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Sans-papiers, une vie traquée

Sans-papiers, une vie traquée

Un texte de Yanik Dumont Baron Illustration par Sophie Leclerc

Publié le 11 mai 2023

Le gouvernement fédéral tarde à faire connaître les détails d’un programme pour permettre aux sans-papiers de sortir de l’ombre. Leur nombre est estimé à plusieurs centaines de milliers au Canada. Des gens qui vivent discrètement, naviguant entre espoir et anxiété. Portrait d’une population méconnue.

Ils sont autour de nous, discrets mais présents. C’est peut-être la voisine qui rend de petits services, l’homme qui achète une crème glacée à sa fille. Ou celui qui vous livre un repas le soir.

Ils sont partout, mais on ne sait pas combien ils sont. 500 000, peut-être plus, lance Viviana Médina, qui coordonne les activités au CTI, le Centre pour les travailleuses et travailleurs immigrants à Montréal.

Elle fréquente plusieurs de ces personnes qui vivent dans l’ombre autour des Canadiens. Je pense qu’ils sont plus de un million. Mais personne ne peut le savoir, personne ne comptabilise.

Ottawa juge que la plupart des gens sans statut sont entrés ici de manière régulière, avec un visa d’étude ou de touriste, par exemple. Il serait très rare que des personnes entrent clandestinement, entre deux postes frontaliers.

Et comment deviennent-ils sans-papiers? La réponse est à la fois simple et complexe. Ce peut être à la suite d’une demande d’asile refusée, ou parce que le désir de rester au-delà de la date permise se faisait très fort.

Ceux et celles qui ont accepté d’en parler avec Radio-Canada évoquent aussi le temps passé entre l’arrivée au pays et la fin des démarches formelles pour rester.

On est installé à Montréal, on connaît la langue, on s’est inséré dans la société, explique une de ces femmes que nous appellerons Nina*. C'est vraiment difficile de quitter un pays sûr.

C’est aussi ce qu’explique Sara*, une Mexicaine installée ici depuis une dizaine d'années. J’avais mon billet d’avion [pour quitter le Canada], j’avais une date…

Mais elle est restée, incertaine de ce qu’elle trouverait dans son pays d’origine.

Un quotidien souvent bien lourd

Le fait d’être sans statut, c’est juste un sujet administratif, non? demande la militante Viviana Medina. Peut-être, mais l’absence de statut légal a de lourdes conséquences au quotidien.

Sara a rapidement compris que son choix venait avec beaucoup d’inconfort. À commencer par une lettre officielle l’avisant qu’elle serait traquée. C’est une menace émotive. Je me suis sentie persécutée.

C’est stressant, c’est vraiment beaucoup de stress au quotidien, ajoute Yacoub*, un nom d’emprunt pour un Tunisien entré illégalement au Canada grâce à des passeurs. Le cerveau est toujours à ON.

Je dois utiliser tout le temps le cash. Je fais attention tout le temps aux policiers. Quand je les vois, je tourne de bord. Je ne prends aucun risque qu’on me demande mon identité.

Le travail est bien sûr une grande source de stress. Tout se fait au noir, avec les risques d’être mal payé, en dessous du minimum légal, ou de travailler dans de très mauvaise conditions.

Impossible de s’en plaindre ou de dénoncer un employeur qui ne paie pas les heures travaillées. Tu ne peux pas aller à la police, explique Yacoub. Tu ne peux rien faire, absolument rien.

Il y a des employeurs qui menacent les sans-papiers et les femmes, ajoute Viviana Medina, qui évoque aussi du harcèlement sexuel.

C’est malheureux parce que ces femmes ne peuvent pas porter plainte.

L’éternelle quête des revenus

Vulnérables, certains sans-papiers expliquent éviter jusqu’aux chicanes de clôtures. Il ne faut pas se faire repérer, explique Nina. Et il faut toujours continuer de gagner de l’argent.

C’est pour payer le logement. Parce que je ne veux pas de problème avec personne. Ni avec un voisin ni avec le propriétaire du logement souvent loué sous une autre identité.

Un besoin d’assurer ses arrières qui ne disparaît pas avec le temps. Je commence à vieillir, constate Nina. Avant, j’étais capable de faire plus, d’avoir deux ou trois jobs. Plus maintenant.

Sara voit les angoisses et les douleurs physiques comme le prix à payer pour être demeurée au Canada sans papiers durant toutes ces années. Bien des portes sont fermées, un peu comme si on n’existait pas.

Bien sûr, les sans-papiers ont toujours la possibilité de se rendre aux autorités et d’être expulsés vers leur pays d’origine. Un dilemme plus déchirant avec les années qui passent.

Ça fait 19 ans que je n’ai pas vu mon fils, lance Inès* (aussi un nom fictif), originaire du Costa Rica. Je n’ai aucune rente ici, ni là-bas. C’est super difficile. Mais qu’est-ce que je peux faire?

Quand la santé est à la merci de la charité

Le quotidien des sans-papiers peut vite se compliquer davantage lorsqu’ils tombent malades. Yacoub l’a vite compris, après avoir reçu un diagnostic de cancer de la vessie.

Sans carte d’assurance maladie, il lui fallait payer le plein prix pour être soigné à l’hôpital. 7000 $ qu’il n’avait pas. Tu ne peux pas aller aux toilettes, et tu penses à comment tu vas payer ça…

Ce diagnostic, c’était quasiment une condamnation, estime la conjointe de Yacoub. Comme elle est citoyenne canadienne, ses connaissances du système de santé et ses relations ont probablement sauvé la vie de son conjoint.

J’ai réussi à les convaincre de le faire [l’opération] pro bono, explique celle que nous appellerons Hélène, pour protéger l’identité de Yacoub. Pour une personne qui est sans statut ici, qui parle plus ou moins français, c’est absolument inaccessible.

Hélène a obtenu une dérogation du ministre québécois de la Santé. Yacoub est couvert par le régime d’assurance maladie du Québec. Un geste humanitaire, consenti quelques dizaines de fois par année.

La confirmation de cette couverture médicale est arrivée par la poste, dans une lettre banale. Ça représentait tellement de soulagement, ça n’a pas de bon sens, lâche Hélène.

Ça fait du bien de se faire soigner à l’hôpital comme tout le monde, reconnaît Yacoub. Mais le répit est temporaire. La couverture d’assurance maladie ne dure que 12 mois.

Et le couple n’est pas certain que la promesse fédérale de régularisation de milliers de sans-papiers lui apporte un répit permanent. J’ai peu d’espoirs, admet Hélène.

Ottawa a consulté les organismes qui défendent les sans-papiers. Mais la femme craint que les critères du programme fédéral n’excluent les gens entrés clandestinement, comme son conjoint.

Nina ose à peine espérer, résignée à sa vie dans l’ombre. C’est difficile. C’est épuisant. Ce n'était pas une très bonne décision [de rester clandestinement], mais le temps passe.

Yacoub, lui, tente de demeurer positif. Il s’accroche à chaque espoir, aussi mince soit-il.

Je veux devenir électricien et travailler. Mon espoir, c’est de donner le statut [légal] à tout le monde. Parce qu’on est déjà ici. Alors pourquoi pas?

*Les noms des sans-papiers rencontrés par Radio-Canada ont été modifiés afin de garantir leur anonymat

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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