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Un gymnaste, les bras tendus, les mains sur des anneaux

William Émard – Paris, c’est pile ou face

« Ça n’a aucun sens de penser que je serai aux Jeux, mais j’y crois. »

Signé par William Émard

L’auteur est membre de l’équipe canadienne de gymnastique artistique. Il a fini 8e du concours individuel multiple aux mondiaux de 2021.

Déchirure partielle du biceps droit.

Le diagnostic est tombé le 13 mars, exactement 88 jours avant les essais olympiques de gymnastique artistique prévus le 9 juin. Quatre mois avant les Jeux de Paris.

Étonnamment, sur le coup, j’étais soulagé. Soulagé parce que j’ai subi la même blessure au biceps gauche en 2022. Je sais ce qui m'attend, je sais ce que je dois faire. Avant le verdict, j’étais plus déstabilisé et un peu découragé.

Deux jours plus tard, le 15 mars, j’ai subi une injection de plasma riche en plaquettes avec mon propre sang, passé à la centrifugeuse après prélèvement. On me l’a injecté directement sur la zone blessée pour accélérer la guérison. L’injection s’accompagne toutefois d’une période de rééducation de 10 semaines.

J’étais soulagé par le diagnostic parce qu’il me permet de m’accrocher à mon rêve olympique, mais c’est vraiment loin d’être l’idéal. Je vais devoir mettre les bouchées doubles pour me qualifier. Au moins, j’ai un plan hebdomadaire qui me permet d’avancer.

Je trouve ça injuste, bien sûr, mais je n’en suis pas à ma première expérience en la matière. J’ai malheureusement l’habitude des blessures qui freinent mon erre d’aller.

Mon corps semble plus propice aux blessures, c’est la vie. Certains ont plus de facilité à l’école que d’autres. Certains naissent dans des milieux plus favorisés, d’autres plus pauvres. Ce sont des trucs qu’on ne peut pas contrôler, et j’essaie de laisser aller ce qui ne peut l’être.

Aujourd’hui, j’estime mes chances de participer aux Jeux de Paris à 50 %. C’est comme à pile ou face.

Un athlète tient un poids dans sa main droite.

William Émard fait des exercices de renforcement musculaire.

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

J’ai l’impression que plus mon processus de rééducation va progresser, plus ce pourcentage va augmenter. Je sais que je peux y arriver. Quand je me suis déchiré le biceps gauche, en 2022, j’ai reçu mon injection de plasma le 19 décembre.

Le 17 mars, trois mois plus tard, j’étais de retour en compétition en Allemagne sur les six engins.

Ça n’a aucun sens de penser que je serai aux Jeux, mais j’y crois. Pour être un athlète olympique, ça prend une confiance hors du commun.


J’ai ressenti une première douleur lors de mon programme aux anneaux à la compétition Élite Canada à la mi-février. Un petit inconfort en faisant la croix.

Plus la compétition avançait, plus ça devenait inconfortable, mais je me disais que c’était sans doute la fatigue. Ce n’est qu’en revenant à la maison que les symptômes se sont intensifiés. J’avais de la misère à contracter mon muscle et à tourner mon poignet comme il faut.

Aujourd’hui, je n’ai déjà plus de douleur au repos. Des fois, ça accroche un peu quand je tourne des poignées de porte. Ça peut être un peu décourageant. Je me dis : Merde, j’ai du mal à ouvrir une porte et je suis censé reprendre l’entraînement de gymnastique dans quelques semaines à peine.

Je reste optimiste et concentré. C’est la seule option qui s’offre à moi. Je suis le protocole en essayant de voler des jours ici et là pour accélérer ma remise en forme.

Un gymnaste se tient en équilibre sur des arçons,

William Émard se tient en équilibre.

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

J’espère recommencer à m’entraîner à la table de saut, au sol et peut-être même au cheval d’arçons au début du mois de mai. Pour les anneaux, je vais devoir patienter.

Je passe autant de temps qu’avant au gymnase, parfois cinq ou six heures par jour, même si je ne peux pas faire grand-chose. Pour l’instant, je peux faire des équilibres sur les mains. Ça me permet de travailler mes épaules et mes poignets.

Je fais aussi beaucoup de courses, des exercices pour les abdos, je m’étire et j’en profite pour régler d’autres petits bobos qui me gênent depuis longtemps.

J’arrive à sauter sur le sol et sur des blocs pour répéter les impacts sur le bas de mon corps. Si je recommence tout d’un coup la gymnastique, à haute intensité, je m’expose à des tendinites.

Un athlète fait des figures dans les airs.

William Émard pratique des sauts.

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Je veux rester avec mes coéquipiers afin d’être mentalement prêt pour aller aux Jeux, même si c’est difficile de les voir s’entraîner à plein régime et faire du volume. Je les adore, j’aimerais ça être avec eux et suivre le même programme.

Ce sont des amis avec qui j’ai réussi à qualifier l’équipe canadienne masculine pour la première fois en 16 ans. Ce sont mes frères d’armes, mais on convoite aussi les mêmes places dans l’équipe.

J’étais très persuadé d’être sélectionné avant ma blessure. Là, la vie m’impose un dernier sprint après avoir couru un marathon. Les jambes brûlent, tu as mal aux mollets, aux pieds, tu as des ampoules, et on te demande de courir le 100 m le plus rapide de ta vie.

C’est pourquoi je dois maximiser chaque entraînement.

Je travaille aussi avec mon psychologue, parce qu’il y a une possibilité que le corps ne suive pas comme je le voudrais. Avec lui, c’est comme si on préparait un petit tapis pour amortir ma chute si jamais je n’étais pas prêt à temps pour les essais.

Comme athlète, tu n’as pas le choix d’être optimiste et positif, de foncer tête baissée, mais les doutes existent toujours. Tu essaies de les balayer sous le tapis, mais ils ne disparaissent pas.

Et le temps file.

Un gymnaste sur des barres parallèles à l'entraînement.

William Émard, l'air concentré à l'entraînement

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Je n’ai jamais vécu autant d’émotions que lorsque l’équipe canadienne s’est qualifiée pour les Jeux olympiques en octobre dernier avec une 7e position aux mondiaux, à Anvers, en Belgique. C’est la première fois depuis ceux de Pékin, en 2008, que le pays envoie une formation masculine aux Olympiques.

C’était intense parce que c’était l’aboutissement de plus de 15 ans d’efforts avec mon entraîneur Adrian Balan et mes coéquipiers, dont Félix Dolci qui m’a toujours suivi au club Laval Excellence. On a alors pris tellement de photos et, le soir, je suis allé manger et prendre une bière avec mes parents.

Des gymnastes prennent la pose avec un drapeau canadien et un autre des Jeux olympiques.

William Émard (quatrième à partir de la gauche) avec ses coéquipiers après la qualification de l'équipe canadienne pour les Jeux olympiques de Paris.

Photo : Gracieuseté : Canada Gymnastique

C’était impossible de m’enlever le sourire du visage. Au fil des années, j’ai dû surmonter des blessures, des troubles alimentaires et des crises de panique en compétition pour continuer d’avancer.

Et on venait de réussir, en équipe, contre vents et marées.

Quand j’étais jeune, le Canada était une bonne nation de gymnastique masculine avec notamment Kyle Shewfelt, médaillé d’or olympique au sol aux Jeux d’Athènes en 2004. Mais là, ça faisait 15 ans que la gymnastique masculine au pays battait de l’aile.

L’équipe masculine n’avait quasiment plus de fonds de la fédération, plus d’argent, presque pas de camp d’entraînement à l’international comme c’était le cas avant. Il n’y avait plus rien qui se passait au pays, alors qualifier l’équipe pour les Jeux, c’était devenu une grande mission.

On a réussi à faire la différence pour notre sport, pour la communauté de la gymnastique. Félix et moi, on blaguait en disant qu’on était enfin sorti des tranchées dans lesquelles nous luttions depuis des années.

On avait finalement gagné et on l’avait fait pour notre pays.

Là, avec ma déchirure, j’ai l’impression d’être de retour dans les tranchées, mais j’y suis tout seul.

Un gymnaste tient dans ses bras une bande élastique verte pour s'étirer.

William Émard s'étire à l'entraînement.

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

On m’a toujours dit que ce qu’il y avait de plus agréable dans les grands événements, c’était la quête pour y accéder et y exceller. Une fois aux Jeux olympiques ou aux Championnats du monde, c’est une autre compétition dans un grand amphithéâtre.

Il y a le sol, la table de saut, les barres parallèles, la barre fixe, le cheval d’arçons et les anneaux. Ça demeure une compétition.

La quête, c’est la vraie affaire. Il y a l’énergie et l’enthousiasme des gens qui rendent la chose encore plus grandiose et intéressante.

Pour être honnête, je pensais que les derniers mois avant les Jeux seraient plus agréables. Ça me laisse un petit goût amer.

Ce qui m’aide un peu, c'est que j’ai toujours de la difficulté à rester dans le moment présent. Je suis toujours un peu dans le futur, même que, parfois, je le regrette quand les moments sont passés.

Ça m’aide toutefois dans les moments plus difficiles. Ça m’aide à me projeter dans l’avenir et à m'imaginer avoir réussi mon pari. Si j’arrive à me qualifier pour les Jeux, ce sera encore plus extraordinaire.

Ça m’a bien servi quand je m’étais fait opérer à l’épaule. Moins d’un an plus tard, en 2021, j’ai terminé au 8e rang du concours multiple aux mondiaux. C’est le meilleur résultat de l’histoire pour un Canadien.

Je me concentre à imaginer que je pourrai aller aux Jeux malgré ma plus récente mésaventure. Si j’arrive à le faire, ce ne sera pas le fruit d’un miracle, mais de mon travail et de mon entêtement.

Ma tête de cochon m’aura servi.

Un gymnaste assis sur un cheval d'arçons.

William Émard est serein à l'approche des essais canadiens.

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Je suis prêt à prendre des risques et à parier pour participer aux essais olympiques en juin à Gatineau. Je suis prêt à risquer d’aggraver ma blessure. Après la sélection et après les Jeux, j’aurai tout le temps du monde pour récupérer.

Il est déjà prévu que je me concentre sur mes études en marketing après Paris. Je vais faire un échange étudiant à Amsterdam. C’est donc le moment de pousser et de jouer le tout pour le tout, parce que j’aurai du temps pour régler tous mes maux après les Jeux.

Je ne parle pas de mettre ma santé globale en jeu ou de me détruire le corps au grand complet. Mais si le risque est d’endommager le biceps pendant deux ou trois mois de plus, c’est un prix que je suis prêt à payer.

Je suis prêt à passer par là, même si ça veut dire une autre période de rééducation de deux ou trois mois. Le moment sera alors idéal.

Je ne sais pas encore si je serai en mesure de faire tous les appareils lors des sélections. Je vais prioriser les engins sur lesquels je me démarque : le sol, la table de saut et les anneaux.

Les anneaux, c’est l’appareil sur lequel je serais le plus utile aux Jeux pour l’équipe canadienne, mais c’est aussi l’engin qui est le plus dur sur les biceps. Est-ce que je présenterai un programme moins exigeant sans faire la croix? C’est possible. On verra à ce moment.

Des anneaux suspendus dans un gymnase.

Les anneaux sont l'une des spécialités de William Émard.

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Si je n’arrive pas à participer aux qualifications, je crois que je pourrais être un choix discrétionnaire de Gymnastique Canada pour faire partie de l’équipe, mais ce n’est absolument pas ce que je désire. Je veux montrer que j’ai ma place, je ne veux pas être nommé simplement parce que j’apporte ma contribution à l’équipe nationale depuis six ans.

Les gymnastes canadiens travaillent comme des chiens en ce moment pour offrir la meilleure performance possible aux essais nationaux. Je me verrais mal obtenir ma place par la porte d’en arrière.

Le sport, c’est la chose à laquelle j’accorde le plus d’importance, mais ironiquement, c’est celle qui en a le moins. Au bout du compte, je pratique mon sport parce que ça me met un sourire aux lèvres de faire des flips.

Aller aux Jeux, c’est un rêve de petit gars et je me donne à 100 % pour y aller. Mais si ça n’arrive pas, je ne veux pas être complètement démoli. Si je rate Paris, il restera Los Angeles en 2028. Je n’ai que 24 ans.

Ma philosophie, c’est que j’ai tout à gagner dans les prochaines semaines. Si j’arrive à me qualifier, mon parcours sera encore plus épique.

Si je réalise mon rêve, avec tout ce que j’ai eu à traverser comme épreuves, ce sera la preuve que je suis capable de réussir n’importe quoi dans la vie.

Un homme, les mains sur les hanches, dans une salle de gymnastique.

William Émard

Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Propos recueillis par Antoine Deshaies

Photo d'entête par Arianne Bergeron/Radio-Canada