Trois décennies derrière le banc

Au fil des ans, Jacques Martin a côtoyé certains des plus grands noms du hockey : Sakic, Forsberg, Roy, Alfredsson, Price, Crosby...

Au fil des ans, Jacques Martin a côtoyé certains des plus grands noms du hockey : Sakic, Forsberg, Roy, Alfredsson, Price, Crosby...

Par François Foisy

Camouflé derrière un palmier en pot, Jacques Martin, enfoncé dans un divan du lobby d'un hôtel de Miami au début de la nuit, un journal à la main, fixait la porte d'entrée.

« Tout d'un coup, à 1 h 30 du matin, je vois l'un de mes joueurs rentrer, raconte-t-il. À deux heures, un autre. J'ai passé la nuit là, à voir rentrer tous les gars qui étaient sortis. »

Pourtant, bien qu'ils venaient de vaincre les Panthers de la Floride 3-2 plus tôt dans la soirée et qu'ils avaient une journée de congé devant eux, les Sénateurs d'Ottawa n'avaient pas les moyens de se la couler douce en cette fin de mois de mars 1997. Accueillis dans la Ligue nationale de hockey dans le cadre d'une expansion cinq ans plus tôt, ils n'avaient connu, depuis, que des saisons de misère. Leur plus haut total de victoires jusque-là dans une saison de 82 matchs : 18. Surtout, ils n'avaient toujours pas accédé aux séries éliminatoires.

Mais cette fois-ci, enfin, ils pouvaient voir la lumière au bout du tunnel. La 8e et dernière place donnant accès aux séries dans l'Est, bien que toujours à une certaine distance, était à leur portée. Mais pour réussir à se qualifier, ils devaient connaître une fin de saison du tonnerre et remporter une féroce bataille avec plusieurs équipes.

Ainsi, après cette victoire à Miami, leur entraîneur-chef Jacques Martin avait tout préparé pour que ses joueurs célèbrent, oui, mais tout en demeurant à l'intérieur de leurs limites.

« Après la partie, nous sommes retournés à l'hôtel, se souvient Martin. Nous y avons tenu un repas avec les joueurs avec de la bière. Nous voulions que les gars restent à l'hôtel parce que nous avions un match crucial à disputer contre le Canadien deux jours plus tard, le samedi.

« Je me rappelle qu'après le repas, j’ai pris une bière, puis j'ai tenu une séance de vidéos avec mes adjoints. Nous avons fini vers une heure moins quart du matin, après quoi j'ai décidé de redescendre dans le lobby pour aller jaser avec l'un de mes adjoints. J'ai alors vu une couple de joueurs rentrer. »

C'est à ce moment que Jacques Martin a aperçu le palmier, et le divan qu'il cachait derrière. Il est allé s'y asseoir discrètement. De son poste d'observation, il allait voir défiler, dans les minutes suivantes, bon nombre de ses joueurs.

« Pas mal tous les gars de l'équipe étaient sortis », admet aujourd'hui Daniel Alfredsson.

« Dans la tête de Jacques, personne n'allait sortir ce soir-là, explique l'ancien gardien Ron Tugnutt. Il ne nous avait pas spécifiquement donné une heure de rentrée, mais c’était implicite. Il s'attendait à ce que chacun, dans ces circonstances, tienne pour acquis que ce n'était pas le bon moment pour le faire. Mais certains n'ont pas compris le message. »

« J'étais vraiment furieux et déçu parce que le match à venir contre Montréal était très important », raconte Martin.

Le lendemain, une fois l'équipe rentrée à Ottawa, l'entraîneur convoque une réunion surprise dans le vestiaire de ce qui s’appelle alors le Centre Corel.

« Je me rappelle avoir passé chaque joueur, un par un. Je savais à quelle heure chacun était rentré. Mon message avait été clair : si vous ne gagnez pas contre le Canadien samedi [et là, encore aujourd'hui, Jacques Martin insiste sur chacun des mots qui vont suivre dans cette phrase], vous n'oublierez jamais la pratique de dimanche matin. »

Presque 20 ans plus tard, les joueurs qui étaient présents cette journée-là dans le vestiaire n'ont toujours pas oublié la scène.

Ron Tugnutt

C'est, et de loin, la fois où j'ai vu Jacques le plus en colère.

- Ron Tugnutt

Les Sénateurs ont finalement vaincu le Tricolore 5-2. Treize jours plus tard, grâce à une victoire spectaculaire de 1-0 contre les Sabres de Buffalo, les Sénateurs, jusque-là la risée de la LNH tant pour leurs ratés sur la glace que dans leurs bureaux administratifs, accédaient enfin aux séries éliminatoires pour la première fois de leur histoire sous les acclamations d'une foule en délire à Kanata.

Entre l'incident de Miami et cette fin de saison émouvante, les Sens avaient remporté six de leurs huit derniers matchs, tous cruciaux.

Jacques Martin, embauché au milieu de la saison précédente, avait réussi sa mission. Et chez lui, dans la région qui l'avait vu grandir.

« Cette anecdote décrit bien la philosophie de Jacques, explique Tugnutt. Il voulait nous faire passer à un autre niveau, nous faire comprendre que nous étions des professionnels et que si nous voulions progresser et gagner, nous devions, chacun d’entre nous, prendre nos responsabilités. »

Jacques Martin continuait ainsi d’inculquer à ses hommes les valeurs qui constituent sa marque de commerce depuis 30 ans dans la LNH : structure, préparation, travail.

« Il est arrivé à Ottawa avec un système, se souvient Alfredsson. Nous avons vu le changement immédiatement. »

L'objet a environ la taille d’une balle de golf. « C'est dommage, c'est trop gros, tu ne peux pas porter ça, lance Jacques Martin avec un demi-sourire en retournant de tous les côtés, entre ses doigts, sa bague de la Coupe Stanley aux couleurs des Penguins de Pittsburgh.

« Bah... C'est un souvenir! »

Photo : Radio-Canada/Éric Santerre

Le 9 octobre 1986, Martin, 33 ans, qui avait grandi sur une ferme laitière à Saint-Pascal-Baylon, un petit village de l'Est ontarien, dirigeait son tout premier match comme entraîneur-chef dans la LNH derrière le banc des Blues de Saint Louis. C'était il y a plus de 30 ans.

Pour situer l'événement sur la grande horloge du hockey, c'est une dizaine de mois plus tard qu'allait naître, quelque part en Nouvelle-Écosse, un bébé nommé Sidney Crosby.

Depuis, Jacques Martin a passé des milliers d'heures derrière un banc, dans des salles de vidéos, dans des avions, des hôtels, des autobus. Et surtout, sur la glace à enseigner à certains des meilleurs joueurs de hockey, dans la meilleure ligue de la planète.

Il a côtoyé certains des athlètes qui ont marqué l'histoire du circuit : Daniel Alfredsson à Ottawa, Joe Sakic à Québec, Peter Forsberg au Colorado, Roberto Luongo en Floride, Carey Price à Montréal, et maintenant Sidney Crosby à Pittsburgh, où il est responsable des défenseurs et de l'unité d'infériorité numérique.

Après ces trois décennies, Martin a finalement remporté sa première Coupe Stanley le 12 juin dernier grâce au gain de 3-1 des Penguins sur les Sharks de San José dans le sixième match de la finale.

« C'est seulement quand on a marqué dans un filet désert, pratiquement dans la dernière minute de jeu, que j'ai ressenti le feeling d'accomplissement, raconte-t-il.

« C’est là que tu réalises que tu vas vivre quelque chose dont tu rêvais à 9-10 ans. À cet âge-là, je demeurais sur la ferme familiale, à Saint-Pascal. Lorsqu'on jouait sur le rond dans le champ, avec les cousins, les amis... Tu imagines le moment où tu marques le but de la victoire, où tu fais l'arrêt-clé, pour remporter la Coupe. Quand tu es proche de la gagner pour vrai, tu revis ça dans ta tête. »

À l'été 1986, le jeune Jacques Martin, qui venait tout juste de mener les Platers de Guelph à la conquête de la Coupe Memorial, se fait offrir le poste d'entraîneur-chef des Blues par leur mythique directeur général, Ronald « Le Prof » Caron.

« Ces deux années à St. Louis ont été, pour moi, un apprentissage dans le feu de l'action, raconte-t-il. Je n'ai jamais été joueur dans la LNH. Je suis devenu entraîneur de carrière après avoir joué dans une université américaine pendant quatre ans et après avoir obtenu une maîtrise en administration du sport à l'Université d'Ottawa. [Une fois arrivé avec les Blues] j'avais un bagage d'entraîneur, mais quand même limité. »

Jacques Martin derrière le banc des Blues de St-Louis en 1987. Photo : Denis Brodeur/NHL via Getty Images

Jacques Martin s'est donc présenté au camp d'entraînement devant des joueurs expérimentés comme Doug Gilmour, Bernie Federko et Brian Sutter. Il s'est vite senti un peu seul.

« Le premier de mes adjoints que j'ai embauchés était Doug MacLean. Il m'avait contacté chaque jour pendant un mois jusqu'à ce que je l'engage. Il était alors entraîneur à l'Université du Nouveau-Brunswick. Mon autre adjoint était Barclay Plager, mais il souffrait d'un cancer et n'a pas été en mesure de remplir ses fonctions. Nous n’étions donc que Doug et moi, deux jeunes qui ne connaissaient pas beaucoup la LNH. »

Il l'admet d'emblée aujourd'hui, ce premier camp d'entraînement professionnel, qu'il qualifie lui-même de « genre junior », a été difficile.

Jacques Martin

Nous avons été très exigeants. Les joueurs se sont presque révoltés.

- Jacques Martin

C'est d'ailleurs la première leçon que Jacques Martin dit avoir apprise à son arrivée chez les pros.

« C'est probablement une erreur que j'ai commise, mais qui a été très profitable pour ma carrière parce que quand j'ai été congédié après ma deuxième saison, je me suis dit que la prochaine fois, j'allais embaucher des [adjoints] qui allaient me compléter. »

Après ces deux premières saisons, où l'équipe avait chaque fois accédé aux séries éliminatoires, Martin a été congédié.

« C'est un moment difficile parce que c'est la première fois où on te dit que tu as échoué, explique-t-il aujourd'hui. J'avais une famille : une femme, deux jeunes filles, donc c'était un peu bouleversant. Mais elles m'ont bien soutenu. Ça bouleverse de se faire renvoyer, mais j'ai toujours eu une approche au jour le jour. »

Lorsqu’il a amorcé sa carrière d'entraîneur, dans la Ligue centrale (en Ontario), Jacques Martin était pendant le jour enseignant en éducation physique auprès de jeunes décrocheurs.

Souvent au cours de l'entrevue, Martin a insisté sur cet aspect : tout ce qu'il a vécu dans la LNH, il s'en est servi par la suite, à un moment ou à un autre. Il a appliqué le principe qu'il avait tenté d'inculquer à ses élèves : apprendre, puis s'en servir.

C'est d'ailleurs sa destination suivante, après St. Louis et Chicago, qui allait, selon lui, lui être la plus utile. Cette destination, c’était Québec. « Une expérience unique », dit-il.

Après son passage avec les Blues, Jacques Martin a été embauché par son ancien coéquipier à l’Université St. Lawrence, Mike Keenan, qui était entraîneur-chef à Chicago. Comme adjoint, il a alors accompagné les Blackhawks dans les séries deux printemps de suite.

C’est à sa troisième saison qu’il a reçu l'appel de Pierre Pagé, nouveau directeur général des Nordiques en cette saison morte de 1990. Il lui offrait le poste d'entraîneur adjoint à Dave Chambers.

« Je serais un peu comme le bras droit de Dave, explique Martin aujourd'hui. Dave apprenait le français, alors ça me donnait beaucoup de responsabilités. »

Mais le défi qui se dressait devant Chambers était colossal. Il héritait d'une équipe qui n'avait récolté que 12 victoires en 80 matchs. En cette première saison de l'ère Chambers, la récolte allait augmenter à... 16.

« Oui, ç'a été difficile au plan hockey, se souvient Jacques Martin. Mais ç'a été une expérience qui m'a vraiment aidé lorsque j'ai eu le poste [d'entraîneur-chef] des Sénateurs quelques années plus tard. »

Les mois ont passé. Le choix de premier tour de 1990, Owen Nolan, a été suivi, au repêchage suivant, d'un certain Eric Lindros. Ce dernier allait être inclus dans l'un des échanges qui a le plus marqué l'histoire du hockey.

« Un an plus tard, comme Lindros refusait de se présenter à notre équipe, on savait qu'on était pour l'échanger, raconte Martin. Tout a commencé au tournoi de la Coupe Memorial, où tous les membres de l'organisation se trouvaient.

« Marcel Aubut, propriétaire des Nordiques, avait demandé à chaque personne d'imaginer une transaction impliquant Lindros. Je me souviens qu'il ait réuni tout le personnel, le directeur général, les entraîneurs, les dépisteurs, et nous lui avions tous soumis un échange. Lorsqu'on est rentré à Québec, on s'est tous mis à travailler là-dessus. Ç'a été un mois de travail. »

Le dénouement de cette saga est survenu le mois suivant, à Montréal, dans les heures précédant le repêchage de la LNH.

« Je me rappelle que nous étions à l'hôtel Delta. Nous avions un étage complet pour nous. D'un côté, nos chambres. De l'autre, des bureaux avaient été aménagés pour nos réunions et nos discussions. Le personnel hockey évaluait chaque proposition, chaque détail. »

En fin de compte, en échangeant Lindros aux Flyers de Philadelphie [ Québec a obtenu six joueurs, dont l'attaquant étoile Peter Forsberg, deux choix de premier tour au repêchage et 15 millions de dollars américains, NDLR], les Nordiques ont, presque d'un seul coup, rebâti leur équipe.

« L'élément inconnu de cette transaction pour la plupart d'entre nous, c'était Forsberg parce qu'il jouait en Europe, admet Martin. Notre directeur du dépistage à l'époque, Dave Draper, et Pierre Gauthier, qui travaillait aussi au dépistage, avaient une haute opinion de lui. »

Les nouveaux venus, à l'exception de Forsberg, se sont donc présentés au camp d'entraînement suivant, à la fin de l'été 1992. Cette année-là, les Nordiques ont remporté 47 victoires, soit 27 de plus que la saison précédente.

« L'ambiance a changé », note simplement Martin.

À l'été 1995, Martin a suivi les Nordiques à Denver.

Sous les ordres de Marc Crawford, l’Avalanche connaît une excellente première moitié de saison au Colorado. Les choses vont bon train, d’autant plus que l’équipe vient d’acquérir le gardien Patrick Roy en décembre.

Jacques Martin profite alors de la pause du match des étoiles, en janvier 1996, pour quitter le Colorado et passer quelques jours dans sa région natale.

« J'allais d'aréna en aréna dans la région d'Ottawa pour distribuer les affiches de mon école de hockey [qu'il tient depuis une trentaine d'années, et qui a lieu maintenant au Collège Bourget de Rigaud, NDLR]. Je suis ensuite rentré à Denver. »

Il était loin de se douter qu’il ferait le chemin inverse quelques heures plus tard.

« Après la première séance d'entraînement, Mark me dit que notre directeur général, Pierre Lacroix, veut me voir dans son bureau. C'est là qu'il m'annonce que Pierre Gauthier (qui avait été nommé directeur général des Sénateurs quelques semaines auparavant) l'a contacté et veut m'avoir comme entraîneur à Ottawa. »

Une heure plus tard, Martin est chez lui et parle longuement au téléphone avec Gauthier. Ce dernier lui propose alors de continuer la discussion face à face à Toronto en soirée.

Gauthier et Martin ont passé la nuit entière à l'aéroport Pearson de Toronto à élaborer leur plan. Quelques heures plus tard, Gauthier annonçait le congédiement de l'entraîneur Dave Allison et de tous ses adjoints, et que Jacques Martin, 43 ans - et 10 ans après son embauche à Saint Louis -, prenait les rênes de la formation. Une équipe en totale perdition dont la fiche, après 44 matchs, ne comptait que 8 victoires, dont une seule à ses 18 dernières rencontres.

Le soir même, fin seul (les choses s'étaient tellement précipitées dans les dernières heures qu'il n'avait pas d'adjoint), Martin dirigeait son premier match avec les Sénateurs contre les Penguins.

Jacques Martin

Je me souviens encore quand je suis entré dans la chambre pour m'adresser aux joueurs. Je regardais tout autour du vestiaire, le contact visuel avec chaque joueur... Ils avaient tous les yeux grands de même.

- Jacques Martin, formant deux grands cercles avec ses pouces et ses index

« C'est à ce moment où je me suis servi de mon expérience avec les Nordiques. Je savais ce qui devait être mis en place.

« Je me rappelle de leur avoir donné comme objectif non pas de gagner le match, mais d'effectuer plus de tirs au but et d'obtenir plus d'occasions de marquer que les Penguins, se souvient-il. Après la première période, pendant que les joueurs quittaient la glace pour retraiter au vestiaire, ils ont eu une ovation de la foule. »

Après seulement 20 minutes de jeu, le changement de culture venait de commencer à Ottawa.

« Nous avons finalement perdu nos deux premiers matchs par un but, mais chaque fois, nous avions obtenu plus de lancers et d'occasions de marquer que l'adversaire.

« Au lendemain de ces deux premiers matchs, lorsque les joueurs se sont présentés au vestiaire pour notre réunion d'équipe, ils avaient la tête basse. Ils étaient vraiment déçus d'avoir perdu. Je me rappelle leur avoir dit : "Oui, on a perdu au pointage, mais nous avons commencé la construction de notre équipe. Pour moi, vous avez gagné vos deux matchs parce que vous avez relevé le défi que je vous avais posé."

« À ce moment-là, je leur ai demandé de penser à leurs amis de l'école secondaire, de penser à ce que ces gens faisaient dans la vie maintenant. Peut-être que certains d'entre eux travaillaient sur la construction à moins 20 degrés dehors, des choses comme ça. »

Jacques Martin

Alors, je leur ai dit de réaliser la chance qu'ils avaient de jouer au hockey, de faire ce qu'ils aimaient. Et de travailler chaque jour à s'améliorer. Que de cette façon, on allait bâtir notre équipe ensemble.

- Jacques Martin

Les Sénateurs ne sont pas parvenus à accéder aux séries cette année-là. Cet accomplissement, ils allaient le réaliser un an plus tard, après l’incident du lobby d’hôtel de Miami.

« Oui, Jacques était exigeant, admet Daniel Alfredsson. Mais il nous faisait confiance. Aussi, il insistait beaucoup sur le fait de manger légèrement et de bien dormir, des éléments pour lesquels il était assurément en avant de son temps. »

En tout, en huit saisons complètes sous Jacques Martin, les Sénateurs ont participé aux séries éliminatoires chaque fois. Des aventures marquées par quatre cruelles défaites en cinq ans contre les Maple Leafs de Toronto, mais aussi d'une surprenante envolée au printemps 1998. La troupe, alors détentrice du tout dernier laissez-passer pour les séries, avait surpris au premier tour les Devils du New Jersey, pourtant champions de l'Association de l'Est.

C’est aussi à la tête des Sénateurs qu’il remporte le trophée Jack-Adams, remis à l’entraîneur de l’année dans la LNH, pour la saison 1998-1999. C'est également durant cette période, à l'hiver 2002, qu'il participe à la conquête de la médaille d'or du Canada aux Jeux olympiques de Salt Lake City.

Juin 1999 : Jacques Martin remporte le trophée Jack-Adams. Photo : PC/Frank Gunn

« C'est sûr qu’à Ottawa, ça a probablement été mes meilleures années comme entraîneur, aussi celles que j'ai appréciées le plus. J'étais de retour dans mon patelin, proche de mon frère, de mes deux soeurs et de plusieurs amis. Oui, on a vécu des défaites difficiles en séries, mais je suis quand même fier du développement de cette équipe-là. »

« Jacques était la bonne personne pour les Sénateurs, tranche encore aujourd'hui Pierre Gauthier, maintenant responsable du personnel des joueurs des Blackhawks de Chicago. Il amenait de l'expérience et du professionnalisme. C'était aussi un gars capable de bâtir, qui avait à coeur le développement.

« Jacques est arrivé à la mi-janvier et au cours de l'été suivant, nous avons remplacé grosso modo la moitié de l'équipe. Il lui a donc fallu beaucoup de patience. Il a sans contredit été le pilier de la stabilité de cette organisation. »

Pierre Gauthier

Jacques respecte les joueurs, est très préparé quand il se présente devant eux, et est très constant dans son approche. Mais son attitude respectueuse l'a beaucoup aidé. Et vous savez, pour les joueurs, quand l’entraîneur est la personne qui travaille le plus fort, disons que ça aide.

- Pierre Gauthier

« Jacques m’a beaucoup appris, affirme Alfredsson. Nous avons eu plusieurs très bonnes équipes au fil des ans. Mais quand je regarde en arrière, je me dis que nous aurions dû faire mieux. Si on lui avait laissé encore un peu plus de temps, qui sait? »

Printemps 2004 : Les Sénateurs tombent à nouveau devant les Maple Leafs en sept matchs. Photo : PC/Adrian Wyld

Au printemps 2004, après une autre élimination face aux Leafs, Martin est congédié par le directeur général John Muckler.

Divorcé, Martin s'est retrouvé fin seul après avoir quitté le bureau de son ex-patron ce jour-là.

« Ç'a été une journée très difficile, une journée dont je vais toujours me rappeler, raconte-t-il. Ce soir-là, mon ex m'a invité à aller souper avec elle. C'était très apprécié. Et j'étais proche de ma famille. C'est important, la famille dans les moments difficiles. J'étais quand même fier de mon séjour, d'avoir pu développer une équipe élite. Cette organisation-là va toujours rester spéciale pour moi. »

« Si je retiens quelque chose de Jacques, c'est sa capacité à unir les gars, explique Ron Tugnutt. À Ottawa, ce qu'il nous a apporté, c'est une chance de gagner chaque soir parce qu'il avait implanté un système de jeu. Il avait le don de transformer des joueurs individuels en un jeu collectif. Pour vous dire, à Ottawa, Alexei Yashin est devenu un joueur d'équipe. Il faisait même partie de l'unité de désavantage numérique et allait jusqu'à bloquer des tirs! Soudain, sous les enseignements de Jacques, les défenseurs plaçaient leur bâton au bon endroit et les attaquants se plaçaient en bonne position. Tout ça, c'était Jacques. »

Sur le plan hockey, il y a un monde entre Ottawa et Miami, et Jacques Martin s'en est vite rendu compte quand il est devenu l’entraîneur-chef des Panthers de la Floride, peu après son congédiement par les Sénateurs.

À peine un an plus tard, il ajoutait à sa tâche celle de directeur général après le renvoi de son bon ami Mike Keenan.

« Les années en Floride ont été difficiles. Ç'a été… différent. »

En tout, après une première saison de lock-out, il vivra quatre autres années là-bas sans jamais que l'équipe se qualifie pour les éliminatoires. Il passera sa dernière saison dans la haute direction, après avoir cédé le poste d’entraîneur à Peter DeBoer.

« J'ai aimé mon expérience comme DG, mais ç'a été des années difficiles à cause de la situation financière de nos propriétaires », raconte-t-il.

Il se souvient, entre autres, d'être réveillé par la sonnerie du téléphone dans sa chambre d'hôtel de Los Angeles, où l'équipe se trouve quelque part à l’automne 2008.

Jacques Martin

Je reçois un appel à 5 h du matin de mon propriétaire (Alan Cohen) me demandant de couper le budget de 10 millions de dollars. En milieu de saison, ce sont des choses que tu ne peux pas atteindre.

- Jacques Martin

Comment réagit alors le DG?

« Tu sais que [cette demande arrive] sur un coup de tête. Tu lui donnes un peu de temps, tu recommuniques avec lui... Lorsqu'on revient en Floride, tu le rencontres, tu prépares un plan d'action pour lui expliquer l'impact d'une coupure de cette envergure. Tu achètes du temps, tu essaies de le convaincre que ce n'est pas la bonne façon de faire. On s'en est sorti, mais ce sont des aspects plus difficiles à négocier. »

Jacques Martin, l'enseignant, le coach, qui avait toujours eu les patins aux pieds, se sentait-il hors de son habitat naturel dans son bureau de directeur général?

« Pas vraiment, dit-il. Comme DG, tu es quand même proche de l'équipe, tu voyages avec elle. L'aspect hockey était attirant, motivant, intriguant. J'ai eu beaucoup de plaisir à voir l'équipe grandir. L'aspect plus difficile, c'était vraiment les restrictions budgétaires. D'avoir constamment des coupures à faire, devoir travailler le budget à la loupe, ligne par ligne, pour essayer de trouver où tu peux couper les 500 000 $ qu'on t'a demandé de retrancher sans affecter les résultats de ton équipe, sans affecter le personnel d'éclaireurs. C'est ça qui était davantage un fardeau. Le fait de ne pas avoir les ressources nécessaires pour faire grandir l'équipe. »

En mai 2009, il quitte son poste pour se rapprocher de la glace.

Automne 2006 : Jacques Martin conseille le défenseur des Panthers Ruslan Salei. Photo : AP/Wilfredo Lee

« Exceptionnel ». Voilà comment Jacques Martin qualifie son passage avec le Canadien de Montréal.

Après Saint Louis, Chicago, Québec, Denver, Ottawa puis Miami, Jacques Martin prenait, en juin 2009, les guides de l'organisation au passé le plus prestigieux de la LNH.

« C'est une époque de ma vie où mon expérience a vraiment été un facteur positif, explique-t-il. Il y a d'abord eu un changement de garde, on a laissé aller un gars comme Saku (Koivu), on en a amené de nouveaux comme Brian Gionta. L'équipe s'est développée avec plusieurs jeunes joueurs comme Max Pacioretty et P.K. Subban qui commençaient. »

1er juin 2009 : Bob Gainey (à droite) annonce l’embauche de Jacques Martin comme entraîneur-chef du Canadien. Photo : PC/Graham Hughes

Martin garde surtout l'excellent souvenir du printemps 2010, où le Tricolore, après avoir terminé au 8e rang dans l'Est, a tour à tour surpris les Capitals de Washington et les Penguins de Pittsburgh, chaque fois en sept matchs.

« Les gens vont se rappeler de la performance de Jaroslav Halak, qui avait supplanté Carey Price pendant la saison, rappelle-t-il. Mais cela a été un événement qui a beaucoup aidé au développement de la carrière de Price.

« Si on regarde en arrière, la façon dont les joueurs voyaient Carey à mon arrivée à Montréal en début de saison, comparativement à l'appréciation de ses coéquipiers de la façon avec laquelle il a géré la situation lorsque Jaroslav est devenu notre gardien numéro un en séries... Carey a été extraordinaire. Le soutien dont il a fait preuve. Je pense que ça l'a aidé à obtenir la confiance, le respect de ses coéquipiers. Et ça l'a aidé dans sa maturité. »

Ce printemps-là devient carrément magique à Montréal, « un mois de joie dans la ville », se souvient Martin. Grâce à « un jeu hermétique, des unités spéciales excellentes et un travail d'équipe exceptionnel », selon lui.

Après une élimination en sept matchs le printemps suivant contre les Bruins de Boston, qui allaient plus tard remporter la Coupe Stanley, Jacques Martin sera congédié peu avant Noël en 2011 pour être remplacé par son adjoint et ancien capitaine avec les Sénateurs, Randy Cunneyworth.

Malgré ce renvoi, il n’hésite pas à répéter qu’il a apprécié son passage dans ce marché de hockey sans pitié. « Ç’a été un honneur pour moi. »

Depuis 2013, Jacques Martin est aux services des Penguins de Pittsburgh. Il y vit durant la saison de hockey et revient au Québec pendant l’été, entre autres pour tenir son école de hockey.

Il semble apprécier toujours autant le milieu. Et ceux qui l’entourent, malgré sa longue feuille de route, sont loin de le considérer comme dépassé.

Octobre 2016 : Le président américain Barack Obama accueille les Penguins à la Maison-Blanche. On peut voir Jacques Martin à droite d’Obama. Photo : Getty Images/Chip Somodevilla

« Jacques amène beaucoup d'expérience et beaucoup de sagesse, honnêtement, explique le défenseur Kristopher Letang. Je te dirais que, quand t'es un joueur, Jacques ne te met jamais dans une situation inconfortable. Il fait confiance à ses joueurs. Il amène un énorme bagage, il a vécu beaucoup de choses, donc il est capable de sortir un joueur d'une mauvaise séquence, d'un mauvais jeu ou d'un mauvais shift. »

Kristopher Letang

Jacques a vu plusieurs sortes de joueurs, plusieurs sortes de personnalités. Avec toute l'expérience qu'il a, il est capable de s'adapter. Il a été dans différentes organisations, donc il a pu apprendre. Son bagage est énorme.

- Kristopher Letang

Qu’est-ce qui le rend toujours pertinent? « C'est juste la manière qu'il est avec moi derrière le banc, dit Letang. Quand il voit que je suis en dehors de mon match, il sait comment m'approcher. Ce n'est pas un gars qui va crier à tue-tête, il va te prendre one on one, il va vraiment bien diffuser son message. »

Photo : Radio-Canada/Éric Santerre

Martin admet que la façon de diriger les joueurs en 2017 ne ressemble plus à celle qu’il utilisait à son arrivée dans le circuit.

« La génération est différente, explique-t-il. Elle est aussi bonne [que celles qui l’ont précédée], mais c’est une différente époque. Il faut savoir comment négocier avec eux.

« Quand j’ai commencé, ce que le coach disait, c’était la Bible. Aujourd’hui, tu dois prouver [ton point], tu dois expliquer aux joueurs tes raisons. Une fois qu’ils les comprennent, si ta raison est bonne, ça va bien. Mais tu as besoin d'expliquer les choses, de donner des raisons. C’est la génération actuelle. Il est important de comprendre comment elle fonctionne pour arriver à faire ressortir le meilleur de chaque personne. »

Jacques Martin n'arrive pas à ne donner qu'un seul nom lorsqu'on lui demande quel est le meilleur joueur qu'il a côtoyé au fil de ces 30 ans. Alfredsson, Crosby, Malkin, Sakic, Forsberg... « Tous des gars, dit-il, qui sont dévoués à leur profession et dont la clé du succès est qu'ils sont engagés à s'améliorer. »

Par contre, lorsque vient le temps de trouver un regret, il en nomme rapidement deux.

« Il y a le fait de ne pas avoir pu apporter une coupe Stanley à Ottawa. T'sais, on était au point où on avait une équipe élite. Je suis déçu parce qu'à mes dernières années à Ottawa, on avait une équipe qui pouvait gagner la coupe. J'étais déçu de ne pas avoir pu apporter ça à la ville et à l'organisation. »

« Il y a aussi le point de vue familial, ajoute-t-il. Un moment donné dans ma carrière, j'ai probablement mis ma profession devant ma famille. Ça, ce sont des choses que tu apprends et que tu regrettes. »

Jacques Martin

Avoir pu passer plus de temps avec mes filles... Quand tu es jeune, tu es motivé par ton emploi. Si c'était à refaire, je le ferais différemment. C'est un élément que je regrette.

- Jacques Martin

Son meilleur coup à vie? Il le choisit facilement, et il l'a posé bien avant d'arriver dans la LNH.

C’était en 1983. Alors entraîneur dans la Ligue centrale, dans l’Est ontarien, Jacues Martin était, durant le jour, enseignant au Collège Algonquin d’Ottawa, tandis que son épouse travaillait à l’ambassade d’Australie.

À deux, ils gagnaient environ 60 000 $ par année. Les Petes de Peterborough, de la Ligue junior de l’Ontario, lui ont alors offert un poste d’adjoint pour 10 000 $.

« J'ai pris une année sabbatique de mon emploi et mon épouse a laissé le sien, puis nous avons déménagé à Peterborough. Pour ces deux ans, nous avons fait un pas en arrière. »

Un recul qui l’a mené, plus de 30 ans plus tard, à faire rouler une énorme et rutilante bague jaune et noir entre ses doigts.