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Un footballeur et la force d’un village

Un footballeur et la force d’un village

On dit qu’il faut un village pour élever un enfant. C’est aussi vrai pour un joueur de football. Premier Québécois à se joindre à la prestigieuse Université de l’Alabama, Steve Bolo Mboumoua semble avoir été sculpté pour soulever de terre quiconque se trouve devant lui. Son histoire improbable, qui pourrait le mener dans la NFL, est aussi celle de toute une communauté.

Un texte de Guillaume Piedboeuf Photographies par Pascal Ratthé

Publié le 22 février 2024

Il règne une fébrilité anormale en ce matin de décembre au Campus Notre-Dame-de-Foy (CNDF). Dans l’amphithéâtre du petit cégep privé de Saint-Augustin-de-Desmaures, en banlieue de Québec, on s’active depuis déjà quelques heures. Une table sur laquelle jonchent trois casquettes a été installée sur la scène. Les caméras sont prêtes pour la diffusion en direct.

Dans le hall adjacent, il est impossible de manquer la vedette du jour malgré la petite foule qui s'est agglutinée autour de lui à son arrivée. À 1,93 m (6 pi 4 po) et 127 kg (280 lb) de muscles, Steve Bolo Mboumoua est du genre qu’on remarque au premier regard.

Un homme en complet serre une femme dans ses bras.
Steve Bolo Mboumoua et sa famille  Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

Il ne l’a dit à presque personne, mais l’ailier défensif a pris sa décision il y a déjà des mois. Courtisé de toutes parts aux États-Unis, il se joindra à la plus prestigieuse équipe d'entre toutes : le Crimson Tide de l'Université de l’Alabama.

Steve n’a pas dormi de la nuit à l’idée de l’annoncer officiellement. Pour lui, c’est la fin d’un tourbillon dans lequel il a été emporté après une tournée de camps d’entraînement aux États-Unis, l’été dernier.

Depuis, le légendaire Nick Saban, l’entraîneur-chef le plus titré de l’histoire du football universitaire américain, l’a invité à revenir en Alabama à quelques reprises. Il l’a reçu à son bureau et à souper chez lui. Il a multiplié les appels et les petites attentions. Rien n’a été laissé au hasard pour lui faire la cour. Du jamais vu pour un joueur du Québec.

Saban est vraisemblablement à l’écoute, à quelque 2000 kilomètres de Saint-Augustin-de-Desmaures, au moment où Steve s’installe sur la scène avec sa mère, son beau-père, son frère et ses sœurs. La plus jeune est dans ses bras et elle essaie d’abord les casquettes des universités de la Floride et de Mississippi State avant d’en poser une troisième de ton cramoisi sur sa tête.

Je vais amener mon talent et poursuivre mon parcours à l’Université de l’Alabama, confirme Steve à la caméra alors qu’une imposante foule rassemblée derrière lui explose de joie. On y retrouve des coéquipiers du Notre-Dame et des Béliers de la Polyvalente Montignac, mais aussi ses entraîneurs et ses enseignants du secondaire.

S’il est là aujourd’hui, dit-il, c’est grâce au travail à la chaîne de tous ces gens qui ont cru en lui, un jeune Camerounais débarqué dans une communauté rurale de l’Estrie au début de l’adolescence.

Et aussi grâce au véritable travail à la chaîne de sa mère Jeanne, à l’usine Masonite de Mégantic, de jour comme de nuit, pour offrir à ses enfants une vie meilleure.

Une mère épuisée que Steve a maintes fois surprise à pleurer en cachette. Et à qui il a promis, adolescent, qu’il allait la rendre fière.

Il se tient debout devant une armoire vitrée avec des chandails de football.
Steve Bolo Mboumoua dans son ancienne polyvalente à Mégantic Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

L’inarrêtable Bélier
L’inarrêtable Bélier

Avant Steve l’ailier défensif vedette du Notre-Dame, il y avait Steve le chacal, l’inarrêtable porteur de ballon des Béliers de Montignac au football secondaire à 9 contre 9.

Il a fait des touchés à n’en plus finir. Il avait 4-5 joueurs sur lui et il continuait à courir, dit le responsable du programme du football à la Polyvalente Montignac, Yannick Thibault. Si tu essayais de le frapper au niveau des hanches ou des épaules, c’était fini. Tu tombais sur le dos.

Un homme pose sa main sur l'épaule d'un autre homme en signe d'affection.
Le responsable du programme du football à la Polyvalente Montignac, Yannick Thibault, avec Steve Bolo Mboumoua Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

Lors d’une journée portes ouvertes au CNDF, il y avait trois joueurs de Donnacona qui avaient affronté Steve au secondaire. Ils le regardaient comme une idole, relate pour sa part Sébastien Lévesque, l’ancien porteur de ballon du Rouge et Or qui a recruté Mboumoua pour le Notre-Dame.

« Ils racontaient un match où Steve s’était fait plaquer dans les jambes, l’un de ses souliers était tombé, mais il avait continué à courir avec des jeunes qu’il traînait sur son dos. C’était comme dans les films. »

— Une citation de   Sébastien Lévesque, ancien porteur de ballon du Rouge et Or

On pourrait croire que ces récits quasi herculéens ont été un peu embellis avec le temps, mais le tout est encore immortalisé sur YouTube, dans un montage des meilleurs jeux du porteur de ballon (Nouvelle fenêtre).

Je l’ai regardé déjà 83 fois et je compte bien me rendre à 100. Quand Steve cogne, ça tombe, lance tout sourire la mère de l’athlète, Jeanne Belinga.

Le footballeur Steve Bolo Mboumoua a joué pour le Notre-Dame du Campus Notre-Dame-de-Foy. Photo : Radio-Canada

Comment son fils, un natif de Yaoundé, s’est-il retrouvé sur les terrains de football de l'Estrie? L’histoire commence par la séparation de Jeanne et du père de Steve. Elle a décidé de traverser l’Atlantique vers une nouvelle vie à Mégantic. Je ne savais pas où j’allais. Je n’allais pas amener mes enfants avec moi, relate-t-elle.

D’abord restés au Cameroun avec leur père, un mordu de soccer qui a initié tous ses enfants au ballon rond, Steve, son frère et sa soeur rejoignent leur mère au Québec à la fin du mois d'octobre de 2016.

L’année scolaire est déjà commencée quand les enfants arrivent à la Polyvalente Montignac. Non seulement le froid humide de l’automne québécois tranche avec la chaleur camerounaise, mais à leur entrée à l’école, tous les élèves sont costumés pour l’Halloween. Mes enfants ne comprenaient pas et ils trouvaient que ça faisait peur, raconte Jeanne en riant.

Yannick Thibault garde un souvenir différent de cette première journée. Celui qui est aussi éducateur physique était dans le gymnase de l’école quand la famille Mboumoua a fait sa visite.

Steve devait faire à peu près 6 pieds et peser 190 livres. Dans ma tête, je me disais : "Il doit avoir 16 ou 17 ans. Il a l’air d'un athlète. On va être capable de faire quelque chose avec lui dans notre équipe juvénile", indique le responsable du programme de football des Béliers.

« Quand il m’a dit qu’il avait 12 ans, je lui ai dit : "OK, toi et moi, on va devoir se parler." »

— Une citation de   Yannick Thibault, responsable du programme de football des Béliers de la Polyvalente Montignac
Mboumoua porte un casque de football sur un terrain à côté de son ancien entraîneur.
Steve Bolo Mboumoua a fait la pluie et le beau temps avec les Béliers sous la supervision de Yannick Thibault. Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

La saison étant déjà presque terminée, il faut attendre l’automne suivant pour que l'entraîneur invite Steve à venir essayer le football.

Pour le jeune adolescent, comme pour tous les Camerounais, le mot football désigne le soccer. C’est donc avec ses souliers à crampons et ses protège-tibias qu’il se présente à un premier entraînement sur le terrain de la polyvalente.

C’est un petit malentendu qui a changé ma vie, mais je pense que Yannick savait ce qu’il faisait, dit Steve.

Il a pogné un deux minutes quand il a vu les casques et les épaulettes. En plus, il s’était cassé la cheville en jouant au soccer durant l’été, mais il ne l’avait dit à personne. Il boitait tellement, explique son ancien entraîneur.

Ce dernier doit user de persuasion pour que Steve demeure dans l’entourage de l’équipe durant l’automne, même s’il soigne sa blessure. Comme le jeune homme est plus fort que tout le monde, on lui apprend tranquillement les rudiments de la position de joueur de ligne offensive.

Ce n’est qu’à l’aube des éliminatoires, une fois Steve remis à 100 %, que ses entraîneurs ont l’idée de l’essayer comme porteur de ballon.

Je suis arrivé à la pratique et coach Yannick m’a dit de prendre la balle et d'essayer de courir jusque dans la zone des buts. Je ne savais pas ce que je faisais, je savais juste que j’étais plus vite que tout le monde, relate le footballeur.

« Au niveau benjamin, contre des joueurs de 12-13 ans, c’était quelque chose. C’était magique. »

— Une citation de   Yannick Thibault

Tout de suite, Steve est le meilleur joueur sur le terrain. Il guide son équipe à la victoire en demi-finales, puis en finale contre un adversaire qui avait facilement vaincu les Béliers plus tôt dans la saison.

À la Polyvalente Montignac, le phénomène Mboumoua vient de naître.

Un bûcheron se repose.
Steve Bolo Mboumoua Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

Le bûcheron camerounais
Le bûcheron camerounais

Manteau orange à bandes fluorescentes sur le dos, casque sur la tête, Steve Bolo Mboumoua plante sa scie à chaîne dans le tronc d‘un arbre déjà abattu sur la terre à bois de son beau-père. Détenteur d’un diplôme en abattage et débardage forestier, il y a longtemps qu’il a enfilé ses habits de bûcheron.

Les entraîneurs de l’Université de l’Alabama ont été amusés d’apprendre, cet automne, l’ancien domaine d’études de leur futur ailier défensif. Ils étaient surpris, mais en même temps, c’est un classique québécois. Ils m’ont dit : "OK, tu es vraiment un Québécois de souche", confie Steve, sourire en coin.

En le regardant empoigner un immense billot et le poser sur son épaule avec aisance, il est vrai que le Camerounais d’origine a de quoi rappeler les hommes forts des camps de bûcherons de la fin du 19e siècle. Des hommes comme Louis Cyr qui forgeaient leur musculature à grands coups de hache.

Il porte sur son épaule un billot de bois. On voit de la fumée rose derrière lui.
Steve Bolo Mboumoua n'a aucune difficulté à transporter des billots de bois. Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

Sauf que Steve n’affectionne pas particulièrement la forêt et encore moins le froid. Il aime faire tomber des adversaires, pas des arbres. S’il s’est improvisé bûcheron, c’est pour continuer à jouer au football.

À son arrivée au Québec, le jeune immigrant est sérieusement freiné dans son parcours scolaire. La manière d’enseigner, les mots utilisés et même le cursus sont différents au Cameroun et au Québec, explique sa mère, mais Steve a sa part de responsabilité.

« Je n'avais pas de misère à l’école. J’ai juste négligé les tests de mise à niveau en arrivant à la polyvalente et je me suis retrouvé plusieurs années scolaires derrière les jeunes de mon âge. En secondaire 3, je faisais encore des cours de sixième année et je ne faisais pas d’efforts. »

— Une citation de   Steve Bolo Mboumoua, ailier défensif de l'Université de l'Alabama

Tout cela dure jusqu’à la fin de sa première véritable saison de football. Une saison suffisamment dominante pour que Yannick Thibault décide de l’inscrire, l’été venu, au camp d'évaluation d’Équipe Québec.

Jeanne Belinga n’a ni le temps ni l’argent pour conduire son fils à Montréal chaque fin de semaine, mais l'entraîneur-chef des Béliers se porte volontaire pour le faire. Il est ainsi aux premières loges pour constater que, même parmi l’élite de la province, son jeune protégé se démarque.

Muté à une nouvelle position sur la ligne défensive en raison de son physique imposant, Steve ne comprend pas trop ce qu’il fait, surtout qu’il n’a jamais joué au football à 12 contre 12. Peu importe, il domine. Il est de la formation en vue du Défi de l’est du Canada, où il est nommé le joueur par excellence de l’équipe en défense.

Au retour du footballeur à Mégantic, Yannick sent le besoin de le prendre à part.

« Je lui ai dit que s’il était sérieux dans ses études et dans son entraînement, il avait une chance de se rendre chez les professionnels. Moi, je parlais des Alouettes, mais lui a tout de suite pensé à la NFL. »

— Une citation de   Yannick Thibault

Pour Steve, ce qu’il vient de vivre est une illumination. J’ai compris à ce moment-là que, pour continuer à jouer au football, j’allais devoir aller au cégep. Je suis allé voir les profs et ils m’ont expliqué ce qu’il fallait que je fasse. C’était un peu tard, mais mieux vaut tard que jamais.

Le plan pour compléter l’équivalent de cinq années scolaires en deux ou trois ans n’est pas simple. Le footballeur quitte l’adaptation scolaire pour s’inscrire à l’éducation aux adultes, mais il doit également terminer un diplôme d’études professionnelles (DEP).

La formation en abattage et débardage forestier est donnée à son école secondaire, ce qui lui permettra de continuer à jouer au football avec les Béliers.

Je n’aimais pas ça, mais j’ai vraiment pris ça comme un entraînement. Quand je bûchais et je soulevais des affaires, je me visualisais sur un terrain de football, décrit l’ailier défensif.

« Le matin, je me levais pour aller courir, ensuite j’allais à l’école, ensuite j’allais travailler. Le soir, j’allais à l’école aux adultes et il fallait que j’aille au gym aussi. Pendant trois ans, ça a été ça, matin, midi, soir. »

— Une citation de   Steve Bolo Mboumoua

Sa mère s’en souvient comme d’une époque où son fils n’avait quasiment pas de vie, mais rien n’allait le faire déroger de son but d’entrer au cégep. Il allait à l’école même l’été. Il ne se reposait pas et ça me déchirait le cœur, mentionne Jeanne.

L’inverse est aussi vrai. Outre sa future carrière de footballeur, ce sont les longues heures travaillées par sa mère qui motivent Steve à redoubler d’ardeur.

Je travaillais de jour, de soir et de nuit pour être capable de payer pour mes enfants, pour qu’ils puissent faire du sport. Je revenais de journées de 12 heures à l’usine Masonite et j’allais pleurer en cachette, mais Steve me voyait. Je pense que c’est à ce moment qu’il s'est dit : "Je ne veux pas voir ma mère pleurer toute ma vie", ajoute-t-elle.

Son fils se rappelle aussi très bien ce moment.

« Je lui ai promis que j’allais la rendre fière. Je ne savais pas encore comment ou dans quel domaine, mais j’allais le faire. »

— Une citation de   Steve Bolo Mboumoua
Un joueur de football en bleu assis sur un banc, son casque à côté de lui
Steve Bolo Mboumoua et sa famille  Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

Le rêve américain
Le rêve américain

Il a fallu trois ans, mais Steve a finalement obtenu les crédits nécessaires pour entrer au cégep. Il a choisi le CNDF parce que le courant passait bien avec les entraîneurs. De plus, l’encadrement et l’esprit de famille de ce petit campus étaient à l’image de ce qu’il avait connu à la Polyvalente Montignac. Comme de fait, il n’a plus eu de difficultés scolaires.

Convaincu par ses entraîneurs d’adopter la position d’ailier défensif, l’athlète format géant n’a pas eu besoin d’une longue adaptation.

La première fois que je l’ai vu avec Équipe Québec, il avait l’air d’un homme avec des enfants. Et encore aujourd’hui, c’est le cas. C’est assez incroyable, dit l’entraîneur-chef du Notre-Dame, Marc-André Dion.

La saison recrue du Québécois d’adoption culmine sur une défaite du Notre-Dame contre les Titans de Limoilou en finale du Bol d’Or 2022. Steve est impérial durant le match, amassant deux sacs du quart et forçant deux échappés contre la meilleure ligne offensive de la province.

Il s'apprête à faire un plaqué.
Steve Bolo Mboumoua en action avec le CNDF Photo : Gracieuseté : Campus Notre-Dame-de-Foy

Marc-André Dion est bien conscient qu’il a un talent unique entre les mains. Un joueur d’un calme olympien dans le vestiaire, menant une vie de moine en dehors du terrain, mais capable d’une formidable violence lorsqu’il enfile des épaulettes.

Il doit en toute logique poursuivre son parcours avec les meilleurs dans une université américaine.

Le printemps suivant, un dénommé Jean Guillaume est invité par le Notre-Dame pour épier Steve et quelques-uns de ses coéquipiers. L’entraîneur d’Ottawa possède un vaste réseau de contacts au sud de la frontière et il est tout de suite convaincu du potentiel de l'ailier défensif. Il lui propose de participer à deux grands camps d’évaluation au Michigan et en Georgie, en juin, devant des représentants de dizaines de programmes de la NCAA.

Marc-André Dion est aussi du voyage et il constate que, même aux États-Unis, Steve est plus gros et plus fort que tout le monde sur le terrain.

« Un joueur de 6 pieds 4 pouces et 280 livres qui court 40 verges en 4,7 secondes et qui peut pousser 20 fois 225 livres au bench press, ce sont des mensurations et des chiffres qu’on voit dans la NFL. »

— Une citation de   Marc-André Dion, entraîneur-chef du Notre-Dame
Deux hommes rigolent en se serrant la main.
L'entraîneur-chef du CNDF, Marc-André Dion, avec Steve Bolo Mboumoua Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

À peine Steve a fini une première journée de camp que, déjà, quelques-unes des meilleures équipes du nord des États-Unis lui offrent une bourse d’études et une place dans leur équipe. Les universités Penn State et du Minnesota sont notamment en lice.

Dans la NCAA, les matchs les plus relevés sont toutefois ceux de la Southeastern Conference. Les puissantes universités du sud du pays ne recrutent presque jamais au Canada, mais Jean Guillaume a des raisons de croire que Steve sera l’exception.

« Des joueurs de ligne défensive avec ses capacités physiques, c’est tellement rare que les universités sont prêtes à aller au-delà des frontières. Mais les gros programmes du Sud, il faut aller les voir. »

— Une citation de   Jean Guillaume, entraîneur de football d'Ottawa
Il donne un ballon de football à l'homme assis à ses côtés.
Jean Guillaume et Steve Bolo Mboumoua Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

Après une courte pause au Québec, Steve retourne donc aux États-Unis pour un éreintant séjour de quatre camps en quatre jours dans trois États. Avec lui, Jean Guillaume et ses entraîneurs du CNDF, mais également Yannick Thibault, son ancien mentor de Mégantic.

Les journées sont longues et physiques. Celles passées aux universités du Tennessee et Auburn ne mènent à rien, mais à Mississippi State, le Québécois se voit offrir une bourse d’études. Blessé à une cheville, il appelle sa mère le soir même. Il n’a plus rien à donner. Il veut rentrer, mais une autre journée de camp est encore à l’horaire.

En Alabama, c’était un long shot. En début de journée, Steve n’arrivait pas à montrer l’étendue de son talent. Quand sont arrivés les 1 contre 1, on s’est tous mis à crier derrière lui pour le provoquer, relate Marc-André Dion.

Cette fois, la force de l’ailier défensif ne fait aucun doute. Une petite foule d'entraîneurs et de joueurs actuels du Crimson Tide se forme pour regarder le tout. Puis Nick Saban débarque sur le terrain pour voir le phénomène de ses propres yeux.

Gagnant de sept championnats nationaux universitaires, celui que tout le monde surnomme le Boss en Alabama a mis en place dans les 15 dernières années la plus formidable machine de recrutement de talent de la NCAA. Pas moins de 123 de ses joueurs ont été sélectionnés au repêchage de la NFL, dont 44 au premier tour. Il est à quelques mois de la retraite, mais personne n’est encore au courant et le principal intéressé n’a pas l’intention de laisser le Crimson Tide le bec à l’eau.

Quand vient le tour de Steve, ses entraîneurs lui hurlent que c’est le moment de tout donner. Il a explosé le joueur de ligne offensive devant lui, indique Marc-André Dion.

La victime en question en perd son casque qui roule jusqu’aux pieds de Saban.

« Moi, je ne savais pas vraiment qui était Nick Saban. J’ai ramassé le casque et je lui ai dit : "Sup coach?" »

— Une citation de   Steve Bolo Mboumoua

Quelques minutes plus tard, un responsable du camp vient l’informer qu’il peut enlever ses épaulettes, sa journée est terminée. Il craint d’avoir été retranché, mais on le fait plutôt monter au bureau de l'entraîneur-chef.

Ils posent avec Nick Saban dans son bureau
Steve Bolo Mboumoua (deuxième à gauche) et son entraîneur Marc-André Dion (à droite) ont été reçus par Nick Saban à l'Université de l'Alabama.  Photo : Fournie par Steve Bolo Mboumoua

Sur les 460 joueurs sur place, seulement 3 sont tombés dans l'œil de Saban. Il ne leur offre pas une bourse d’études sur le champ. Il veut les recruter, mais il souhaite d’abord les voir lors d’un match sur vidéo.

Nick Saban a regardé un match CNDF-Lennoxville avant d’offrir à Steve une bourse d’études, souligne avec fierté Marc-André Dion.

Lorsqu’il reçoit l’appel de l'entraîneur-chef du Crimson Tide qui confirme la chose, au début de l’automne, Steve est sans mot. Il veut seulement raccrocher et appeler sa mère. Quelques mois plus tard, elle est avec lui pour sa visite officielle en Alabama.

Ils ont envoyé un gros char nous chercher à l’aéroport. Notre chambre était décorée de photos de Steve. On nous servait même des gâteaux avec la face de Steve, décrit Jeanne Belinga, encore enthousiasmée par son voyage.

« Nick Saban nous a invités à souper et lui et sa femme jouaient avec ma petite fille. Je regardais le monsieur qu’on voit à la télé danser le ballet avec mon bébé. »

— Une citation de   Jeanne Belinga, mère de Steve Bolo Mboumoua

Steve fait finalement deux voyages à Tuscaloosa pour assister à des matchs de l’équipe, en plus de parler avec l'entraîneur de la ligne défensive chaque semaine. Rapidement, sa décision est prise, il ne reste qu’à l’annoncer.

Si on veut devenir le meilleur, il faut jouer avec les meilleurs, dit-il.

Ils acclament un homme en complet bleu dans un autobus.
Steve Bolo Mboumoua est entouré de sa famille et d'amis dans un autobus. Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

La fierté de Mégantic
La fierté de Mégantic

Dans le hall d’entrée de la Polyvalente Montignac, une centaine d’élèves sont réunis en attente de celui qui, il y a quelques années, marchait dans les mêmes corridors qu’eux. Ils trépignent d’impatience de revoir celui qu’ils ont vu à la télévision, la veille, annoncer son choix d’université.

Steve termine une semaine folle où il a aussi dû passer les derniers examens le séparant de son inscription à l’université après seulement un an et demi de cégep. À quelques jours de son départ pour l'Alabama, il fait un dernier détour par son ancienne polyvalente.

On l’a prévenu qu’une petite foule l’attendait, mais le jeune footballeur semble surpris de l’ovation qui lui est réservée à son arrivée. Des gilets du Crimson Tide ont été accrochés à un babillard devant lequel on fait déjà la file pour des photos avec le héros du jour. Des jeunes demandent des autographes. Des enseignants viennent enlacer leur ancien étudiant.

Steve a peu dormi et presque rien mangé dans les 36 dernières heures, mais il se prête à l’exercice en souriant.

« Il y a tellement de personnes ici qui ont cru en moi et qui m’ont donné les outils pour réussir. Je voulais leur montrer qu’ils n'ont pas perdu leur temps avec moi. »

— Une citation de   Steve Bolo Mboumoua

Un peu à l’écart, Yannick Thibault observe avec fierté son ancien protégé. Dans une vitrine derrière lui, le nom Mboumoua est partout sur les trophées remis chaque année aux meilleurs joueurs de football de la polyvalente.

Il regarde des trophées dans une armoire vitrée.
Steve Bolo Mboumoua dans son ancienne école secondaire Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

Les trophées sont surplombés des gilets de cinq immortels Béliers décédés dans le tragique accident de train de 2013 qui a laissé des cicatrices indélébiles à Mégantic.

On vit encore avec ça tous les jours et le mémorial se veut une façon de se rappeler nos anciens joueurs qui sont décédés dans la tragédie, déclare le responsable du football de la polyvalente.

Dans la mémoire populaire, ajoute-t-il, la ville demeure associée à cet accident.

« Mais quand Steve a annoncé qu’il allait en Alabama, tout le Québec a entendu parler de Mégantic pour les bonnes raisons. »

— Une citation de   Yannick Thibault
Deux hommes discutent sur un terrain de football.
Steve Bolo Mboumoua avec son ancien entraîneur Yannick Thibault Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

Le succès de l’ailier défensif, note Yannick Thibault, est celui de toute une communauté. Quand Steve était au secondaire, sa mère m’a dit : "Je te confie mon fils, à toi et à Dieu." J’ai pris ça comme un honneur. Ici, on est tissés serré, indique-t-il.

Quand Steve a eu besoin d’argent pour les camps aux États-Unis, on a trouvé quelqu’un qui nous l’a avancé. On l’a toujours aidé et il est très reconnaissant de ça. Il n’oublie pas d’où il vient et il sait qu’on va toujours être là pour lui. Il est merveilleux, cet enfant-là.

Un homme avec ses épaulettes de football seul sur un terrain.
Steve Bolo Mboumoua Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

Le rêve de la NFL
Le rêve de la NFL

Il y a déjà plus d’un mois que Steve Bolo Mboumoua est arrivé à l’Université de l’Alabama. Un mois mouvementé vu la retraite de Nick Saban et la nomination de son successeur, Kalen DeBoer, qui venait de guider les Huskies de Washington à la finale du championnat national.

Le changement d'entraîneur a mené certains joueurs à immédiatement changer leur choix d'université. Ce n’est pas le cas de Steve. Peu importe qui est responsable, il a l’intention de gagner son temps de jeu sur la ligne défensive du Crimson Tide.

« Avant d’arriver au CNDF, je jouais au football sans nécessairement savoir ce que je faisais. Il va falloir que je travaille plus fort que les autres, que je travaille en silence. »

— Une citation de   Steve Bolo Mboumoua

Ses nouveaux coéquipiers l’ont bien prévenu. Les matchs au stade Bryant-Denny devant 100 000 personnes sont une partie de plaisir. Les entraînements quasi militaires dans la chaleur de Tuscaloosa, beaucoup moins. C’est une constante compétition en interne entre des athlètes qui veulent poursuivre leur carrière dans la NFL.

Moi, j’ai toujours aimé la compétition. Je viens de Yaoundé, j’aime ça quand c’est épicé, lance le colosse en souriant de toutes ses dents.

Il est effectivement natif du Cameroun, mais il sait qu’il représente désormais aussi le Québec. Il pourrait ouvrir une porte pour les joueurs d’ici qui viendront après lui.

« Au camp d’évaluation, les autres gars m'appelaient M. Canada et ce n’était pas positif. Comme Canadien, on est toujours sous-estimés, mais je me suis arrangé pour qu’ils se souviennent de mon nom. »

— Une citation de   Steve Bolo Mboumoua

S’il réussit le même tour de force dans sa nouvelle équipe, son avenir pourrait bien être dans la NFL. Ce rêve lointain de tout jeune footballeur semble soudainement plus accessible que jamais pour Steve Bolo Mboumoua.

Ils prennent une photo de groupe sur un terrain de football.
Steve Bolo Mboumoua avec sa famille et ses proches Photo : Radio-Canada / Pascal Ratthé

Le plus difficile reste à faire, mais tous ceux qui ont côtoyé l’ailier défensif depuis son adolescence préviennent de ne pas parier contre lui. Il a appris il y a longtemps que rien ne lui était dû. Le bûcheron camerounais s’amène en Alabama avec ses bottes de travail.

L’avenir dira si sa place est dans la NFL, mais Steve a l’intention de décrocher un diplôme d’ici là. En acceptant sa bourse d’études, le 20 décembre, il est devenu le premier membre de sa famille à atteindre l’université.

Il a tenu promesse. Sa mère a pleuré des larmes de fierté.

Un document réalisé par Radio-Canada Sports

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