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Confiance rompue, vies brisées

Confiance rompue, vies brisées

Texte et photos : Marc Godbout

Publié le 5 mai 2022

Rachel Mamakwa tient une photo de son frère. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Il était mon protecteur. Maintenant, il est parti. Le racisme l’a tué.

Rachel Mamakwa tient précieusement l’une des rares photos de son frère Don. En la montrant, elle doit replonger dans l’épisode le plus atroce de sa vie. Le cauchemar dure depuis l’été 2014.

Allongé sur les marches d’une église, Don Mamakwa est alors arrêté pour ivresse dans un endroit public. Les policiers détectent ce qui semble être une forte odeur d’alcool. Il respire difficilement et demande de l’aide. Les ambulanciers sont sur place, mais plutôt que d'être conduit à l'hôpital, il est amené en détention. Personne, finalement, n'aura vérifié son état de santé.

Quelques heures plus tard, Don Mamakwa est découvert inconscient dans sa cellule. Il mourra derrière les barreaux. L’Ojibwé, père de six enfants, avait 44 ans.

La séquence d'événements s’est déroulée dans une indifférence profonde, totale. Ses appels à l’aide ont été ignorés. S’il avait eu une autre couleur de peau, il serait possiblement encore en vie, raconte péniblement Rachel Mamakwa. Quand il est mort, ils n’ont même pas eu le courage de nous aviser.

Si forte et si fragile à la fois, elle mise sur la prochaine étape pour arriver à surmonter l’épreuve.

Une enquête du coroner doit bientôt examiner comment le racisme, les préjugés et les stéréotypes ont pu avoir été des facteurs dans le décès de Don Mamakwa et celui d’un autre Autochtone, Roland McKay, décédé dans les mêmes circonstances.

Pendant les huit dernières années, nous n'avons fait que souffrir. Nous voulons avoir toutes les réponses, nous méritons de connaître toute la vérité.

Les familles Mamakwa et McKay savent fort bien qu’elles ne sont pas les seules en quête de réponses.

Un mal ronge la plus grande ville du Nord-Ouest de l’Ontario. Le racisme à l’endroit des Autochtones fait des ravages. Les tragédies et les appels au démantèlement du service de police municipal alimentent la tourmente.

La lune éclaire le lac Supérieur et la ville de Thunder Bay. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Un nombre élevé de décès inexpliqués d’Autochtones se sont produits au fil des ans dans cette ville de 123 000 résidents.

Un rapport confidentiel ayant fait l’objet d’une fuite, en mars, recommandait que les décès de 15 Autochtones survenus à Thunder Bay, entre 2006 et 2019, fassent l'objet d’une nouvelle enquête.

Un gant accroché à une branche sur la berge de la rivière McIntyre, à Thunder Bay. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Mais en plus, l’audit destiné au procureur général de l'Ontario suggère que soient revus 25 cas non résolus de femmes et de filles autochtones disparues ou assassinées.

Le rapport prévient que la quarantaine de cas présentés ici ne constituent pas une liste exhaustive de tous les morts qui peuvent justifier une enquête plus approfondie.

Julian Falconer fait le plein de son avion.
Julian Falconer fait le plein de son avion. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Julian Falconer ne gagnera jamais un concours de popularité à Thunder Bay.

Il est l'un des avocats les plus réputés au Canada en matière de droits de la personne. C’est ici qu’il passe désormais la moitié de son temps.

Dans cette ville qui longe l’extrémité nord du lac Supérieur, il est perçu par plusieurs comme un ennemi.

Aux commandes de son petit avion, Julian Falconer multiplie les allers-retours entre Toronto et Thunder Bay, où il a ouvert un bureau satellite en raison des besoins criants.

L'avocat Julian Falconer pilote son avion au-dessus de Thunder Bay.
L'avocat Julian Falconer pilote son avion au-dessus de Thunder Bay. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Je viens ici parce que je dis souvent que Thunder Bay, c’est le "ground zero" au sujet des droits de la personne. Si on ne peut pas changer les affaires ici, on ne pourra jamais changer les affaires ailleurs au Canada.

Avant de poser son appareil, l’avocat survole les rivières McIntyre et Kaministiquia. Ce réseau fluvial coule à travers la ville et se jette dans le plus grand des Grands Lacs.

Ces deux cours d’eau ont été le théâtre d’horreurs pour les Premières Nations. Les cadavres de plusieurs jeunes étudiants autochtones y ont été retrouvés au fil des ans. Des décès survenus dans des circonstances suspectes.

Julian Falconer s’emporte : Si ces morts avaient été des enfants de Blancs, ce service de police n’existerait déjà plus.

La grogne chez les familles endeuillées a forcé la tenue d’une des enquêtes les plus exhaustives sur la conduite d’un corps policier municipal au Canada.

Le rapport du Bureau du directeur indépendant de l'examen de la police de l'Ontario. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

En 2018, le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police de l’Ontario a présenté un premier rapport accablant intitulé Confiance brisée.

On peut y lire que l’absence d’enquêtes adéquates et les conclusions hâtives tirées dans ces enquêtes sont, du moins en partie, attribuables à des attitudes racistes et à des stéréotypes raciaux.

Après deux années d’examen, le Bureau ira jusqu’à conclure que le racisme systémique existe à l’échelle institutionnelle au sein du Service de police de Thunder Bay.

Depuis ce jour, une avalanche de rapports, d'enquêtes et de plaintes n'a cessé de semer le doute sur la police municipale.

Julian Falconer, qui représente plusieurs familles autochtones, s’exprime sans détour : La situation ici est désespérée. Chaque cas fait l’objet de racisme et d’incompétence quand on parle de la mort des Autochtones.

Une partie de la ville de Thunder Bay, avec le parc provincial Sleeping Giant en arrière-plan.
Une partie de la ville de Thunder Bay, avec le parc provincial Sleeping Giant en arrière-plan.  Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Avec ses magnifiques vues panoramiques et ses vastes paysages naturels, Thunder Bay a de quoi charmer.

Son côté pittoresque peut même faire oublier assez rapidement les seize heures de route nécessaires pour s’y rendre à partir de Toronto ou les deux heures de vol, si l’on choisit cette option.

Mais cet attrait ne peut effacer l’autre image de Thunder Bay, celle d’une ville marquée au fer rouge par le racisme. Une réputation dont elle peine à se défaire.

Bill Mauro, le maire de Thunder Bay.
Bill Mauro, le maire de Thunder Bay. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Le regard de Bill Mauro trahit son agacement. Cet ancien ministre provincial de l’Ontario est devenu maire de Thunder Bay en 2018, tout juste avant la publication des premiers rapports d’enquête dévastateurs.

Il accepte de nous rencontrer dans son bureau de l'hôtel de ville. À peine la première question posée, il se braque. L’entrevue commençait comme suit : Êtes-vous d'accord avec ceux qui disent que cette ville est en crise et a un problème de racisme?

Je ne sais pas ce que vous voulez dire quand vous dites que nous sommes en crise. Quelle crise? Une crise de quoi?

Bill Mauro reproche aux médias nationaux de vouloir amplifier ce qui se passe dans sa ville, d’y accorder une importance démesurée.

Nous sommes un peu troublés par cette caractérisation. Je pense qu'il est juste de dire que le racisme existe à Thunder Bay, mais je pense qu'il est également juste de dire qu'il existe partout.

Dans cette réponse que le maire offre régulièrement, certains Autochtones voient une minimisation du problème. D’autres, un déni de la réalité. Rien pour apaiser les tensions.

Un Autochtone est devant l'entrée d'un commerce de Thunder Bay. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Thunder Bay a la plus forte proportion d'Autochtones urbains au Canada.

Ils étaient plus de 15 000, selon les dernières données de Statistique Canada disponibles. Cela équivaut à 12,7 % de sa population.

Il est environ 18 h 30, un lundi de mars. Le soleil est bas sur l’horizon. Des policiers interviennent auprès d’un homme agité qui semble intoxiqué. La scène, que nous avons observée par hasard, se déroule dans un abri d’autobus juste devant l'hôtel de ville.

Quelques minutes après leur arrivée, les agents font appel aux ambulanciers. Mais contrairement à Don Mamakwa, mort en détention en 2014, il est transporté à l’hôpital.

Des Autochtones regardent l'intervention à distance. Si vous n’aviez pas été là avec votre caméra, ça ne se serait peut-être pas passé de la même façon, suggère Reginald. Lui, il aura peut-être un peu plus de chances que d’autres. Ça ne se termine pas toujours comme ça.

Ils sont nombreux ici à ne pas vouloir s’exprimer sur le travail des policiers, disant craindre des représailles. Reginald, lui, considère que des agents sont très respectueux, contrairement à d’autres chez qui il existe encore trop souvent un comportement stéréotypé.

Don Mamakwa serait-il encore en vie s’il avait lui aussi été transporté à l’hôpital? Cette question mérite réflexion. Selon le rapport du médecin légiste, l’Ojibwé est décédé d’acidocétose diabétique dont les symptômes peuvent imiter ou exagérer les signes d’intoxication. L’enquête du coroner s’y intéressera.

Une manifestation lors du procès de Brayden Bushby à Thunder Bay, en novembre 2020. Il a jeté un attelage de remorque sur Barbara Kentner, une femme des Premières Nations qui est décédée plusieurs mois après l'agression de 2017.
Une manifestation lors du procès de Brayden Bushby à Thunder Bay, en novembre 2020. Il a jeté un attelage de remorque sur Barbara Kentner, une femme des Premières Nations qui est décédée plusieurs mois après l'agression de 2017.  Photo : La Presse canadienne / David Jackson

Les histoires qui témoignent d’une atmosphère hostile aux Autochtones ne manquent pas. Et certaines sont plus dramatiques que d’autres.

Un matin de janvier, Barbara Kentner marchait paisiblement avec sa sœur dans un quartier résidentiel. Une boule d’attelage pour remorque est lancée d’une voiture en marche. Le projectile l’atteint à l’abdomen. Ouais, j'en ai une! a crié l’un des occupants du véhicule.

Cette mère ojibwée de 34 ans a succombé à ses blessures quelques mois plus tard. Son agresseur, Brayden Bushby, a été condamné à huit ans de prison, l'an dernier, pour homicide involontaire.

Brayden Bushby condamné à huit ans de prison, l'an dernier, pour homicide involontaire.
Brayden Bushby condamné à huit ans de prison, l'an dernier, pour homicide involontaire.  Photo : La Presse canadienne / David Jackson

Thunder Bay peut difficilement prétendre, comme par le passé, être un endroit où l’on peut échapper à l’agitation des grandes villes.

Elle détient le taux d'homicides le plus élevé au Canada et dépasse même les grandes villes comme Toronto, Montréal et Vancouver.

Les données de Statistique Canada, compilées à la demande de Radio-Canada, confirment que 75 % des victimes d’homicides survenus sur son territoire en 2020 étaient autochtones. Un énorme contraste par rapport à l’ensemble des régions métropolitaines de recensement, où la moyenne était de 17,4 %.

Et au palmarès des villes canadiennes ayant le plus haut taux de crime haineux, Thunder Bay se classe depuis des années parmi les cinq premières.

Une vue du lac Supérieur et du parc provincial Sleeping Giant en arrière-plan.
Une vue du lac Supérieur et du parc provincial Sleeping Giant en arrière-plan. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Il est impossible de ne pas remarquer l'ironie de la situation. Dans une ville qui accueille depuis toujours immigrants et réfugiés – dont récemment des Ukrainiens –, les membres des Premières Nations sont souvent traités comme des marginaux.

À Thunder Bay, la population autochtone est pratiquement de la même taille que la communauté italienne. Elle dépasse même la communauté finlandaise, qui constitue la plus grande à l'extérieur de la Finlande.

Là où on peut siroter une bière ou un café, un hiver pénible marqué par des précipitations records alimente les conversations. Mais aussitôt la question du racisme et des Autochtones abordée, on sent assez rapidement l’inconfort.

Après un premier verre, certains commencent à vous raconter fièrement l’histoire de leurs ancêtres arrivés ici pour exploiter le bois et construire les chemins de fer. Ils vous expliquent que leurs descendants ont souffert du racisme eux aussi, mais qu’ils l’ont surmonté sans se plaindre. Deux verres plus tard, ils finissent par vous dire que les problèmes actuels viennent de l'extérieur ou d’ailleurs.

Thunder Bay est l'une des plus importantes plaques tournantes du transport ferroviaire au Canada.
Thunder Bay est l'une des plus importantes plaques tournantes du transport ferroviaire au Canada. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Thunder Bay est née en 1970 de la fusion des villes jumelles de Fort William et de Port Arthur. Mais son histoire a réellement débuté au 17e siècle avec un avant-poste de la traite des fourrures sur le territoire des Ojibwés.

Au fil des siècles, les Autochtones et les colons ont fini par habiter le même territoire jusqu’à ce que les Ojibwés soient relégués aux réserves.

La dépossession coloniale a permis à Thunder Bay de prospérer à travers les décennies. Son port de manutention de céréales, jadis le plus grand du monde, ses élévateurs à grains et ses usines de transformation du bois en ont fait un important carrefour ferroviaire, et ont offert notamment des opportunités aux immigrants dans le premier tiers du 20e siècle.

La façade d'une ancienne succursale de la Banque canadienne de commerce, dans le centre-ville de Thunder Bay.
La façade d'une ancienne succursale de la Banque canadienne de commerce, dans le centre-ville de Thunder Bay. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Aux Autochtones qui vivent aujourd’hui à Thunder Bay s'en ajoutent des centaines d’autres qui viennent y séjourner à court, moyen ou long terme. Ils sont ceux qui viennent de l'extérieur ou d’ailleurs.

Tous les jours, c'est par dizaines que des passagers, en provenance des communautés éloignées, atterrissent à l’aéroport international de Thunder Bay. C’est très souvent le seul moyen pour eux d’obtenir des services auxquels ils n’ont pas accès dans leurs réserves.

Des étudiants viennent ici dans l’espoir de poursuivre leurs études secondaires ou supérieures. Des personnes atteintes d’un cancer, de diabète ou d’autres maladies s’y déplacent pour recevoir des soins. Ceux qui ont été traumatisés chez eux, par exemple par le suicide d'un proche, sont également envoyés ici pour obtenir du soutien psychologique.

Or, de nombreux Autochtones retrouvés sans vie à Thunder Bay proviennent de ces communautés éloignées. Des morts qui devraient, selon le rapport confidentiel du mois de mars, faire l’objet d’une nouvelle enquête ou d’un réexamen en raison du travail bâclé de la police.

Une affiche indiquant l'avenue Justice, une artère à sens unique, dans le centre-ville de Thunder Bay.
Une affiche indiquant l'avenue Justice, une artère à sens unique, dans le centre-ville de Thunder Bay. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Parmi les cas mis en lumière, celui d’un homme de 50 ans retrouvé mort dans la rivière Kaministiquia. Les policiers ont mis fin à l’enquête trois jours après la découverte de son corps sans que l'on sache vraiment où le défunt était allé et ce qu'il faisait avant de se retrouver dans la rivière.

Plusieurs entretiens avec des témoins essentiels n'ont pas été menés [ … ] Pas de recherche de preuves. Pas de fouille. Pas de saisie de vidéo.

Et même après que la police eut reçu des informations selon lesquelles la victime a été poussée par un homme dans la rivière, aucun effort n'a été fait pour localiser et interroger directement le suspect.

Ce n’est qu’un seul exemple de nombreux cas aux multiples lacunes. Le rapport ne constitue qu’un instantané de la situation. Il semble qu'à Thunder Bay, il y ait un plus grand nombre de morts subites et/ou d'homicides dont les défunts sont Autochtones, ainsi qu'un grand nombre d’Autochtones dont la cause du décès est accidentelle ou indéterminée.

La suite dépend du procureur général de l'Ontario, qui doit déterminer ce qu'il convient de faire du rapport.

Betty Achneepineskum, la grande cheffe adjointe de la Nation Nishnawbe Aski. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Le lien de confiance est brisé. Ce service de police doit être démantelé.

Les messages texte entrent sans arrêt. Son téléphone portable sonne continuellement dans la salle de réunion. Non seulement Anna Betty Achneepineskum est l’une des leaders autochtones les plus respectées en Ontario, mais elle est aussi parmi les plus sollicités dans des dossiers tragiques, dont certains ne sont pas sans évoquer la cas de Don Mamakwa.

Elle est la grande cheffe adjointe de la Nation Nishnawbe Aski, une puissante organisation politique représentant les communautés autochtones du Nord de l'Ontario.

La fuite du rapport confidentiel au mois de mars est loin d’avoir allégé son quotidien. Le document attise les préoccupations, tellement que 49 Premières Nations réclament la dissolution du Service de police de Thunder Bay.

Il n’existe pas d’autres solutions. Comment avoir confiance? Nous tournons en rond depuis plusieurs années. Et nous n’avons rien vu de concret ayant permis de reconstruire cette confiance. Ce rapport en est la preuve ultime.

Anna Betty Achneepineskum a pu lire le document de 53 pages. Elle en reste ébranlée. Je vois leur visage. Deux des victimes mentionnées étaient des membres de ma famille. Ce ne sont pas juste des noms sur une feuille de papier. Ce rapport nous dit que nous ne sommes pas dignes d’être traités de façon humaine.

Cet appel au démantèlement du corps de police municipal n’est pas sans rappeler les récentes controverses en sol américain. Le meurtre de George Floyd par un policier de Minneapolis en 2020 a provoqué un débat public et des demandes de dissolution de corps policiers aux États-Unis.

Je sais qu'il y a beaucoup de bons policiers. Ils ne sont pas tous racistes, tient à préciser Anna Betty Achneepineskum. Ma préoccupation, c'est la responsabilité des officiers supérieurs qui ont le pouvoir de faire la différence et qui continuent à nier, et cela se reflète sur l'ensemble du service de police.

La cheffe de police de Thunder Bay Sylvie Hauth devant la Commission des services policiers de Thunder Bay. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

À Thunder Bay, le sommet de la hiérarchie est montré du doigt. Même la cheffe de police n’échappe pas aux critiques.

Pour l’instant, difficile d'imaginer comment Thunder Bay pourrait échapper aux projecteurs. Plus rien ne semble surprendre dans cet interminable et sombre chapitre de son histoire.

Dernier rebondissement : la démission de trois des cinq administrateurs de la Commission des services policiers de Thunder Bay, quelques jours après sa mise en tutelle pour la deuxième fois en quatre ans. Cette entité municipale a la responsabilité de surveiller le corps de police et de veiller à la prestation des services.

Or, celle-ci est secouée par une controverse depuis qu’une série de plaintes pour atteinte aux droits de la personne a été déposée par des agents et des employés civils contre elle et le service de police.

Georjann Morriseau.
Georjann Morriseau. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Sur la liste des dénonciateurs figure le nom de Georjann Morriseau. Ce n’est pas anodin. Cette ancienne cheffe autochtone est une des deux personnes toujours en poste au sein de la Commission.

Georjann Morriseau allègue avoir été victime de représailles et de discrimination de la part de la commission et de la cheffe de police de la ville, Sylvie Hauth. Il faut comprendre que des civils et même des policiers sont ciblés lorsque nous remettons en question le statu quo , insiste-t-elle. C’est ce qui nous arrive quand nous le remettons en question.

Les plaintes ont provoqué un autre séisme : Sylvie Hauth est maintenant visée par une enquête de la Commission civile de l’Ontario sur la police, et fait face à des allégations d’inconduite grave. Son adjoint était déjà suspendu pour des raisons qui demeurent inconnues.

Personne n’est tenu responsable du chaos. La commission de qui relève cette police agit comme si tout fonctionnait parfaitement. Ils sont complices, dénonce Georjann Morriseau.

Elle soutient que les recommandations faites en 2018 pour enrayer le racisme systémique au sein du corps policier n'ont toujours pas réussi à être mises en œuvre correctement. Pour elle, la Commission des services policiers de Thunder Bay est carrément dysfonctionnelle.

Des personnes souffrent et meurent ou risquent encore de mourir, d’enchaîner Georjann Morriseau. Le brouillard est encore très présent et c’est un épais brouillard qui aveugle encore beaucoup de gens.

Le bureau de la cheffe Sylvie Hauth a décliné notre demande d’entrevue sans plus de détails.

Une voiture de patrouille de la police de Thunder Bay.
Une voiture de patrouille de la police de Thunder Bay. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Si pour certains l’idée de démanteler le Service de police de Thunder Bay pourrait bien permettre de dénouer l’impasse dans laquelle il se trouve, elle est politiquement délicate. Particulièrement en cette année d’élections provinciales et municipales en Ontario.

Cette option, qui offre peu de précédents, place des politiciens comme Bill Mauro sur la défensive, lui qui compte solliciter un deuxième mandat à la tête de sa ville.

Je ne pense pas qu'il y ait un appel général à la dissolution de la police de Thunder Bay. Je n'ai pas d'opinion tranchée à ce sujet.

Bill Mauro maintient que beaucoup de choses ont changé pour le mieux depuis le premier rapport dévastateur de 2018.

Une grande partie du travail effectué à Thunder Bay au cours des cinq dernières années ne se retrouve pas dans les histoires rapportées par les médias. Donc, c'est une frustration pour nous, se plaint-il. Nous pensons que nous avons une bonne force de police.

Une façon de voir les choses qui peut expliquer que Bill Mauro, et particulièrement en cette année électorale, ait décidé de demeurer membre de la Commission des services policiers, désormais seul face à Georjann Morriseau.

Malgré la tutelle, il s’accroche à son siège, dans l’espoir d’imposer sa vision des faits.

L'avocat Julian Falconer.
L'avocat Julian Falconer. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Julian Falconer se prépare à remonter à bord de son avion au terme d’une autre semaine à Thunder Bay consacrée à obtenir justice pour les familles autochtones.

Pour lui, il faudra beaucoup plus que les récents développements pour renverser la situation.

On ne veut pas aller au cœur du problème. Pourquoi? Parce que si on va au cœur du problème, on sera obligés de démanteler cette police et beaucoup de têtes tomberont. Ceux qui ont le pouvoir se protègent.

L’avocat craint la suite. Il attire particulièrement l’attention sur une faille majeure relevée dans le rapport fuité en mars qui recommande de se pencher à nouveau sur les cas d’une quarantaine d’Autochtones morts ou disparus.

À la page 52, on peut y lire que le système de gestion des dossiers du corps policier est grandement problématique. Il entraîne un volume élevé de classification incohérente, un manque d'exactitude dans la classification des causes de décès et une piètre documentation de cas préoccupants qui peuvent nécessiter un examen supplémentaire.

Selon lui, cet élément confirme à lui seul que le Service de police de Thunder Bay est toujours incapable de mener des enquêtes sur les décès d’Autochtones. Pour que ça change, il faut démanteler la police et tout reconstruire. Il n’y a pas d’autres moyens.

Une mère et sa fille passent devant une voiture de patrouille de la police de Thunder Bay.
Une femme autochtone et son chien passent devant une voiture de patrouille de la police de Thunder Bay. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Bien que la police municipale soit de compétence provinciale, l’avocat Julian Falconer pense que le temps est venu pour le gouvernement fédéral d’entrer en scène. Le Canada est le principal partenaire dans les relations avec les peuples autochtones. L'honneur de la Couronne et la notion de partenaire sont les raisons pour lesquelles le Canada a une responsabilité de protéger.

Julian Falconer fait partie de ceux qui croient ardemment qu'Ottawa devrait au minimum faire pression sur le gouvernement ontarien.

Or, il se trouve qu’une partie de la ville de Thunder Bay recoupe justement la circonscription de l’actuelle ministre fédérale des Services aux Autochtones, Patty Hajdu.

En entrevue, la ministre s’empresse de déplorer l’état de la situation dans sa communauté : Le statu quo est inacceptable. Un Autochtone doit pouvoir avoir confiance en la police de Thunder Bay quand il a recours à ses services et ne pas ressentir d'appréhension.

Mais pour la suite, Ottawa n’a-t-il pas un rôle à jouer? Pourrait-il interpeller directement le gouvernement ontarien? L’affaire est certainement délicate. Patty Hajdu préfère se réfugier derrière le respect des compétences et ne promet rien.

Il est de la responsabilité de la municipalité de fournir des services à tous les résidents de Thunder Bay, sans préjugés ni racisme. C'est la responsabilité de la province [...] de s'assurer que les cadres de maintien de l'ordre ne perpétuent pas le racisme systémique.

La députée locale et ministre des Services aux Autochtones pèse ses mots dans plusieurs de ses réponses et se garde bien de dire si le corps de police devrait être démantelé.

Rachel Mamakwa.
Rachel Mamakwa. Photo : Radio-Canada / Marc Godbout

Huit ans plus tard, Rachel Mamakwa attend avec impatience la date du début de l’enquête du coroner sur la mort de son frère.

Pour la famille, le temps est loin d’avoir eu raison des frustrations. La toute dernière ne s’est résolue que récemment.

Le service de police et six de ses agents ont contesté pendant des mois l’admissibilité en preuve d’images captées par les caméras de sécurité.

Les vidéos montrent le traitement réservé à un autre Autochtone injurié et traîné à l’intérieur du poste de police. La séquence se déroule quelques minutes à peine après la mise en détention de Don Mamakwa.

Au grand soulagement de sa sœur, cette requête a été rejetée en raison de la pertinence du contenu des vidéos.

Nous avons été blessés encore et encore à cause de cette enquête qui n’est même pas commencée. Ça démontre leur vraie nature, huit ans plus tard.

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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