Orléans, en banlieue d’Ottawa, un mercredi soir frisquet du mois de novembre. Dans le stationnement sombre et mal éclairé de la paroisse Sainte-Marie, des personnes, des aînés pour la plupart, sortent de l'église alors qu’une messe vient de se terminer.
À l’intérieur, dans la salle principale, l’ambiance est tout autre : lumineuse et chaleureuse. De jeunes adultes discutent entre eux, rient à gorge déployée.
Chaque semaine, de jeunes chrétiens âgés entre 14 et 25 ans se rassemblent pour une soirée de prières et de louanges. À première vue, ces jeunes vivent leur spiritualité d’une manière plutôt traditionnelle : chants religieux, lectures bibliques, discussions et réflexions.
Mais à l’extérieur des murs de l’église, ils consomment leur foi de manière plus représentative de l’air du temps : sur leur téléphone.
Benoît Rochon, un soudeur de 24 ans originaire d’Embrun dans l’est ontarien, va à la messe depuis sa naissance. Sa ferveur va à contre-courant de cette tendance qui démontre que les jeunes s’éloignent de la pratique religieuse.
En plus d’être un habitué de la maison de Dieu, il consomme du contenu religieux sur différentes plateformes numériques : il écoute des prêtres, des psychologues et des personnes laïques sur YouTube et télécharge du contenu musical chrétien.
Selon lui, ces plateformes montrent des manières de vivre notre foi et des exemples concrets de leurs expériences [...] ça peut encourager les jeunes à regarder.
L’équipe de «On n’est pas du monde» pendant une session d’enregistrement de son balado.Photo : Radio-Canada / Éric Careau
Le virage numérique de la foi
Le virage numérique de la foi
Dans son studio, à Québec, Antoine Malenfant anime On n’est pas du monde depuis trois ans. Le balado se veut une table ronde qui rassemble des collaborateurs de divers milieux, pour faire le pont entre la foi et la culture contemporaine.
Selon des chiffres fournis par Le Verbe, le média catholique derrière le projet, l’émission rejoint entre 200 et 400 personnes chaque semaine sur Anchor.fm et Spotify, en plus d’être disponible sur YouTube et Facebook.
Près de la moitié de ces auditeurs ont entre 18 et 34 ans. L’émission est aussi diffusée sur les ondes de stations religieuses.
« À l’origine, le projet est né dans un contexte de radio. [Au début], on se rendait dans les studios de ces radios religieuses. Avec la pandémie, ça devenait compliqué, alors on a décidé de s’équiper. Ça facilite ce virage vers le format podcast. Par exemple, on s’est équipé d’un studio où on peut se filmer, et là, on se retrouve sur YouTube, ce qui n’était pas le cas avant. »
Écouter un extrait du balado On n'est pas du monde
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Dans la chapelle de l’Université Saint-Paul, à Ottawa, la voix de Christian Dionne résonne parmi les gravures et les vitraux qui ornent les murs. Selon le professeur à la Faculté de théologie, il est vrai que les jeunes adultes ont décroché de l’Église.
Par contre, la recherche de spiritualité et toutes les questions relatives au sens de la vie, elles, existent encore. [Les jeunes] cherchent des contenus très spécifiques, précis et ajustés à leur réalité, croit-il. Il n’est pas du tout surpris de voir des jeunes s’intéresser à ce type de formats.
Christian Dionne, professeur à la Faculté de théologie de l’Université Saint-Paul dans la chapelle de l’établissement.Photo : Radio-Canada / Jacques Corriveau
« Ces jeunes, qui iront vers différents podcasts, ce n’est pas la clientèle des églises. On se tourne vers des voies alternatives, ce qui est matière à réjouissance. »
Le professeur Dionne salue le travail de ces gens qui ont osé créer des balados religieux, parfois avec peu de moyens : [Ils se sont dit] : on va aller rejoindre ces jeunes sur leur terrain, dans une réalité qu’ils connaissent , mentionne-t-il.
La radio religieuse à la croisée des chemins
La radio religieuse à la croisée des chemins
Les stations de radio à vocation religieuse tentent de s’inscrire dans ce virage numérique et de tirer leur épingle du jeu.
Dans un studio aménagé dans une ancienne école convertie en église du quartier Vanier à Ottawa, Fiston Kalambay ouvre son micro et entre en ondes.
Fiston Kalambay, président et fondateur de Radio Vie Nouvelle.Photo : Radio-Canada / Georges-Étienne Nadon Tessier
C’est là qu’il a établi le quartier général de Radio Vie Nouvelle, une des deux stations de radio chrétiennes dans la région. Le président et fondateur de l’unique station chrétienne francophone a quitté son emploi au gouvernement fédéral en 2016 pour s’occuper à temps plein de son projet.
Il est conscient que les stations de radio religieuses devront s’adapter aux réalités d’aujourd’hui pour attirer les jeunes croyants. Si tu ne le fais pas, tu disparais du marché. C’est une tendance qu’il faut réellement suivre, dit-il. Il admet cependant ne pas encore avoir commencé à le faire par manque de ressources.
« Le format de la radio traditionnelle a déjà fait ses preuves. Peu importe ce qu’il y arrive, les gens finissent toujours par [écouter la radio]. »
Care Baldwin, animatrice à CHRI-FM.Photo : Radio-Canada / Georges-Étienne Nadon Tessier
Un peu plus loin, le studio de CHRI-FM – l'autre station religieuse de la capitale fédérale – a pris quartier dans un secteur industriel de la ville. Le média se veut une source d’inspiration pour la communauté chrétienne de la région et encourage les croyants à vivre leur spiritualité en diffusant de la musique religieuse. Care Baldwin, 37 ans, animatrice du retour à la maison et directrice des promotions, y travaille depuis 16 ans.
Elle a grandi avec la station radiophonique, un peu comme certains auditeurs. Des familles viennent nous voir et les enfants nous disent : “J’ai 20 ans et vous êtes la seule station que j’écoute depuis que je suis né.” Nous avons grandi avec notre auditoire et notre auditoire a grandi avec nous, nous a-t-elle expliqué.
Parmi ces jeunes, certains décident de s'impliquer concrètement dans le projet de radio chrétienne. C’est le cas de Rachel Adjeleian, âgée de 24 ans et fraîchement diplômée de l’Université d’Ottawa. Elle est la plus jeune animatrice de CHRI et elle est d'avis que le contenu de la station parle aux jeunes comme elle.
La station a d’ailleurs lancé sa propre application mobile en 2013, afin de se rapprocher de son jeune public.
Rachel Adjeleian, dans le studio de CHRI-FM.Photo : Radio-Canada / Georges-Étienne Nadon Tessier
Patrick White observe et analyse l'écosystème médiatique, qui est en pleine mutation depuis l'arrivée du numérique. Pour ce professeur de journalisme à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, de voir des jeunes adultes, comme Care et Rachel, porter à bout de bras des stations de radio religieuses est de bon augure pour l’avenir de celles-ci.
Il croit cependant que les radios devront continuer à s’adapter en fonction des âges de leur auditoire si elles veulent demeurer dans le portrait médiatique, notamment par le biais de la diffusion en continu. Il faut penser à plein de formats [...] Les contenus doivent être différents et personnalisés, rappelle-t-il.
Ils ont le même âge, mais Benoît Rochon et Rachel Adjeleian ont une vision très différente des médias religieux. Elle a décidé de s’investir dans la radio, et lui est plus critique quant à l’avenir des médias religieux traditionnels. Il a définitivement tourné son regard vers du contenu numérique, sur demande.
« Pourquoi écouter la radio quand tu peux choisir ce que tu veux écouter? Je pense que c’est obsolète. Ça ne vaut plus la peine, la radio. »
Pour Benoît, la technologie est synonyme de culture et de spiritualité pour la nouvelle génération de croyants. Vivre leur foi passe nécessairement par le numérique parce que c’est comme ça qu’ils peuvent communiquer et c’est comme ça qu’ils savent communiquer, dit-il.
À l’image des soirées à l’église, le web permet à cette communauté de jeunes pratiquants de se rassembler et d’échanger sur leur foi, mais maintenant, ces conversations dépassent les frontières de la paroisse.
La paroisse Sainte-Marie d'Orléans sous un ciel étoilé.Photo : Radio-Canada / Michel Aspirot