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Ce soir, on danse pour chasser la peur

Envoyés spéciaux

Ce soir, on danse pour chasser la peur

Partout en Ukraine, la population est touchée par la guerre. Dans les plus grandes villes, des milliers d’Ukrainiens se rassemblent dans des bars de danse bien protégés pour se distraire quelques heures. Nos envoyés spéciaux sont allés à leur rencontre. Neuvième volet de notre série « L'Ukraine au quotidien ».

Texte : Sylvain Desjardins Photographies par Ivanoh Demers

Publié le 4 février 2023

Les salles souterraines se succèdent et débordent de jeunes gens au look étudié, de musiques assourdissantes et de fumées en tous genres. La foule dépasse probablement la capacité légale de l’endroit, qui est de 800 personnes.

Sous les arches de briques, la faune jeune et blanche a le choix entre la musique live sur scène et celle des DJ répartis dans plusieurs autres enceintes.

Il y a aussi des salles plus calmes : on y boit du thé ou on se fait tatouer en discutant des effets de cette sale guerre sur la vie quotidienne.

 Une des salles animées de l'Arsenal.
Une des salles animées de l'Arsenal Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

L’ensemble est une ancienne usine de munitions rescapée de l’ère soviétique, nichée sous le centre-ville de Kiev. Elle est devenue une des boîtes de nuit les plus célèbres de la capitale et a conservé son nom original : Arsenal.

Notre arme principale, ici, c’est la musique! nous lance joyeusement le patron, Denys Pinchuk, un verre de champagne à la main. Il prend soin d’expliquer à quel point les Ukrainiens ont besoin de se changer les idées par les temps qui courent.

Cet endroit, c’est comme mon enfant, explique-t-il. Je l’ai conçu pour permettre à tout le monde d’évacuer la peur, l’énergie négative qui nous accable, au moins pendant quelques heures.

 Olesia, informaticienne à Kiev.
Olesia, informaticienne à Kiev Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Dans la foule compacte qui se déhanche, Olesia, une informaticienne de 24 ans, confirme le sentiment du PDG de la boîte : Ça fait du bien de se vider la tête. En plus, on se sent en sécurité ici, dans les sous-sols.

Près d’elle, un jeune homme venu de Rivne, une ville située à 300 kilomètres de Kiev, nous dit qu’il est ici, lui aussi, pour se changer les idées, pour enlever la pression du travail et de la guerre.

Sur certains murs, des projections incongrues d’images fortes : des objets brisés, des parties de corps humains habillés ou pas, des paysages ravagés.

Les tonalités house décoiffantes débordent d’une salle à l’autre. Près de l’un des nombreux bars, Oleksandra, 27 ans, employée d’une société informatique, ne se fait pas prier pour partager ses états d’âme.

Oui, je me sens un peu coupable d’être ici, c’est vrai. Mais il faut bien vivre. Souvent, j’ai peur. La veille du Nouvel An, un missile russe est tombé à 300 mètres de chez moi. C’était affreux. Maintenant, j’accepte la réalité. Je me dis que je dois continuer à travailler pour aider ma famille et faire du bénévolat. Un endroit comme ici m'aide à conserver l’équilibre et à garder le moral.

Elle ajoute avec insistance : Cette guerre me fait comprendre l’importance de vivre.

 Denys Moliaka, 34 ans, coordonnateur de #bikesforukraine.
Denys Moliaka, 34 ans, coordonnateur de #bikesforukraine. Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Nous sommes samedi, les jeunes fêtards ont commencé à se rassembler à l’Arsenal vers 14 h. Et pour cause : avec le couvre-feu en vigueur, la soirée endiablée doit se terminer à 22 h.

Denys Moliaka, 34 ans, sirote un thé avec des amis avant de rentrer. Il coordonne une campagne de collecte et de distribution de vélos, surtout dans les zones bombardées, pour aider les bénévoles à distribuer de l’aide aux victimes.

Nous ne sommes pas engagés directement dans les combats, dit-il, mais nous menons la guerre à notre façon, par l’entraide, la culture et la parole.

Dans un couloir plus calme de son labyrinthe souterrain, le patron Denys Pinchuk nous raconte qu’il en est à sa troisième vie à Kiev.

Le proprio du bar, Denys Pinchuk, pensif dans les couloirs de son établissement.
Le proprio du bar, Denys Pinchuk, pensif dans les couloirs de son établissement  Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Avant la guerre, il avait dû fuir Donetsk où il vivait, à cause de l’occupation russe. Il avait ensuite ouvert un restaurant et acheté un appartement à Marioupol. Encore une fois, il a été chassé par l’offensive militaire des voisins de l’est et a tout perdu. Sa maison, son commerce ont été rasés par les bombes.

C’est avec beaucoup d’émotion qu’il nous confie qu’une partie des profits de sa boîte de nuit est acheminée directement à ceux et celles qui se battent au front. Les militaires nous appuient et comprennent ce que nous faisons ici, dit-il. La plupart des autres bars font d’ailleurs la même chose en Ukraine.

Chad Zoratly et Lucy Rozanova sont également des mécènes culturels à Lviv, dans l’ouest du pays. Quand la guerre a commencé, l’an dernier, ils ont rapidement mis sur pied une sorte de bazar dans un parc de la ville pour générer des profits et aider leurs amis partis à la guerre.

 Chad Zoratly et Lucy Rozanova dirigent le People’s Place à Lviv.
Chad Zoratly et Lucy Rozanova dirigent le People’s Place à Lviv. Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

En juin dernier, alors que cela semblait totalement farfelu, presque irrévérencieux, le couple a organisé un immense rave en plein air où se sont rassemblées plus de 500 personnes. C’était tellement jouissif, nous dit Lucy. La danse a eu lieu sous la pluie, on avait le sentiment de se laver de nos peurs, de faire disparaître toutes nos angoisses!

Le couple a ensuite ouvert un bar, le People’s place, dans un sous-sol du centre-ville. Il a d’abord été utilisé par les amis et les voisins comme abri lors des alertes d’attaques imminentes. Lviv a connu plusieurs bombardements de missiles russes. Chad a ensuite invité des DJ de l’étranger pour animer l’endroit et montrer l’appui des artistes d’ailleurs à la cause ukrainienne.

Lui-même originaire du Liban, mais établi en Ukraine depuis longtemps, il juge essentiel de s'impliquer à sa manière en utilisant la culture et la musique. Nous avons plusieurs amis qui sont partis au front, alors nous avons amassé des dizaines de milliers de dollars pour les aider. Récemment, nous avons réussi à leur acheter un drone et à l'envoyer sur place. Ça nous donne le sentiment d’être utiles.

Si tout va bien, Chad et Lucy souhaitent ouvrir un bar semblable à Ivano-Frankivsk au printemps, puis un autre à Kiev. Pour augmenter leur impact sur la population et auprès des troupes.

À Kiev, le patron de l’Arsenal, Denys Pinchuk, est dans le même esprit : aider les militaires et rallier les appuis. Il tient à remercier chaudement les journalistes canadiens qui prennent le temps de venir en Ukraine pour s’intéresser à nous. Ça change totalement la donne!

 La fête, comme une lumière qui guide l'espoir dans la nuit guerrière.
La fête, comme une lumière qui guide l'espoir dans la nuit guerrière.  Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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