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Affaire Robert Miller : d’autres femmes sortent de l’ombre

Affaire Robert Miller : d’autres femmes sortent de l’ombre

Texte : Brigitte Noël et Pasquale Turbide Photographies : Ivanoh Demers

Publié le 9 février 2023

Depuis la diffusion du reportage Le système Miller à l'émission Enquête, plusieurs femmes contactent le Service de police de la Ville de Montréal pour dénoncer ce qu’elles ont vécu. Enquête vous présente l’histoire de Geneviève et de Julie.

Le 2 février, Enquête révélait l’histoire du milliardaire Robert G. Miller, soupçonné d’avoir passé plus d’une décennie, de 1994 à 2006, à payer des adolescentes – dont plusieurs mineures – pour des relations sexuelles. Miller nie vigoureusement les allégations.

Après la révélation de cette affaire, d’autres témoins et d’autres victimes ont contacté Radio-Canada pour partager leurs expériences avec l’homme d’affaires et son entourage.

Deux autres femmes nous ont confié les détails de leurs rencontres avec Robert Miller, survenues alors qu’elles étaient encore mineures. Julie Dagenais, qui a rencontré le milliardaire alors qu’elle avait 17 ans en 2007, s’en est sortie sans avoir de rapports sexuels avec lui.

Si Julie a échappé à Robert Miller, Geneviève a vécu une tout autre histoire.

Les deux femmes, qui ne se connaissent pas, ont contacté le Service de police de la Ville de Montréal.

Photo: Radio-Canada / Ivanoh Demers
ENQUÊTES: Affaire Robert Miller. L’homme d’affaires est visé par des allégations diffusées dans un reportage de l’émission Enquête. 

Photo prise dans un hôtel à Montréal, Québec. 

Sur la photo: (Gauche à droite ) Une femme qui a livré un témoignage poignant aux journalistes de Enquêtes. 

Le 07 Février  2023   2023/012/07
Geneviève témoigne de sa rencontre avec Robert Miller à l'hôtel Le Reine Elizabeth Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

« À chaque #MeToo, j’allais voir sur Google, si l’histoire de Robert Miller sortait » - Geneviève
« À chaque #MeToo, j’allais voir sur Google, si l’histoire de Robert Miller sortait » - Geneviève

Geneviève, nom fictif, travaillait de la maison le vendredi 3 février, jour de grand froid. Tout en allumant son poêle à combustion lente, elle a ouvert distraitement son téléphone.

« Je faisais défiler l'actualité. Puis j'ai vu le titre du reportage et j’ai tout de suite eu mal au cœur. [...] J'ai commencé à l'écouter sur mon téléphone. J’étais vraiment bouleversée. »

— Une citation de   Geneviève

Cette nausée, elle l’a traînée toute la journée. Son amoureux s’inquiète. Manifestement, quelque chose cloche. Elle ne se sent pas capable de répondre à ses questions, pas tout de suite.

Puis après, je vous ai écrit un courriel et j'ai cherché où je pouvais aller porter plainte à la police. Je l'attendais, ce moment-là.

Entre l’âge de 14 et 17 ans, Geneviève a été manipulée et payée pour avoir des relations sexuelles avec Robert Miller, pour qui elle a aussi recruté des amies de son école secondaire. Ces rencontres ont presque exclusivement eu lieu à l’hôtel Le Reine Elizabeth de Montréal entre les années 2000 et 2003.

C’est dans une chambre de cet hôtel qu’elle nous accorde cette entrevue. Elle se souvient parfaitement du chemin à suivre pour se rendre à l’opulente suite de Miller. Et du bar de l’hôtel où elle buvait des Sex on the Beach ou des vodkas jus d’orange, des drinks de filles, en attendant de monter à la suite de Bob.

Aucun membre du personnel ne lui a jamais posé de question.

Lors des rencontres sexuelles à deux jeunes filles à la fois, une demande fréquente de Robert Miller, Geneviève jouait souvent le rôle d’hôtesse. C'est moi qui préparais les verres pour tout le monde. Quand c'était le temps des bains, j'allais les préparer pendant que Bob parlait avec mon amie.

Et ensuite, j'allais plus m'occuper de lui pour protéger mes amies. Je faisais un peu la sale job.

Pour ces faveurs sexuelles, elle dit avoir été payée 1500 $ , avec en prime une boîte pleine de CD et de vêtements Victoria’s Secret commandés par catalogue lors de la rencontre précédente : C'était une astuce pour qu’on retourne le voir parce qu'on voulait recevoir [les choses] qu'on avait choisies. Plus ça allait, plus les cadeaux sont devenus gros et importants. Elle se souvient encore du téléphone Nokia rouge comme dans le film Charlie’s Angels que Miller lui avait remis.

Geneviève est originaire d’un milieu modeste et Robert Miller savait l’exploiter, selon elle. Il nous demandait à quoi on rêvait. Moi, à l'époque, j'avais les dents croches et ma mère n'avait pas les moyens de me payer des broches. Puis, il disait que c'était le genre de choses qu’il pourrait me payer. Il n’a pas tenu cette promesse.

Elle a cessé de voir Robert Miller juste avant ses 18 ans, à la demande d’un petit ami jaloux. Elle a consommé beaucoup de drogue et a continué à travailler dans le domaine pendant un certain temps.

Cet épisode teinte encore aujourd’hui sa relation avec l’argent : L’argent, ça m’écœure encore. Ça peut blesser, ça peut détruire. Ça peut acheter le silence.

Elle se souvient de son premier emploi régulier dans une charcuterie, à 7,45 $ de l’heure. Il fallait porter un sarrau, je coupais de la viande. Je trouvais ça comme dégradant, mais finalement, c'était l'autre chose qui était dégradante.

La vie après Robert Miller

C’est une grossesse imprévue, à l’âge de 19 ans, qui a amené Geneviève à se reprendre en main. Elle a recommencé ses études, obtenu un diplôme universitaire et travaille maintenant comme professionnelle dans le domaine de la relation d’aide.

En 2010, elle découvre par hasard la véritable identité de Bob lorsqu’elle tombe sur la photo de Robert Miller dans un article du Journal de Montréal (Nouvelle fenêtre) qui aborde le divorce acrimonieux du milliardaire et de sa femme. Il y est question d’allégations de mauvaise conduite et d’horribles actes répréhensibles.

J’ai compris que c'était lui et qu’il avait menti sur son nom. [...] J'avais vu qu'il y avait des possibles allégations, mais on n’y parlait pas d'enquête policière, parce que je pense que je serais déjà allée voir la police.

La même année, le Service de police de la Ville de Montréal a justement mis fin à une enquête sur Robert Miller et ses présumés complices. Aucune accusation n’avait été déposée.

Depuis, Geneviève est aux aguets.

Geneviève arrive à un poste de police.
Geneviève arrive à un poste de police de Montréal le lundi 6 février. Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

À chaque nouvelle personne, à chaque MeToo, à chaque dénonciation, j'allais voir sur Google si l'histoire de Robert Miller sortait. C'est la première chose que je faisais. Oui, je l'attendais ce moment-là.

Mais quand ce moment est arrivé le 3 février, il a créé une onde de choc : J'ai réalisé que même si je pensais m'en être sortie, ça avait probablement affecté ma vie plus que je pensais. Les questions ont fusé : On est combien? Pourquoi ça n’a jamais rien donné, les enquêtes? Pourquoi il s’en est toujours sauvé?

À la fin de l’entrevue, Geneviève s’est dirigée directement vers le poste de police 20, situé tout près de l’hôtel Le Reine Elizabeth. Une policière de quartier l’a reçue en la félicitant pour son courage. Dès le lendemain, un enquêteur spécialisé l’a rappelée pour lui donner rendez-vous.

Il m’a rassurée que même si on avait recruté, ils [les policiers] ne s’enlignaient pas pour nous accuser, nous. Je pense qu’ils vont faciliter les dénonciations.

Des dénonciations que Geneviève souhaite nombreuses. J'espère que même les filles que j'ai pu influencer là-dedans vont vouloir le faire. Je pense qu’ensemble, on est plus fortes.

Pour la première fois depuis le 3 février, Geneviève n’a plus la nausée.

Portrait de Julie Dagenais.
Julie Dagenais a rencontré Robert Miller en 2007. Photo : Radio-Canada / Luc St-Pierre

« Je me rappelais d’un sourire blanc étincelant » - Julie
« Je me rappelais d’un sourire blanc étincelant » - Julie

Julie Dagenais dit avoir sursauté en voyant la photo de Robert Miller sur le site web de Radio-Canada.

Pendant des années, elle avait essayé de se souvenir du nom de cet homme qui lui avait offert de l’argent pour une relation sexuelle alors qu’elle était encore mineure.

J'essayais de passer sur les rues de Westmount des fois pour retrouver la maison, dit-elle. Je me rappelais, je me rappelais d'un sourire blanc étincelant.

En 2018, à la sortie de la série télévisée Fugueuse, Julie s’était reconnue dans le personnage, et avait publié sur le site web d’Urbania un compte-rendu d’une expérience qu’elle avait vécue lorsqu’elle était adolescente.

Ce texte fait état d’un recrutement rusé, orchestré par une jeune fille de quelques années son aînée. Elle y raconte une visite dans une maison cossue de Westmount, où un riche homme d'affaires lui avait offert compliments, promesses et cadeaux, et où elle a craint d’être achetée. Elle dit avoir été sauvée juste à temps par la vigilance de ses amies et de sa famille.

Cinq ans plus tard, en lisant l’enquête de Radio-Canada sur Robert Miller, la jeune femme affirme avoir été abasourdie. C'est vraiment lui, c'est vraiment la maison, dit-elle. J'ai été très émotive parce que je ne pensais jamais que ça serait connu, cette histoire-là.

Comme une grande sœur pour moi

À l’époque de sa rencontre avec Bob, en 2007, Julie travaillait au salaire minimum dans une boutique Sears de la Rive-Sud. Un jour, une collègue de travail lui mentionne qu’elle a une seconde job avec un riche homme d’affaires montréalais.

Elle était assistante personnelle d'un businessman très accompli, très occupé, se souvient Julie. Elle s'occupait de gérer son calendrier, ses rendez-vous et c'était pas plus compliqué que ça.

L’adolescente, qui avait une faible estime de soi, était en pâmoison devant sa collègue. C'était une femme qui était un petit peu plus âgée que moi, qui avait une voiture, qui avait beaucoup de bijoux et qui portait beaucoup de sacs à main de designers aussi, se souvient-elle. Elle est devenue comme une grande sœur pour moi.

Au compte-goutte, pendant plusieurs mois, son amie lui révèle plus de détails sur son travail particulier pour cet homme d’affaires nommé Bob. Éventuellement, elle confie à Julie qu’une de ses amies a parfois des relations sexuelles avec lui et qu’en retour, ce dernier lui offre de l’appui financier pour l’aider à bâtir son entreprise.

L’échange est présenté comme une transaction très banale, et Julie est intriguée. Je me suis dit à un moment donné, bon l'homme a l’air gentil, mais surtout mon lien de confiance [avec elle] est rendu tellement solide que je vais me proposer, moi, de faire ça avec le monsieur, d'avoir des relations intimes avec lui.

Sa collègue refuse, puis se ravise, raconte Julie : Elle m'a dit : "J'ai parlé à Bob de toi, je lui ai montré des photos de toi et il pourrait faire de la place dans son horaire pour te rencontrer."

Une maison de briques.
Le 380 avenue Olivier à Westmount. Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Un samedi après-midi, sa collègue vient la chercher pour l’amener à Westmount, au 380 avenue Olivier. Debout devant le garage, Robert Miller les attend. Ce que je me rappelle de lui, c'est son sourire qui était absolument étincelant, raconte Julie. Il avait un teint relativement bronzé et il avait les cheveux teints.

Robert Miller l’invite au salon et se met à lui poser des questions. Elle lui parle de ce qu’elle compte faire après l'obtention de son diplôme du secondaire. Je n'ai jamais dit : "En passant, j'ai 17 ans", dit-elle. C'est comme très sous-entendu, mon âge.

Le milliardaire lui fait miroiter d’autres promesses, de brillantes études en Floride ou en Europe. Il suggère qu’il pourrait l’aider.

Il est parti pour revenir avec quatre paires de souliers, se souvient-elle. Des marques qu'avec mon salaire chez Sears, je ne pouvais pas me permettre et qui, dans ce temps-là, étaient vraiment big. C'était des Diesel, Miss Sixty.

Elle dit avoir compris qu’en acceptant ces cadeaux, elle avait conclu un accord.

Il disait : "La prochaine fois qu'on va se voir, on va aller plus loin”, raconte-t-elle. Elle ajoute que le milliardaire lui aurait aussi dit qu’il était propre et qu’il faisait des tests de dépistage de maladies transmises sexuellement et donc que la relation sexuelle serait sans condom.

Julie dit qu’ils ont convenu de se revoir bientôt, et que sa collègue l’a ramenée chez elle. Il a vu que j'étais bien gentille, puis que j'étais bien vulnérable, croit-elle.

La rencontre n’a jamais eu lieu : Julie avise éventuellement ses parents, qui sont allés confronter sa collègue pour lui remettre les boîtes de souliers.

Elle ne lui a jamais reparlé.

Aujourd’hui, Julie considère qu’elle l’a échappé belle : Ma situation à moi, j'étais avec des parents qui étaient ensemble. J'avais une petite sœur. Je n'ai jamais, jamais, jamais manqué de rien, dit-elle. Ça peut vraiment arriver à n'importe qui.

Elle dit que cette rencontre l’a profondément affectée, pendant longtemps. Ça m’a laissé beaucoup de séquelles, explique-t-elle. Ça a pris du temps avant que je me respecte.

Elle ajoute que la publication de son récit dans Urbania, en 2018, a entamé son processus de guérison. Aujourd'hui, je me sens beaucoup plus forte, beaucoup plus allumée, beaucoup plus réfléchie.

Elle espère que son témoignage va en encourager d’autres à partager leurs histoires.

Julie a aussi contacté le Service de police de la Ville de Montréal. Au téléphone, une agente lui aurait affirmé avoir reçu de nombreux autres appels concernant cette histoire, et lui a dit qu’un enquêteur allait la contacter.

Miller nie toujours
Miller nie toujours

Rappelons que le SPVM avait enquêté sur l’affaire Miller en 2009, mais qu’aucune accusation n’avait été portée. Après la diffusion du reportage d’Enquête, le service policier et le DPCP ont publié un appel à témoin et affirmé que toute nouvelle information pourrait mener à la relance de l’enquête.

Contacté par Radio-Canada, le SPVM n’a pas été en mesure de confirmer la réouverture du dossier, citant des raisons de confidentialité, mais selon nos sources, les policiers ont reçu plusieurs autres dénonciations.

Radio-Canada a contacté l’avocat de Robert Miller pour lui présenter ces nouvelles allégations. Un représentant d’une agence de relations publiques nous a répondu que M. Miller maintient que ces histoires sont fausses et motivées par l’appât du gain.

Ces allégations seraient motivées, encouragées et soutenues en arrière-scène par son ex-conjointe, dans un dessein strictement pécuniaire et financier, écrit le relationniste Jean Maurice Duddin. Il ajoute que c’est le dévoilement public de la fortune de M. Miller qui aurait suscité l’apparition de "nouvelles" prétendues victimes.

Vous pouvez joindre le journaliste daniel.tremblay@radio-canada.ca(Nouvelle fenêtre) (Nouvelle fenêtre) pour laisser votre témoignage ou en allant directement sur le site de l'émission Enquête.

Le reportage de Brigitte Noël, de Pasquale Turbide, de Daniel Tremblay et de Jacques Taschereau est diffusé à Enquête le jeudi à 21 h sur ICI Télé. Il est aussi disponible en rattrapage sur ICI Tou.tv(Nouvelle fenêtre) (Nouvelle fenêtre).

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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