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ChroniqueLandon DuPont est-il doué ou talentueux?

Un joueur de hockey.

Landon DuPont, lors d'une séance photo organisée par la Ligue de l'Ouest (WHL), cette semaine.

Photo : La Presse canadienne / Jenn Pierce

Quelle est la différence entre la douance et le talent? Cette question fort intéressante mérite d’être posée dans la foulée d’une annonce faite par la Ligue de l’Ouest (WHL), lundi dernier.

On a ainsi appris que Landon DuPont, un défenseur de 14 ans, a obtenu le statut de joueur exceptionnel de la part de Hockey Canada. Et cela signifie qu'il sera admissible pour faire le saut au niveau junior majeur dès la saison prochaine, à l’âge de 15 ans.

Il a inscrit 19 buts et 43 passes en 30 matchs cette saison avec l’équipe préparatoire scolaire Edge. Cette école fait partie de la Ligue canadienne de hockey scolaire. Il devient donc le neuvième jeune hockeyeur canadien à obtenir le statut de joueur exceptionnel en 19 ans. Il rejoint ainsi John Tavares (2005), Aaron Ekblad (2011), Connor McDavid (2012), Sean Day (2013), Joe Veleno (2015), Shane Wright (2019), Connor Bedard (2020) et Michael Misa (2022).

Ces promotions hâtives captent assurément l’attention des amateurs de hockey, mais elles soulèvent aussi toutes sortes de questions. J’en ai abordé quelques-unes avec l’expert François Rodrigue.

Coach Frank, comme on l’appelle dans les milieux sportifs, est détenteur d’un doctorat en sciences de l'activité physique, spécialisé en coaching, de l’Université d’Ottawa. Conférencier reconnu sur la scène internationale, il conseille des entraîneurs de diverses ligues professionnelles ou d’équipes olympiques. Il est aussi partenaire de très bon point, une entreprise à laquelle des fédérations sportives font appel pour valider ou améliorer leur structure de développement.

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Y a-t-il un risque à imposer ce genre de pression à un jeune athlète ou à l’intégrer dans un groupe de joueurs plus âgés?

C’est extrêmement flatteur d’entendre son nom mentionné dans la même phrase que des noms comme Tavares, McDavid et Bedard. En même temps, cela suscite des attentes extrêmement élevées qui font en sorte qu’une carrière tout à fait correcte peut finir par être qualifiée de décevante. Le fardeau peut devenir très difficile à porter.

Après s’être fait accoler l’étiquette de joueur exceptionnel, Sean Day a été repêché au troisième tour (81e) par les Rangers de New York en 2016. Il est maintenant âgé de 26 ans et il a disputé un total de deux matchs dans la LNH.

Un homme.

François Rodrigue est détenteur d’un doctorat en sciences de l'activité physique, spécialisé en coaching, de l’Université d’Ottawa.

Photo : très bon point

Il n’y a absolument rien de mal à faire carrière dans la Ligue américaine. Mais à votre avis, quels qualificatifs les amateurs et les commentateurs utilisent-ils lorsqu’ils parlent de Sean Day?

En 2015, Joe Veleno est devenu le premier joueur à obtenir le statut de joueur exceptionnel dans la LHJMQ. Les Red Wings de Détroit l’ont sélectionné à la fin du premier tour (30e) trois ans plus tard. Et depuis, Veleno a inscrit 29 buts en 229 matchs dans la LNH.

C’est un exploit remarquable de décrocher un poste dans la LNH et c’est ce qu’a réussi l’attaquant québécois. Par contre, sa carrière porte une connotation négative parce que quelqu’un, quelque part, a un jour décrété qu’il possédait les atouts d’une supervedette. Et ceux qui l’ont évalué, disons-le, paraissent extrêmement mal.

Et on ne parle pas de Shane Wright, dont la sélection au 4e rang (au total) au repêchage de 2022 à Montréal a été présentée comme un échec ou une spectaculaire rebuffade.

La première chose qui me vient à l’esprit lorsqu’on parle d’un tel surclassement, c’est qu’il faut penser à l’intégration de l’athlète au niveau psychosocial. Est-ce que l’athlète a la confiance ou la compétence mentale nécessaire pour faire face au défi qu’il va rencontrer? dit François Rodrigue.

En deuxième lieu, est-ce qu’il a le système de soutien qui va lui permettre de s’intégrer socialement? Ça prend des habiletés sociales, mais ça prend aussi un système de soutien qui va te soutenir positivement pour t’adapter à ce nouvel environnement.

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Le joueur qu’on désigne comme étant exceptionnel deviendra-t-il meilleur en accédant au niveau junior majeur un an plus tôt?

Les trois exemples précédents semblent démontrer que non. Mais il est aussi pertinent de se demander si Connor McDavid ou John Tavares seraient moins performants s’ils avaient disputé une saison de plus au niveau midget (M-18).

En 2020-2021, Connor Bedard devait disputer sa saison de joueur exceptionnel de 15 ans avec les Pats de Regina. Il n’a finalement pris part qu’à 15 matchs en raison de la pandémie. Cela ne l’a pas empêché d’amasser 243 points en 119 matchs lors des deux saisons suivantes et d’abaisser plusieurs records au Championnat mondial junior de 2023.

Connor Bedard fait signe à un de ses coéquipiers avec les Pats de Regina.

Connor Bedard a aussi profité du statut de joueur exceptionnel.

Photo : Getty Images / Leah Hennel

C’est ici qu’il devient pertinent de s’intéresser à la différence entre la douance et le talent.

La douance, ce sont les aptitudes génétiques dont on hérite à la naissance et qui placent un athlète ou un étudiant dans le top 10 % de la population. Alors que le talent, c’est la capacité de développer des habiletés sur lesquelles on peut travailler et de se hisser parmi les 10 % des athlètes les plus habiles, explique Coach Frank.

Il cite spontanément l’exemple d’Alex Galchenyuk parce que, précise-t-il, il a beaucoup discuté de ce cas dans le passé avec l’un de ses anciens clients.

Lorsqu’il jouait dans les rangs juniors à Sarnia, Galchenyuk fréquentait moins l’école que ses coéquipiers. Il passait beaucoup de temps dans le gym et sur la glace. On a fini par le repêcher très haut (3e au total en 2012) parce qu’il avait maximisé son talent. Mais quand on regarde le plafond qu’il a atteint dans la LNH, on peut émettre l’hypothèse que son niveau de douance n’était pas si élevé, estime-t-il.

Ce propos de François Rodrigue est extrêmement intéressant. Et il explique peut-être pourquoi les évaluateurs qui ont accordé le statut de joueur exceptionnel aux athlètes mentionnés plus haut n’ont pas posé le bon diagnostic à tous les coups. Peut-être ont-ils eu de la difficulté à départager ceux qui étaient naturellement doués, et dont le plafond était extrêmement élevé, de ceux qui avaient maximisé leur talent à un jeune âge.

Landon DuPont en train de patiner sur la glace.

Landon DuPont aura 15 ans le 28 mai 2024.

Photo : La Presse canadienne / Jenn Pierce

Je n’ai jamais vu jouer Landon DuPont. Mais il est bon de se demander si on le surclasse parce qu’on a évalué son potentiel (sa douance) ou parce qu’on s’est attardé sur le talent qu’il a peut-être plus développé en bénéficiant de meilleures opportunités que les autres.

Ce que disent les experts et la littérature, c’est qu’il faut regarder la trajectoire de l’athlète et pas son niveau de performance (ses statistiques) au cours d’une saison exceptionnelle, ajoute François Rodrigue.

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À qui ces promotions prématurées profitent-elles le plus? Aux équipes et aux ligues juniors ou aux joueurs?

Personne ne s’en cache, les ligues juniors ont des billets à vendre. Si un talent exceptionnel se pointe, il est sans doute avantageux de lui permettre de jouer une saison plus tôt parce que, de toute manière, on risque de le voir partir pour la LNH dès l’âge de 18 ans.

Il y a aussi la compétition entre les ligues de développement nord-américaines qui entre en jeu. Le futur premier choix du repêchage de 2024, Macklin Celebrini, est Canadien et jouait à l’Université de Boston cette saison. De plus en plus d’excellents espoirs canadiens font ce choix, notamment parce que les règles de repêchage favorisent les joueurs de la NCAA.

Macklin Celebrini célèbre son but marqué contre la Lettonie en pointant son gant vers sa gauche au Championnat mondial de hockey junior à Göteborg, en Suède.

Les experts s'attendent à ce que Macklin Celebrini devienne le premier choix du repêchage de la LNH en 2024.

Photo : afp via getty images / BJORN LARSSON ROSVALL

En permettant à un jeune talent dominant de jouer au niveau junior majeur le plus tôt possible, on s’assure qu’il perde son admissibilité pour les rangs universitaires et qu’il reste au nord de la frontière.

Ça me fait penser à un débat que j’ai eu en novembre dernier avec des collègues qui forment les entraîneurs de certaines académies de la Premier League. Nous discutions du bien-fondé, ou non, de recruter des enfants de 7 ans dans ces académies, raconte François Rodrigue.

Mon interlocuteur disait comprendre mes grandes réserves par rapport à cette pratique. Mais il disait : "Si on ne le fait pas, notre académie risque de perdre un bon joueur. Et si le bon joueur s’en va avec une autre équipe, l’autre équipe va gagner. Et si l’autre équipe gagne, elle va probablement attirer d’autres meilleurs joueurs parce qu’ils vont croire que leur académie est meilleure que la nôtre. Et si les joueurs croient cela, nous aurons encore plus de difficulté à faire du recrutement. Alors, la seule solution que j’ai, c’est d’emmener le joueur de 7 ans dans mon académie et de faire les choses de la bonne façon en l’encadrant adéquatement."

Souhaitons donc à Landon DuPont d’être bien encadré et, surtout, d’avoir été bien évalué par le personnel de Hockey Canada. 

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