Remboursement des prêts CUEC : anxiété et confusion à 3 jours d’une date butoir importante
Selon la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, près de 20% des PME au pays sont à risque de faire faillite en raison du refus d’Ottawa de repousser la date de remboursement des prêts d'urgence octroyés pendant la pandémie. (Image d'archives)
Photo : Radio-Canada / Simon-Marc Charron
Le gouvernement fédéral ne montre aucun signe qu’il allégera de nouveau les conditions de remboursement des prêts d’urgence octroyés aux entreprises affectées par les mesures sanitaires au plus fort de la pandémie, malgré les demandes répétées d'élus et de groupes qui défendent les intérêts des entrepreneurs.
À l'approche d'une date butoir importante, des entreprises tentent toujours de démêler leurs options pour rembourser le gouvernement, alors que d'autres font face à des surprises.
Confusion
chez les entrepreneurs
Près de 900 000 entreprises ont bénéficié du Compte d'urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC). Leurs propriétaires n’ont plus que trois jours – c'est-à-dire jusqu'au 18 janvier – pour rembourser leur prêt d’une valeur maximale de 60 000 dollars s'ils désirent qu'une partie de ce prêt soit exonérée.
Ces entrepreneurs peuvent également tenter de refinancer leur prêt et rembourser le gouvernement avant la fin mars pour conserver le droit à une remise partielle.
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Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), le gouvernement fédéral a tardé à clarifier les conditions de remboursement des prêts CUEC, dont la valeur totale s’élève à plus de 49 milliards de dollars. Certaines PME auraient ainsi reçu des renseignements contradictoires de la part d’Ottawa et de leurs institutions financières dans les dernières semaines.
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La première chose que l’on entend, c’est la confusion
, résume Christina Santini, directrice aux affaires nationales de la FCEI, une organisation qui représente près de 100 000 PME au pays.
La directrice aux affaires nationales de la FCEI, Christina Santini, indique que plusieurs entrepreneurs peinent à comprendre les différentes options de remboursement des prêts d'urgence octroyés pendant la pandémie.
Photo : Radio-Canada / Félix Desroches
Surprise après avoir remboursé son prêt
Ania Jamila fait partie des entrepreneurs à qui le remboursement du prêt CUEC cause bien des maux de tête.
Durant la pandémie, les activités de son entreprise de production audiovisuelle sont complètement interrompues. Les 40 000 dollars qu’elle obtient au titre du programme CUEC lui permettent de maintenir son entreprise à flot et de la relancer lorsque les mesures sanitaires s’assouplissent.
On s’est senti soutenu. On s’est senti épaulé par le gouvernement dans une situation un peu compliquée
, explique-t-elle.
Le prêt lui permet d’orchestrer un virage vers la production cinématographique. Après deux ans de travail acharné, elle signe quelques contrats importants qui lui donnent un peu de marge de manœuvre.
Avec les liquidités, elle rembourse en décembre dernier les 30 000 dollars qu’elle croit devoir au gouvernement.
Le prêt du programme CUEC a permis à Ania Jamila de donner un nouveau souffle à son entreprise de production audiovisuelle.
Photo : Radio-Canada / Yanick Lepage
J'étais très fière de rembourser [le prêt] avant l'échéance [du 18 janvier]. Le rembourser début décembre, je me suis sentie libérée. Je me suis sentie accomplie
, dit-elle avec émotion.
Ces sentiments font place à l’incompréhension lorsqu'au début janvier, elle lit un courriel de sa banque qui lui avait échappé quelques semaines plutôt.
On l’informe qu’elle a été jugée inadmissible au programme gouvernemental. Son institution financière lui réclame avant le 31 décembre les 10 000 dollars qu’elle pensait exonérés. Sa banque lui explique ne pas être responsable de la décision et la dirige vers un centre d’appels mis sur pied par Ottawa.
Un message automatisé lui indique alors que les décisions quant à l’admissibilité au prêt sont définitives et qu’il n’y a pas de recours possibles.
Je me sens dupée. Je me sens abasourdie. Je ne comprends pas ce qui se passe, [...] alors que j'ai fait les choses en règle selon moi
, confie Mme Jamila.
À ce jour, elle ne sait toujours pas pourquoi elle n’a pas été jugée admissible au programme. Elle entend néanmoins rembourser au plus tôt les 10 000 dollars afin de tourner la page.
Je peux avoir accès à cette somme, mais je sais que tout le monde ne pourra pas y avoir accès. C'est ce qui me désole le plus
, déplore l’entrepreneure.
Selon le gouvernement fédéral, 50 000 entreprises qui ont obtenu un prêt CUEC ont été jugées après coup inadmissibles au programme.
Malgré la pression de plusieurs groupes, la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, n'a donné aucun signe qu'elle repousserait le remboursement des prêts CUEC. (Photo d'archives)
Photo : The Canadian Press / Justin Tang
Par courriel, une attachée de presse de la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, indique qu’en 2021, les propriétaires de petites entreprises ayant une demande incomplète ou non admissible ont été contactés à plusieurs reprises par leurs institutions financières.
Mme Jamila soutient n’avoir reçu à l’époque que des courriels l’informant que sa demande pour bonifier son prêt CUEC de 20 000 dollars avait été refusée.
Hécatombe à prévoir?
Outre la confusion entourant les conditions de remboursement, la FCEI rapporte beaucoup d’anxiété
chez ses membres.
Ce n'est vraiment pas évident pour beaucoup [d'entrepreneurs] de repayer ces sommes dans le contexte économique actuel
, explique Mme Santini.
Selon la FCEI, un tiers de ses membres ne pensent pas parvenir à refinancer leur prêt ou à le rembourser avant le 18 janvier.
Ils devront commencer à débourser 5 % d’intérêt annuel sur les sommes empruntées.
Selon la FCEI, un tiers de ses membres a déjà remboursé le prêt CUEC, et un autre tiers croit être en mesure de le refinancer pour bénéficier de l'exonération partielle. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Jaison Empson
Ces entrepreneurs sont ainsi forcés de revoir leur budget pour dénicher de l’argent supplémentaire afin de payer l'intérêt et rembourser leur prêt avant l’échéance finale, en décembre 2026.
Ils seront nombreux à devoir fermer boutique, prévient Mme Santini.
Depuis plusieurs mois, la FCEI martèle que 250 000 entreprises, soit 19 % des PME canadiennes, sont à risque de faillite en raison du refus d’Ottawa de repousser la date de remboursement des prêts CUEC.
Restaurants Canada estime pour sa part qu’un restaurateur sur cinq ayant bénéficié du programme est sur le point de fermer un ou plusieurs de ses établissements, ce qui correspond à plus de 4000 restaurants indépendants.
Compte tenu de ces chiffres alarmants, de nombreuses chambres de commerce, les 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux, le NPD et le Bloc québécois, notamment, se sont joints au mouvement visant à inciter le gouvernement Trudeau à repousser de nouveau le remboursement des prêts. Jusqu’à présent, leurs efforts sont restés vains.
Une décision légitime, selon une politologue
Malgré les difficultés qu’elle puisse entraîner pour certaines PME, la décision du gouvernement fédéral de ne pas plier à la pression de ces groupes est justifiée, selon Geneviève Tellier, professeure en études politiques à l'Université d'Ottawa.
La question qui se pose c'est : est-ce que le gouvernement n’est pas en train d'aider des entreprises qui, finalement, dans des conditions normales, n'auraient pas survécu?
, demande-t-elle.
Il va toujours y avoir des entreprises en difficulté, mais notre système fait qu'on accepte qu'une bonne partie de ces entreprises disparaissent, parce qu'elles ne sont pas profitables et qu'elles ne répondent plus à un besoin de la société
, renchérit la politologue.
Bon an mal an, plus de 90 000 entreprises cessent leurs activités chaque année au pays, selon des données de Statistique Canada recueillies entre 2013 et 2017.
Mme Tellier rappelle également que les habitudes des consommateurs ont changé depuis la pandémie.
Geneviève Tellier est professeure en études politiques à l'Université d'Ottawa. (Image d'archives)
Photo : Radio-Canada / Rozenn Nicolle
Les entreprises qui ont réussi à faire le virage ou à offrir le nouveau produit qui est demandé vont réussir. Mais est-ce qu'il faut continuer à soutenir un modèle [d’affaires] qui ne devrait plus exister?
, se questionne-t-elle.
Déborah Cherenfant, stratège en entrepreneuriat féminin, ajoute que la précarité des nombreuses PME est due à un cocktail
de facteurs.
Est-ce que [le remboursement du CUEC] est la goutte d'eau qui fait déborder le vase? Peut-être, dans certains cas
, indique-t-elle.
Déborah Cherenfant estime que le remboursement des prêts CUEC est l'un des nombreux défis auxquels les entrepreneurs doivent faire face actuellement. (Image d'archives)
Photo : Radio-Canada / Mathieu Arsenault
Mais je ne dirais pas que c'est le facteur principal de cette crainte que l’on ressent auprès des entrepreneurs
, nuance Mme Cherenfant.
À ses yeux, l’inflation, la pénurie de main-d'œuvre dans certains secteurs, la hausse des coûts d’emprunt et la stagnation de l’activité économique au pays représentent des défis plus criants qui ne risquent pas de disparaître de sitôt.
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Des défis de communication récurrents
Elle estime toutefois déplorable que certaines entreprises n’aient appris que tout récemment qu’elles n’étaient pas admissibles au programme CUEC, alors que d’autres parviennent encore difficilement à démêler les différentes conditions de remboursement.
De tels défis de communication sont fréquents dans les programmes offerts aux PME, selon Mme Cherenfant.
Un des points qui ressort très souvent, et pas seulement au niveau fédéral, mais aussi aux niveaux provincial et municipal, est que la partie administrative est moins claire. Il y a plusieurs étapes. Souvent, on se sent face à un labyrinthe
, constate-t-elle.
En ce sens, Mme Jamila, l'entrepreneure à qui la banque réclame l'argent qu'elle croyait exonéré, soutient que son expérience avec le prêt CUEC lui a fait perdre confiance dans les programmes gouvernementaux.
On m'a fait miroiter quelque chose qui ne s'est pas concrétisé, et je n'ai pas de moyen de savoir pourquoi
, déplore-t-elle.