•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Vous naviguez sur le site Radio-Canada

Début du contenu principal

Les cheveux comme moyen d’expression

Les cheveux comme moyen d’expression

Un texte de Lindsay Gueï Photographies par Trevor Lyons

Publié le 29 février 2024

Partie intégrante de l’identité physique, mais aussi culturelle, les cheveux peuvent jouer un rôle dans ce que l’on souhaite exprimer socialement. Dans les communautés noires, c’est le cheveu texturé qui mène la danse. De la boucle ondulée au tire-bouchon crépu, sa structure permet une variété de styles.

Dans le quartier Saint-Boniface à Winnipeg, six personnes ont accepté de se livrer à propos de leurs cheveux. Pour clore le Mois de l’Histoire des Noirs, elles témoignent de ce que représente leur chevelure et du message qu’elles y associent.

L’affirmation
L’affirmation

Assise au Café Postal, sur le boulevard Provencher, Yasmine Kanaté savoure un chocolat chaud. À 19 ans, l’étudiante d’origine ivoirienne s’est récemment installée à Winnipeg pour poursuivre ses études à l’Université de Saint-Boniface. Son premier hiver se passe bien, notamment parce qu’elle a réussi à trouver une solution pour ses cheveux crépus.

Une jeune femme noire qui se coiffe
Au Canada depuis 10 mois, la jeune étudiante continue d’apprendre à s’occuper de ses cheveux en regardant différentes vidéos sur Internet portant sur l'entretien et les tutoriels de coiffure adaptés à son type de cheveux. Photo : Radio-Canada / Trevor Lyons

Depuis plusieurs mois, elle tente différents coiffeurs, essuyant quelques échecs avant de se tourner vers une dernière solution moins chère et plus ambitieuse : se coiffer elle-même.

Pour moi, mes cheveux, c'est comme une manière de m'affirmer parce que j'ai tendance à beaucoup les changer, à m'exprimer, précise-t-elle, évoquant sa facilité à passer d’une perruque colorée à des tresses tendance aperçues sur les réseaux sociaux.

L’étudiante trouve qu’il est important d’avoir le choix dans le type de coiffures pour un budget raisonnable. Ici, au Canada, c’est vraiment compliqué de se tresser pour nous, les Africains […] Tu payes cher, explique-t-elle, ayant fait des essais décourageants.

Yasmine Kanaté
« J’aime quand on me voit avec une nouvelle tête », dit Yasmine Kanaté, très heureuse de sa nouvelle coiffure. Photo : Radio-Canada / Trevor Lyons

Pour commencer 2024, Yasmine a choisi de créer de fausses locks

J’ai acheté des mèches et je l’ai fait moi-même à la maison […] avec une épingle à cheveux, explique-t-elle en riant. Pour obtenir le résultat final, elle a travaillé  six heures et une bonne partie de la nuit. J’avais en tête de faire mes cheveux. Donc, je les ai faits de minuit à six heures.

Le sacrifice en aura valu la peine, puisque, quelques heures plus tard, c’est un sentiment de satisfaction qui habitait la jeune étudiante. 

Le reflet d’un sentiment intérieur
Le reflet d’un sentiment intérieur

Lacina Dembélé est un Franco-Manitobain de 31 ans, originaire du nord de la Côte d’Ivoire. Avec ses taches de rousseur et ses cheveux clairs, il se décrit comme étant rouquin. Il y a des gens qui sont surpris, ils voient beaucoup de Noirs avec les cheveux noirs, mais pas trop de Noirs avec les cheveux roux, explique-t-il, précisant  que c’est tout simplement génétique.

Pour lui, ses cheveux sont surtout liés à son ressenti. Après plusieurs années passées à essayer différents styles, il a décidé de se laisser pousser les cheveux. « Ça me donne des opportunités de faire plusieurs styles qui représentent comment moi, je me sens. Et chaque année, je prends une décision. Est-ce que je suis content? Si je ne suis pas content, je coupe mes dreads. Si je suis content, je les laisse s’allonger », raconte-t-il. 

Entrepreneur et artiste, Lacina répond souvent aux questions de curieux, dont la plus fréquente est s’il se lave les cheveux. Il y répond toujours, sourire en coin Mais pourquoi je ne laverais pas mes cheveux? Est-ce que toi, tu laves tes cheveux.

Selon lui, cela rappelle l’importance d’une chose : la différence.

Ça rajoute à la compréhension que, oui, les cheveux sont différents, pour différentes personnes, et [qu’il y a] différentes manières de se représenter.

Une partie de son intimité
Une partie de son intimité

À 20 ans, Emily Amara étudie en sciences infirmières à l’Université de Saint-Boniface. D’origine russe et sierra-léonaise, la Winnipégoise laisse ses cheveux respirer en adoptant une coupe afro. Elle a décidé de le faire pour une journée durant le mois de janvier, mais elle se le permet très peu en temps normal. La texture de ses cheveux est l’une des caractéristiques principales qui la relient à son afrodescendance et à sa culture sierra-léonaise.

Ayant grandi dans un environnement principalement blanc, elle a constaté que ses cheveux ont toujours attiré l’attention des curieux. Les plus maladroits se sont permis de les toucher, sans même lui en demander la permission. « Quand je porte un afro [les gens le voient] comme une invitation pour le toucher », déplore-t-elle. 

« Parce que les gens ont fait des choses comme ça, je ne suis pas toujours confiante quand je porte mes cheveux en afro. J’aime plus les porter en [queue de cheval] juste parce que c'est plus facile », explique Emily. 

Emily Amara qui tient ses cheveux
Pour ne pas être dérangée, Emily Amara attache toujours ses cheveux.  Photo : Radio-Canada / Trevor Lyons

La curiosité des gens ne dérange pas l’étudiante, mais elle trouve que ces derniers devraient se renseigner à ce sujet. Je pense que c'est important de poser à ses amis noirs des questions par rapport à ce qu'ils ont vécu au sujet de leurs cheveux, mais de façon respectueuse, dit-elle.

« [La personne] peut commencer avec quelque chose comme : "Bonjour, je n’ai jamais vu quelqu'un avec les cheveux comme les tiens. Est-ce que je peux les toucher? Je suis curieux de cette texture" [...] si on le demande comme ça, ce sera plutôt comme un apprentissage au lieu d’une invasion dans mes cheveux. »

Emily Amara qui tient deux bouteilles dans ses mains
Pour que ses cheveux soient en bonne santé, l’étudiante les nourrit quotidiennement avec une huile et de l’eau. Photo : Radio-Canada / Trevor Lyons

Parmi les objets préférés d’Emily, on retrouve un vaporisateur avec de l’eau et un flacon d’huile. La combinaison des deux fluides permet de les humidifier et de les hydrater, et cela fonctionne, peu importe la saison.

L’attachement
L’attachement

Mes cheveux,[ce sont] mes meilleurs amis et mes ennemis en même temps, dit Rokhaya Diop en riant. Originaire du Sénégal, l’étudiante âgée de 19 ans a toujours eu une relation particulière avec ses cheveux. Ça dépend de mon état d'esprit […] Quand je les néglige, évidemment, ils ne vont pas être faciles à coiffer, mais quand j'en prends soin, généralement, ils m'écoutent, précise-t-elle.

En 2017, Rokhaya a décidé de porter ses cheveux au naturel et d’arrêter d’en changer la texture en utilisant des produits chimiques à base de soude. Au fil des années, elle a appris à comprendre son type de cheveux et à essayer différentes coiffures par elle-même.

Elle se souvient une histoire assez déroutante qui lui est arrivée.

Une fois, je prenais l’avion et j'étais dans la file d’embarquement. J’avais à peu près la même coiffure […] et puis, il y a une vieille dame qui a commencé à jouer avec mes cheveux, raconte-t-elle, encore surprise des années plus tard. 

Elle m'a dit qu’elle fait des sacs avec mes cheveux, des sacs avec de la laine À ce moment précis, Rokhaya, gênée, a essayé d’expliquer à la dame que ses tresses n’étaient pas en laine, mais sans succès. J’ai juste accepté son idée poliment, je n’ai pas vraiment demandé plus d’explications, mais ça m’a un petit peu dérangée.

Avec du recul, Rokhaya estime que, aujourd’hui, elle aurait réagi différemment. Au lieu d’accepter la situation sans dire un mot, elle aurait entamé une conversation. Je lui aurais expliqué [ma coiffure], j’aurais peut-être demandé qu’elle me montre le type de sac qu’elle fabrique pour qu’on puisse en parler, poursuit-elle.

À travers cette anecdote, l’étudiante veut montrer qu’il faut faire attention aux commentaires adressés aux femmes noires par rapport à leurs cheveux, et surtout d’être bienveillant, que leurs cheveux soient naturels ou non.

Le détachement : être plus qu’un stéréotype
Le détachement : être plus qu’un stéréotype

Ce que ça représente pour moi? Une liberté. Une liberté de porter mes cheveux comme je les veux, comme je l'entends, sans vraiment subir de pression sociale, que ce soit au niveau du travail, [ou] dans toutes les sphères sociales, explique pour sa part Diana Kouotho.

Diana Kouotho
Diana Kouotho raconte que son aventure avec les dreadlocks n’a pas été de tout repos. Elle a arrêté, puis recommencé, le processus plusieurs fois durant la dernière décennie avant d'atteindre ce résultat naturellement. Photo : Radio-Canada / Trevor Lyons

Pour la femme de 33 ans, qui a posé ses valises au Canada en 2010, cela fait un peu plus de 13 ans qu’elle a décidé d’avoir cette coiffure. Elle consiste à sectionner les cheveux en petites portions, et à lier celles-ci avec des nœuds. Ce style n’est pas de tout repos et demande beaucoup de travail et d'entretien, précise Diana. 

En plus des défis techniques, de nombreux stéréotypes négatifs sont associés à cette coiffure, et Diana en a fait les frais. Je viens de la France. Donc, déjà là-bas, c’était stigmatisé […] au niveau du travail, que ça soit à l’école, socialement, ce n’était pas autant accepté, raconte-t-elle. Cela ne s’est pas arrêté lorsque Diana a changé de continent. Au Canada aussi, les regards et les questions la poussent à camoufler sa chevelure.

« Comme il y avait déjà ce stéréotype derrière ce style de cheveux, ce style de coiffure, je me mettais moi-même des pressions, des barrières. Donc, soit je portais des perruques ou des tissages, soit je faisais tout pour les camoufler. Jusqu'au jour où je me suis dit : "Ce sont mes cheveux!" », s’exclame la jeune femme. 

Une jeune femme qui se coiffe
Pour Diana Kouotho il ne faut pas tenir compte des préjugés et porter ses cheveux tels qu’ils sont. Photo : Radio-Canada / Trevor Lyons

« Ça n'impacte pas mon travail, ça n'impacte pas la relation que je peux avoir avec qui que ce soit. Le stéréotype qui est accroché derrière, que ça soit gang, drogue, peu importe ce qu'on peut associer aux locks. Ça ne me définit pas, moi », conclut-elle.

Aujourd’hui, en plus de son emploi d’administratrice en assurance, elle a décidé de devenir entrepreneure et de fabriquer des produits adaptés aux cheveux texturés. Parmi ses objets préférés figurent son bonnet en satin, qu’elle utilise pour dormir, et son mélange d’huiles naturelles pour hydrater ses cheveux, un duo qui l’accompagne au quotidien.

Une femme qui tient une bouteille de produit pour les cheveux
La composition des produits capillaires vendus en grande surface ne convenait pas toujours à l’entrepreneure de 33 ans. Cela l’a poussée à créer sa propre solution. Elle fabrique ses huiles et ses beurres nourrissants, qu’elle commercialise depuis 2021. Photo : Radio-Canada / Trevor Lyons

Une manière de tisser des liens
Une manière de tisser des liens

C’est souvent ma mère qui fait mes cheveux, dit fièrement Miatta Dukuly. La jeune femme aime mettre de la couleur dans ses cheveux, sans pour autant les dénaturer. À l’aide de rallonges, parfois longues, parfois colorées, sa mère lui fait des tresses en fonction de ses envies. 

Une femme qui tient une épingle à cheveux
Même avec des tresses, Miatta aime nouer ses cheveux de différentes manières pour leur ajouter sa touche personnelle. ( Photo : Radio-Canada / Trevor Lyons

Pour ce style, elle a choisi des knotless braids, des tresses sans nœuds, en français. Je me réveille le matin, mes cheveux sont tressés. C’est juste comme une partie de moi, comment je me porte, précise-t-elle, ajoutant que c’est pratique comme coiffure. Elle peut la garder de quatre à six semaines et cela lui permet de protéger ses cheveux naturels, surtout lorsqu’il fait froid.

Étudiante à l’Université de Saint-Boniface, Miatta vit toujours chez ses parents. D’origine libérienne, cette Manitobaine en apprend plus sur sa culture africaine à travers ses cheveux. Faire des tresses est un moment qu’elle chérit particulièrement : Ma mère, quand elle tresse mes cheveux, et moi, nous sommes liées dans un sens, parce que sa mère tressait ses cheveux, et elle tresse les miens. Je suis en train d’apprendre comment tresser maintenant. Alors ça fait un lien avec ma culture.

Cet héritage, elle le consolide en s’informant sur Internet. J'ai appris beaucoup sur les médias sociaux avec les personnes qui ont les mêmes textures [de cheveux] que moi, dit Miatta.

Des tresses dans les cheveux d'une femme
Miatta peut passer toute une après-midi assise pendant que sa mère confectionne ses tresses, un art qui demande de la patience.  Photo : Radio-Canada / Trevor Lyons

Lorsqu’elle a cette coiffure, Miatta a toujours son objet préféré à portée de main : une pince à cheveux. Sans créer de traction sur son cuir chevelu, cet accessoire lui permet d’ajouter du style à sa coiffure, de les nouer sans les abîmer. 

Quoi qu’il en soit, la jeune femme reste pragmatique : Si tu n'aimes pas tes cheveux ou tu n'aimes pas le style, tu peux toujours les changer… Alors, n’aie pas peur d'essayer des chose, conclut-elle.

Partager la page