HOMÉLIE DU 16 DÉCEMBRE 2007
Avent III

BIBLIOTHÈQUE THÉOLOGIQUE DU COLLÈGE JEAN-DE-BRÉBEUF
Montréal, Québec

Président de l'assemblée :
Daniel LeBlond, S.J.

Isaïe (35, 1-6a.10)
Saint Jacques (5, 7-10)
Saint Matthieu (11, 2-11)

Chers amis,

Si vous le voulez bien, revenons un moment sur ce texte de l'évangile qui nous parle des envoyés de Jean-Baptiste qui s'interrogent sur Jésus.

Dans le contexte social et religieux de l'époque : on attend le Messie. Beaucoup de gens attendent une sorte de héros ou plutôt de super héros. Un homme fort qui parle fort, qui met les impies à leur place, qui peut même sortir les Romains du pays pour faire que le Royaume d'Israël soit de nouveau un Royaume puissant (comme au temps du roi David).

Jean-Baptiste lui-même a sans doute cette image en tête. Il a rencontré Jésus et a eu l'intuition que Jésus était celui qu'on attendait. Pourtant, parce que lui aussi attend un messie-héros, un homme qui parlerait fort – comme lui – il se pose des questions. De sa prison où Hérode l'avait confiné, il envoie des gens demander à Jésus qui il est vraiment.

La réponse de Jésus est claire: il se décrit comme le messie que le prophète Isaïe avait annoncé: non pas un super héros qui écrase mais comme celui qui vient donner courage à ceux et celles qui ont de la peine. Ce messie change les choses pour le mieux en faveur des petits, des méprisés, des oubliés. Il apporte la joie aux aveugles, aux sourds, aux boiteux.

C'est aussi ce que nous avons entendu dans la 1re lecture (celle du prophète Isaïe). Au moment où la vie était difficile pour le peuple d'Israël, ce prophète a la tâche de nourrir l'espérance. Il annonce qu'un temps de joie vient, que le temps de « désert » sera remplacé par un temps de récoltes abondantes. Il a surtout souligné que ceux qui sont dans la peine, que les malades de toutes sortes, connaîtront aussi la joie. Qu'il faut espérer.

Saint Jacques, dans la 2e lecture, lui aussi encourage les membres de sa communauté chrétienne. Il leur dit qu'il faut être patient puisque, c'est certain, le Seigneur est proche; il va changer le monde pour le mieux.

Si Jésus a pu ouvrir des chemins de guérison, des espaces de joie pour les petits et les pauvres, c'est qu'il s'est engagé profondément, qu'il s'est donné et est allé jusqu'à donner sa vie.

Pour qu'il y ait de la joie autour de nous, pour que le monde soit meilleur, pour que tous et particulièrement les petits aient leur place, nous, chrétiens et chrétiennes, inspirés par l'exemple de Jésus, sommes appelés à le suivre sur ce chemin de l'engagement, du don de soi. Chacun et chacune doit trouver sa place dans ce monde, doit trouver ce que le Seigneur attend de lui ou d'elle comme engagement au service des autres.

Dans certains cas, des personnes répondent à cet appel de Dieu en choisissant la vie religieuse. C'est le cas des jésuites qui, s'ils font mille et une choses bien différentes les unes des autres, engagent toute leur personne à la suite de Jésus et ainsi continuent son oeuvre de prophète: changer le monde pour le mieux, changer le monde en particulier pour les moins chanceux de la terre. Ce choix donne sens à nos vies comme compagnon de Jésus.

Avec nous ici aujourd'hui, Jean-Louis Potvin veut manifester sa décision de s'engager ainsi, de manière définitive, dans la Compagnie de Jésus, comme jésuite. Après une quinzaine d'années durant lesquelles il a partagé la vie de la communauté, il en est à l'étape où il confirme son engagement.

Jean-Louis, parle-nous brièvement du sens des voeux, de cet engagement que tu prononces publiquement aujourd'hui; dis-nous aussi comment tu vis cet engagement de manière concrète actuellement.

Un aumônier de prison, c'est quelqu'un qui se considère être pauvre et ce pauvre, eh bien, il désire aller à la rencontre d'un autre pauvre, qu'est la personne détenue. Le coeur de ma vocation de jésuite en prison est celle de chercher à partager avec les personnes détenues nos richesses respectives.

La personne détenue, en dépit de ses multiples problèmes (de comportement...) possède une profondeur. Elle a plus d'une fois frôlé la mort de près ou celle d'un proche, ainsi elle peut pressentir parfois bien mieux que des personnes qui ont connu une vie plus facile, ce qui est au coeur de l'évangile: sauver ce qui était perdu.

La personne détenue n'écoute pas en curieux, dans l'attente de ce petit confort spirituel. Non, pour le détenu l'enjeu est plus radical : il s'agit de sauver ce qui était perdu! Pour le comprendre, peut-être faut-il avoir un jour pleuré de rage ou d'impuissance.

Pour ma part, je souhaite partager une richesse avec mes frères incarcérés : celle d'une conviction inscrite dans ma chair : seule la profondeur de l'amour de notre Dieu peut neutraliser et réorienter nos forces de mort, nos pulsions destructrices. J'ai en effet vécu au début de ma vie adulte une immense révolte, il y avait en moi des forces destructrices de grande ampleur que je ne réussissais pas à canaliser. Je les ai refoulées. Les dommages en moi ont été fort grands. Et c'est l'expérience de la profondeur de l'amour de Jésus qui m'a aidé, qui m'a permis d'aller au-delà de ces forces de mort, de ces pulsions destructrices qui me retenaient captifs.

Je termine en cherchant à donner un sens aux voeux que je prononcerai en cours de cette messe.

Donner la vie dans la vie religieuse? Cela n'évoque-t-il par d'emblée une impossibilité?

Entrer en religion conduit en effet à prononcer trois vœux : d'obéissance, de pauvreté et de chasteté, dont l'interprétation la plus traditionnelle semble incompatible avec le fait de donner la vie. Comment dans ces conditions, donner la vie, et la faire croître? La contradiction semble insurmontable si l'on s'en tient à une interprétation étroite et donc stérilisante de ces trois voeux. Or, il convient, il me semble, de retrouver au travers des exigences de la vie religieuse que ces voeux cherchent à exprimer, l'homme ou la femme en sa totalité, la personne appelée à s'accomplir au fil du temps et donc capable d'engendrer, de transmettre la vie sous une autre forme que celle vécue dans la vie d'un couple. En effet, que ce soit dans l'un ou l'autre état de vie, celui de la vie religieuse ou celui d'une vie de couple, il m'apparaît que toute personne ne parvient à la plénitude de son humanité qu'en donnant sa vie. Et nous savons que Dieu est avec nous dans les moments d'échecs et de trouble, pour nous aider à nous remettre sur pieds.

Nous aurons le privilège d'être témoins de l'engagement de Jean-Louis qui veut faire sa part, aider les choses à changer pour le mieux, pour plus de justice et de paix et qui par ce geste se donne entièrement, ce qu'il fait mais surtout ce qu'il est. Jean-Louis veut être un agent de la joie dans le monde : mais pas une joie superficielle! La joie de ceux et celles qui donnent d'eux-mêmes parce qu'ils ont été saisis par l'amour de Dieu dans leur vie. Ce chemin du don de soi, en plus de créer de la joie et du bonheur autour de nous, est un chemin de bonheur pour celui ou celle qui se donne, un chemin de libération, une voie royale d'amour véritable.

C'est le chemin que saint Ignace, le fondateur de la Compagnie de Jésus, a indiqué aux jésuites : aimer pour changer le monde comme Jésus l'a fait.

Dans toutes sortes de domaines, selon les talents de chacun. Aimer et servir, voilà qu'elle a été la manière de vivre d'Ignace de Loyola, voilà ce à quoi il a appelé les jésuites; voilà ce à quoi tous les chrétiens et chrétiennes sont appelés.

Dans l'eucharistie aujourd'hui, nous venons chercher des forces pour nourrir notre espérance et notre patience; des forces pour nous engager à notre tour à être des témoins de la vraie joie, cette joie qui découle du don de soi et de notre amour pour les autres, un amour qui reflète l'amour que Dieu a pour tous sans exception.

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