défi.

On m’a dit : “On vous demande de construire un poste d’accueil, mais ne vous cassez pas la tête avec ça. Ça va arriver en panneaux en hélicoptère.”Je me suis levé pour m’en aller. J’ai dit : “Un chalet en panneaux? Je ne suis pas votre homme!” Moi, je voulais construire avec du bois, raconte Eudore, précisant qu’en réalité, il n’avait encore jamais rien construit de sa vie!

Malgré tout, le projet a été accepté, et le mandat, achevé. Et la suite n’a pas tardé. Quelques mois plus tard, la FQME proposait à Eudore de développer un sentier de longue randonnée.

J’ai toujours aimé les cartes. Tout de suite, j’ai commencé à tracer un parcours. Je suis parti avec mes raquettes le 2 janvier 1979 pour commencer l’aménagement [des sentiers] de la Traversée. Il y avait vraiment beaucoup de neige, cet hiver-là , raconte celui qui était alors âgé de 48 ans.

Tracer le parcours de 105 kilomètres aura pris deux ans. Sur la carte, je voyais de vieux sentiers de trappeurs qui existaient déjà, ou encore, de vieux chemins forestiers. J’utilisais aussi le défrichage des lignes d’Hydro-Québec pour faciliter le travail au début, dit-il pour expliquer le premier débroussaillage.

Bien malin celui qui aurait su prédire quand le travail serait terminé. Il ne faisait que débuter!

Une montagne enneigée avec au pied un chalet.

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Une montagne enneigée avec au pied un chalet vue par un drone Photo : ZEC Lac-au-Sable

Des batailles et de la résilience
Des batailles et de la résilience

C’est dans les bureaux actuels de la Traversée de Charlevoix qu’Eudore nous présente la carte topographique complète. Elle est accrochée au mur et nous saute aux yeux en entrant. Tout juste derrière, des photos du fondateur, des articles de journaux et de nombreuses récompenses reçues au fil des années ornent les murs et les étagères.

La carte est claire et bien détaillée. Le départ de la Traversée est à l’accueil de la Zone d’exploitation contrôlée (ZEC) des Martres et se termine au mont Grand-Fonds, au cœur de l’arrière-pays charlevoisien. L’excursion hivernale se déroule de la fin décembre à la fin mars et s’effectue exclusivement en skis.

Une carte dessinée illustre le trajet de la Traversée de Charlevoix.
Le trajet de la Traversée de Charlevoix Photo : Radio-Canada / Émilie Robert

En 1989 s’ajoute la possibilité de réaliser l’entièreté du parcours en randonnée pédestre de la fin mai jusqu’à l’arrivée de la neige, vers la fin du mois d’octobre. Il est désormais aussi possible d’effectuer la Traversée en vélo de montagne. Un parcours qui compte quelques segments plats, mais qui est surtout reconnu pour endurcir les mollets en raison des nombreuses sections techniques parsemées de roches et de racines, sans oublier son dénivelé.

D’ailleurs, partout, il est bien indiqué : Ce parcours balisé est réservé aux skieurs expérimentés, aux randonneurs habitués et répond aux attentes des cyclistes chevronnés. On comprend que c’est réservé aux aventurières et aventuriers vaillants, comme l’a été Eudore Fortin pendant plus de 40 ans!

Quand tu fais un sentier, tu ne le trouves pas tout de suite, raconte Eudore. Je partais en avant, dans les branches. Je restais souvent dans le bois pour la nuit, je couchais en pleine nature. J’avais ma scie à chaîne, mes sécateurs, ma hache. Heureusement, grâce à des [programmes] de chômage, j’avais des gars pour m’aider.

« On faisait des 10-12 heures dans le bois et il fallait marcher beaucoup. Évidemment, on s’éloignait tout le temps. Parfois, on marchait deux heures avant de commencer à travailler. On ne faisait pas long en camion ou en motoneige. On transportait les outils et les bidons de gaz sur notre dos. On n’avait pas de brouette, on était en plein bois! Et tout ça, c’était à la boussole! »

— Une citation de   Eudore Fortin

Regroupés dans le bureau de la Traversée, nous sommes plusieurs à nous poser la même question.

- Étiez-vous fatigué après une telle journée?

- Non. Je trouve ça drôle aujourd’hui d’entendre les jeunes qui sont bâtis comme un mur de glace et qui disent qu’ils sont fatigués. Moi, oui je fatiguais, mais ce n’était pas long que je me remettais sur pied.

D’une oreille attentive, Johanne nous écoute discuter. [Eudore], c’est comme un père pour moi, répète-t-elle quelques fois. Celle qui a été à ses côtés pendant plus de 20 ans exprime toute son admiration pour la résilience d’Eudore.

Tu as été obligé de déplacer le sentier plusieurs fois, dit Johanne, un peu découragée.

Naturellement, on pense à la météo qui a souvent joué les trouble-fêtes. Les forts vents et les chablis qui ont brisé des milliers d’arbres. Toutefois, la plus grande bataille, il l’a livrée contre les compagnies forestières de l’époque.

Je n’étais pas lourd au Québec, dans ce développement-là, dans le temps. J’étais tout seul. Les compagnies faisaient ce qu’elles voulaient avec moi. Elles ont coupé des sentiers, coupé des arbres où elles n’avaient pas le droit de couper. La plantation, ce n’était pas notre domaine, alors dans ce temps-là, on contournait et on aménageait un nouveau sentier, explique Eudore, qui a livré cette lutte pendant plusieurs années.

C’était le ministère de l’Énergie, à l’époque, qui nous donnait les droits de passage. Ce qui a été difficile, c’était aussi les discussions avec le Séminaire de Québec, qui avaient des terres sur lesquelles passait le sentier.

Tout seul, installé dans son sous-sol, Eudore négociait avec toutes les parties impliquées. Probablement que je devais être convaincant! dit-il en riant.

Les feux de forêt et les actes de vandalisme ont aussi été au cœur de sa résilience. Des six chalets et refuges qu’il a bâtis de ses mains, quatre seulement existent encore. Le chalet Le Dôme, bien connu des randonneurs et randonneuses puisqu’il peut accueillir 20 personnes, a dû être reconstruit, car la version originale qu’Eudore avait bâtie a été la proie des flammes.

Tu étais exploité!, lance Johanne. Moi, bien des fois, j’aurais été découragée. Quand on se faisait vandaliser les chalets ou qu’il y avait un chablis, des luttes contre les motoneigistes, les chasseurs, etc. Eudore a même déjà reçu des menaces de mort quand on a décidé d’ouvrir le sentier pendant la période de chasse. Moi, j’aurais abandonné bien avant ça. Mais je le voyais qui continuait, enthousiaste, qui se relevait les manches.

Charles Roberge regarde un album photo. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

En 1985, son ami Charles Roberge, alors coordonnateur du plan de développement touristique de Charlevoix, lui propose de créer l'organisme sans but lucratif la Traversée de Charlevoix. J’ai dit à Eudore : “Pourquoi vous n’êtes pas votre propre patron? Pourquoi un gars solide comme vous est obligé de répondre à des gens de Montréal?”, raconte Charles.

On a dû aller négocier à Québec et à Montréal avec la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade, précise Charles. Leur but était d’obtenir les droits, détenus à l’époque par la Fédération, qui leur permettraient de développer les sentiers et de pouvoir construire les chalets. Eudore ne le cache pas, il en avait beaucoup sur le cœur. Il y avait beaucoup de chicane au sein du conseil d’administration à la FQME. Certains voulaient garder le projet, d’autres, non. À un moment donné, je leur ai dit : “Abandonnez! C’est ce que je veux, de toute façon, c’est moi qui fais tout.” Après environ trois années de négociations, la Traversée de Charlevoix est devenue une entité 100 % régionale en 1989.

Eudore investissait tout son cœur et toute son énergie dans la Traversée. Pendant ce temps, à la maison, sa femme, Gemma, leurs quatre enfants et les cinq enfants qu’ils hébergeaient en famille d’accueil s’ennuyaient parfois du paternel.

Même le soir de Noël
Même le soir de Noël

J’ai toujours dit aux randonneurs que la porte était ouverte à toute heure du jour ou de la nuit, précise le nonagénaire. Et comme le bureau de la Traversée était dans le sous-sol de la résidence familiale, on pouvait cogner à la porte à tout moment.

Un soir de Noël, on se préparait pour aller à la messe de minuit. On était tout prêts, tout bien habillés, et ça frappe à la porte. C’est quelqu’un qui arrive tout paniqué pour me dire qu’une personne était prise dans la Traversée et qu’il fallait absolument aller la dépanner. Au chalet l’Oscar (qui n’existe plus aujourd’hui), c’était la pire place où aller, l’accès était difficile. Je me suis changé, personne n’a rouspété, et je suis parti. Seul, je suis allé aider la personne et je suis revenu à la maison à 7 h 30 le lendemain matin.

Des mains se touchent par dessus un album photo.
Le téléphone cellulaire n’est jamais bien loin. C’est important pour Eudore de demeurer en contact avec ses 4 enfants, ses 10 petits-enfants et ses 11 arrière-petits-enfants. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Des situations comme celle-là, c’est arrivé plusieurs fois, précise le père de famille, qui compte aujourd’hui 10 petits-enfants et 11 arrière-petits-enfants. Dont une fois, se souvient-il, dans une tempête qui avait laissé 90 cm de neige.

La seule chose que je regrette, c’est de ne pas avoir aidé ma femme comme j’aurais dû l’aider. J’ai été absent pour mes enfants. Elle aurait eu besoin d’aide, j’ai regretté ça un peu. Je n’ai pas peur de le dire, tout ce que j’ai aujourd’hui, c’est elle qui l’a payé. Moi, je n’ai rien payé, je ne gagnais rien, dit-il, ému en pensant à Gemma, décédée en 2010. Souvent, Eudore répète : J’ai fourni le gaz, mon temps, et je n'ai pas chargé une cenne.

Il avait ce projet, cette mission tatouée sur le cœur.

Il y en a beaucoup qui disaient : “Quand tu vas disparaître, tout va disparaître.” Moi, je leur disais : “Ne vous cassez pas la tête avec ça, c’est là pour rester et je n’ai plus besoin d’être là.”

Johanne Leduc, Justin Verville Alarie et Eudore Fortin ont eu quelques bons éclats de rire lors de leur visite de l’atelier aménagé par Eudore au début des années 2000 et encore utilisé aujourd’hui par l’équipe actuelle.  Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Dans les grandes bottines d’Eudore
Dans les grandes bottines d’Eudore

Annexé aux bureaux actuels de la Traversée, il y a un atelier. Sur des tablettes, des pots de vis et de clous laissés par Eudore. Juste à côté, sur des feuilles jaunies, les vieux plans des toilettes de la Traversée, dessinés à la main par Eudore, bien sûr.

Justin Verville Alarie prend une vieille scie à chaîne dans ses bras. Elle doit peser 35 livres au moins. Le patriarche de la Traversée lui explique comment elle fonctionne. L’échange entre les deux générations est captivant. Du haut de ses 34 ans, Justin est curieux. Depuis 2019, il est le directeur des Sentiers Québec-Charlevoix, organisme qui gère divers sentiers, dont la Traversée de Charlevoix.

Justin est conscient de tout le travail de son prédécesseur. Quand on s’intéresse un peu à l’histoire, il faut se rappeler le contexte dans lequel ce sentier a été mis en place. Aujourd’hui, le plein air, ce n’est pas ce que c’était il y a quelques années à peine. À l’époque, les gens n’étaient pas nécessairement contents de voir des marcheurs arriver dans des lieux où l’on était plutôt habitués à pratiquer la chasse et à exploiter la forêt. Eudore nous a légué quelque chose d’extrêmement précieux.

Regardez Eudore, on a trouvé des objets que vous avez fabriqués dans le grenier, s’exclame-t-il en montrant d'anciens gabarits faits maison. Minutieusement, au fil des années, Eudore avait gravé toutes les pancartes de bois qui ont servi à baliser les 105 km de sentiers.

Ce sont des éléments qu’on garde, précise Justin. Dans le détour, il met la main sur une lettre écrite par Frédéric Back, l’homme qui plantait des arbres, à l’attention d’Eudore et dans laquelle il le félicite pour l’ensemble de son œuvre.

Les journées où c’est difficile, il faut penser à ce qu’il a vécu. C’est un moteur de motivation. On marche dans de grandes bottines, mais on est chanceux d’avoir les pieds dedans, explique Justin, précisant que 3330 visiteurs uniques ont emprunté les sentiers de la Traversée en 2022, répartis sur toutes les saisons. S’ajoutent à ce nombre plus de 3000 coureurs et coureuses qui participent aux diverses épreuves organisées par les Événements Harricana, chaque année, depuis plus d’une décennie, et qui empruntent une bonne partie de ces sentiers.

« Les chalets sont pleins dès que les conditions sont bonnes. Ç’a triplé dans les cinq, six dernières années. »

— Une citation de   Justin Verville Alarie

Actuellement, ce sont 13 refuges et chalets qui sont utilisés, et une équipe de 15 personnes assure le bon déroulement des opérations.

Eudore a toujours aimé les cartes. Il s’amuse à pointer les nombreux chalets qu’il a construits. Photo : Radio-Canada

L’infatigable Eudore
L’infatigable Eudore

Lucien Bouchard, je l’ai connu dans les années 1980. J’ai marché sur de longs segments de sentiers avec lui. Il était fort. Il forçait, parfois, il finissait complètement brûlé, raconte Eudore en riant.

Le fondateur de la Traversée a rarement marché sur ses sentiers uniquement pour le plaisir. J’avais toujours un sac à dos… et des outils, précise-t-il. Sauf qu’avec Lucien Bouchard, c’était différent.

Toutes les fins de semaine où je pouvais quitter mon travail, j’allais dans Charlevoix tout le temps, c’était mon refuge, raconte avec nostalgie l’ancien premier ministre du Québec.

C’est par personnes interposées qu’ils se sont rencontrés, et cette relation amicale a traversé le temps. Dans les albums qu’Eudore conserve précieusement, de nombreuses photos expriment à merveille son lien unique avec celui qui, à 84 ans, pratique encore comme avocat. Lucien Bouchard et sa famille ont été les premiers à dormir au chalet Le Dôme.

On faisait de véritables excursions avec Eudore, se remémore Lucien Bouchard. On était plus jeunes et on était en forme. Je me souviens qu’un hiver, on était partis en ski de fond et on avait fait l’ascension du Dôme, où Eudore venait de construire un chalet, et on avait passé au moins une nuit, avec des amis, dont Eudore, dans ce chalet qui n’était pas chauffé.

Lucien Bouchard pourrait parler longuement de son ami.

« C’est un personnage exceptionnel. Il n’était déjà pas jeune à l’époque. C’était incroyable de voir la résistance physique qu’il avait, il pouvait marcher des heures et des heures dans la montagne pour nous sortir du pétrin ou nous faire connaître toutes les montagnes environnantes. »

— Une citation de   Lucien Bouchard

Encore aujourd’hui, Lucien et son frère Gérard ne manquent jamais une occasion d’arrêter chez Eudore quand ils se rendent dans leur famille à Saguenay. Chaque année, on arrête pour voir Eudore! On le fréquente depuis toujours!

Un bras tient une affiche de bois et un clou.
En avril dernier, Eudore Fortin célébrait fièrement son 93e anniversaire. Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

En décembre 2022, Eudore s’est fracturé la hanche. Un accident bête, comme il le dit. Celui qui estime avoir une santé de fer est resté cloué à un lit d’hôpital pendant quelques semaines. Malgré cet ennui de santé, il a toujours le sentiment d'être en forme.

Il rajeunit chaque année, précise Johanne, avant d’enchaîner :

- Toi, Eudore, ça te fait encore rêver, la Traversée?

- Y’a pas beaucoup de nuits où je ne rêve pas à la Traversée. Encore aujourd’hui.

Ses jambes sont moins fortes, ses sorties en voitures moins nombreuses, donc ses visites au bureau de la Traversée sont de plus en plus rares. Mais ce qui me rend le plus fier est de voir que ça continue. Il y a une bonne équipe en place et ça fonctionne toujours. Ça veut dire que je n’ai pas travaillé pour rien.

Quand on lui demande de quoi il aimerait qu’on se souvienne en pensant à lui, il répond : De la Traversée évidemment! Mais aussi qu’elle tient debout à cause de trois personnes. Eudore, en premier – je suis obligé de me nommer, dit-il en riant. Ensuite, Johanne, et aussi Pascal Tremblay. Le nom de ce dernier, un surhomme, comme le qualifie Eudore, revient souvent dans la conversation. Physiquement très fort, ce Charlevoisien lui a offert un bon coup de pouce pour la construction des chalets sur le terrain, à partir de 1990.

Johanne est aussi fière du travail accompli. Elle ajoute : Mais il y a beaucoup de monde dans la région de Charlevoix qui ne connaît pas encore la Traversée. C’est triste. Il commence à y avoir de la clientèle d’ici. Au début du projet, quelqu’un avait même dit : “Voyons! Qui va aller faire du ski dans la forêt?”

Eudore cloue un panneau de sentier sur un arbre.
Pour le plaisir, Eudore installe une pancarte indiquant la direction à prendre pour se rendre au chalet portant son nom.  Photo : Radio-Canada / Mireille Roberge

Quarante ans plus tard, le discours a beaucoup changé. Le mont du Dôme, celui du Pic de l’Aigle, le mont du Lac-à-l’Écluse, le mont du Four ou le mont du Lac-à-l’Empêche, situés au cœur de la Traversée de Charlevoix, sont de plus en plus connus dans le milieu du plein air. Sans compter que le chalet L’Eudore et le mont Eudore-Fortin – baptisé officieusement par les Amis de la Traversée, même si Eudore est encore vivant – occupent une place de choix dans le cœur des randonneurs et randonneuses.

Et le sentier de la Traversée de Charlevoix est maintenant protégé. Il est inscrit au Schéma d’aménagement et de développement de la MRC de Charlevoix.

Après quelques heures à se remémorer tous ces souvenirs, c’est le moment de déposer Eudore chez lui, dans son refuge de Saint-Urbain. On pourrait le croire fatigué. Mais non, il a encore un bon après-midi devant lui.

Je vais faire une tarte aux pommes et au sucre à la crème pour ce soir. Et c’est moi qui fais ma pâte.

Visuel de drone : Nicolas Otis

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