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Bellechasse, une identité coulée dans l’érable

Bellechasse, une identité coulée dans l’érable

Entrer chez Réjean Bilodeau, c’est pénétrer dans l’univers des sucriers pour le découvrir grâce à des centaines d’objets soigneusement conservés dans un écomusée construit derrière sa résidence de Saint-Damien-de-Buckland. Ce retraité du domaine de l’assurance, devenu recherchiste et auteur dans le domaine de l’acériculture, y a consacré 10 000 heures de sa vie et a rédigé 4000 pages réparties en cinq volumes.

Publié le 15 mars 2024

Moi, [quand] j'ai attrapé le goût pour l'acériculture, j'avais pas plus que six ans. C'est lorsque je revenais de l'école, que j'arrivais chez nous et que mon père avait installé un chaudron tout près de la résidence. C'est là que j'ai assisté au miracle de la transformation de l'eau d'érable en sirop. J'étais ébloui par la couleur, par l'odeur, mais surtout par la saveur.

Le gaillard est un passionné comme on en rencontre peu. S’il a passé la dernière décennie à documenter l’ingéniosité des sucriers de Bellechasse, sa région natale, c’était pour lui donner une identité, et il a réussi. En 2017, les 20 maires de la MRC ont adopté à l’unanimité une résolution qui a proclamé Bellechasse, berceau mondial de la technologie acéricole.

Si Bellechasse n'a pas d'identité, c'est comme si elle n'existait pas pour moi. C'est ce que je me disais au départ. Puis aujourd'hui, avec l'identité qu'on a, on peut être fiers, se réjouit Réjean Bilodeau.

Les députés provincial et fédéral de la région ont aussi donné leur appui à cette démarche identitaire.

Je suis fier de proclamer à la Chambre, comme l'a fait la MRC, Bellechasse comme étant le berceau mondial de la technologie acéricole, a déclaré le député Steven Blaney à la Chambre des communes le 8 mai 2018.

Quelques semaines plus tard, c’était au tour de Québec de reconnaître le travail de M. Bilodeau.

M. le président, reconnaissons que Bellechasse est le berceau mondial de la technologie acéricole. Qu'on le répète sur toutes les tribunes, ici comme par-delà nos frontières. Merci beaucoup, M. le président, a déclaré la députée Dominique Viens à l’Assemblée nationale le mardi 29 mai 2018.

Aujourd’hui, la MRC collabore avec le sympathique moustachu pour faire connaître cette identité régionale. C’est l’agent de développement culturel Claude Lepage qui est chargé de ce dossier. Il ne demande qu’à travailler avec des passionnés comme Réjean. C'est grâce à eux qu'on peut faire en sorte que Bellechasse soit reconnue puis rayonne à l'extérieur.

Qu’est-ce qu’un écomusée?

Musée présentant une collectivité, une activité humaine dans son contexte géographique, social et culturel.

Source : Dictionnaire Le Robert

Il l’a aidé à mettre sur pied son écomusée et ils ont aussi monté l’exposition Bellechasse, une histoire intimement liée à l'érable, présentée au parc régional du Massif-du-Sud.

Tout le monde fait de l'acériculture ou connaît quelqu'un qui fait de l'acériculture dans Bellechasse, tout le monde connaît quelqu'un qui a une cabane, raconte l’employé de la MRC. Ça commence là : tout le monde va aller prendre un petit gin au réduit ou aller goûter la tire d'érable. C'est une activité oui, économique, mais ça fait aussi partie de notre culture.

Claude Lepage et Réjean Bilodeau discutent devant une cabane en bois.
Claude Lepage et Réjean Bilodeau travaillent de concert pour faire rayonner l'acériculture dans Bellechasse. Photo : Radio-Canada / Marie Maude Pontbriand

Au-delà des centaines de cheminées qui fument de manière simultanée au printemps, c’est la technologie acéricole qui distingue Bellechasse.

Il y a des choses qui ont été inventées ici, qui sont un peu partout au Québec, aux États-Unis, même dans le monde aujourd'hui. Il faut être fier de ça! fait remarquer Claude Lepage.

Des colons fabriquent du sirop d'érable dans une cabane à sucre.
Les colons français ont appris comment récolter la sève d'érable auprès des Autochtones. Ils ont par la suite raffiné le processus pour en arriver à la production de sirop. Sur cette image, une cabane à sucre au Canada à partir d'une illustration de 1849. Photo : Bibliothèque et Archives Canada / Cornelius Krieghoff

Interdiction stimulante

Réjean Bilodeau croit que l’acériculture bellechassoise est née de l'interdiction d’entailler décrétée par l’intendant du roi il y a 300 ans. Le septuagénaire raconte qu’en mars 1716, Michel Bégon a défendu aux habitants de Bellechasse d’entailler les érables sur les terres non concédées.

S’il considère ce moment comme ayant été décisif dans l’histoire de l’acériculture, c’est parce que cette interdiction a poussé les sucriers à réduire la blessure causée par l’entaillage. Celle-ci est passée d’une douzaine de centimètres à environ quatre, favorisant ainsi la survie des arbres.

Reproduction de l'ordonnance manuscrite de 1716.
L'ordonnance de l'intendant Bégon qui a fait défense d'entailler les érables tant sur le domaine que sur les terres non concédées de la seigneurie de Bellechasse à peine contre chacun des contrevenants de dix livres d'amende. Photo : Bibliothèque et archives nationales du Québec

De la grosseur de l’entaille à l’informatisation en passant par la mise en marché, Bellechasse a vu naître des pionniers du milieu acéricole québécois. C’est le cas de Cyrille Vaillancourt, né à Saint-Anselme en 1892. Il a notamment créé la première coopérative de producteurs de sucre d’érable en 1925 pour protéger le marché des sirops falsifiés et pour encourager la fabrication de produits de qualité.

L’entreprise de fabrication de plastique IPL, fondée à Saint-Damien-de-Buckland en 1939, a aussi laissé sa marque dans les érablières en fabriquant des seaux de plastique translucide qui permettent aux acériculteurs de voir le niveau d’eau à distance et en extrudant des tubulures pour relier les arbres à une citerne.

Un mannequin qui représente Michel Sarrazin est exposé dans l'écomusée.
Selon un écrit de l'historien Benjamin Sulte, c'est le chirurgien et naturaliste Michel Sarrazin qui aurait découvert la transformation de l'eau d'érable en sirop et en sucre en 1685. Photo : Radio-Canada / Marie Maude Pontbriand

Traire les érables comme on trait les vaches
Traire les érables comme on trait les vaches

Le Bellechassois Clément Métivier a commercialisé à grande échelle le principe de collecte d'eau d'érable sous vide à l'aide de trayeuse à vaches, dans les années 1970. M. Métivier étant le fils du fondateur d’IPL, l'innovation a rapidement été industrialisée et a permis aux producteurs acéricoles du Québec – ainsi qu'en Nouvelle-Angleterre – d’accroître considérablement leur productivité tout en diminuant leur charge de travail.

Une version antérieure de ce texte pouvait laisser croire que M. Métivier pouvait être à l’origine du système de collecte d’eau d’érable sous vide. Des études expérimentales sur cette technologie avaient commencé en 1968 à l'érablière expérimentale de St-Norbert d'Arthabaska. Ces recherches ont été faites par la division de l'acériculture du ministère de l'Agriculture du Québec, en collaboration avec Denis Désilets, professeur à l’Université Laval.

Si certains craignaient que le système Vacuum IPL assèche les arbres, une étude de l’Université Laval a démontré qu’il n’en était rien. L’érablière expérimentale d’IPL a même noté une augmentation du rendement de 136 %.

Une pompe à vide dans une boîte de bois.
Une pompe à vide servant à traire des vaches qui a été réutilisée pour pomper l'eau d'érable. Photo : Radio-Canada / Marie Maude Pontbriand

Ce fut une véritable révolution dans le monde de l’acériculture, souligne M. Bilodeau. Il tient à préciser que ses recherches ont permis de démontrer que Georges Caron, un Beauceron qui a vécu au Vermont, avait lui aussi tenté de traire les érables 10 ans plus tôt mais ne semblait pas avoir poussé l’expérience plus loin.

Les chalumeaux pour protéger les arbres
Les chalumeaux pour protéger les arbres

L’arrivée du chalumeau au milieu du 19e siècle a permis de passer de la hache à la mèche pour l’entaillage, une amélioration notable pour la santé des érables. D’abord en bois, le chalumeau a rapidement évolué pour être fabriqué en métal. Notre passionné d’acériculture en expose plusieurs dans le bâtiment d’accueil de son musée.

Des chalumeaux ont été conçus dans plusieurs régions. Dans Bellechasse, les recherches de M. Bilodeau démontrent que c’est François Goulet, de Saint-Gervais, qui a inventé le premier modèle de métal.

Les bâtiments du musée dans un paysage enneigé.
L'écomusée retrace l'histoire de l'innovation dans le domaine acéricole de Bellechasse. Photo : Radio-Canada / Marie Maude Pontbriand

Son plus gros défi a été de se défendre contre la compagnie Macdonald, qui l’a amené en cour en l’accusant d’avoir copié son chalumeau, raconte Réjean Bilodeau lors de la visite de son écomusée. M. Goulet a proposé au juge de demander à son adversaire de fabriquer un chalumeau à l’aide de son appareil, mais sans succès, alors que Goulet a réussi en un clin d'œil. Il a ainsi gagné son procès sans posséder d’instruction.

Un autre chalumeau a retenu l’attention de M. Bilodeau : le petit chalumeau santé 5/16 conçu par Jean-Marie Chabot à la fin du 20e siècle. Ce chalumeau était encore plus petit afin de réduire encore une fois la blessure de l’arbre. Tout ça pour le bénéfice de l'érable : c'est plus qu'écologique, souligne Réjean Bilodeau.

Plan large d'une main qui tient un chalumeau.
Un chalumeau fabriqué pour minimiser les blessures à l'arbre lors de l'entaille. Photo : Radio-Canada / Marie Maude Pontbriand

Jean-Marie Chabot détient d’ailleurs des dizaines d’autres brevets dans le domaine de l’acériculture. En 1991, il a fondé l’entreprise Équipements d’érablières CDL, dont le siège social est à Saint-Lazare-de-Bellechasse, avec ses deux frères.

Tel un ouragan, cette force omniprésente chez CDL se déploie et ne fait que continuer à croître sous la gouverne des frères Chabot, raconte Réjean Bilodeau, faisant référence à la deuxième génération de Chabot, aujourd’hui à la tête de cette entreprise spécialisée dans la conception, la distribution et la fabrication d'équipement acéricole.

Vallier Chabot devant des appareils d'acériculture.
Vallier Chabot, copropriétaire et directeur général de CDL. Photo : Radio-Canada / Steve Breton

Vallier Chabot est aujourd’hui à la tête de l’entreprise familiale. Il souligne que CDL a, depuis ses débuts, un service de recherche et développement ainsi qu'une équipe d'ingénieurs à temps plein qui conçoivent de nouvelles technologies pour automatiser certains processus.

« Aujourd'hui, on peut mettre du sirop dans un baril avec un iPhone ou une tablette : la technologie est rendue là. »

— Une citation de   Vallier Chabot

Les technologies mises au point par CDL sont maintenant utilisées en France, en Suède, en Finlande et même en Lituanie pour la récolte de sève de bouleau.

La passion technologique de l'acériculture est sans aucun doute dans l’ADN de Bellechasse, croit le directeur général de CDL. Il salue le travail de Réjean Bilodeau pour mettre cette réalité en lumière.

Je pense que ce que Réjean a fait, c’est nous faire réaliser que c'était vraiment ça. Les faits historiques prouvaient que Bellechasse était au cœur de la technologie acéricole mondialement.

Un tuyau d'érablière accroché à un érable avec une cabane à sucre à l'arrière-plan.
Le redoux des derniers jours a mené au début hâtif de la saison des sucres en raison de la sève des érables qui coule. Photo : Radio-Canada / Josée Ducharme

Un héritage
Un héritage

Ses travaux de recherche et la mise sur pied de son écomusée ont été réalisés pendant une décennie marquée par la maladie pour M. Bilodeau. Toutefois, les traitements de chimiothérapie et de radiothérapie ne l’ont pas freiné.

Je ne me suis jamais trop arrêté à l'élément santé. Je me suis toujours dit : "Je sauterai la rivière lorsque je serai rendu, mais je ne suis pas rendu là", lance M. Bilodeau, qui affirme que son travail est le fruit de riches échanges avec plus d’une centaine de personnes.

À vrai dire, ça n'a pas représenté pour moi du travail mais que du plaisir.

Trois marmites en fer suspendues dans une cabane à sucre.
Parmi les centaines d’artéfacts exposés chez M. Bilodeau se trouvent ces trois marmites. «Deux viennent de la région de Montpelier, au Vermont. Ce sont des chaudrons tripodes qui étaient très courants au début de la Nouvelle-France», raconte-t-il. «Ils ont été cassés pour recycler le vieux fer, alors on n'en trouve pratiquement plus.» Le troisième vient de l'île d'Orléans. Ces marmites servaient à transformer l’eau d’érable en réduit, le réduit en sirop et le sirop en sucre. Photo : Radio-Canada / Marie Maude Pontbriand

Le septuagénaire vient tout juste de terminer la rédaction de son cinquième livre. Son prochain projet? Faire connaître cette identité bellechassoise! Il compte continuer à accueillir les visiteurs dans son musée tant qu’il en sera capable.

J'ai l'impression que je vais laisser, quand je vais quitter ce monde, une espèce de legs à la population de Bellechasse, conclut-il humblement.

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