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Au large de Percé, un trésor sous-marin à protéger

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Au large de Percé, un trésor sous-marin à protéger

Un texte de France Beaudoin

Publié le 4 avril 2024

Avec son rocher spectaculaire qui émerge du golfe du Saint-Laurent et l’île Bonaventure, sanctuaire d’une impressionnante colonie de fous de Bassan, la ville de Percé, en Gaspésie, a des allures de carte postale. Le panorama, tout aussi remarquable sous l’eau, attire bon nombre d’amateurs de plongée. Mais des scientifiques craignent que ces touristes sous-marins aient un impact négatif sur les espèces qui rendent les lieux si attrayants.

Un crabe en train de se nourrir.
Les oursins sont les proies préférées de ce crabe. Photo : Radio-Canada / Manuel Año

Recensement sous-marin

En ce jour de septembre, le vent se lève au large de Percé. Sur la plage, près du quai, une dizaine de plongeurs s’apprêtent tout de même à partir en mer.

Ils prennent part à une mission scientifique qui les conduira autour de l’île Bonaventure. Marie-Pierre Lessard, directrice de la conservation à l’Aquarium du Québec, dirige l’expédition.

L'objectif premier, explique-t-elle, est de voir si tout au long des années, les plongeurs qui viennent de façon récréative autour de l'île Bonaventure ont un impact au niveau de la biodiversité et de la quantité d'animaux qu'on retrouve autour de l'île.

La faune et la flore, variées et colorées, offrent un spectacle remarquable aux plongeurs récréatifs. Mais ce riche écosystème est fragile, fait remarquer Michèle Doucet, responsable scientifique de ce projet.

Michèle devant le rocher Percé.
Michèle Doucet, la chercheuse responsable du volet scientifique de ces travaux, est liée à l’Université de Montréal. Photo : Radio-Canada / Pier Gagné

« Ce n'est pas intentionnel, mais la présence humaine, que ce soit le transport par bateau ou l'activité des plongeurs sous l'eau, va avoir un impact à long terme ou à court terme. »

— Une citation de   Michèle Doucet, chercheuse principale, professeure honoraire, Faculté de médecine vétérinaire, Université de Montréal

Les consignes de sécurité ont été données. À bord du bateau pneumatique, les plongeurs mettent le cap sur l’île Bonaventure. Les conditions de navigation sont difficiles et rendent la traversée un peu pénible.

C’est la seconde série de visites qu’ils font cette année dans le parc national. La première avait été réalisée en juin, avant le début de la saison de plongée.

Cette fois-ci, comme nous sommes en septembre, les activités de plongée récréative sont presque terminées.

L’équipe se rend au nord de l’île Bonaventure, à l’anse du Bilbo, un site prisé des amateurs de plongée. Installés sur les rochers, des dizaines de phoques, curieux, accueillent les chercheurs et les plongeurs bénévoles qui les accompagnent.

Au cours des prochains jours, ils doivent scruter neuf sites de plongée autour de l’île.

« On a la chance, ici, d'avoir des statistiques très précises sur les endroits où les plongeurs vont. Les sites qui sont les plus plongés dépassent le millier de plongeurs. Et sur d’autres sites assez petits, il y a environ une dizaine de plongeurs par année. »

— Une citation de   Marie-Pierre Lessard, directrice de la conservation à l’Aquarium du Québec
Marie-Pierre debout devant le zodiac.
Marie-Pierre Lessard est directrice de la conservation à l’Aquarium du Québec. Photo : Radio-Canada / Pier Gagné

Les plongeurs de l’expédition scientifique se préparent à descendre à une dizaine de mètres de profondeur, là où la concentration de la vie marine est la plus importante.

Ils doivent recenser les espèces qui se trouvent sous l’eau.

Principalement les poissons et les invertébrés, précise Michèle Doucet. Ça regroupe mollusques, crabes, homards, oursins, poissons et tout ce qui vit dans le fond de l'eau et qu'on peut observer comme vie plus mobile.

Deux équipes de quatre plongeurs procéderont au recensement.

Anémones de mer.
Une forêt d'anémones plumeuses. Photo : Radio-Canada / Julie Ouimet

Une faune et une flore variées et colorées

Les plongeurs tiennent une ardoise sur laquelle est affichée une liste d’espèces qui les aide à identifier ce qu’ils observent.

Pendant 30 minutes, ils notent tout ce qu’ils voient défiler sous leurs yeux.

On veut que le site ait une grande diversité, puis une grande densité de chaque individu. Ça, c'est le site parfait, souligne Michèle Doucet. On ne veut pas un site où il y a beaucoup de diversité mais très peu d'individus de chaque espèce.

Pendant 30 minutes, les plongeurs notent tout ce qu’ils voient défiler sous leurs yeux.  Photo : Radio-Canada / Manuel Año

Les deux équipes de plongeurs avancent doucement pour éviter de perturber l’environnement sous-marin.

Ils craignent justement qu’en saison touristique, la présence de nombreux plongeurs, dont certains moins expérimentés, ainsi que la pollution et le bruit des bateaux altèrent le milieu.

« On a vu des crabes tomber de là où ils s'étaient attachés sur la roche. Ils ont été déplacés par nos bulles. Ce n'est même pas quelqu'un qui a touché la paroi rocheuse ou qui a donné un coup de palme. »

— Une citation de   Michèle Doucet, chercheuse principale, professeure honoraire, Faculté de médecine vétérinaire, Université de Montréal

Certaines espèces sont faciles à reconnaître, comme la méduse à crinière de lion et la méduse lune.

Les plongeurs voient aussi d'étranges animaux aux formes arrondies fixés aux rochers : des pêches de mer.

Plus loin, ils aperçoivent un chaboisseau bronzé, une crevette rouge du nord et un crabe araignée.

Et la championne toute catégorie dans l’art du camouflage est une plie rouge, dont les couleurs changent pour se fondre avec celles de l’environnement.

Un homard américain. Photo : Radio-Canada / Manuel Año

Un homard américain tente d’échapper aux regards en faisant un plongeon spectaculaire, tandis que des crabes et un chaboisseau se réfugient dans les fonds marins.

Le recensement est terminé et les plongeurs remontent à la surface. L’air satisfait de la cheffe de mission en dit long.

« Ça a été une superbe plongée! On remarque l'apparition des poissons. On a vu plein d'espèces : des gros chaboisseaux, beaucoup de tanches. Des morues juvéniles sont apparues également. Il y a moins d'oursins qu'en juin, donc on a hâte à l'année prochaine pour voir si cette séquence-là va se répéter. »

— Une citation de   Marie-Pierre Lessard, directrice de la conservation à l’Aquarium du Québec

De retour sur la terre ferme, les plongeurs doivent maintenant valider les espèces observées sous l’eau, les compter et colliger les informations dans une banque de données.

En juin 2023, ils avaient documenté la présence d’une cinquantaine d’espèces autour de l’île Bonaventure.

Le relevé de l’automne doit permettre d’évaluer s’il y a des écarts importants au terme de la saison de plongée récréative.

Les scientifiques notent également des facteurs susceptibles de perturber le milieu sous-marin, comme le réchauffement de l’eau et les tempêtes. Et ils évalueront si la pause hivernale donne un répit à l’écosystème.

Ici, on a l'hiver. On n’a pas le choix d'avoir une période de repos pour les sites de plongée, contrairement à plein d'endroits, dans le sud, où les gens vont plonger à l'année longue, fait remarquer Marie-Pierre Lessard. On veut voir si la période de repos, durant l'hiver, est assez grande pour permettre au milieu de se régénérer.

Zodiac avec l’île Bonaventure.
D’ici 2027, les chercheurs auront une idée précise de la santé des écosystèmes marins autour de l’île Bonaventure. Photo : Radio-Canada / Pier Gagné

Mesures de protection envisagées

Les travaux de recherche s’échelonneront sur cinq ans.

Si les chercheurs confirment des corrélations entre l'achalandage des sites de plongée et la dégradation de leur biodiversité, ils proposeront des mesures de protection aux gestionnaires du parc. Ils pourraient par exemple recommander de réduire le nombre de plongeurs à certains endroits, de limiter la durée des plongées, voire de fermer temporairement un site si cela s’avère nécessaire.

De telles restrictions risquent de soulever du mécontentement au sein des clubs de plongée. Mais elles pourraient s’avérer essentielles pour préserver la beauté et la diversité des lieux et permettre aux plongeurs d’en profiter encore longtemps.

Ils ont à perdre de toute façon si les sites se détériorent, fait remarquer Michèle Doucet. Comme dans n'importe quel domaine du tourisme, il faut protéger ce qui attire les gens. C'est important parce que dès qu'un site se détériore, ça peut prendre plusieurs années avant qu'il ne reprenne sa place.

Le reportage de France Beaudoin et de Pier Gagné présenté à l'émission « La semaine verte » Photo : Radio-Canada / Manuel Año / ProdAqua

Photos de Pier Gagné, Manuel Año, Julie Ouimet et Rémi Canton

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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