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James O’Reilly : une vie à défendre les Autochtones

James O’Reilly : une vie à défendre les Autochtones

Texte : Julie Marceau | Photos : Ivanoh Demers

Publié le 10 novembre 2020

La Convention de la Baie-James et du Nord québécois était officialisée il y a 45 ans, en ce 11 novembre. Un tournant majeur qui reconnaissait les droits territoriaux et qui faisait des Autochtones des partenaires plutôt que des bénéficiaires. Une entente obtenue après de longues et coûteuses batailles devant les tribunaux pour la reconnaissance des droits, comme c'est encore le cas aujourd'hui pour plusieurs nations autochtones. Parmi les acteurs clefs qui ont arraché cette entente au gouvernement, l'un d'eux est resté jusqu'ici dans l'ombre, l'avocat James O'Reilly. Voici son portrait tracé par la journaliste Julie Marceau.


Il se destinait à une carrière lucrative en droit fiscal, mais ses coups de patin sur glace lui ont fait prendre un tout autre chemin. De la Convention de la Baie-James et du Nord québécois à la négociation de ce qui pourrait devenir une entente historique entre les Innus et Iron Ore en 2020, James O’Reilly, « l’avocat blanc Irlandais » ou « l’homme à la pipe », s’est consacré pendant des décennies aux droits des Autochtones, alors que ses adversaires le prévenaient qu’il ne gagnerait jamais.

Le bureau de James O’Reilly à Montréal est parsemé d'œuvres d’art autochtones, mais surtout bondé de livres et d’une pile de décisions de la Cour.

« Je ne suis pas vraiment dans le numérique... je n’y comprends rien! » avoue-t-il du haut de ses presque 80 ans.

« La pandémie, c’est son pire cauchemar, parce qu’on fonctionnait uniquement avec les courriels », évoque l’avocate innue Marie-Claude André-Grégoire, qui travaille à ses côtés au cabinet O’Reilly & Associés.

« Il aime avoir ses copies papier. Je ne sais pas combien de fois c’est arrivé qu’il demande une copie imprimée d’une jurisprudence et qu’on lui dise : mais vous l’avez déjà lue! Et il répond “oui, oui, mais j’aime ça relire les décisions le samedi”. Madame O’Reilly doit être découragée des fois!” », ajoute la jeune avocate en riant.

L'avocat James O'Reilly dans son bureau de Montréal.
Portrait de l’avocat James A. O’Reilly à proximité de ses bureaux, à Montréal. De la Convention de la Baie-James et du Nord québécois à la négociation de ce qui pourrait devenir une entente historique entre les Innus et Iron Ore en 2020, James O’Reilly s’est consacré pendant des décennies aux droits des Autochtones. Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le droit autochtone, un hasard
Le droit autochtone, un hasard

Après ses études en droit à McGill, James O’Reilly, né d’un père Irlandais et d’une mère québécoise, effectue un séjour à Québec pour « travailler son français ».

Lorsqu’il revient à Montréal, il se joint au cabinet Martineau Walker, où il fait son stage étudiant. Dans sa tête, il sera un avocat en droit fiscal. Rien ne le destine à ce qui va suivre.

Un jour, un chef autochtone l’appelle.

– Allo, c’est Andrew Delisle, grand chef de Kahnawake, j’aimerais te rencontrer, raconte James O’Reilly.

Le chef mohawk cherche un avocat dans un dossier d’expropriation concernant la voie maritime du Saint-Laurent et pour revoir les règlements de la communauté.

À l’époque, Me O’Reilly ne connaît aucun Mohawk, mis à part un coéquipier dans une ligue de hockey, Barry Delisle. Je ne connaissais personne d’autre à Kahnawake! C’était un bon joueur! C’est encore un mystère pour moi…

« Je suis allé voir un associé sénior, Robert Walker, et il m’a dit que c’est le genre de choses qu’on devrait faire, et il a dit “ok, on va faire une partie du travail gratuitement”. »

Un militantisme autochtone en construction

Nous sommes dans les années 1960. C’est le début d’un militantisme autochtone. L’Association des Indiens du Québec est créée.

Son président est le grand chef Andrew Delisle. Il demande à James O’Reilly de travailler pour l’association.

Fin des années 1960, début des années 1970, Me O’Reilly est l’un des rares avocats à défendre les droits autochtones à temps plein.

« C’était la pauvreté, ils n’étaient pas organisés, ils n’avaient pas de financement », relate-t-il.

Des gens manifestent devant le parlement à Ottawa, en 1972.
Des Cris et des étudiants de l'Université Trent, en Ontario, manifestant devant le parlement à Ottawa contre le projet de développement énergétique de la Baie-James, en 1972. Photo : La Presse canadienne / Archives

Le « projet du siècle »
Le « projet du siècle »

En 1971, Hydro-Québec lorgne les rivières du Nord québécois pour produire de l’électricité. Devant 8000 militants libéraux réunis à Québec, le premier ministre Robert Bourassa annonce la nouvelle : « le monde commence aujourd’hui », dit-il.

Or, les communautés cries et inuit n’ont pas été consultées avant l’annonce. Elles craignent les conséquences des barrages sur leur environnement ainsi que sur leurs activités de chasse, de pêche et de trappe.

« Ils voyaient qu’ils ne pourraient pas continuer leur mode de vie avec autant d’inondations. Pour eux, c’était comme si un tsunami arrivait », raconte O’Reilly.

Les Cris font appel à l’Association des Indiens du Québec (AIQ), représentée par James O’Reilly, pour porter la cause devant les tribunaux. Quelques mois plus tard, les Inuit s’allient aux Cris.

En 1972, un problème se pose. James O’Reilly travaille toujours chez Martineau Walker.

Or, le cabinet représente… la Société de développement de la Baie-James.

« Le beau-frère de Robert Bourassa était dans notre cabinet et avait été réquisitionné pour travailler pour la Société de la Baie-James. Après quelques mois, j’ai dit à mon patron : “écoute, je dois partir”. Il m’a dit : ”je comprends, je ne veux pas te perdre, mais je comprends” », se souvient-il.

« Je me rappelle que les Cris me disaient : “on ne peut pas te faire aucune promesse, on n’a pas d'argent”. Mais je croyais en leurs revendications, leurs droits, alors je suis parti. On a formé un bureau d’avocats », raconte O’Reilly.

C’est ainsi que le jeune O’Reilly plonge, sans le savoir, dans ce qui deviendra, en quelque sorte, la « convention du siècle ».

Mais l’avocat émérite du Barreau du Québec et récipiendaire de la Médaille du Barreau de Montréal en 2015 pour sa contribution au droit autochtone ne comprend toujours pas pourquoi on fait un reportage « sur lui ».

« Pourquoi moi? Vous êtes tannante, je vois que vous êtes tannante! Qu’est-ce que j’ai fait pour faire cette entrevue? », dit-il en riant.

« Je suis juste une partie de la chaîne, insiste-t-il. Ça prend des gens qui appliquent ce qu’on obtient en cour. Moi, je me vois un peu comme un architecte légal. On conçoit certaines affaires. Mais pour se réaliser, ça prend des ingénieurs, des constructeurs, ça prend des gens qui font le travail, des leaders autochtones charismatiques; tout ça, ce n’est pas moi, c’était les Cris, » dit-il.

Un paysage dans le village cri de Chisasibi, dans le territoire d'Eeyou Istchee, dans le Nord-du-Québec.
La Grande Rivière, à Chisasibi, dans le territoire d'Eeyou Istchee, dans le Nord-du-Québec. Photo :  CBC / Susan Bell

Le « Sphinx »
Le « Sphinx »

S’amorcent de longues procédures contre le projet de la Baie-James qui vont durer sept mois.

« Notre mission, c’était d’arrêter le projet. Les avocats de la Société de la Baie-James, d’Hydro-Québec et du gouvernement, sais-tu quels étaient leurs arguments? C’était que les Autochtones n’ont pas de droits! »

Ted Moses, ex-grand chef de la Nation crie, était dans la vingtaine à l’époque. Traducteur durant les procédures, il estime que James O’Reilly a joué un rôle crucial.

Pourquoi les Cris avaient-ils confiance en James O’Reilly? « D’abord, on ne connaissait aucun autre avocat au Canada qui défendait les droits autochtones! », dit-il en riant.

« C'est surtout qu’il croyait en la cause. Il est toujours modeste à propos de son travail, mais je peux vous dire que s’il ne nous avait pas convaincus qu’on avait des droits, l’histoire serait bien différente. On lui doit énormément ».

« L’homme à la pipe » (à qui Ted Moses fournira d’ailleurs plusieurs allumettes, allant jusqu’à en chercher dans les bars pour lui) est pourtant anxieux pour la suite des choses.

« On a plaidé comme des diables dans l’eau bénite »

— Une citation de   James O’Reilly

« Pendant toute l’audition, on appelait le juge Malouf “le Sphinx” parce qu’on ne savait pas sur quel bord il penchait. Il ne donnait pas de signes à qui que ce soit », raconte O’Reilly.

Le juge Albert Malouf, lors d'audiences de la commission d'enquête sur le coût des Jeux olympiques de Montréal de 1976, qu'il a présidée.
Le juge Albert Malouf, lors d'audiences de la commission d'enquête sur le coût des Jeux olympiques de Montréal de 1976, qu'il a présidée. Photo : Radio-Canada

En novembre 1973, après avoir entendu 167 témoins et examiné 312 pièces à conviction, le juge Albert Malouf rend sa décision. Il soutient que les Autochtones n’ont pas seulement des privilèges, mais des droits, et ordonne l’arrêt temporaire des travaux.

Le juge Malouf, c’était un « don du ciel ».

« C’est un de mes associés qui m’a appelé. Il m’a dit : “James, on a eu l’injonction!” Je n’y croyais pas. On était tellement bouleversés. Je peux vous dire qu’il y a eu un gros party, mais on savait que ce serait difficile pour la suite des choses ».

La cause est portée en Cour d’appel. Le jugement est annulé. La bataille judiciaire menace d’être longue. Le temps d’amorcer les procédures d’appel, l’affaire a fait grand bruit. L’opinion publique et de nombreux élus réclament une entente respectant les droits des peuples autochtones.

C’est le début d’une très longue négociation.

Il n’est plus possible d’arrêter le projet. Mais l’objectif est désormais d’en négocier les modalités. « C’était le Plan B », dit James O’Reilly.

Les Cris et les Inuit ne veulent pas un simple dédommagement financier, mais avoir l’assurance que leur mode de vie sera protégé, comme revoir l’aménagement des barrages pour tenir compte des frayères de poissons.

Les négociations sont houleuses. Les propositions du gouvernement Bourassa sont jugées insuffisantes par de nombreuses communautés autochtones. La tension monte même au sein de l’Association des Indiens du Québec. Certains souhaitent que l’entente s’applique à toutes les nations autochtones.

« C’étaient des territoires de chasse et de pêche à travers tout le Grand Nord, comment tu peux rassembler tout ce monde-là? », soulève l’avocat.

Les Cris se regroupent au sein du Grand Conseil des Cris et décident de prendre les rênes des négociations avec Québec.

Billy Diamond est le chef du Grand Conseil des Cris. Ted Moses est négociateur en chef.

« Il faut comprendre que c’était la première fois dans l’histoire des Cris qu’ils s’organisaient comme ça tous ensemble, explique O’Reilly. Et c’est grâce à de grands leaders comme Billy Diamond. Billy, c’était un orateur hors pair. Quand il parlait, que ce soit en cri ou en anglais, c’était magnifique. »

« Billy Diamond, il disait que la convention devait donner le choix aux Cris de prendre part à un mode de vie plus moderne ou de poursuivre leur mode de vie traditionnel, ou les deux », explique-t-il.

L'avocat James O'Reilly dans son bureau de Montréal.
Portrait de l’avocat James A. O’Reilly à proximité de ses bureaux, à Montréal. De la Convention de la Baie-James et du Nord québécois à la négociation de ce qui pourrait devenir une entente historique entre les Innus et Iron Ore en 2020, James O’Reilly s’est consacré pendant des décennies aux droits des Autochtones. Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Un bourreau de travail
Un bourreau de travail

« James O’Reilly, il t’apprend à être perfectionniste et à toujours double vérifier ton travail. Il déteste les erreurs. Des nuits blanches, pour une plaidoirie, on en a fait beaucoup! », raconte Me Marie-Claude André-Grégoire, qui travaille chez O’Reilly & Associés depuis 6 ans.

C’est d’ailleurs « l’avocat blanc irlandais » qui l’a convaincue de se joindre au cabinet après ses études en droit, alors qu’elle travaillait pour le conseil de bande de Uashat mak Mani-utenam.

L'avocate innue Marie-Claude André-Grégoire  et l'avocat James A. O’Reilly, dans leurs bureaux à Montréal.
L'avocate innue Marie-Claude André-Grégoire et l'avocat James A. O’Reilly, dans leurs bureaux à Montréal. Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

« On a eu des réunions assez difficiles dans les communautés où les gens se plaignaient. Mais il comprend, il n’est pas fâché. Il comprend l’historique et la frustration des Autochtones et il comprend que cela peut des fois s’exprimer contre lui. »

Et l'avocate innue ajoute : « Il y a des avocats ou des gens qui veulent aider les communautés autochtones, mais qui vont leur dire quoi faire. La force de James O’Reilly, c’est le respect. Ce n’est pas un avocat blanc irlandais qui va leur dire quoi faire. Il s’imprègne de la culture et les aide à se développer dans leur autodétermination. »

Des critiques, des déceptions, des échecs, James O’Reilly en vivra beaucoup tout au long de sa carrière, notamment durant la difficile négociation de la Convention de la Baie James.

Certaines communautés autochtones la contestent. Des anthropologues québécois s’y opposent aussi, jugeant qu’elle oblige les Autochtones à « céder » leur territoire.

« Il faut suivre notre conscience. Il faut avoir confiance d’être en train de faire ce qui est le mieux. Si on apporte une dimension égoïste, ça ne marche pas, dit-il. Sans le déni de soi, tu ne peux rien accomplir pour la société ».

Une bataille pour se sortir de la misère

Au mois d’octobre 1975, les négociations avancent, mais rien n’est scellé. Billy Diamond, Ted Moses, James O’Reilly et John Ciaccia, négociateur pour le gouvernement Bourassa, auront plusieurs réunions.

« On se disait à l’époque : est-ce qu’on fait la bonne chose? On savait que c’était majeur. On essayait d’avoir le maximum avec cette entente sur le plan de la protection du territoire, mais aussi des services sociaux, de la santé, de l’éducation », affirme aujourd’hui Ted Moses.

« James O’Reilly, il est comme Mohammed Ali, il n’abandonne jamais! »

— Une citation de   Ted Moses

« À l’époque, je vivais encore chez mes parents, à Eastmain. Vous savez, il n’y avait pas d’infrastructures, pas d’électricité, pas de systèmes d'égout et d’aqueduc... et des maladies. Les maisons, c’étaient des cabanes. Et on essayait d’obtenir cette entente pour faire en sorte de permettre aux Cris de se développer et de se gouverner. »

Quelques semaines plus tard, en novembre 1975, après des mois de négociations intensives, une entente est conclue.

C’est la première convention canadienne impliquant des communautés autochtones qui est signée par une province. Les Cris et les Inuit permettent le développement de projets hydroélectriques, miniers, forestiers ou touristiques sur leur territoire, en échange de la reconnaissance de leurs droits sur plus d’un million de kilomètres carrés. La Convention prévoit aussi une structure en matière de services publics, en particulier pour la santé et l’éducation.

Susciter la vocation d’avocat

En 1985, lors d’un symposium organisé par Recherches amérindiennes au Québec et visant à souligner les 10 ans de la signature de la Convention, Roméo Saganash découvre James O’Reilly pour la première fois.

« Je me rappelle très bien de ça. Il y avait tous les avocats, ceux d’Hydro-Québec, de la Société de la Baie-James, du gouvernement. James O’Reilly parlait des droits des Cris, de leur mode de vie. Je me suis dit : merde, je suis capable de faire ça moi! Et l’année suivante, je me suis inscrit en droit, à cause de lui. »

En 1989, Roméo Saganash deviendra le premier diplômé cri d’une faculté de droit québécoise.

« Les leçons que nous avons apprises avec la Convention, et James O’Reilly en particulier, et je pense que c’est son legs le plus important, c’est de ne jamais rien tenir pour acquis, car même s’il y a une convention, un traité, une constitution, même si c’est écrit, pour que les droits soient respectés et honorés, il faut se battre continuellement contre les gouvernements et ceux qui sont intéressés par les ressources d’un territoire. »

Avant d’ajouter : « James O’Reilly est trop modeste pour réaliser à quel point sa contribution est importante non seulement pour les Cris, mais pour l’ensemble des droits des peuples autochtones. C’est un grand juriste, un grand plaideur, un grand humain. »

On l’a surnommé le « T’shé-nou » en langue crie, c’est comme ça qu’on appelle nos aînés, ça veut dire : une « grande personne », explique Roméo Saganash.

L'avocat James O'Reilly dans son bureau de Montréal.
James A. O'Reilly a conservé de nombreuses pages de journaux et photos retraçant son travail acharné pour faire avancer les droits territoriaux des peuples autochtones au Québec. Photo : Radio-Canada / Julie Marceau

Les batailles et les amitiés
Les batailles et les amitiés

James O’Reilly a développé de grandes amitiés au fil du temps avec plusieurs leaders autochtones, dont son grand ami, feu Joe Norton, l’ex-grand chef de Kahnawake, mort subitement en août 2020. Mais également avec plusieurs autres chefs, comme l’actuel grand chef de la nation crie, Abel Bosum.

Parmi les batailles « post-Convention » de la Baie-James, James O’Reilly est appelé dans les années 1980 à travailler pour la communauté d’Oujé-Bougoumou.

Ses habitants ont été déplacés neuf fois par des minières et des forestières. La tension monte dans les années 1970 et 1980. Des barrages sont érigés.

« Oujé-Bougoumou, c’étaient des conditions de vie d’un pays en voie de développement : on vivait dans des tentes, comme un immense camping; il n’y avait pas d’hôtels. J’ai dit à James : amène ton sleeping bag! » se rappelle Abel Bosum.

Des négociations s’amorcent dans ce qu’Abel Bosum appelle « une sorte de cabane », où se regrouperont les négociateurs des différentes parties.

« Québec nous disait qu’ils allaient construire un village, mais James disait qu’il ne fallait pas créer un ghetto, mais s’assurer d’avoir des emplois, d’être partie prenante au développement économique dans la mesure où ça représentait 4 milliards de dollars en revenus. Le gouvernement n’aimait pas ça », relate-t-il.

Et c’est dans l’adversité que le personnage O’Reilly se révèle.

Un jour, raconte toujours Bosum, « James parlait de tous les éléments socio-économiques importants pour construire la communauté. Un représentant du gouvernement fédéral a dit : “J’en ai assez, je m’en vais!” Mais quand il est sorti, il y avait un immense feu érigé par des membres de la communauté qui protestaient. James l’a attrapé par le collet pour qu’il rentre à l’intérieur! Je pense qu’il était presque soulagé, vu ce qui se passait. Finalement, à minuit, le représentant a dit ok, j’accepte les termes de l’entente ».

L’entente reste à être signée...

Un soir, Abel Bosum et James O’Reilly apprennent qu’il y a une réunion de l’Assemblée des Premières Nations du Canada le lendemain à Québec. Ils décident de s’y rendre pendant la nuit… C’est plus de six heures de route.

« On a pris la voiture qu’on pouvait, mais la porte était déficiente », raconte Abel Bosum.

Lorsqu'ils s'arrêtent dans le secteur de Chibougamau, James O’Reilly veut prendre une pause pour fumer. Il ouvre la porte… qui se décroche de la voiture et tombe.

L’avocat trouve alors un moyen d’attacher la porte avec sa ceinture de sécurité. On a réussi et on est repartis!, se souvient Abel Bosum.

Mais dans une courbe à 90 degrés, la porte s’envole, complètement cette fois-ci.

« On a eu peur. J’ai dit “James, es-tu correct?” Il m’a dit “oui, mais tu as failli me tuer!” »

Les deux hommes poursuivent malgré tout la route... sans porte. Ils arrivent à Québec aux alentours de 6 heures du matin.

« Je vous le dis : il aurait pu me poursuivre! », lance Abel Bosum avec humour.

« C’est vraiment un être à part, il a sacrifié sa vie pour la cause. Il était vraiment déterminé et passionné par son travail. À chaque fois qu’on avait des difficultés, il trouvait toujours une solution. Il avait des idées qui sortaient des sentiers battus. »

En 1989, les Cris d’Oujé-Bougoumou signent leur propre accord qui leur permet d’adhérer à la Convention et, en 1992, de construire un nouveau village permanent. Ils obtiennent aussi un dédommagement financier pour des années d’exploitation minière et forestière les ayant forcés à être délocalisés.

En 1995, l’Organisation des Nations unies (ONU) décernera une récompense internationale à ce projet.

« Je l’admirais tellement que j’ai nommé mon fils en son nom. Nathaniel James Bosum [Nathaniel James est mort en 2018 dans un accident de motocross]. James me disait souvent : alors, comment va notre fils? », se rappelle Abel Bosum.

James O’Reilly a toujours la photo de Nathaniel.

Toujours au travail à l’aube de ses 80 ans

Toujours dubitatif au sujet du reportage que nous écrivons sur lui, James O’Reilly n’est pas un homme pour qui le mot « retraite » existe.

Ces jours-ci, il travaille encore sans relâche sur plusieurs dossiers, dont celui opposant les Innus de Uashat mak Mani-utenam et de Matimekush-Lac John à la minière Iron Ore (Rio Tinto).

« La vie est mystérieuse, il y a un début et une fin »

— Une citation de   James O'Reilly

« Des défaites, des reculs, des critiques, j’en ai eu. On m’a même déjà traité de bandit! Mais dans mon for intérieur, il y a des choses que je devais faire. Et j’ai toujours suivi ma conscience », un mot qu’il répétera plusieurs fois au cours de notre entretien.

L’entrevue devait durer 30 minutes à sa demande. Elle s’échelonnera finalement sur plus de 4 heures.

Un document réalisé par Radio-Canada Espaces autochtones

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