•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Vous naviguez sur le site Radio-Canada

Début du contenu principal

Réflexions sur un glacier

Réflexions sur un glacier

Texte et photos : Camille Vernet

Publié le 5 octobre 2023

Sur les hauts glaciers de l’Ouest canadien, les scientifiques analysent la réflexion de la lumière sur la glace pour déterminer la vitesse à laquelle sa fonte s'accélère. Dans cet environnement sauvage et isolé, témoin privilégié de la crise climatique, une question hante les esprits : sommes-nous arrivés au bord d’un précipice?

Un hélicoptère au sommet d'un glacier.
Au sommet du glacier Place, des scientifiques analysent la réflexion de la lumière sur la glace pour déterminer la vitesse avec laquelle sa fonte s'accélère. Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Sous le soleil cuisant du mois d’août, quatre scientifiques sont déposés par hélicoptère dans un immense champ de glace. Par moments étincelante, cette couche de glace reflète de moins en moins les rayons solaires, un phénomène qui contribue à accélérer la fonte des glaciers.

Cette année est en voie de devenir l'une des pires en matière de perte de masse glaciaire dans l'Ouest canadien, explique Brian Menounos, professeur à l'Université du Nord de la Colombie-Britannique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'évolution des glaciers.

Vue rapprochée d'un glacier, avec des particules sombres à la surface.
L'assombrissement de la surface des glaciers intensifie leur fonte. Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Partout dans le monde, les glaciers disparaissent rapidement. Pour la troisième année consécutive, Brian Menounos est inquiet de constater l'une des pires périodes de fonte.

« Les scientifiques ont souvent dit que nous glissons sur une pente abrupte. Dans le cas des glaciers de l'ouest du Canada, nous avons littéralement sauté d'une falaise. »

— Une citation de   Brian Menounos, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'évolution des glaciers

Le glacier Place, sur lequel il se trouve, est important, parce qu'il fait partie d'un réseau de glaciers dont l’évolution est mesurée au fil du temps. Depuis 1965, le gouvernement canadien s’intéresse à son état de santé. Comme c’est le cas pour de nombreux autres glaciers, la santé de Place, près de Pemberton, en Colombie-Britannique, décline.

La météo des glaciers
La météo des glaciers

Le bourdonnement d'un avion emplit les montagnes. Armée de piolets et de harnais, l’équipe s'affaire à mesurer l'albédo, c’est-à-dire la réflectivité de la surface, à l'aide d’un spectromètre.

C'est le début d’une course contre la montre : il faut collecter le plus de données possible au moment où cet avion équipé de capteurs hyperspectraux survole le ciel.

L’avion vole comme s’il tondait la pelouse au-dessus de ce glacier à une hauteur donnée, explique Derek Heathfield, le scientifique responsable des technologies géospatiales et de cet aéronef à l'Institut Hakai, un centre de recherche et de protection de la nature.

Cet avion prend des mesures semblables à celles prises au sol, mais sur l'ensemble du glacier, en émettant des centaines de milliers d'impulsions d’énergie par seconde.

Cela ne nous donne pas seulement des points isolés à travers le glacier, mais un inventaire de l'ensemble de la calotte glaciaire, ce qui est vraiment utile, affirme Derek Heathfield.

Les données permettront une meilleure prévision de la fonte des glaces.

Nous recueillons des données de la même manière que les météorologues. Ils ne le font pas simplement pour nous dire qu'un record a été battu. Ces données sont ensuite intégrées dans des modèles afin d'établir les meilleures prévisions, explique Brian Menounos.

Un avenir sombre
Un avenir sombre

Sur le glacier, une couche de particules noires est nettement visible.

Brian Menounos ramasse un fragment au sol et l’étale sur sa main. Ces substances se sont accumulées à la surface. Il s'agit pour l'essentiel de sédiments et de roches provenant du glacier.

Portrait de Brian Menounos tenant des sédiments dans le creux d'une main.
Brian Menounos, professeur à l'Université du Nord de la Colombie-Britannique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'évolution des glaciers, étale sur sa main des sédiments collectés sur le glacier. Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

La principale énergie responsable de la fonte de la neige et de la glace n’est pas la chaleur ambiante, mais la lumière du soleil, explique-t-il. Lorsqu'il y a de la neige fraîche, la surface est très réfléchissante, mais si la surface de la neige et de la glace est sombre, elle absorbe plus d'énergie solaire et accélère la fonte de ces glaciers.

Malheureusement, au fil du temps, la surface des glaciers s’assombrit.

C’est un peu comme quand on porte un chandail dehors l’été, si tu as un chandail noir, il absorbe plus de lumière. Pour le glacier, c'est un peu la même chose. Plus il y a de débris et de poussières qui tombent sur la glace et plus ça absorbe de lumière, explique Charlie Bourque.

C’est un cercle vicieux dont l’impact reste à déterminer.

Beaucoup de modèles [de fonte des glaciers] ne tiennent pas compte de ce type de phénomène, constate Brian Menounos.

Dans les années 1960, plus d'un quart du glacier était couvert de neige tout au long de l'année. Cette neige est importante, car, en plus de protéger la glace, lorsqu’elle se compacte sous son propre poids, elle se transforme en glace, alimentant ainsi le glacier.

Aujourd’hui, il n’en reste que très peu.

Un voile de fumée menaçant
Un voile de fumée menaçant

Le mercure atteindra 36 degrés dans la vallée. Même à 2000 mètres d’altitude, il fait doux. En plus des températures anormalement élevées, une couche de fumée voile le ciel bleu, rappelant que des feux de forêt font rage en Colombie-Britannique depuis le début de l’été.

Les effets que les feux de forêt ont sur la fonte du glacier captivent les scientifiques.

Dans certains cas, il peut y avoir de la suie provenant de la fumée des incendies de forêt qui se dépose, explique Brian Menounos.

Charlie Bourque étudie les effets de cette pollution, le carbone noir, sur la prolifération de l’algue rose, un phénomène naturel qui se produit en haute altitude. C’est une algue qui vit sur la glace et se nourrit de ce carbone, explique-t-elle. Ce type d’algues des neiges assombrissent également les surfaces.

Des particules roses sur de la glace.
L'accumulation d'algues roses sur la glace et la neige pourrait entraîner une fonte plus importante des glaciers. Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

Ces questions ne sont pas simples, car, si la fumée est dense, elle pourrait également avoir un effet inverse et réduire le niveau d'énergie solaire qui frappe la surface et rafraîchir la température pendant la journée, explique Brian Menounos.

La nuit, en revanche, la fumée pourrait empêcher le refroidissement par rayonnement, car, lorsque le ciel est clair, le sol libère la chaleur vers l’atmosphère.

C’est comme un casse-tête. J’aime ce genre de défis scientifiques, précise Brian Menounos.

Le voile de fumée n'est pas idéal pour l’analyse des données aériennes, mais le chercheur espère avoir l’occasion unique de comparer les mesures prises sur le terrain et celles du capteur hyperspectral à bord de l'avion.

Nous pouvons examiner dans quelle mesure l'énergie qui entre dans l'atmosphère change et de quelle façon la fumée des incendies de forêt influe sur ce changement, dit Brian Menounos.

Il reste donc encore des mystères à élucider.

De précieux réservoirs d’eau
De précieux réservoirs d’eau

La première journée de récolte de données se termine, et l’équipe se met en marche vers le refuge où elle passera la nuit. Pendant la descente, les petites flaques d’eau se transforment en rivières qui creusent la glace.

Brian Menounos pointe un doigt vers un abysse dans la glace d'où parvient comme un bruit de tonnerre lointain. Il explique qu’il ne faut pas s’en approcher, car l’eau s’infiltre si profondément qu’elle creuse des puits pouvant percer la glace jusqu’à plusieurs mètres de profondeur.

Ces eaux s’écoulent pour alimenter en eaux fraîches les rivières de la région.

Un cours d'eau a creusé son lit dans le glacier.
L’eau de ce glacier alimente les cours d’eau de la région de Pemberton, en Colombie-Britannique. Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

En Colombie-Britannique, nous avons la chance d'avoir plus de 15 000 glaciers. Ils jouent un rôle de protection important contre la chaleur pour un grand nombre de ces écosystèmes aquatiques, dit Brian Menounos.

Lorsqu'elle n'est pas en mission dans les hautes montagnes, Charlie Bourque réside à Golden, une ville située dans le sud-est de la Colombie-Britannique, à proximité des montagnes Rocheuses.

Nous dépendons vraiment de ces glaciers pour l'approvisionnement en eau de nos rivières, dit-elle.

Cette année, la province a subi une sécheresse sans précédent, ce qui a marqué le paysage.

En observant les cours d'eau, c'est un rappel puissant de constater à quel point leurs niveaux sont bas et de se questionner sur la quantité d'eau dont nous disposerons à l'avenir, affirme Charlie Bourque.

Autour du campement, sous les dernières lueurs du jour, Charlie Bourque propose aux membres de l'équipe d’écrire un haïku, une activité devenue une tradition durant leurs expéditions. À tour de rôle, ils griffonnent sur les pages de son petit carnet.

Les mots inscrits témoignent des inquiétudes face aux effets des changements climatiques.

En 1965, le glacier était au pied du refuge construit pour abriter les scientifiques. Aujourd’hui il est difficile de distinguer la glace à partir de la cabane.

« La rapidité à laquelle notre glace disparaît trouble mon sommeil. »

— Une citation de   Brian Menounos, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'évolution des glaciers

    Une photo prise en 1966, comparée à celle prise en 2022, permet d'illustrer l'ampleur du recul du glacier.

     

    Un glacier vivant
    Un glacier vivant

    Le lendemain, le ciel est clair, la fumée s’est levée, et le soleil brille à nouveau. Il faut enfiler les crampons à la base du glacier, car la surface est gelée et glissante. La froideur qui émane du sol contraste avec la température élevée de l’air.

    Charlie Bourque s’émerveille devant le paysage. C'est une force de la nature. Ça peut bouger des roches immenses, c'est vraiment exceptionnel.

    Au cours de la journée, des craquements sourds se font entendre. Le glacier rappelle qu’il est animé de lents mouvements.

    C'est un environnement où l'on doit faire preuve d'humilité. Il est sauvage et change en ce moment même, ajoute Derek Heathfield.

    La journée est consacrée à prendre les mesures des 14 piquets de mètres insérés verticalement dans la glace par Ressources naturelles Canada l’an dernier, à l’automne.

    On va aller redresser les piquets dans la partie basse du glacier pour s'assurer qu’ils ne tomberont pas. Si c'était pour arriver, ce serait une énorme perte de données, lance Charlie Bourque.

    La hauteur exposée des piquets permet de déterminer la quantité de glace qui a disparu. Sur ce glacier particulier, le plus bas en altitude, nous constatons que la glace s'amincit chaque année d'environ 5 à 6 mètres en moyenne, mentionne Brian Menounos, debout à côté d’un piquet deux fois plus grand que lui.

    Les données seront ensuite transmises à Mark Ednie, scientifique à Ressources naturelles Canada. À la fin du mois d'octobre, il se rendra à nouveau sur place pour mesurer la fonte totale des glaces de l’année 2023.

    Les données recueillies sur d’autres glaciers de la côte ouest indiquent déjà des tendances alarmantes. Je ne serais pas surpris que nous assistions à des changements spectaculaires de ce glacier et à des taux de fonte assez importants, dit Mark Ednie dans une entrevue virtuelle.

    Ce sont d'excellents indicateurs du changement climatique, précise-t-il.

    Le glacier Place.
    Place Glacier fait partie des 42 glaciers de référence dans le monde. Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

    Chaque degré compte
    Chaque degré compte

    Brian Menounos explique que la quantité significative de glace (Nouvelle fenêtre) (en anglais) perdue depuis les années 1980 ne peut pas s’expliquer uniquement par la variabilité naturelle. C'est l'une des causes directes du changement climatique récent et des émissions de gaz à effet de serre.

    Les études, que Brian Menounos a coécrites et qui sont publiées dans le journal scientifique Nature, révèlent qu’au moins la moitié des glaciers disparaîtront d’ici 2100 en raison du réchauffement climatique, et ce, même si on réduit les émissions de gaz à effet de serre.

    Devant ce paysage imposant, il est difficile d'imaginer qu’une telle masse puisse fondre complètement. Pourtant, malgré les engagements des Accords de Paris, la planète pourrait faire face à un réchauffement de 2,7 °C, ce qui provoquerait la quasi-déglaciation de l’Ouest canadien d’ici 2100.

    L'un des aspects essentiels du travail de Brian Menounos consiste à communiquer les informations collectées par son équipe, afin que le public et les décideurs politiques comprennent que les actions qu’ils mènent ont une incidence directe sur un grand nombre de ces ressources glacées de l'Ouest canadien.

    Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'évolution des glaciers demeure convaincu qu'il est encore possible d’agir pour freiner la disparition des glaciers, car chaque fraction de degré de réchauffement est décisive. Toutefois, le temps presse. Nous sommes vraiment arrivés à un point où nous devons agir. Nous devons rapidement réduire les émissions de gaz à effet de serre, conclut-il.

    NDLR : L’empreinte écologique de cet article a été évaluée à 0,25 tonne de CO2.


    Ce texte fait partie de Nature humaine, une série de contenus qui présente des acteurs de changements qui ont une influence positive sur l'environnement et leurs communautés en Colombie-Britannique.

    Partager la page