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Le potentiel caché du fumier

Le potentiel caché du fumier

Texte et photos : Camille Vernet Photographies : Ben Nelms

Publié le 10 juillet 2023

George Dick est un homme imposant, autant par sa stature que par l’ampleur de ses ambitions. Il y a 13 ans, il a commencé à rêver d’une agriculture plus durable. Aujourd’hui, les années de persévérance ont porté fruit : sa ferme est l’une des premières au Canada à transformer le fumier de ses vaches en gaz naturel renouvelable.

Sur les terres verdoyantes de la petite exploitation agricole, tenue par sa famille depuis trois générations, se dressent désormais les immenses infrastructures d’une usine de biométhanisation.

Nous avons consacré toute notre énergie et tous nos efforts des deux dernières années à ce projet. C'est vraiment formidable de le voir se concrétiser.

À ce jour, une quarantaine d'exploitations agricoles au pays ont opté pour la production de biogaz, et seulement quelques unes, pour la production de gaz naturel renouvelable, selon l'Association canadienne du biogaz. George Dick espère que son usine, ancrée dans la vallée du Fraser, reconnue pour ses terres fertiles, inspirera d’autres fermiers.

Cela demande beaucoup de travail de sortir des sentiers battus, même si cela permet de réaliser quelque chose de bien meilleur, affirme le fermier.

Si l’industrie se montre frileuse à l’heure actuelle, c’est notamment en raison de la complexité et des investissements considérables nécessaires pour mener à bien ce genre de projet. Cela sort l’agriculteur de sa zone de confort habituelle.

Le défi est colossal, mais George Dick, déterminé, a tout misé sur cette technologie, investissant 40 millions de dollars.

« Le projet représente un risque assez important sur de nombreux aspects, mais nous avons estimé qu'il fallait faire quelque chose pour assurer la viabilité de l'exploitation et pour protéger l'environnement à long terme. »

— Une citation de   George Dick, propriétaire de la ferme Dicklands
La ferme laitière Dicklands se trouve dans la communauté de Chilliwack, à une centaine de kilomètres de Vancouver, en Colombie-Britannique.  Photo : Radio-Canada / Ben Nelms

Bouleverser le statu quo

Le principe de l'usine est pourtant simple : plutôt que de laisser le méthane, un puissant gaz à effet de serre, s'échapper dans l'atmosphère lors de la décomposition du fumier, on le récupère.

Tout se passe dans les digesteurs, de gigantesques récipients, dans lesquels le fumier est acheminé et combiné avec des déchets alimentaires. À l'intérieur, des bactéries affamées décomposent les déchets, produisant ainsi du biogaz.

Composé principalement de méthane, ce biogaz est ensuite purifié, pour en faire du gaz naturel renouvelable (GNR), avant d’être envoyé dans les infrastructures gazières.

Ce dont George Dick est particulièrement fier, c'est l'exploitation du digestat, un résidu de la biométhanisation, dans son usine. Nous récupérons tous les nutriments et toute l'eau des déchets. Dans les prochaines semaines, l’usine produira de l’engrais biologique qui pourra être vendu.

Ce qui est souvent oublié dans les discussions, ce sont les nutriments, dont l'azote, qui est un engrais extrêmement précieux, confirme Shabtai Bittman, chercheur à Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Au centre de recherche d'Agassiz, son équipe se spécialise dans les recherches de solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les exploitations agricoles. La biométhanisation permettrait de maximiser le recyclage des ressources et de réduire l’utilisation d’engrais chimiques, dont la production est une source de gaz à effet de serre.

Une solution trop belle pour être vraie?

Au Canada, 10 % des émissions de gaz à effet de serre sont imputables à l’agriculture, selon le gouvernement fédéral, et ce, sans compter les émissions attribuables à l'utilisation d’énergie fossile ou à la production d'engrais.

Les émissions de méthane provenant de l'agriculture au pays sont principalement causées par la digestion des vaches et la décomposition du fumier stocké.

Le scientifique Shabtai Bittman, dehors, en train de regarder des plantes dans un champ, à Agassiz, en juin, en Colombie-Britannique.
Le scientifique Shabtai Bittman examine des plantes utilisées pour faire du biocarburant au centre de recherche d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, à Agassiz. Photo : Radio-Canada / Camille Vernet

[La biométhanisation] fait partie des mesures d'atténuation, parler de solution est peut-être fort, mais oui, elle peut y contribuer, affirme le chercheur Shabtai Bittman.

Les émissions fugitives de méthane pouvant provenir des digesteurs et l’utilisation d’énergies fossiles pour le transport doivent être prises en compte, selon lui.

Ce n'est pas une aubaine tombée du ciel. Cela prend beaucoup de travail et de patience, précise le chercheur.

Les infrastructures coûteuses de la ferme ont été rendues possibles par un contrat de vente sur 20 ans avec Fortis BC, un fournisseur de gaz naturel.

Un tracteur en train de pousser des déchets dans un dépôt, à Surrey, en Colombie-Britannique.

Les poubelles comme ressources

Les entreprises agricoles ne sont pas les seules à s’engager dans la production de bioénergie. À Surrey, un flux constant de camions provenant de plusieurs municipalités vide sa cargaison de déchets organiques. Depuis cinq ans, les déchets sont transformés en gaz naturel renouvelable.

Nous prévoyons la production d'environ 5 millions de gigajoules de GNR. C'est à peu près assez pour chauffer environ 100 000 foyers, affirme Jason Wolfe, le directeur des solutions énergétiques de Fortis BC. Cela représente environ 2,5 % à 3 % du débit annuel de notre système.

Une analyse préparée pour Fortis BC indique que, pour accélérer la production de gaz naturel renouvelable, les capacités actuelles ne seront probablement pas suffisantes pour répondre à la demande croissante d’énergie renouvelable. Afin de remédier à cette insuffisance, il est très probable que des importations de matières organiques en provenance de pays voisins seront nécessaires.

En 2018, le gouvernement de la Colombie-Britannique s’est engagé à imposer un minimum de 15 % de gaz naturels renouvelables dans le réseau de gaz naturel de la province d'ici 2030. La province est ensuite revenue sur sa promesse en 2021. Les distributeurs de gaz naturel doivent maintenant respecter un plafond d'émissions annuel, GNR étant exclu de ce plafond.

Vers une agriculture plus durable

Les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC (Nouvelle fenêtre)) de 2022 mettent en évidence les conséquences négatives du réchauffement climatique sur la stabilité des récoltes et la sécurité alimentaire de centaines de millions de personnes à l'échelle mondiale. Le développement de la bioénergie est une mesure d'atténuation présentée par ces experts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur agricole.

George Dick est convaincu que l'agriculture peut jouer un rôle essentiel dans la lutte contre les changements climatiques. Celui-ci s'efforce constamment de trouver des moyens de rendre son entreprise plus écoresponsable. Notre rêve ne sera jamais totallement achevé, car nous aspirons toujours à l'amélioration.

La prochaine ambition du fermier : capter les flatulences et les rots des vaches, d’importants émetteurs de méthane. J'aime quand les gens disent que ce n'est pas possible, dit-il à propos de ce nouveau défi. Il est déterminé à trouver des solutions, afin de mener l'industrie agricole sur la voie de la durabilité.

George Dick dans sa ferme, à Chilliwack, en Colombie-Britannique le jeudi 8 juin 2023.

NDLR : L’empreinte écologique de cet article a été évaluée à 0,16 tonne de CO2.


Ce texte fait partie de Nature humaine, une série de contenus qui présente des acteurs de changements qui ont une influence positive sur l'environnement et leurs communautés en Colombie-Britannique.

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