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Les personnes aveugles pourront bientôt voter de manière autonome au fédéral

Une femme déposant son bulletin de vote dans une boîte.

Élections Canada prévoit tester d’ici 2024 une application mobile pour rendre le vote des personnes aveugles plus accessible. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz

Dès les prochaines élections fédérales, les personnes aveugles pourraient finalement voter de manière confidentielle et autonome. Après avoir reçu plusieurs dizaines de plaintes, Élections Canada va bientôt tester une application mobile pour rendre le suffrage plus accessible.

Lors des trois dernières élections générales, Élections Canada a reçu 72 plaintes d’électeurs aveugles dénonçant les dysfonctionnements du processus électoral actuel qui ne leur permet pas de voter seuls et en secret, peut-on lire dans un appel d’offres gouvernemental publié cet été.

Un des plaignants a spécifiquement signalé qu’une personne aveugle ou malvoyante n’a pas de moyen de vérifier elle-même la marque sur son bulletin de vote, indique Élections Canada.

L’agence fédérale prévoit tester d’ici 2024 une application pour téléphone intelligent qui permettra aux électeurs de prendre une photo de leur bulletin de vote afin de confirmer qu’ils ont bel et bien voté pour le candidat de leur choix.

Une loupe, un gabarit, deux crayons et un isoloir.

Quelques-uns des outils qu'Élections Canada rend disponibles pour les personnes aveugles à l'heure actuelle.

Photo : Élections Canada

Cette technologie permettra aussi de vérifier si la marque [inscrite sur le bulletin est] acceptable d’après les lignes directrices d’Élections Canada, précise l’appel d’offres. Ces informations seront communiquées à l’électeur par le biais d’un message audio dans l’une des deux langues officielles. L’électeur devra donc avoir des écouteurs pour l’entendre.

L’Association des personnes handicapées visuelles de l’Outaouais accueille favorablement cette initiative. Son directeur général, Richard Lemieux, croit cependant qu’il est primordial que l’application soit d’abord testée par des non-voyants. Trop souvent, dit-il, les gens veulent développer des choses pour les gens en situation de handicap visuel mais ils ne prennent pas le temps de vérifier si ça fonctionne bien avec une personne qui a une déficience.

Voter pour le mauvais candidat

Malvoyant de naissance, le Gatinois Alan Conway explique qu’il a l’habitude de voter en utilisant un gabarit en plastique qu’il appose sur son bulletin de vote. Mais il y a toujours une possibilité que le gabarit glisse un petit peu, donc on n’est jamais tout à fait sûr si on a bien voté, explique-t-il.

Je pense que ça m’est arrivé une fois, [ j’ai] voté pour le mauvais candidat.

Une citation de Alan Conway, personne aveugle

Pour être certaines d’avoir sélectionné le candidat de leur choix, les personnes aveugles peuvent demander à quelqu’un de vérifier leur bulletin de vote. Le système actuel est donc peut-être injuste, analyse M. Conway, car il est impossible pour une personne malvoyante de voter de manière entièrement autonome et anonyme en ce moment.

Outils disponibles

  • des listes des candidats en gros caractères et en braille ;

  • des gabarits de vote en braille avec fonctions tactiles ;

  • des loupes qui facilitent la lecture du bulletin de vote ;

  • des isoloirs qui laissent passer plus de lumière.

Source : Élections Canada

Dans ce contexte, certaines personnes ne se donnent même pas la peine de voter.

Retraité de la fonction publique fédérale, Alan Conway rappelle toutefois que les choses se sont beaucoup améliorées. La première fois qu’il a exercé son droit de vote, lors d’élections municipales à Saskatoon, c’est sa mère qui avait inscrit son choix sur le bulletin.

Un homme aveugle vêtu d'un polo bleu clair accorde une entrevue assis sur une chaise dans sa maison, la tête penchée vers le sol.

Alan Conway se souvient avoir eu de nombreuses difficultés à voter lors de précédentes élections.

Photo : Radio-Canada / Francis Deschênes

Il se souviendra d’ailleurs toujours des difficultés rencontrées pour voter lors du référendum de 1980 sur l’indépendance du Québec. Il était alors étudiant à Montréal. Comme les gabarits de vote étaient inexistants, M. Conway avait demandé à quelqu’un de l’aider à voter. Mais la personne a refusé de m’aider [...] parce que nous ne votions pas de la même façon, déplore-t-il.

Monique Beaudoin milite depuis longtemps pour la défense des droits des personnes aveugles comme elle et son conjoint Alan Conway. Par le passé, elle a participé à des consultations menées sur le sujet par Élections Canada. La résidente de Gatineau est d’avis que le développement de nouvelles technologies peut avoir des effets positifs sur le taux de participation des aveugles. Il y a peut-être des gens qui ne votent pas aujourd'hui, qui vont peut-être se décider à voter, dit-elle.

Quand on parle d’application, moi, ça m'inquiète un petit peu parce que ça présume que tout le monde a un [téléphone intelligent], lance pour sa part Alan Conway.

Deux personnes malvoyantes sont assises face à face à une table de cuisine avec un chien beige à leurs pieds.

Alan Conway et sa femme Monique Beaudoin

Photo : Radio-Canada / Francis Deschênes

Il estime que le gouvernement devrait peut-être envisager le développement d'autres technologies, comme les machines à voter qui sont utilisées en anglais et en espagnol aux États-Unis. Sa conjointe, Monique Beaudoin, croit pour sa part que le vote par Internet mériterait d’être exploré au Canada.

Apprendre des erreurs de l’Australie

En Australie, le vote électronique a justement permis d’augmenter la participation électorale des personnes non voyantes, affirme Jack Reynolds-Ryan, gestionnaire des politiques pour l’organisme BlindCitizensAustralia. Lancé en 2011 dans l’État de Nouvelle-Galles du Sud, le système iVote a toutefois connu une panne majeure en 2021. Depuis, son utilisation a été suspendue.

Une des raisons qui expliquent pourquoi notre système n’a pas tenu le coup, c’est que les investissements nécessaires pour le garder à jour et moderne n’ont pas été faits, lance M. Reynolds-Ryan.

Ce défenseur des droits des personnes malvoyantes estime que le Canada pilote un projet dont l’Australie pourrait s’inspirer. Par contre, selon lui, le développement d’une application pour valider le vote nécessite un investissement et un engagement continus de la part du gouvernement pour éviter de revivre le fiasco australien.

La sécurité au détriment de l’accessibilité?

Avec ce projet, le gouvernement devra trouver le juste équilibre entre la sécurité et l’accessibilité, ajoute Antoine Normand, président de la grappe canadienne en cybersécurité IN-SEC-M.

Avec les questions soulevées sur l’ingérence étrangère lors des dernières élections fédérales, [les agences gouvernementales] ont tellement de préoccupations pour la protection de la démocratie [qu’]elles ne laisseront pas passer une application qui pourrait avoir la possibilité de mettre un vote en danger.

Antoine Normand.

Antoine Normand, président de la grappe canadienne en cybersécurité IN-SEC-M (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Élections Canada souhaite que son application ne puisse ni conserver, ni sauvegarder, ni transmettre de données personnelles. Et c’est tout à fait possible, selon M. Normand, à condition que l’application soit construite au départ avec cet objectif-là. Il faut, par exemple, que ce soit l’application d’Élections Canada qui prenne le contrôle de la caméra et qui prenne la photo et qui la détruise, indique l’expert en cybersécurité.

Élections Canada doit toutefois s’assurer de maintenir son application accessible, note Antoine Normand, car les personnes avec une déficience visuelle ont droit au même niveau de service que les autres Canadiens.

On a vu de très mauvais exemples, comme avec le gouvernement du Québec où ils ont mis tellement de niveaux de vérification pour la sécurité [pour certains services numériques] que ça ne devenait plus utilisable.

Une citation de Antoine Normand, président d'IN-SEC-M

Élections Canada a refusé de nous accorder une entrevue dans le cadre de ce reportage.

L’agence fédérale ignore par ailleurs le nombre d’électeurs avec déficience visuelle au Canada et ne sait pas combien d’entre eux utilisent les outils et services mis à leur disposition pour faciliter l’exercice de leur droit de vote.

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