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Une homme avec une casquette rouge et des lunettes soleil sourit en regardant des enfants que l'on voit de dos

Le Défi sportif, c’est le Super Bowl de mes élèves

« C’est le moment de l’année qu’ils attendent tous parce qu’ils ont la chance d’être les vedettes du jour. Sur le plan de l’estime de soi, c’est une semaine merveilleuse. Le Défi sportif AlterGo, c’est leur Super Bowl. »

Signé par Mathieu Beauregard

L’auteur est professeur d’éducation physique au primaire à l’école spécialisée Lucien-Guilbault, à Montréal. Il vient d’accompagner ses élèves au Défi sportif AlterGo pour une huitième année.

Nos élèves qui y ont déjà participé savent qu’en décembre, on commence à s’entraîner, et qu’en avril, on va compétitionner. Ils savent qu’ils vont s’amuser et voir des amis d’autres écoles spécialisées. Ça leur permet de voir ce qui se passe ailleurs et qu’ils ne sont pas seuls à vivre des difficultés et à pouvoir réussir.

Le Défi est accueillant et inclusif. Il est joyeux et festif, même dans la défaite. Quand on a bien joué et que l’adversaire a été meilleur, on est content pour lui. Les enfants de l’autre équipe sont dans la même situation que les nôtres. On se comprend.

Chaque journée du Défi commence par un rassemblement de nos élèves à l’école. On leur explique le programme, on leur remet leur chandail des Dragons, le nom de nos équipes sportives. Puis, on fait notre cri de ralliement. Ils sont gonflés à bloc.

À la fin de chaque journée de compétition, on se donne à nouveau rendez-vous à l’école. Même ceux qui peuvent rentrer directement à la maison avec leurs parents venus les voir au complexe sportif Claude-Robillard tiennent à y être. C’est un autre moment précieux.

On refait notre cri et les élèves défilent au son de la musique du Défi. Ils marchent un à un sous une immense haie d’honneur dans un corridor et se font applaudir. Ils sont tellement heureux. Ce sont les plus belles journées de l’année.

Ils font un cri de ralliement

Mathieu Beauregard avec des élèves de son école au Défi sportif AlterGo

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Les enfants en besoin sont ceux qui m’interpellent le plus. Je m’en suis rendu compte bien avant de devenir enseignant. Plus jeune, quand j’entraînais des équipes de baseball, de hockey et de soccer, je sentais une connexion avec ceux qui présentaient des difficultés d’intégration ou sportives. Avec eux, je sentais que je pouvais faire une plus grande différence.

Nos élèves ont connu beaucoup d’échecs dans le système scolaire normal sur le plan de l’estime de soi et de la construction sociale. Quand ils arrivent à notre école, ils ont besoin de réapprendre à vivre des victoires, aussi petites soient-elles. Ils doivent même parfois apprendre à devenir amis avec d’autres enfants.

Certains se déplacent en fauteuil roulant ou en marchette, tandis que d’autres n’ont aucun problème physique. Mais ils ont en commun d’avoir de lourds problèmes d’apprentissage et des troubles associés. Les troubles DYS comme la dyspraxie, la dysphasie et la dyscalculie en font partie. Ça vient parfois avec des problèmes de coordination. Et on a diagnostiqué à une majorité d’entre eux un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H).

En étant rassemblés sous un même toit, ils se rendent compte que tout le monde autour d’eux est différent. Ça crée un sentiment d’unité et d’appartenance vraiment fort. Et ce sentiment, on peut le développer facilement à travers le sport.

Le sport leur donne accès à l’accomplissement, à la victoire au sens large. Chacun sent qu’il a un rôle à jouer, petit ou grand. C’est pour cette raison qu’on s’investit à fond dans le Défi sportif AlterGo. On croit à la valeur sociale du sport. Il nous apprend à être plus qu’à performer, à valoriser l’effort et de bonnes attitudes dans l’action. Et être un Dragon, ça les rend fiers.

Nos élèves ont des besoins particuliers qui demandent un plus grand encadrement. Mon approche avec eux est différente de celle d’un professeur d’éducation physique dans le système normal. Lui va présenter et diriger sa séance. Ses élèves sont plus autonomes, ils sont capables de prendre en charge leur apprentissage et de pousser plus loin leur curiosité.

Il regarde un match de soccer depuis les lignes de côté

Mathieu Beauregard avec ses élèves au Défi sportif AlterGo

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Mon travail, comme celui de Nicolas Bertrand, mon collègue responsable de l’éducation physique au secondaire, est plus dans l’accompagnement que dans la planification. C’est un travail de proximité. On adapte des activités pour valoriser la participation de tous, ce qui nous place au cœur de l’action.

Un sport qui peut paraître simple ne l’est pas nécessairement parce qu’il peut, par exemple, avoir été vécu comme un échec dans le système normal. C’est le cas du ballon-chasseur. Nos élèves se souviennent que les enfants forts les visaient et les éliminaient. Certains ont développé une peur du ballon.

Chez nous, on veut qu’ils soient délivrés. Dans un match de petits, on demande à ceux qui sont éliminés de sortir du terrain, de faire un X avec leurs bras, de compter jusqu’à 10 et d’ensuite revenir au jeu. Pour s’améliorer, ils doivent oser attraper, éviter et lancer des ballons. Ça ne se travaille pas s’ils restent éliminés. On ne compte pas vraiment les points et ça ne dérange personne. Les enfants veulent être dans l’action et sentir qu’ils sont bons à leur façon. C’est plus important que la victoire.

Dans les sports d’équipe, on utilise le jeu arrêté pour permettre aux enfants de se disperser sur le terrain et de reconnaître une situation qui peut mener à un but ou à un point. En basketball, j’arrête le jeu en moyenne chaque minute. Des enfants peuvent avoir besoin de 5, de 10 ou de 15 secondes pour faire une passe. C’est pour eux qu’on ralentit l’action. C’est bien accepté par les autres. Comme ils sont différents eux aussi, ils sont ouverts. C’est une belle qualité chez eux.

Assis dans des escaliers, il sourit

Mathieu Beauregard

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Vous l’aurez deviné, on n’évalue pas nos élèves dans le sport par rapport au nombre de points qu’ils réussissent ou selon de hauts critères techniques. On ne travaille pas non plus avec des moyennes parce qu’il n’y a pas d’élève moyen représentatif du groupe.

On évalue simplement ce que les élèves sont en mesure d’apporter à la pratique sportive, selon des critères qui leur sont propres. Deux enfants peuvent ainsi avoir la même note, mais pour des raisons différentes.

Parfois, ils ont de la difficulté à reconnaître leurs forces. Notre rôle est de les trouver, de les dire et de les répéter. Et il faut le faire avec de l’amour.

La communication est essentielle dans notre travail, mais elle l’est aussi entre les élèves. Il faut qu’une partie des décisions leur appartienne. Avant de jouer, on leur dit : Faites-vous un plan, parlez-vous de vos actions.

Les autres élèves sont d’ailleurs des piliers dans les apprentissages. On fonctionne beaucoup en pairage avec un ami ou quelqu’un avec qui on se sent en confiance. Un ami, ça donne la confiance d’essayer. Avec lui, un élève peut se sentir à l’aise d’en faire plus que devant nous, les professeurs. Ça peut faire tomber cette barrière.


Chaque sport apporte ses défis. En basketball, je ne peux pas me limiter à dire à mes élèves de lancer au panier, parce que la plupart en sont incapables. Si je faisais ça, ils chercheraient toujours à donner le ballon aux trois plus forts du groupe pour qui ce n’est pas un problème, et leur match s’arrêterait là.

Un panier de basketball dans un gymnase au-dessous duquel on voit un rectangle rouge avec une affiche d'un autre panier

Mathieu Beauregard adapte le basketball à ses élèves qui ne peuvent pas tous lancer au panier

Photo : fournie par Mathieu Beauregard

On ne peut donc pas fonctionner avec le système classique de pointage. On a notre propre système. Sous le panier, trois pieds plus bas, il y a un rectangle rouge, à l’intérieur duquel se trouve une affiche d’un panneau de basket. On va donner un point pour un lancer qui atteint le rectangle, mais pas le panneau, et deux pour un ballon qui touche à ce panneau spécial.

Et pour ceux qui peuvent viser plus haut, un lancer qui touche le panier vaut trois points et quatre s’il entre dans le filet.

Peu importe ce que tu es en mesure d’accomplir sur le court, tu contribues aux succès de l’équipe. Et tu invites des élèves plus forts à faire des passes aux moins forts s’ils sont bien placés. D’ailleurs, la passe est non seulement valorisée chez nous, elle est obligatoire.

Au soccer, si on veut valoriser le contrôle du ballon et leur laisser le temps de prendre des décisions, il faut réduire le nombre de joueurs. On ne sanctionne pas une faute de main involontaire. Et les joueurs ont le choix de faire des remises en touche comme bon leur semble, avec leurs mains ou leurs pieds.

Le hockey est plus compliqué à adapter. À la base, beaucoup de nos élèves ont de la difficulté à s’identifier comme droitiers ou gauchers et à choisir un bâton de taille adéquate. Ça peut être relié à des problèmes de coordination dus à un trouble, comme la dyspraxie.

On a développé un système. Nos bâtons ont des codes de couleur marquant toutes les options : droitier, gaucher, petit, moyen, grand. On prend des notes sur les enfants et on passe beaucoup de temps à les accompagner là-dedans dans les premiers cours. Ça peut être à recommencer l’année suivante, car il n’est pas rare qu’un joueur change de côté au fil du temps.

Avec les plus petits, on joue à une adaptation du hockey que l’on appelle polo-mousse. Le bâton est de petite taille, comme au polo, et ressemble à un coton-tige. Ça permet de jouer autant comme gaucher que comme droitier. Et on utilise un ballon plutôt qu’une balle ou une rondelle, c’est plus facile à frapper.

Des fois, des enfants nous disent : Je ne veux pas apprendre le hockey, je veux être bon! Comme tous les jeunes de leur âge, ils rêvent de faire des feintes à la Connor McDavid. On doit les ramener à des attentes réalistes, tout en leur permettant de rêver. Ça demande de l’acceptation de leur part et de bons mots de nous, les accompagnateurs.

Un homme dans le corridor d'un complexe sportif

Mathieu Beauregard

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

L’exploration de nouveaux sports fait partie de notre mission. C’est souhaité et encouragé par la direction de l’école. On nous laisse carte blanche, tant que ça reste sécuritaire et que c’est bien encadré. Chaque année, mon collègue Nicolas et moi, on a une dizaine de thèmes. On essaie de varier ce qu’on fait.

L’an dernier, on a organisé un tournoi de lutte, ce qui était assez inusité. Sur les quelque 120 élèves qui étaient admissibles, 95 ont levé la main. La majorité ne connaissait rien de ce sport.

On en a fait une adaptation simple. Les enfants étaient à genoux et devaient se renverser sur leurs fesses. On a poussé ça plus loin que d’être en position défensive ou offensive. On les a aussi fait tenir le rôle d’arbitre, pour qu’ils se mettent dans la peau de celui qui juge ce qu’il se passe sous ses yeux.

La lutte, c’est une belle école de vie. Il y a ce contact avec l’autre. L’équité est au fondement de ce sport : tu ne peux pas mettre un enfant de 140 lb (64 kg) contre un autre de 80. Et la stratégie prime. Ce n’est souvent pas le plus fort qui gagne, mais celui qui surprend l’autre, qui est le plus créatif. C’est pour ça que les enfants aiment ça. Ils se permettent des choses qu’ils ne se permettraient pas ailleurs.

Tant que les élèves embarquent, on va leur en donner du sport. On leur dit : Suivez-nous, on va faire quelque chose. D’ailleurs, le sport ne se pratique pas que dans les cours d’éducation physique. Chaque mercredi après-midi, nos élèves participent à des activités du programme CIBLE, que coordonne Gabrielle Maheux-Bouchard. Ils découvrent de nouvelles pratiques sportives et aussi culturelles pour enrichir et diversifier leur expérience scolaire.

Il faut croire qu’on leur fait du bien avec le sport. Ça prend de l’engagement. Il ne faut pas avoir peur d’y mettre du temps parce qu’ils en sortiront gagnants.

Il y a très peu de chances qu’un de nos élèves devienne un sportif de niveau national ou international. Mais ils n’en sont pas moins des sportifs à part entière, des sportifs sociaux, heureux et en santé.

On souhaite qu’en vieillissant, ils se disent : J’ai eu le goût de faire du sport, d’explorer plein de pratiques. Il y en a qui ont piqué ma curiosité, je ne les ai pas toutes aimées, mais j’ai essayé. Et j’ai envie de continuer.

À notre école, la participation au Défi sportif AlterGo est obligatoire au primaire. Au secondaire, c’est un choix. Je suis tellement fier de revoir mes anciens élèves sur les plateaux de compétition. Ils y sont pour des raisons qui leur appartiennent, parce qu’ils ont eu la piqûre ou simplement pour l’aspect social. L’important, c’est qu’ils bougent.

C’est là qu’on se dit qu’on a fait notre travail.

Assis, il regarde au loin

Mathieu Beauregard

Photo : Radio-Canada / Myriam Lafrenière

Mathieu Beauregard tient à souligner l’apport de deux collègues dans la valorisation et l’organisation de la pratique sportive à l’école Lucien-Guilbault, et dans l’encadrement et l’accompagnement des élèves au Défi AlterGo : Nicolas Bertrand, enseignant d’éducation physique au secondaire, et Gabrielle Maheux-Bouchard, coordonnatrice du projet CIBLE.

Propos recueillis par Guillaume Boucher

Photo d'entête par Myriam Lafrenière/Radio-Canada