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Quand la balloune a éclaté : le déclin du kinball au Québec

Trois équipes s'affrontent lors d'un match de kinball.

En quelques années, le nombre d'inscriptions au kinball a chuté de façon importante.

Photo : Radio-Canada / Marc-Éric Bouchard

D'immenses ballons noirs ou roses prennent la poussière un peu partout dans les gymnases des écoles du Québec. Ceux-ci ont connu de meilleurs jours. Il y a une quinzaine d’années à peine, ils étaient fréquemment utilisés pour permettre à des jeunes de pratiquer une des activités parascolaires les plus populaires à l’époque : le kinball.

Les années 2000 étaient sans contredit l'âge d'or de ce sport inventé au Québec.

De 1995 à 2010, c'était vraiment le summum, se rappelle Élise St-Aubin Fournier, qui a dirigé l'équipe nationale pendant six ans, de 2015 à 2019. C'était l'activité la plus populaire dans les écoles. Le réseau compétitif était en excellente forme. On parlait même d'aller aux Olympiques.

Le ballon a ensuite commencé à se dégonfler tranquillement, sans interruption. En 2006, au sommet de sa popularité, plus de 30 000 Québécoises et Québécois pratiquaient le sport. Aujourd'hui, la Fédération québécoise de kinball compte seulement 1178 membres actifs.

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Son président, François Bégin, est toutefois convaincu que le ballon surdimensionné est prêt pour une nouvelle ascension. Son équipe et lui procèdent cette année à une frappe importante avec une campagne de financement qui coïncide avec les 30 ans de l’organisme.

Il le constate lui-même : la balloune a éclaté ces dernières années.

Mais regardez-nous bien aller, vous allez être surpris de voir à quel point la balloune peut se regonfler rapidement. On a l’aide de la ministre Isabelle Charest, qui nous appuie dans nos démarches. On est motivés, dit-il.

La fédération a pour objectif d’amasser 250 000 $ qui serviront à fournir du matériel et à former des entraîneurs, pour relancer un engouement pour le kinball au Québec, particulièrement dans les écoles, qui ont été le principal incubateur du sport à ses débuts.

Le déclin du sport s'explique d'ailleurs par un certain désintéressement à l'intérieur des murs scolaires.

Dans un gymnase, des jeunes se préparent à lancer un gros ballon noir.

Le kinball est une invention québécoise.

Photo : Gracieuseté : Fédération québécoise de kin-ball / François Mellet

Émilie Morin enseigne dans une école secondaire de Sherbrooke. Le kinball ne fait pas partie de son plan de cours. Le problème, c'est le matériel, confie-t-elle. On n'a pas de gros budgets. Une baudruche [la pellicule de latex à l'intérieur, NDLR¸], ça ne coûte pas si cher, mais ça prend une grosse partie dans le budget et dans le local!

Stéphane Labrecque est professeur d’éducation physique depuis une vingtaine d’années. Il enseigne dans un établissement du sud-ouest de Montréal.

Il est le seul dans son école à sortir du rangement le ballon rose, le temps d'une session ou deux. Le kinball, pour que ce soit le fun et dynamique, ça prend de grands espaces. Surtout au secondaire, les élèves sont rendus grands. Et on doit partager les plateaux, avec deux cours qui se donnent en simultané dans un gymnase. Jouer au kinball dans un demi-gym, ce n’est pas le fun. On finit toujours pognés dans les rideaux [les séparateurs].

Émilie Morin fait le même constat sur le terrain. À mon école, on est tout le temps avec une cinquantaine d'élèves qui se partagent le gymnase. Ce n'est pas pratique, car on se retrouve avec quelques personnes qui jouent et les autres qui regardent. Ça n'optimise pas le temps d'engagement moteur, ajoute-t-elle.

Les glissades des joueurs représentent un autre aspect important du jeu, explique Stéphane Labrecque. Mais les jeunes ne veulent pas glisser et se faire mal, s’ils n’ont pas de genouillères. Et ça coûterait cher, des genouillères pour une trentaine de jeunes, qu’il faut laver, entretenir. Et on n'a pas nécessairement les moyens.

Malgré les embûches, il persiste à vouloir l’enseigner, puisqu’il est attaché aux valeurs associées au sport. C’est un sport qui mise sur un aspect collaboratif, à trois équipes, ça, c’est novateur et intéressant. Et c’est un sport inclusif, car tout le monde peut contribuer même s’ils n’ont pas de grandes capacités athlétiques.

Une joueuse se prépare à lancer un ballon, soutenu par ses coéquipières.

Un match de kinball

Photo : Gracieuseté : Fédération québécoise de kin-ball - François Mellet

Pour relancer le sport, il serait donc plus logique de miser sur le parascolaire, puisque les activités sont offertes en dehors des heures de cours, quand le gymnase est libre. Le dernier atelier donné à son école était en 2012. Il y a eu une autre tentative en 2019, juste avant la pandémie. C’était un échec, on a eu quelque chose comme cinq inscriptions.

Johanne Arpin a dirigé pendant 15 ans le seul programme scolaire avec une concentration kinball de la province, à l'école secondaire Thérèse-Martin, à Joliette. On a déjà eu jusqu'à 13-14 équipes à mon école. Il fallait même faire des sélections. Mais depuis cinq ans, j'ai vu un ralentissement dans les inscriptions.

L'enseignante, qui s'en va à la retraite cette année, se voit contrainte de laisser le programme mourir, puisqu'aucun entraîneur n'est prêt à reprendre le flambeau.

Elle garde le flambeau allumé et bien haut, en offrant des cours en mode parascolaire, de façon bénévole. Je sens quand même renaître le sport. Je suis optimiste pour la suite. Même si je lâche l'enseignement, je vais continuer à m'occuper du parascolaire, car ça me tient à cœur. Et ce serait triste de voir le sport disparaître. Je pense qu'il y a de bons apprentissages à tirer du kinball.

Toute la philosophie propre au sport, la communication, le travail d'équipe. Il y a plein de belles valeurs à inculquer aux jeunes à travers ce sport. Les jeunes qui développent un sentiment d'appartenance autour de ce sport vont en retirer quelque chose de très bénéfique.

Une citation de Johanne Arpin, enseignante d'éducation physique

La particularité du sport, qui se joue à trois équipes, favorise aussi la mise en place d'un bon esprit sportif, selon elle. La dynamique est différente que dans d'autres sports, autant pour les joueurs que pour les spectateurs. Comme il y a trois équipes, ça rend la compétition beaucoup plus saine.

La face cachée du ballon

Autrefois, le kinball bénéficiait d’un accès privilégié dans les établissements scolaires. C’est dans leurs gymnases qu’il a connu son essor. À une époque, les portes des gymnases dans les écoles nous étaient grandes ouvertes, se rappelle François Bégin. On arrivait avec un gros ballon rose, que les élèves n’avaient jamais vu, leurs yeux s’illuminaient et on distribuait des formulaires d’inscription.

Pendant longtemps, c’était le seul effort de recrutement nécessaire.

On remplissait nos cours juste avec ça, indique le président.

Jusqu’au jour où les écoles ont décidé de leur fermer leur porte. Il y a des gens qui se sont mis à se demander pourquoi on laissait des entreprises privées entrer dans les écoles. Et là, c’était si on laisse une fédération entrer, on doit laisser toutes les autres…

Une femme donne des indications à ses joueurs autour d'un gros ballon.

Élise St-Aubin Fournier a aidé l'équipe canadienne à remporter trois titres mondiaux, deux chez les femmes et un chez les hommes.

Photo : Gracieuseté : Élise At-Aubin Fournier

Aux dires du président, la fédération a été prise au dépourvu. On n’a pas su se renouveler sur le coup. On n’avait jamais appris à maîtriser les médias sociaux, car nos formulaires d’inscription marchaient bien. On faisait ça à la bonne franquette et on a négligé l’aspect promotionnel.

Il est aussi difficile de vendre le sport auprès de la nouvelle génération. Stéphane Labrecque constate que les jeunes sont peut-être saturés de ballons roses, lorsqu’ils arrivent au secondaire. Ils ont joué beaucoup au primaire. Peut-être trop, ils arrivent et ils sont peut-être tannés. Il fut un temps où le kinball se démarquait de l’offre sportive. C’était original, le gros ballon rose. Mais aujourd’hui, il y a plein de nouveaux sports auxquels on a accès.

Il existe des pistes de relance intéressante à suivre, indique Élise St-Aubin Fournier. Le sport a raté de belles opportunités de se promouvoir, alors qu'il se trouvait au sommet. Il y a eu des réseaux compétitifs super avancés. Il n'y a jamais eu de traction. On a eu peu de visibilité médiatique. C'était difficile pour nous d'accrocher les jeunes et leur montrer qu'il y a des Coupes du monde, de la grosse compétition.

Moi, ça m'a amené à voyager, à gagner des médailles. Mais ça ne s'est jamais transmis aux jeunes pour leur montrer les opportunités que le kinball pouvait leur offrir.

Une citation de Élise St-Aubin Fournier, médaillée d'or avec l'équipe canadienne en 2015, 2017 et 2019

Quand on avait 30 000 joueurs, c'était un bon moment de capitaliser sur l'engouement. Là, le défi est complètement différent, mentionne-t-elle.

Elle souligne qu'il serait une bonne idée de miser sur les joueuses et sur les joueurs qui se démarquent à l'international, et qui pourraient servir de modèles.

On vante beaucoup l'accessibilité du sport, mais il ne faut pas penser que c'est un sport facile. Ce qui m'a accroché au départ, c’est le côté collaboratif, plus marqué au kinball qu'ailleurs. Tu ne peux pas réussir sans travailler en équipe. Même si tu as un joueur étoile, tout le monde doit contribuer. Puis, il y a le pan stratégique, l'élément compétitif, sur lequel on pourrait miser plus.

L'enseignante Émilie Morin abonde dans le même sens. Il y a certains jeunes qui aiment davantage les sports très compétitifs. Mais est-ce qu'ils savent qu'il existe aussi un volet compétitif? Je ne pense pas. Même moi, je le sais seulement parce que j'ai eu des amis qui ont joué à un bon niveau, indique-t-elle.

Le kinball fait partie de l'histoire sportive québécoise, et il serait plus que dommage de le voir disparaître, selon l'ancienne entraîneuse qui a abandonné le sport pendant la pandémie, mais qui lorgne souvent sa paire d'espadrilles, prête à sauter à nouveau dans le feu de l'action.

Ce serait une immense perte de voir notre sport continuer à décliner de la sorte. J'ai des amis qui redécouvrent le sport à 30 ans, un peu par nostalgie, et qui réalisent à quel point c'était le fun à 8 ans, et que ce l'est encore à 30 ans!

François Bégin demeure enthousiaste. Son organisme a constaté pour la première fois en plusieurs années des hausses d'inscriptions successives, de 2018 à 2019 et de 2021 à 2022. Il s'en remet aussi au fait qu'il existe une nouvelle démographie complète de jeunes élèves qui n'ont jamais été initiés au kinball, et qui ne demandent qu'à le découvrir.

Bouger, c'est l'essence de la vie. Le kinball permet cela, de bouger dans le plaisir. Il possède cette particularité de laisser tout le monde s'exprimer autour du gros ballon. Il faut s'assurer que cela perdure, conclut-il.

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