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Ils font revivre le curling au Québec

Ils font revivre le curling au Québec

Il y a quelque 11 000 joueurs de curling inscrits dans les clubs du Québec, mais très peu de jeunes de moins de 20 ans : même pas 1000. Il manque de relève, mais ça pourrait changer grâce à Laurie St-Georges et à Félix Asselin, un jeune couple charismatique qui arrive comme un vent de fraîcheur.

Un texte de Michael Roy Photographies par Arianne Bergeron

Publié le 17 mars 2024

C’est comme si j’avais 15 grands-mères, 15 grands-pères et 10 oncles ou tantes. Je pense que tous les membres du club m’ont donné le biberon ou ont changé mes couches.

D'aussi loin qu’elle s’en souvienne, le curling a toujours fait partie de la vie de Laurie St-Georges.

Toute ma famille jouait, poursuit-elle. Quand ma sœur et moi sommes nées, on passait toutes nos soirées au club de Laval-sur-le-Lac. En grandissant, on aidait les employés à ramasser et on dormait sur les divans jusqu’à ce que nos parents finissent leurs parties et le social qui allait avec!

Le bruit des pierres de granit qui s’entrechoquent et des balais qui frottent la glace a aussi bercé l’enfance de Félix Asselin.

J’étais toujours le premier arrivé aux petites pierres le dimanche et je me suis rapidement fait des amis là-bas, raconte-t-il. On se réunissait pour aller faire des tournois en Ontario pour le plaisir. À 13 ans, je jouais des compétitions provinciales avec des gars un peu plus âgés que moi.

Les deux ont connu du succès à un jeune âge sur la scène provinciale. Ils ont remporté les Jeux du Québec (lui à la tête de l’équipe du Lac-Saint-Louis, elle comme capitaine de Laval quelques années plus tard) et des tournois juniors, souvent contre des équipes plus vieilles. Ils savaient qu’ils avaient quelque chose à faire dans ce sport, pour reprendre les mots de Félix.

Les voilà quelques années plus tard régulièrement à l’affiche du Tournoi des cœurs et du Brier, grands rendez-vous du curling canadien, et de grands tournois internationaux, comme les mondiaux mixtes à quatre où ils ont décroché le bronze en 2023.

Laurie et Félix en sont bien conscients : ils se passionnent pour un sport peu populaire auprès des jeunes Québécois.

C’est rare que quelqu’un se réveille le matin et veuille devenir champion de curling, lance-t-elle en rigolant.

Ils espèrent à leur tour donner le goût du curling à de futurs champions. Contrairement au reste du Canada, la Belle Province s’en cherche.

Une joueuse de curling lance une pierre.
Laurie St-Georges Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Le curling et les préjugés
Le curling et les préjugés

Il y a quelque chose de beau à découvrir dans le curling, insistent Laurie St-Georges et Félix Asselin. C’est un sport beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. C’est ce qui a charmé Félix.

Le curling, c’est un sport d’équipe, mais c’est une petite équipe. Il y a quelque chose de fascinant entre le côté stratégique et la précision des mouvements. La dynamique d’équipe et la cohésion entre les joueurs sont vraiment différentes, explique-t-il avec enthousiasme.

C’est un jeu d’échecs, mais la différence, c’est qu’aux échecs, quand tu as une stratégie en tête, tu joues tes coups en conséquence et les pions vont à l’endroit que tu veux.

« Au curling, on a une stratégie, mais parfois, les pierres ne vont pas aux bons endroits, alors il faut recommencer la stratégie. C’est pour ça que tu dois être stratégiquement, mais aussi techniquement, le meilleur si tu veux gagner. »

— Une citation de   Félix Asselin, joueur de curling

Pour aimer le curling, il faut être prêt à aller au-delà des préjugés, qui sont encore des freins au développement du sport. Laurie les connaît trop bien.

Il y a quelques années, je recevais encore des blagues du genre : “Viens donc frotter chez nous, tu dois être bonne pour balayer.” “Pourquoi tu cries après des roches?” Ou encore : “C’est un sport de vieux, pourquoi tu joues à ça?”

Pour quelqu’un qui commence à jouer, disons que c’est rebutant pas mal, confie l’athlète de 26 ans. Heureusement, les préjugés sont de moins en moins présents. Les gens sont plus ouverts, mais ils ne comprennent pas encore à quel point c’est demandant à mon niveau.

Une joueuse de curling accroupie tient un balais et un chronomètre dans son autre main.
Laurie St-Georges est très sérieuse dans son entraînement. Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Laurie incarne ce qu’il faut pour réussir au curling d’élite en 2024. Elle est le prototype de la joueuse totalement dévouée, l’exemple à suivre, selon la directrice générale de Curling Québec, Alanna Routledge, qui faisait partie de son équipe au Tournoi des cœurs en 2023.

Elle met tellement d'heures sur la glace et au gym, en plus de sa préparation mentale. Son implication est vraiment impressionnante, dit-elle.

Dans l’Ouest canadien, c’est plus habituel, mais au Québec, elle est l’une des seules à faire tout ça. Laurie et son équipe ont décidé de s'investir énormément et c’est certain que ça donne des résultats. J’espère que ça va encourager d’autres équipes à les suivre, ajoute-t-elle.

« Le curling d’élite, ce n’est pas un sport de vieux. On s’entraîne beaucoup pour atteindre le niveau où on est. Ce n’est pas vrai que Gilles, 52 ans, peut devenir champion canadien en jouant deux ou trois fois par semaine avec ses amis au club du coin avec une petite bière à la main. »

— Une citation de   Laurie St-Georges, joueuse de curling

C’est correct parce que les gens ne connaissent pas ça. C’est un peu notre responsabilité aussi de tenter d’éduquer le plus possible, estime-t-elle.

Un homme et une femme sourient près d'une glace de curling.
Laurie St-Georges et Félix Asselin forment un couple depuis six ans. Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Ensemble sur la glace et dans la vie
Ensemble sur la glace et dans la vie

Laurie St-Georges et Félix Asselin forment un couple depuis six ans. Leur vie commune est rythmée par le curling, qui prend beaucoup de place.

Nous avons nos équipes masculine et féminine, mais on a aussi joué en mixte [à quatre] et en double mixte cette année. Je pense qu’on doit être les seuls au pays à faire ça à notre niveau, précise Laurie.

À leurs horaires surchargés par le sport s’ajoutent les études et le travail.

Félix est géologue dans une mine à Val-d’Or et peut travailler jusqu’à 12 heures par jour. Il a parfois l’impression de vivre dans sa voiture, à faire la navette entre l’Abitibi et ses compétitions, la plupart à l’extérieur du Québec.

Laurie, elle, poursuit ses études en journalisme à l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

Pendant la saison de curling, quand on se voit, c’est pour nos tournois de double mixte. On ne parle pas d’une fin de semaine d’amoureux tranquille où l’on visite et profite d’un bon souper. Notre temps est compté et nos horaires sont stricts de façon à bien performer lors de nos tournois, explique-t-elle.

« La dernière fois qu’on s’est vus en dehors du curling ou du temps des Fêtes, c’était l’été dernier. »

— Une citation de   Laurie St-Georges

Ce n’est pas toujours facile, renchérit Félix. Ça vient avec des hauts et des bas, mais on comprend la réalité de l’autre personne.

Au moins, pour passer plus de temps seuls ensemble, ils ont le double mixte, épreuve dans laquelle ils espéraient se qualifier pour les Jeux de Pékin en 2022. Ils avaient reçu une invitation aux essais olympiques canadiens, mais la compétition avait été annulée à la dernière minute à cause de la COVID-19.

Faire équipe sur la glace comporte cependant son lot de défis. Ça brouille les frontières entre la vie de couple et la vie sportive.

On ne se mentira pas, l'adage “ce qui se passe sur la glace doit rester sur la glace”, sur papier, c'est génial, mais ce n'est pas la réalité, dit Laurie en s’esclaffant.

Évidemment que ça peut créer des frictions que l’on transporte dans la vie de tous les jours. Nous avons chacun notre vision de ce qui s'est passé ou aurait dû se passer en compétition. Et c’est normal que, parfois, nous ne soyons pas d'accord. On s’est chicanés plusieurs fois, mais on y fait face et on avance là-dedans, admet-elle.

« Quand on joue ensemble en double, on n’a pas peur de se dire ce qui va et ne va pas. On a l’avantage de se connaître extrêmement bien pendant un match. Par contre, souvent, ça change rapidement de côté et il y a des tensions. »

— Une citation de   Félix Asselin
Une joueuse de curling tient son balais à la hauteur de sa tête, en bougeant les doigts.
Laurie St-Georges au Tournoi des cœurs en 2021. Photo : La Presse canadienne / Jeff McIntosh

La reine des neiges
La reine des neiges

Les championnats canadiens – le Tournoi des cœurs chez les dames et le Brier chez les hommes – représentent le Saint-Graal pour les joueurs de curling au pays. Ce sont les tournois les plus relevés sur la planète en dehors des mondiaux et des Jeux olympiques. Malgré leur jeune âge, 26 et 29 ans respectivement, Laurie et Félix y ont déjà participé à quatre reprises comme capitaines du Québec.

En 2021, Laurie a marqué les esprits à sa première présence. Relativement inconnue jusque-là, elle a défié d’excellentes équipes et a terminé en 7e place, un résultat honorable. Il y avait une ambiance festive autour de ses matchs. Son attitude positive, qui lui a valu le prix Marj Mitchell pour le meilleur esprit sportif, son charisme et ses performances ont captivé les spectateurs et les réseaux sociaux.

Ses cheveux blond platine lui ont aussi valu le surnom d’Elsa, en référence au personnage du film de Disney La reine des neiges.

Bref, elle est devenue une vedette instantanée du petit monde du curling. Ce tournoi a renforcé son rôle d’ambassadrice de son sport au Québec.

Mon rêve le plus fou, c’est de gagner le Tournoi des cœurs, affirme-t-elle. De façon plus réaliste, se classer pour les rondes finales serait déjà un exploit remarquable pour nous. C’est devenu de plus en plus compliqué avec toutes les équipes invitées qui ne représentent pas nécessairement des provinces.

Ce sont des équipes montées avec des joueuses étoiles d’un peu partout. Il commence à se creuser un important fossé entre ces équipes-là et les championnes de chaque province.

Laurie a un pouvoir d’attraction. Elle a réussi à recruter à son tour deux vedettes pour le tournoi de 2024, où elle s’est arrêtée en phase de groupe (7e du groupe A, avec une fiche de quatre victoires et quatre défaites). Marie-France Larouche, vice-championne canadienne en 2004 et championne du monde dans la catégorie mixte à quatre en 2022, était de son quatuor, tout comme Jamie Sinclair, multiple championne américaine qui a aussi la citoyenneté canadienne.

Pour Marie-France Larouche, c’était l’occasion de passer le flambeau à la nouvelle génération.

« J’ai toujours voulu retransmettre ce que j’ai appris, et je trouvais que je ne le faisais pas. Ça m’a pris tellement d’années à apprendre tout ça. Des défaites, j’en ai eu et j’ai appris à travers ça. Je trouvais que le scénario avec Laurie était parfait, alors j’ai sauté dans le bateau. »

— Une citation de   Marie-France Larouche, vice-championne du Tournoi des cœurs en 2004

C’était son équipe, poursuit Marie-France Larouche. J’y étais pour essayer d’apporter quelque chose. Je ne me mettais pas de pression à prodiguer des conseils ou à verbaliser tout ce que je pensais. J’étais là pour vivre l’expérience avec elle et les autres.

Un homme balaie devant une pierre de curling.
Laurie St-Georges et Félix Asselin jouent ensemble en double mixte. Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Le visage du curling québécois
Le visage du curling québécois

L’ajout du curling au programme olympique en 1998, à Nagano, a permis au sport de gagner en popularité au Canada, où le bassin de joueurs était déjà le plus important du monde.

Au Québec, le curling d’élite se portait très bien quand les figures emblématiques Guy Hemmings (au tournant des années 2000) et Marie-France Larouche (de 2000 à 2012) étaient à leur apogée. Les choses ont changé depuis.

Le curling est dans un bon déclin, c’est évident, regrette Félix Asselin. À tous les niveaux de compétition, il y a de moins en moins d’équipes. Il y a déjà eu plus de 80 équipes masculines qui tentaient de se qualifier pour le Brier. Cette année, il n’y en avait qu’une trentaine.

Laurie St-Georges, elle, souligne les changements dans la nature du sport, devenu plus exigeant. Le besoin de s'investir à temps plein pour percer a découragé de nombreux jeunes, croit-elle.

« Beaucoup de jeunes arrêtent de jouer au curling une fois à l’université ou sur le marché du travail parce que c’est trop. Ce n'est pas tout le monde qui décide de faire son baccalauréat en six ans comme j’ai fait parce que je suis passionnée par mon sport. »

— Une citation de   Laurie St-Georges

Ça demeure un sport social. Même moi au club, des fois, je me permets une bière après un match amical, confie-t-elle. En compétition, par contre, c'est autre chose. On va au gymnase fréquemment et nous pouvons compter sur des psychologues sportifs. C’est plus exigeant que ça l’était avant ça, c'est certain.

La relève n’est pas abondante au Québec en 2024, mais le portrait est moins sombre qu’avant.

Après une perte d’intérêt il y a quelques années, ça remonte tranquillement, constate la directrice générale de Curling Québec, Alanna Routledge. Plusieurs nouvelles équipes se forment. Par exemple, au Championnat provincial féminin cette année, deux équipes comptaient dans leurs rangs trois nouvelles joueuses chacune. Sur un total de 24 joueuses dans le tournoi, le quart de recrues, je trouve ça quand même significatif.

L'augmentation du nombre de joueurs juniors, de 700 à 800 en 2024, est très encourageante, selon les dirigeants de Curling Québec, même s’il reste des efforts à faire pour intégrer plus de clubs juniors à la structure actuelle des clubs.

« La moitié des clubs au Québec n’ont pas de juniors du tout. C’est vraiment un problème. On travaille là-dessus. »

— Une citation de   Alanna Routledge, directrice générale de Curling Québec

Les joueurs d'élite que l'on voit à la télévision sont essentiels pour permettre aux curleurs de s'identifier, rappelle aussi Alanna Routledge. En ce sens, l’arrivée de deux jeunes charismatiques comme Laurie et Félix est rafraîchissante.

Ils sont ni plus ni moins le visage du curling au Québec, particulièrement pour la nouvelle génération, selon Marie-France Larouche.

Laurie et Félix sont le centre d’attraction du sport au Québec. Tout le monde veut les battre. Que ce soit chez les hommes, chez les femmes ou en double mixte, ce sont eux qui sont au top et aussi ceux qui peuvent accomplir de belles choses sur la scène internationale, ajoute-t-elle.

« Par contre, je trouve qu’on manque encore de modèles. Je trouve ça dommage que tout repose sur leurs épaules. »

— Une citation de   Marie-France Larouche

Laurie et Félix se savent investis d’une mission. Ils jouent bien leur rôle d’ambassadeurs.

Laurie, c’est une formidable ambassadrice, lance la DG de Curling Québec. Les jeunes trippent sur elle. Aux provinciaux à Drummondville récemment, elle a participé à des événements avec les jeunes et elle prenait des photos avec eux. Les jeunes adoraient ça.

« Laurie va faire tout ce qu’elle peut pour la promotion du sport. Elle ne refuse aucune demande d'entrevue ou de participation à des événements, si ça fonctionne avec son horaire. Lorsqu’on organise des camps pour juniors ou adultes, c’est sûr qu’on invite Félix, Laurie et leur gang. C’est vraiment important et apprécié par les membres et par nous. »

— Une citation de   Alanna Routledge

Laurie et Félix sont mus par l’amour de leur sport, qui mérite d’être connu plus qu’il l’est présentement, et de la bonne façon, pour reprendre les mots de Laurie.

Ça va prendre beaucoup de travail pour rajeunir le bassin de joueurs au Québec, concède-t-elle.

Ça ne l’empêche pas de rêver.

« Dans 10-15 ans, j’espère que les clubs seront pleins et, surtout, qu’aucun ne ferme. Un rêve fou serait d’avoir un centre de perfectionnement. Un aréna exclusif pour le curling et la mise sur pied de programmes sport-études permettraient de faire un bond formidable au niveau compétitif, c’est certain. »

— Une citation de   Laurie St-Georges
Deux joueurs de curling souriant, leur balais à la main

Photo du chapitre 2 (La reine des neiges) par Jeff McIntosh/La Presse canadienne

Un document réalisé par Radio-Canada Sports

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