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Il est assis seul dans des gradins rouges

Au service du sport adapté – César Nicolaï

« Plus jeunes, plusieurs de mes athlètes ont été mis de côté dans le sport et se sont sentis isolés à cause de leur handicap. »

Signé par César Nicolaï

L’auteur travaille depuis 2012 avec l’équipe canadienne de boccia et en est l'entraîneur-chef depuis avril 2022.

Devenir un sportif de haut niveau n’efface pas toutes les cicatrices. Certains peuvent ressentir le syndrome de l’imposteur et penser qu’ils ne méritent pas d’être là. Il faut adapter son approche et faire preuve d’empathie.

Il ne me viendrait jamais à l’esprit de demander à mes athlètes, s’ils arrivent en retard, de me faire 50 pompes. Ce ne serait d’ailleurs pas possible parce qu’ils ne peuvent pas descendre de leur fauteuil. Et ce serait contre-productif, car ils ne pourraient plus s’entraîner après.

Le boccia s’apparente à la pétanque. Le but est de cacher le cochonnet, la balle blanche, et ensuite de créer des revirements pour reprendre l’avantage, faire lancer les balles à l’adversaire en fin de manche et marquer le plus de points possible. Ce n’est pas le sport le plus attirant à première vue, mais il gagne à être connu. C’est très complexe et ça demande beaucoup de travail pour être performant.

C’est le sport paralympique qui réunit les athlètes avec les handicaps les plus lourds. Les handicaps sont variés et il y a des différences pour un même handicap. L’expression chaque athlète est différent prend tout son sens ici.

Prenez la paralysie cérébrale, une atteinte due à des nécroses dans le cerveau. Chaque individu est atteint à des endroits différents. Certains de mes athlètes parlent, d’autres pas. Certains ont des spasmes, d’autres pas. Certains jouent avec une rampe pour propulser les balles, alors que d’autres les lancent.

J’ai aussi des athlètes atteints de dystrophie musculaire comme Alison Levine, Iulian Ciobanu et Marco Dispaltro. Là aussi, les atteintes ne sont pas les mêmes. Et leur maladie est évolutive : il y a une perte musculaire chaque année. Il faut toujours se réadapter.

Il tape la main de son athlète assis sur son fauteuil roulant

César Nicolaï (à droite) avec son athlète Iulian Ciobanu en compétition

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Il faut également respecter le cheminement de chacun. Il n’y a pas de parcours type dans ce sport. Il arrive que des athlètes s’y mettent à 10, à 20, à 25, à 30, à 35, voire à 40 ans et plus, après avoir découvert que c’est le seul qu’ils peuvent pratiquer.

Parce qu’on n’a pas un gros bassin de joueurs au Canada, certains arrivent dans l’équipe nationale avec une bonne forme physique, mais sans les outils de base d’un athlète d’élite. C’est le cas de Iulian Ciobanu, l’un de mes athlètes BC4. Ça lui a pris cinq ans pour bien intégrer ce que ça prend comme engagement et motivation au plus haut niveau, parce qu’il n’avait jamais fait de sport avant. C’est une grosse différence avec un athlète olympique.

La première fois que j’amène mes joueurs à l’international, ils sont peu nombreux à gagner des matchs. Ça arrive s’ils sont vraiment prêts, mais parfois, ils se font ramasser. Il faut leur apprendre à gérer ça. C’est de la job. Il faut faire un gros travail sur la confiance en soi.

Il s'agenouille devant son athlète en fauteuil roulant pour lui parler

César Nicolaï avec Iulian Ciobanu en compétition

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

J’ai côtoyé le handicap dès mon enfance, et ça a créé une certaine normalité. Mes parents avaient des amis dont les enfants avaient un handicap physique ou une déficience intellectuelle. On nous les présentait sans égard à leur différence, comme n’importe quel autre enfant.

Adolescent, au catéchisme, j’étais ami avec Sébastien, un garçon trisomique. On se voyait régulièrement. Il faisait les activités avec nous. Il était bien conscient de sa déficience et s’amusait même avec ça. Il avait beaucoup d’humour.

J’ai vite compris que ses besoins étaient différents. S’il rentrait dans ma bulle pour me faire des câlins, c’est qu’il avait besoin d’affectation. Quand tu comprends ça, c’est facile d’accepter ses comportements qui sortent de la norme.

J’ai été chanceux dans mon enfance. Mes parents étaient très présents et m’ont donné beaucoup d’amour. J’ai senti le besoin de donner à mon tour. J’aime travailler avec les gens, les aider à gagner en estime d’eux-mêmes. Ce travail est plus important avec des personnes ayant un handicap parce qu’elles ont des histoires de vie plus difficiles. Cela me touche et m’interpelle.

Assis seul dans des gradins, il regarde au loin, pensif

César Nicolaï

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

J’ai trouvé mon X à l’Université des sciences et techniques des activités physiques et sportives de Montpellier dans la filière APA (activités physiques adaptées). J’ai pu aider des personnes ayant des déficiences physiques ou mentales en les accompagnant dans des activités physiques. J’avais beaucoup de plaisir à partager ces moments avec elles.

Quand je me suis installé au Québec après l’obtention de mon Master, je voulais rejouer au basketball en fauteuil roulant parce que ça a été un coup de coeur de mes stages universitaires. En cherchant sur Internet, je suis tombé par hasard sur une formation d’entraîneur de boccia. Je me disais que ça pourrait m’aider à rentrer dans le milieu du sport adapté.

C’est là que j’ai rencontré Mario Delisle, qui était alors l’entraîneur de l’équipe canadienne. C’est lui qui a implanté le boccia au Québec dans les années 1990 dans des centres de réadaptation. C’est mon mentor depuis ce moment-là. Je lui ai proposé de devenir bénévole dans le programme. Une fois toutes les deux semaines, je l’aidais à ramasser des balles pendant ses entraînements.

J’ai aussi contacté les responsables de cette formation à l’Association québécoise des sports pour paralytiques cérébraux (AQSPC) pour leur dire que je cherchais du travail. Ils m’ont dit qu’ils avaient entre autres besoin d’un entraîneur pour l’équipe du Québec de boccia. J’ai regardé ma blonde : L’équipe du Québec alors que je n’ai jamais entraîné en club! J’ai dit GO!, j’ai passé l’entrevue et j’ai eu le poste.


Généralement, les personnes qui s'impliquent en boccia sont des parents ou des membres de la famille d’un enfant ayant un handicap qui pratique ce sport, ou qui ont elles-mêmes joué. Ce n’est pas mon cas. J’ai apporté une vision extérieure.

Je me suis senti très à l’aise dès le début même si j’étais nouveau dans ce sport, grâce à ma formation et aux patrons moteurs généraux que j’ai développés en pratiquant moi-même plusieurs sports. Je me suis rendu compte que les bases sont assez simples. J’ai pu aider des athlètes rapidement en adaptant les exercices à leur niveau.

Des balles rouges et bleues sur une surface de jeu

Gros plan sur des balles de boccia

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

La constance des lancers, c’est la chose qu’on pratique le plus, parce que c’est ce qui vous fait gagner des matchs. Le moment auquel un joueur relâche la balle dans sa motion est primordial. Il faut également qu’il apprenne, pendant le match, à choisir les meilleures stratégies parmi celles que nous avons travaillées.

Je dois trouver comment maximiser ses capacités physiques et mentales. Ça peut être simplement de lui demander de moins se pencher vers la droite ou de bien observer l’ensemble des balles sur le jeu pour prendre la meilleure décision possible. Des éléments simples à énoncer, mais difficiles à mettre en place au quotidien. Ce genre de travail peut uniquement être fait de manière efficace si on connaît l’athlète par cœur.

Cette connaissance est d’autant plus importante qu’il faut aussi adapter son fauteuil en fonction de son handicap pour le rendre plus efficace.

Je compare souvent le boccia au tennis : il y a des hauts et des bas pendant le match, le rythme va changer. La gestion des émotions est importante. Il faut accepter qu’on ne soit pas parfait, qu’on rate inévitablement des lancers. Il faut vivre avec ça et maximiser ses hauts.

À mes premières années, quand je leur demandais à quoi ils pensaient sur le terrain, certains de mes joueurs m’ont déjà répondu : Je pense à ce que l’entraîneur va dire si je rate, il faut que je sois bon parce qu’il me fait confiance. Il m’a choisi, moi. Ça m’a amené à faire avec eux des rencontres sur ce qui se passe dans leur tête.

Mes athlètes doivent comprendre que je ne suis pas là pour les juger, mais simplement pour les aider à grandir. Pour créer une relation de confiance, je tiens à leur montrer de la vulnérabilité pour qu’ils m’en montrent en retour. C’est très important.


On m’a déjà demandé ce que je faisais dans mon travail quand j’ai commencé dans l’équipe nationale il y a une dizaine d’années. On m’a dit : Tu entraînes trois athlètes et ils lancent des balles, il me semble que ce n’est pas un 35 heures/semaine… Ça m’a fait rire.

Quand je fais la somme de tous mes engagements, ça fait beaucoup : le mental, les discussions, la préparation, les entraînements, la gestion de l’équipe scientifique, l’analyse vidéo et les compétitions.

Je m’en suis même ajouté avec des initiatives personnelles. Je fais du traitement de données avec une application que j’ai créée pour mesurer la progression de mes athlètes et analyser leurs adversaires. On travaille aussi en ce moment sur un projet spécial. On fatigue nos athlètes en début de séance pour les mettre dans une situation de frustration typique d’une compétition, pour qu’ils apprennent à mieux gérer ça.

Un entraîneur de dos, assis sur une chaise, regarde un match de boccia.

César Nicolaï sur les lignes de côté en compétition

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Mon horaire est bien rempli. Je dois même veiller à ne pas le surcharger. J’aimerais m’impliquer plus dans le recrutement de nouveaux athlètes. Notre sport en aurait grand besoin, mais je n’ai pas le temps de faire plus que de parler à des jeunes en compétition. Mario Delisle, notre directeur haute performance, en fait plus que moi à ce chapitre.

Mario, c’est mon modèle. Il a entraîné pendant 20 ans l’équipe nationale avant que je prenne sa place. Il adore son travail et m'a toujours impressionné par le temps qu’il y consacre. Il lui arrive régulièrement de faire des journées de travail de 12 heures et d’envoyer des courriels à 20 h.

Il en fait beaucoup plus que ce qu’il devrait et il a tendance à s’attendre à la même chose des autres. Je lui ai déjà dit : Je ne suis pas une machine comme toi, j’ai besoin de me reposer.

J’essaie de garder un équilibre, car si le travail comme pilier de vie prend trop de place, ça t’affecte davantage si ça ne se passe pas bien. D'ailleurs, cet équilibre a été rompu pendant la pandémie et ça a changé ma vie.


Il y a une métaphore que j’aime beaucoup : dans un avion, si les masques à oxygène descendent, tu dois d’abord mettre le tien avant d’aider la personne à côté de toi. Quand tu es entraîneur, c’est la même chose. Si tu n’es pas bien, tu n’auras pas de bonnes interactions avec tes athlètes. Cela va même être contre-productif.

J’ai arrêté de travailler pendant un mois à cause d’un épuisement professionnel en 2020. C’est là que j’ai réalisé que je devais m’occuper de moi, car je suis naturellement porté à m’occuper des autres. Ça a été la meilleure décision de ma carrière.

J’ai eu une super fin d’année 2019. La préparatrice mentale et moi, on a fait un gros travail de cohésion avec les joueurs du double BC4 pour créer une unité parce que ça ne fonctionnait pas. À la dernière compétition de qualification pour les Jeux paralympiques, une Coupe du monde, il fallait faire un top 4 en terminant devant le Portugal et l’Allemagne. On n’a pas seulement atteint notre but, on a aussi gagné la médaille d’or, du jamais vu pour nous en double. La relation entre les athlètes était excellente.

C’était loin d’être gagné, on partait de loin. Début 2020, j’ai senti un manque de reconnaissance, que je n’avais pas eu le merci que je méritais de mes supérieurs. Après ce qu’on venait d’accomplir, j’aurais aussi aimé qu’on me demande de prendre plus de responsabilités.

Puis est arrivée la pandémie. Les entraînements se sont arrêtés. Les compétitions ont été annulées. Les Jeux étaient reportés. Il y avait beaucoup de stress, l’environnement devenait très malsain et je ne me sentais pas bien.

J’en ai discuté avec notre préparatrice mentale. À sa suggestion, j’ai écrit une lettre sur toutes mes frustrations. Ça a donné 11 pages. Je suis arrivé à la fin et je me suis dit : Wow, ça ne va pas bien! Cela s’est confirmé dans mon test d’épuisement professionnel : je cochais toutes les cases. Mon médecin m’a mis à l’arrêt. J’ai vécu ça comme un échec.

Il regarde la caméra, assis dans des gradins

César Nicolaï

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Finalement, c’était le meilleur moment pour arrêter. Mes athlètes lançaient des balles chez eux, je ne pouvais rien faire de plus pour eux. Je me suis occupé de moi en me faisant chaque jour un tableau d’activités comme du yoga et de la méditation. En plus des rencontres avec ma psychologue, j’ai suivi une formation universitaire en ligne sur le bien-être et ai fait un gros travail pour aller chercher la reconnaissance dont j’avais besoin.

Mon objectif était de revenir au travail, mais je savais que l’environnement n’avait pas changé. C’est moi qui devais changer. Je suis revenu avec plein d’énergie et la volonté d’avoir une vie plus équilibrée, avec du T4M, pour Time for myself. Je consigne chaque jour mon T4M dans un tableau. Je peux ainsi voir les semaines où je suis trop intense. Depuis, je donne des conférences et des formations sur ce sujet.

Il me faut du T4M tous les jours, même en compétition, où on peut faire l’équivalent de deux journées de travail en une seule. Sinon, je suis brûlé et ça se ressent dans mon travail.

On en a beaucoup sur les épaules comme entraîneur. Parfois, on a l’impression que si ce n’est pas nous qui le faisons, ça ne se fera pas. C’est encore plus vrai en boccia, où malgré nos efforts de recrutement, il n’y a pas une grande relève d’entraîneurs. Tu ne veux pas trop en faire, mais d’un autre côté, il faut que les choses avancent. Il faut savoir dire non, sinon je vais me brûler.

Il faut savoir se coacher soi-même pour durer dans ce métier. On fait des plans pour nos athlètes, et l’on doit en faire pour nous aussi.


Dans leur quotidien, il y a beaucoup de choses que mes athlètes ne peuvent pas faire. Leur résilience est impressionnante. Ils me donnent des leçons d’humilité et de lâcher-prise.

Ils me rappellent que la vie peut être injuste et qu’il faut faire avec. Un athlète comme Iulian vit une double injustice à travers le sport, et il a eu du mal à l’accepter. C’est déjà injuste d’avoir une dystrophie musculaire. En compétition, il peut affronter des athlètes qui n’ont pas de dystrophie et qui génèrent plus de force que lui.

J’ai appris à mieux planifier en observant mes athlètes parce qu'ils doivent tout planifier. S’ils veulent par exemple aller au restaurant, ils doivent demander s’il est accessible, s’il y a de la place pour leur fauteuil électrique (ce sont de gros fauteuils) et prévoir un transport adapté s’ils ne peuvent eux-mêmes conduire un véhicule.

Il applaudit, assis sur une chaise, pendant un match d'un de ses athlètes

César Nicolaï

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

J’aide mes athlètes à gérer leurs émotions. J’ai eu droit à une leçon de leur part à ce sujet. Je ne l’ai jamais vue venir. Ça s’est passé dans mes premières années dans l’équipe. On parlait de préparation mentale et Alison Levine me lance : Toi, on a juste à te regarder et on sait à quoi tu penses. J’étais subjugué parce que j’essaie toujours de rester calme même si je suis stressé. Tu te rends compte que tes athlètes te connaissent par cœur, qu’ils n’ont qu’à te regarder pour savoir comment tu te sens.

Je me suis dit : Il faut vraiment que j’apprenne à être plus détendu, je ne veux pas qu’ils me voient stressé. Je veux qu’ils me voient comme quelqu’un qui est à l’aise dans n’importe quelle situation. Ça m’a demandé un travail énorme par la suite.

Chacun est différent et m’apporte un nouvel apprentissage. C’est ce que j’adore de mon métier. Mes athlètes m’aident à devenir un meilleur entraîneur et une meilleure personne.

Il sourit, les bras croisés

César Nicolaï

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Propos recueillis par Guillaume Boucher

Photo d'entête par Myriam Lafrenière/Radio-Canada