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Le secteur forestier québécois n’est pas sorti du bois

Le secteur forestier québécois n’est pas sorti du bois

L'industrie forestière traverse une période difficile à la suite des grands incendies de l’été et elle redoute une érosion des prix du bois d'œuvre, qui – fait rare par les temps qui courent – échappent à l’inflation.

Texte et photos par Vincent Rességuier

Publié le 8 octobre 2023

Depuis quelques semaines, c'est l'effervescence dans la forêt brûlée des environs de Normétal, en Abitibi. Des camions-bennes font des allers-retours incessants pour acheminer du gravier.

Les travailleurs sylvicoles ont besoin de chemins d'accès pour récolter le bois calciné.

On arrive très sales le soir. Très, très, très sales, lance l’entrepreneur forestier Jacky Beaulieu dans un éclat de rire.

La bonne humeur communicative de ce solide gaillard ne semble pas entachée par la pénibilité du travail.

Jacky Beaulieu, entrepreneur forestier.
Jacky Beaulieu est entrepreneur forestier pour Chantiers Chibougamau. Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Avec son équipe, il doit porter une grande attention à l'entretien des machines à cause de la cendre et de la suie. Le nettoyage des filtres à air s’effectue quotidiennement, comparativement à deux ou trois fois par semaine en temps normal.

Les activités se font tout de même à un rythme soutenu.

La récolte du bois vert a été suspendue pendant les incendies, puis il a fallu se concentrer sur les arbres brûlés.

Insectes ravageurs

Trou de longicorne, forêt de Normétal, Abitibi
Ce trou est l'entrée d'une galerie creusée par un longicorne, un coléoptère qui s'attaque aux arbres carbonisés. Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Depuis, c'est la course contre la montre pour ramasser le bois mort, dont la qualité est menacée par les insectes.

En tendant l'oreille, on peut entendre les longicornes qui creusent des galeries dans les troncs, un son de rabotage constant qui laisse deviner l’efficacité du labeur de cet insecte d’environ deux centimètres.

Les coléoptères se préparent un nid pour hiverner et laissent au pied des arbres de la sciure claire qui contraste avec l'environnement couleur charbon.

De la sciure de longicornes.
La sciure générée par les longicornes.  Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Dans quelques semaines, ils vont s'endormir et ne recommenceront à creuser qu’au printemps.

D’ici là, les travailleurs sylvicoles ont pour mission de ramasser le maximum de bois.

Il sera ensuite trop tard, en particulier pour les pins gris. Les galeries seront trop nombreuses et trop profondes.

Inquiétudes autour du prix du bois d'œuvre

Des planches de bois dans une scierie.
La scierie de Chantiers Chibougamau à La Sarre va recevoir de grandes quantités de bois brûlé au cours des prochaines semaines. Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Dans les prochains mois, le bois de construction portera d'ailleurs les stigmates laissés par ces squatteurs à six pattes.

Ces imperfections n'altèrent pas la solidité des pièces de bois, assure Frédéric Verreault, directeur du développement commercial chez Chantiers Chibougamau, une entreprise qui possède quatre usines au Québec.

En revanche, il s'attend à devoir sensibiliser les consommateurs pour éviter qu’ils ne soient rebutés par l’apparence des deux-par-quatre et d'autres pièces de bois.

Espérons que les consommateurs ne lèveront pas le nez comme ils peuvent le faire sur des tomates qui sont un peu maganées mais toujours bonnes, dit M. Verreault tout en soulignant qu’il s'agit aussi d’une question de solidarité avec l’industrie locale.

Portrait de Frédéric Verreault.
Frédéric Verreault, directeur général du développement commercial chez Chantiers Chibougamau. Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Cette réalité pourrait encore faire baisser le prix du bois d'œuvre, qui a joué aux montagnes russes ces dernières années.

Sa valeur est revenue à peu près au même niveau qu'avant la pandémie après avoir connu des hausses vertigineuses aux printemps 2021 et 2022. Le bois de construction était alors de trois à quatre fois plus cher qu'aujourd'hui.

Un tas de bois brûlé récolté.
Un tas de bois brûlé récolté dans le secteur de Normétal. Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

L’arrivée massive de bois brûlé dans les scieries pourrait également tirer les prix vers le bas, d'autant que la demande est plutôt à la baisse dans le marché nord-américain de la construction.

Professeur à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Osvaldo Valeria estime que près de 30 millions de mètres cubes de bois ont été incendiés au Québec en 2023. Si tout va bien, l’industrie pourrait récupérer cinq millions de mètres cubes, estime-t-il.

Quoi qu’il en soit, il va y avoir de grandes quantités de matière première sur le marché l’an prochain et le prix va fort probablement baisser, avance-t-il.

Osvaldo Valeria avec des étudiantes.
Osvaldo Valeria montre à ses étudiantes les rapports des images satellites concernant les feux de forêt dans le secteur de Normétal. Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Il y a de nombreux facteurs qui entrent en compte, nuance Marie-Ève Sigouin, la présidente de l’Association forestière de l’Abitibi-Témiscamingue. Elle reconnaît toutefois que c’est un facteur supplémentaire et qu’un dumping sur le marché pourrait être néfaste.

Les prix sont déjà un immense caillou dans le soulier, déplore Frédéric Verreault, qui ne veut pas s'aventurer à faire des prédictions tant le marché est imprévisible.

Selon ses calculs, une pièce qui générait 10 $ de revenu il y a un an ne rapporte plus que 2,50 $ aujourd’hui.

« On va attendre de voir les taux d'intérêt, les constructions de maisons neuves, la confiance des consommateurs, et espérer que le printemps 2024 sera plus normal. »

— Une citation de   Frédéric Verreault, entrepreneur forestier pour Chantiers Chibougamau

On est dans un creux de vague : on va appeler un chat "un chat", reconnaît Louis Bouchard, porte-parole de Produits forestiers Résolu. Il espère malgré tout que l’industrie sera en mesure de récupérer de grandes quantités de bois.

Rien n’est totalement joué, assure-t-il : la récolte commence à peine et ses équipes évaluent encore les répercussions du feu et des insectes sur la qualité de la ressource.

Des deux-par-quatre dans une scierie.
Le bois de construction portera des marques laissées par les insectes au cours des prochains mois. Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Inquiétude pour la main-d'œuvre

Quoi qu’il en soit, il faudra que les travailleurs forestiers demeurent mobilisés. Rien n’est acquis sur ce terrain non plus.

Il manque de main-d'œuvre et les travailleurs pourraient se décourager à cause de la cendre et de la suie, s’inquiète Marie-Ève Sigouin.

Les derniers mois ont été difficiles et l'avenir s'annonce incertain, convient-elle. Les entreprises sont fragilisées par l’inflation, notamment à cause du prix du carburant.

« Il y en a beaucoup qui ont jeté la serviette. On voit beaucoup de machinerie à vendre. Il y a une crise dont on ne connaît pas encore l'ampleur. »

— Une citation de   Marie-Ève Sigouin, présidente de l’Association forestière de l’Abitibi-Témiscamingue
Une zone où tout le bois a été récolté.
Le bois a été récolté dans cette ancienne forêt ravagée par les flammes dans le secteur de Normétal. Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Au mois de juillet, le gouvernement Legault a accordé une aide financière de 50 millions de dollars aux entreprises paralysées par les feux de forêt.

De nombreux travailleurs sylvicoles se sont retrouvés en arrêt de travail à cause des incendies, une période qui a duré jusqu’à sept semaines pour certains. Plusieurs craignent désormais de ne pas avoir cumulé assez d’heures assurables depuis lors pour avoir droit à des prestations pendant la saison creuse à venir.

Dans ces conditions, Louis Bouchard redoute que des ouvriers choisissent de chercher du travail dans un autre secteur. Il espère un nouveau coup de pouce de la part du gouvernement.

Malgré les soucis que lui causent la suie et l'inflation, Jacky Beaulieu conserve sa bonne humeur. Il espère aussi conserver son équipe, pour le moment complète.

Le défi va être de garder les opérations au maximum, puis de bien traiter nos gars et nos filles et de s'arranger pour les garder, note-t-il.

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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