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Il embrasse un trophée qu'il tient dans ses mains

Laurent Duvernay-Tardif - Mon Super Bowl

« D’un côté, les confettis se mettent à tomber. De l’autre, une scène est mise sur pied. Je me tourne encore, mes parents et ma copine courent avant de me sauter dans les bras! Émouvant et purement authentique. »

Signé par Laurent Duvernay-Tardif

L’auteur est un joueur de ligne offensive des Jets de New York, dans la NFL. Il a remporté le Super Bowl LIV avec les Chiefs de Kansas City, pour lesquels il a joué de 2014 à 2021.

Dans la foulée de la retraite de Laurent Duvernay-Tardif, Podium remet de l'avant ce texte publié le 10 février 2023.

La conquête du Super Bowl avec les Chiefs en 2020 demeure ma plus grande réussite sportive. Ce titre résume en quelque sorte ma carrière, mon histoire dans le monde du football : une progression continue, non sans embûches.

Voici comment ça s’est passé.


La pression est immense en amorçant les éliminatoires. Nous la sentons, c’est palpable. Elle croît de façon exponentielle jusqu’au Super Bowl.

La capacité d’endurance de l'équipe grandit elle aussi. Les grands joueurs s’épanouissent avec cette pression. Si tu chéris l’excellence, tu veux être celui qui réalise le jeu en situation de troisième essai, qui effectue le bloc décisif pour ouvrir la brèche.

Les échecs passés ont façonné la manière dont on s’est comportés durant notre marche vers le Super Bowl. On a cette culture de gagner avec du caractère, on sent que rien n’est impossible. On a ce désir de toucher à la gloire et d’avoir un impact.

Chaque revers dans ce processus mené d’une main de maître par Andy Reid nous a rapprochés de l’objectif et rendus plus résilients. Nous perdions par 24, 10 et 10 points dans chacun de nos trois duels éliminatoires et avons finalement renversé notre adversaire.

Il n’y a rien de pire que de mener au pointage et sentir que tu vas t’incliner. À l’inverse, il n’y a rien de mieux que d’être en retard et d’être persuadé qu’avec un jeu productif, la victoire est à portée de main.

C'est encore mieux quand tous les joueurs de l'autre côté du terrain ont l’impression que le match leur file entre les doigts, même s'ils sont aux commandes.

C’est la définition même d’une culture gagnante. C’est ce qu’on a bâti à Kansas City et ce qui nous a transportés le dimanche 2 février 2020 contre les 49ers de San Francisco.


Le début d’une semaine de football est habituellement plus relax. Pas à Miami, théâtre du Super Bowl LIV. C'est surréel. À notre arrivée, nous sommes accueillis telles de grandes vedettes planétaires, comme si nous avions déjà gagné le plus gros match de notre vie, mais nous n’avons rien accompli encore.

Il y a un recalibrage qui est fait pour garder le focus. C’est difficile. Ma chambre d'hôtel est mon meilleur ami. Tout pour éviter les distractions qu’offre Miami… parce qu’elles sont nombreuses. C’est une ville colorée, où les activités ne manquent pas. Imaginez quand le cirque du Super Bowl débarque…

Plan de profil d'un joueur de football en rouge en point de presse

Laurent Duvernay-Tardif à l'aube du Super Bowl LIV.

Photo : La Presse canadienne / Brynn Anderson

La majorité des joueurs ne se rendent jamais au Super Bowl. C’est une occasion unique. Ce n’est pas le moment de tout bousiller.

Je pénètre dans le stade. Trois heures avant le match, j'aime m'asseoir au banc des joueurs, question de visualiser l'environnement dans lequel on se produit. Je m'attends à un stade vide, comme à l’habitude, sauf qu’il y a des célébrités, dont DJ Khaled, qui sont installées aux abords du terrain et qui prennent des égoportraits pendant que Pitbull se donne en spectacle dans un stationnement. Je fais mon échauffement entouré de distractions.

Il n’y a pas un semblant de normalité. Bien honnêtement, je ne sens pas que le match est au centre du spectacle. J’ai l’impression que c’est secondaire à l’événement dans son ensemble.

Pour le match, il y a assurément moins d'ambiance. La foule devient comme une espèce de vague homogène de gens. Je l'oublie franchement vite. Je suis perturbé dans ma routine parce que tout est amplifié.

Dans le vestiaire, avant le coup d'envoi, nous sentons que la tension est à trancher au couteau. Les moments de réflexion individuelle sont plus nombreux. Après l'échauffement d'équipe en épaulettes, je m'assois devant ma case. C'est mon moment.

Coach Reid fait bien attention de ne pas empiéter sur notre espace personnel pendant ces quelque 10 minutes d’introspection. Ce recueillement est plus important qu’à l’habitude.

Un joueur en rouge regarde l'action des lignes de côté.

Laurent Duvernay-Tardif sur les lignes de côté.

Photo : Reuters / Mark J. Rebilas/USA TODAY Sports

En direction du terrain, je pense aux diverses possibilités de blocs à ma disposition. Mon esprit se concentre uniquement sur cette facette. La fébrilité augmente réellement après le tirage au sort. Nous commençons avec le ballon. Le déclic se produit lorsque Patrick Mahomes donne ses premières directives dans le caucus.

Se dresse devant nous le front défensif de San Francisco, doté d’une horde de joueurs étoiles. J’ai un premier moment d'anticipation lors de la première situation de troisième essai. Tout le monde s’attend à une passe. Quelle sera la saveur de la journée? Comment veulent-ils nous attaquer?

Des joueurs de ligne en rouge accroupis

Laurent Duvernay-Tardif devant son quart Patrick Mahomes

Photo : Reuters / Mark J. Rebilas/USA TODAY Sports


Si tu veux avoir du succès dans la NFL, tu ne peux pas douter de tes capacités. Si en marchant vers la ligne de mêlée, je ne suis pas 100 % convaincu que je peux dominer mon adversaire, je n’aurai pas le moindre succès.

Après avoir célébré le premier touché du match, une course de Patrick Mahomes dans les derniers instants du premier quart, je me mets aussitôt à penser au prochain majeur que l’on peut marquer.

Survient au cours du deuxième quart un événement hors de mon contrôle : je suis victime d’un claquage à un mollet. Je sais sur le coup que quelque chose cloche. Souvent, ce n’est pas tant l’incapacité physique qui t’affecte le plus quand tu te blesses dans une rencontre, mais plutôt l’aspect mental, la confiance étant ébranlée.

Durant la mi-temps, mon mollet devient plus spastique et douloureux. Des traitements sont nécessaires. Il y a plus d'une heure entre mon dernier jeu au deuxième quart et mon premier jeu au troisième quart. J’ai appris à bâtir à travers les blessures.

Un joueur en rouge agrippé par un adversaire en blanc.

Laurent Duvernay-Tardif au Super Bowl.

Photo : La Presse canadienne / Steve Luciano

L’erreur que l’on fait dans ces moments est souvent de présumer que le joueur qu’on affronte est au maximum de ses capacités, même si je sais pertinemment qu’après avoir joué 19 matchs, il a ses propres bobos. C'est une question de ce que je laisse paraître, comment je me comporte, me relève après un jeu, marche vers la ligne de mêlée et regarde mon rival.

Le profond creux au troisième quart, où plus rien ne fonctionne en attaque, cause de l’inquiétude parce que l'unité est tombée en panne sèche. Deux séquences offensives, deux interceptions. Que se passe-t-il?

Des ajustements sont faits. Coach Reid n'est pas un entraîneur émotif sur les lignes de côté. D’autres entraîneurs ont besoin de l’aide d’un assistant pour les contenir et les empêcher de fouler le terrain. Coach Reid, c’est tout le contraire. Un homme de peu de mots. Chacun est bien choisi et pertinent.

Un entraîneur donne des directives sur les lignes de côté.

Andy Reid avec Patrick Mahomes.

Photo : Getty Images / Maddie Meyer

Il rassemble les membres de la ligne offensive et nous dit que c’est l'heure, que c’est un tournant dans le match, que l'attaque a besoin d'une demi-seconde supplémentaire afin de se déployer. Nous avons son entière confiance.

Il commence à se faire tard avec un retard de 10 points à mi-chemin du quatrième quart. Nous devons passer le ballon plus souvent, changer nos axes offensifs et délaisser quelque peu la course. Un contexte somme toute idéal pour la meilleure attaque de la NFL.

Deux adversaires se font face.

Laurent Duvernay-Tardif contre un adversaire des 49ers au Super Bowl LIV.

Photo : Reuters / Mark J. Rebilas/USA TODAY Sports

Incapable de s’adapter, la défense des 49ers se met à changer ses couvertures. De longs jeux aériens sont appelés. Nous entrons dans une confiance.

Le tournant a lieu lorsque Tyreek Hill capte une bombe de 44 verges de Patrick Mahomes pour convertir un troisième essai et 15 verges à franchir avec environ 7 minutes à faire.

Quatre jeux plus tard, Travis Kelce saisit une courte passe de touché et nous reprenons notre élan malgré le retard de 20-17 au tableau indicateur. L’unité de San Francisco n’a pas le temps de reprendre son souffle que nous sommes déjà de retour sur le terrain..

Des joueurs en liesse sautent dans les airs.

Travis Kelce célèbre son touché avec ses coéquipiers.

Photo : Getty Images / Al Bello

Notre attaque éclair frappe de nouveau. La machine est en marche, les 49ers ne peuvent que constater les dégâts. Patrick Mahomes décortique à nouveau leur défense et rejoint cette fois Damien Williams, qui inscrit le touché et nous redonne les commandes pour de bon avec moins de trois minutes à disputer au Super Bowl.

Je suis convaincu que personne au sein de l’effectif n’a craint de subir la défaite. Tu ne peux pas te permettre de croire que tu vas perdre. Tu as perdu quand tu as perdu, quand le match est fini.


Les touchés en fin de match sont toujours les plus exaltants. La course de Damien Williams, encore lui, lorsqu’il porte le coup de grâce aux 49ers pour creuser l’écart à 31-20, l’est au plus haut point.

C’est plus difficile de courir avec le ballon dans cette situation. Tout le monde sait que tu vas focaliser sur le jeu au sol pour deux raisons : écouler le temps au cadran et minimiser les risques de revirement.

Une course de 38 verges pour le touché est inespérée en raison de la congestion et de l’espace restreint. Marquer sur ce jeu est le clou du spectacle. Nous avons réussi!

Je suis sur le terrain pour le tout dernier jeu du Super Bowl alors qu’il ne reste que cinq petites secondes. Nous ne pouvons pas mettre un genou au sol. Nous devons plutôt exécuter une dérobade du quart avant d’effectuer une longue passe pour que le compteur affiche zéro. L'atmosphère est fébrile. Quand tu gagnes avec ton attaque sur le terrain, c’est encore plus savoureux.

J’ai bâti ma carrière avec le bloqueur Mitchell Schwartz, mon voisin de droite sur la ligne offensive. C’est en sa compagnie que j’ai connu le plus de succès. Nous communiquons sans cesse avant ce dernier jeu pour nous assurer de ne rien manquer. Il est l’une des premières personnes vers qui j’exulte ma joie lorsque la victoire est officielle.

L'image est encore très claire dans ma tête. Nous sommes dans notre territoire, à la ligne de 26 verges, le banc des joueurs des Chiefs est à notre droite. Tout le monde se met à courir vers notre unité. Qui sera sur ton chemin pour lui sauter dessus? Il n’y a pas vraiment d'ordre, à vrai dire.

Deux joueurs en rouge en mêlée de presse

Laurent Duvernay-Tardif (à droite) avec Patrick Mahomes (au centre) après la victoire des Chiefs au Super Bowl

Photo : Reuters / Matthew Emmons/USA TODAY Sports

Il y a un petit flou autour de ces deux heures où je suis sur le terrain après le match. Ce moment a passé en un instant. Je me tourne d’un côté, les confettis se mettent à tomber du ciel. De l’autre, une scène est mise sur pied. Je me tourne encore, mes parents et ma copine Florence courent avant de me sauter dans les bras! Émouvant et purement authentique.

Tout s’enchaîne à un rythme effréné. Je suis incapable de penser avec l’émotion qui m’envahit. Il y a tellement de gens sur le terrain. Ce ne sont que des célébrations, peu importe qui je croise.

La première fois que je tiens le trophée Vince-Lombardi et le lève à bout de bras, je ressens quelque chose d'assez puissant parce que chaque année avant cette conquête, on s'est fait fermer la porte à la dernière minute. Pas cette fois. J’ai réussi. Je suis désormais associé à ce trophée.

Le stade se vide tranquillement. Je porte mon regard vers les gradins, j’aperçois un groupe d’une trentaine de personnes tissées serrées. Ce noyau n’a pas bougé ni arrêté de crier. Dès que je lève la main pour saluer mes proches, ils deviennent littéralement hystériques.

Dans les semaines précédant le match, j’ai magasiné le plus de billets possible auprès de mes coéquipiers qui ne les utilisaient pas tous. C’était important de passer ce moment avec mes proches, ma famille, mes amis. Si je suis là, c’est en grande partie grâce à leur soutien pendant toutes ces années.

Nous avons une bonne délégation. Ce sont des amis du secondaire, du cégep, de l'université. Il y a une belle répartition. Même mon meilleur chum du primaire est présent. Tout ça me rend excessivement heureux.


Comme à l’habitude, coach Reid nous dit d’être prudents, avant de prendre le soin d’ajouter que l'avion quittera Miami à midi le lendemain. Son unique demande est que nous soyons physiquement à bord de l’engin au départ.

Mon agent et ami Sasha Ghavami a réservé un restaurant. Quel moment d’y rentrer vers 23 h 30 afin d’y retrouver mes proches, dont ma grand-mère de 80 ans, toujours debout à cette heure tardive! C’est à mon image. J’avais envie de célébrer la victoire avec mes coéquipiers, évidemment, mais je voulais entièrement le vivre avec ma famille et mes amis.

Sans avoir fermé l'œil de la nuit, je me dirige dans l'avion en m'imaginant faire une sieste et reprendre un peu de sommeil avant l’arrivée à Kansas City. Comme j’y mets les pieds s'amènent de petits chariots remplis de bouteilles de champagne et de bière, suivis du président de l’équipe qui apporte le Super Bowl dans la section des joueurs. Le party recommence!

Une immense foule nous attend dans l’allégresse à l’aéroport de Kansas City. Ce championnat met un terme à 50 ans de sécheresse pour l’organisation et les partisans des Chiefs qui nous ont toujours soutenus malgré tout.

Une foule nombreuse célèbre une équipe sportive championne.

Une foule monstre a acclamé les Chiefs à Kansas City après leur victoire au Super Bowl.

Photo : Getty Images / David Eulitt

Je suis bouche bée pendant le défilé des vainqueurs par cette masse de plus d’un million de supporteurs. Une marée rouge dans les rues de Kansas City. Je n'ai jamais vu autant de personnes, c'est tout simplement grandiose. Courir devant les autobus avec mes coéquipiers, le trophée dans les mains, sous les applaudissements du public, sera à jamais un symbole puissant de cette victoire.

Je ne m’attends pas non plus à un tel accueil de la population québécoise à mon retour au pays. La journée organisée en mon honneur au parc Jean-Drapeau dans le cadre de la Fête des neiges me laisse également sans mot.

Un homme sourit en tenant une réplique en glace d'un trophée.

Laurent Duvernay-Tardif célébré en plein air à Montréal le 9 février 2020 après sa victoire au Super Bowl.

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

C’est la même chose au Centre Bell avec la mise au jeu protocolaire, où il y a une ovation qui ne finit plus. C’est extrêmement touchant. J’ai grandi en regardant le hockey. Je suis sur la patinoire, je serre dans mes bras les joueurs du Canadien de Montréal qui ont un regard fier. Il y a une chimie qui se dégage. Je me rends compte qu’on est d'égal à égal au bout du compte. On est des collègues de travail d'une certaine façon, dans un sport différent.


J’étais à Kansas City en janvier dernier et sur place dans le domicile des Chiefs en tant que partisan pour le début de leur parcours éliminatoire contre les Jaguars de Jacksonville. J’ai pu clore ce chapitre un an après l’échange qui m’a envoyé à New York.

Tout s’est déroulé tellement rapidement après que je suis passé aux Jets. Dans les minutes qui ont suivi l’annonce, j’avais déjà quitté les installations, en route vers ma nouvelle destination, sans avoir le temps nécessaire pour bien boucler la boucle. Tu laisses ton équipe, mais aussi une ville qui a été ton chez-toi durant les six dernières années.

Je suis donc retourné dans tous les restaurants et les endroits que j'aime. Les gens me reconnaissaient. Une accolade n’attendait pas l’autre avec les fans dans les gradins et les agents de sécurité près du terrain. Un bel accueil digne des amateurs des Chiefs!

Ma carrière professionnelle a eu lieu à Kansas City. J’y ai joué mon football de 2014 à 2021. Travis Kelce, Eric Fisher et moi-même avons été repêchés au cours des deux premières années de coach Reid à la barre des Chiefs. Le changement de cap s’est amorcé une saison avant mon arrivée au Missouri.

Nous avons tranquillement établi une culture gagnante à Kansas City. En cours de route, nous avons vu autant de joueurs rentrer que ressortir du vestiaire. Qu'est-ce qui ne changeait pas? Ces quelques piliers dont je faisais partie qui ont transporté l'équipe chacun à leur façon et qui ont participé à cette évolution.

Il y a plusieurs facteurs de chance dans un triomphe au Super Bowl. Des éléments que tu ne peux contrôler. Accueillir une finale d’association dans cinq saisons consécutives de 2019 à 2023 n’a rien à voir avec la chance. Ni participer à un troisième match du Super Bowl en quatre ans comme le feront les Chiefs dimanche en Arizona.

Une culture gagnante est au cœur de tels succès et le fait d’en avoir été un rouage important lors de mon passage à Kansas City me rend particulièrement fier.

Propos recueillis par Félix St-Aubin

Photo d'entête par Tom Pennington/Getty Images