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Une doctrine dangereuse

Une doctrine dangereuse

Texte : Brigitte Noël, Laurence Mathieu-Léger et Michael Deetjens

Publié le 3 mars 2022

Depuis le début de la pandémie du coronavirus, Guylaine Ghis Lanctôt multiplie les séminaires et les présentations pour faire voyager son message antivaccin et antigouvernement.

Pour plusieurs figures de proue conspirationnistes, la médecin déchue est une inspiration. Ses paroles sont reprises par plusieurs influenceurs qui s’opposent aux mesures sanitaires et Mme Lanctôt enchaîne les entrevues et les manifestations.

Sa plateforme – et son influence – est plus importante que jamais, au grand dam des professionnels de la santé et des experts en matière de radicalisation, qui craignent son impact sur la santé publique.

« Tout est faux! Tous les systèmes sont faux, y compris le système politique, y compris le système de santé, y compris le système financier. Tout est faux, on vit dans un monde de mensonge!  »

— Une citation de   Guylaine Lanctôt, conférencière controversée

C’est le genre de propos qui constelle les ateliers de Guylaine Ghis (prononcé Guy) Lanctôt, une médecin québécoise déchue qui prône la désobéissance civile et la guérison par la pensée.

Pour 300 $, payés en argent comptant avec un dépôt envoyé par la poste, Enquête a pu infiltrer une de ces sessions de développement personnel pour faire état des sujets dont traite la conférencière octogénaire. Pendant trois jours d’ateliers, l’ancienne médecin a expliqué à son public d’environ 30 personnes que le but de la vie est de devenir un être souverain libéré de tout attachement matériel ou social.

Celle qui demande maintenant qu’on l’appelle Diesse Ghis – mot-valise qui combine dieu et déesse – dit avoir renoncé à ses rôles de citoyenne, de mère et de contribuable. Depuis près de trois décennies, elle roule sa bosse dans les sphères complotistes et New Age (nouvel âge), et elle est reconnue comme une des figures de proue de ces mouvements.

La pierre angulaire de sa doctrine est la transformation de l’être humain – à l’origine un mouton blanc qui se conforme aux normes – d’abord en un mouton noir qui se questionne et se rebelle, puis en une jument souveraine qui s’actualise. L’évolution se complète avec la jument ailée, un être réellement libre.

Mais l’enseignement de ces croyances ésotériques comporte des éléments qui, selon les experts, peuvent mener à des dérapages dangereux, car Guylaine Lanctôt prône entre autres l’interruption de traitements médicaux et l’abandon de médicaments.

D’après elle, les maladies seraient causées par des conflits émotionnels qu’il faut régler pour guérir. Elle prêche également l’abandon de toutes les institutions financières et encourage ses adeptes à faire une transition vers une économie souterraine à l’abri du fisc.

Si l’un s’apparente à l’incitation à la fraude ou à l’évitement fiscal, des familles nous racontent que l’autre peut causer la mort.

Jument ailée.
Guylaine Lanctôt, jument ailée. Photo : Radio-Canada

Dérives mortelles
Dérives mortelles

L’été dernier, le chanteur québécois Bernard Lachance est mort du sida, quatre ans après avoir abandonné sa trithérapie, ce protocole thérapeutique qui permet aux personnes atteintes du VIH de vivre une vie quasi normale.

C’est en 2017 que Bernard Lachance découvre une théorie qui prétend que le sida n’est qu’une invention de l’industrie pharmaceutique servant à engranger les profits. Cherchant à valider ces idées, il entre en contact avec Guylaine Lanctôt, avec qui il se lie d’amitié.

Portrait de Bernard Lachance.
Le chanteur Bernard Lachance est décédé à l'âge de 46 ans. Photo : Facebook

Enquête a pu consulter les courriels que s'échangeaient Bernard Lachance et l'ancienne médecin. Guylaine Lanctôt lui envoyait des rapports et des articles concernant la fraude du VIH, et Bernard enchaînait avec ses questions.

Mais Ghis, je suis confus maintenant. Je croyais que l’escroquerie du sida était de faux tests, pas un virus créé, lui écrivait-il le 7 septembre 2017, en réponse à un texte prétendant que le VIH lui aurait été injecté par l’entremise d’un vaccin contre l’hépatite B.

Il lui demande carrément s’il doit reprendre sa trithérapie : Si je comprends l’article, la maladie a été créée et donc est là? Effectivement je me suis fait avoir, mais j’ai besoin de la médication?

Guylaine Lanctôt répond que le VIH a été créé en laboratoire et qu’il ne cause pas le sida. Tu as toutes ces informations en main. Bon voyage et dors tranquille!, écrit-elle.

Retranscription

Le 7 sept. 2017 à 10:33 :
Le HIV (virus) a été créé en laboratoire. Il ne donne pas le sida.
Le sida n’est pas une maladie (voir Mafia médicale), mais un syndrome (signes et symptômes) que l’on rencontre dans de nombreuses maladies (voir article de Christine Johnson).
Tu as toutes ces informations en main.
Bon voyage et dors tranquille!
Ghis

Tout le monde autour de lui le voyait dériver vers des idées qui n'avaient pas de sens. Il ne faisait plus confiance à ses amis. Il faisait juste confiance aux idées de Guylaine Lanctôt et aux idées des disciples de Guylaine Lanctôt, affirme Lise Lachance, la sœur de Bernard.

C’est à Guylaine et à ses adeptes que Bernard Lachance a confié sa santé dans les derniers moments de sa vie. Une enquête de Radio-Canada, publiée en juin 2021, raconte les conseils que lui avaient donnés ses amis conspirationnistes quelques semaines avant sa mort, notamment le recours à des solutions d’eau salée, à des suppléments et à des laxatifs.

Bernard Lachance, Ghis Lanctôt et Amélie Paul regardent la caméra.
Bernard Lachance accompagné de l'ex-médecin Guylaine Lanctôt et de la youtubeuse Amélie Paul. Photo : Bernard Lachance

Il est mort le 11 mai 2021 d’une septicémie bactérienne en lien avec une infection au VIH, selon le rapport du coroner.

Bernard Lachance n’est pas le seul à avoir mis sa santé en péril en suivant les enseignements de Guylaine Lanctôt. D’autres familles blâment la médecin déchue pour leur descente aux enfers ou pour avoir contribué à la mort de leurs proches.

Enquête a parlé à trois autres familles qui relatent des histoires semblables. C’est le cas d’Ernest*, qui dit avoir perdu deux de ses sœurs à cause de la doctrine de Guylaine Lanctôt. Il a demandé l’anonymat pour éviter de bouleverser davantage sa famille fragilisée par les événements.

Ma sœur plus vieille avait lu La mafia médicale et était convaincue que tout était arnaque. Elle a bu les paroles de Guylaine Lanctôt, dit-il. Selon lui, l’aînée a transmis ces connaissances à leur sœur cadette, lui disant que les médicaments qu’elle prenait pour traiter un trouble psychiatrique étaient inutiles et ne faisaient qu’enrichir l’industrie pharmaceutique. La plus jeune sœur a commencé à refuser tout traitement médical.

« Elle avait une bosse dans la cuisse. Ils lui ont dit que c’était une thrombose, mais elle a refusé les médicaments et les traitements qu’ils lui ont proposés. Elle est morte d’une embolie pulmonaire, morte à 44 ans de quelque chose qui était traitable. »

— Une citation de   Ernest à propos de sa sœur cadette

C’était en 2002. Quelques années plus tard, l’aînée, une diabétique qui faisait de la haute pression sans se traiter, a fait un AVC. Ça a pris beaucoup de travailleurs sociaux pour la convaincre de prendre des médicaments, confie Ernest. Elle est déficiente depuis son AVC, il lui manque des bouts.

Une autre femme nous a confié que les enseignements de Guylaine Lanctôt avaient complètement chamboulé sa vie. Elle parle de son expérience en médecine, et je pense que c’est là que j’ai donné ma confiance, raconte Magalie*, qui a également demandé à ce que son identité soit protégée afin d’épargner sa famille.

Après avoir lu La mafia médicale, elle dit avoir radicalement changé sa vie. Mère de famille, elle a refusé toute vaccination pour elle-même et ses enfants et elle s'est tournée vers des remèdes naturels. Aujourd’hui je vois ça comme de la négligence, reconnaît-elle. Mes enfants n’ont pas vu de médecin de famille de toute leur jeune enfance.

C’est seulement après le diagnostic de leucémie de son fils que Magalie a finalement lâché prise. Elle explique qu’un long parcours en psychiatrie a cependant été nécessaire pour qu’elle abandonne complètement ses croyances.

Une femme avec de gros yeux.
Guylaine Lanctôt à l’émission Enquête en 2009.  Photo : Radio-Canada

Guylaine Lanctôt a déjà été confrontée aux dommages que peuvent causer ses conseils. En 2009, dans le cadre d’un reportage sur le mouvement antivaccin présenté à l’émission Enquête, l’ancienne médecin avait été questionnée sur le rôle qu’elle aurait joué dans la mort d’André St-Arnaud, un ingénieur décédé après avoir refusé de traiter un cancer.

Il a rencontré madame Guylaine Lanctôt et ils sont devenus quand même assez amis, parce que Mme Lanctôt allait même manger chez mon père et sa compagne, relate sa fille Anne St-Arnaud. Elle explique que son père est devenu un adepte de Lanctôt et de la biologie totale, courant controversé qui prétend que les maladies physiques ont une origine uniquement psychologique.

« Je me souviens d’avoir parlé au médecin de mon père qui disait : "Mme St-Arnaud, c'est très grave, votre père avait au départ un cancer qui aurait pu très bien se soigner, un cancer de la prostate, mais il a refusé et ça a dégénéré". »

— Une citation de   Anne St-Arnaud à propos de son père

Le cancer s’est répandu dans ses os et André St-Arnaud est décédé en 2004. Je ne peux pas dire que c'est à cause d'elle qu'il a perdu la vie, il a fait ses propres choix, affirme Anne St-Arnaud. Mais il a adhéré à des choses qui étaient, à mes yeux, extrêmes.

Deux femmes.
Les sœurs St-Arnaud, Josée à gauche et Anne à droite.  Photo : Radio-Canada
Une seringue.
Guylaine Lanctôt, seringue. Photo : Radio-Canada

L’experte des belles jambes
L’experte des belles jambes

Vers la fin des années 1980, Guylaine Lanctôt se spécialise en phlébologie, c'est-à-dire le traitement des varices. Considérée comme une sommité dans le domaine, elle est propriétaire de plusieurs cliniques au Canada et aux États-Unis.

Des proches de Lanctôt à cette époque nous parlent d’une entrepreneure audacieuse avec un sens des affaires aiguisé, d’une médecin talentueuse dotée d’une impressionnante liste de patients. Durant ces années, Guylaine Lanctôt est souvent invitée à la télé, où elle participe à des chroniques de beauté ou de mode.

En 1988, elle publie un premier livre intitulé De belles jambes à tout âge, bouquin qui explore la mode, la liposuccion et les traitements contre la cellulite. Puis, au début des années 1990, elle se lance dans une nouvelle direction.

Lors de l’atelier auquel Radio-Canada a assisté, Guylaine Lanctôt explique que c’est lors d’une conférence en France, en 1992, qu’elle découvre le mouvement antivaccin, quoique des proches nous racontent que son virage conspirationniste était déjà bien entamé.

C’est à ce moment qu’elle commence la rédaction de son livre La mafia médicale, œuvre controversée qui deviendra le texte fondateur de sa doctrine. Publié en 1994, le livre remet en question les principes fondamentaux de la médecine moderne et sonne le glas de sa carrière de médecin.

Elle prétendait que les vaccins épuisent le système immunitaire, que les vaccins étaient responsables de l'épidémie de sida, que les vaccins entraînent chez les enfants des otites, des allergies, [qu’ils] peuvent causer l'autisme, se souvient la Dre Marguerite Dupré, qui travaillait alors comme syndic adjointe pour le Collège des médecins. Des propos de ce genre-là, qu'il y avait un establishment médical qui était à la solde des compagnies pharmaceutiques.

« Un des propos que je trouvais totalement insultants à l'égard des femmes qui ont des cancers du sein, c'était que le cancer du sein est une maladie de la pensée et qu'on se guérit seulement par une pensée positive. Il faut bien ne pas connaître le courage des femmes qui ont eu un cancer du sein pour tenir de tels propos. »

— Une citation de   Dre Marguerite Dupré

L’ancienne syndic affirme avoir jugé que les propos de Lanctôt représentaient un danger public d'une manière à entraîner des gens à abandonner des traitements ou à empêcher les enfants d'être protégés contre certaines maladies.

L’ordre professionnel a décidé d’intervenir. Une plainte officielle a été déposée au Collège des médecins en 1994, ce qui a mené à des audiences disciplinaires qui se sont étalées sur plus de deux ans.

Au fil des audiences, la Dre Dupré raconte que le Collège avait fait défiler une série d’experts médicaux qui ont souligné les failles dans le raisonnement de Guylaine Lanctôt. Celle-ci n’a pas fait appel à un seul expert.

Elle voulait faire témoigner des gens qui voulaient parler de leur expérience personnelle, comme quoi ils avaient été guéris en suivant ses conseils, explique la Dre Dupré. Mais le comité lui a bien expliqué que c'étaient des anecdotes qui n'étaient pas fondées.

La décision du Comité de discipline du Collège des médecins note également que dans son livre La mafia médicale, Guylaine Lanctôt admet ne pas avoir lu tous les ouvrages qu’elle cite comme références.

À propos de la bibliographie du livre La mafia médicale

L’auteure se garde bien d’affirmer qu’elle appuie ses dires et opinions sur une démarche scientifique reconnue. Ne chercher (sic) pas ici les preuves, les références, les chiffres : vous ne le trouverez pas. […] Mon but n’est pas de vous convaincre mais de vous informer, vous qui ne devez suivre qu’un seul maître, votre moi profond (Prologue, p4). Et plus loin : Je ne recommande pas forcément le contenu ou le message de ces livres que je mentionne. Certains, je les ai lus de bout en bout; d’autres, je les ai seulement feuilletés; d’autres enfin, je ne les ai pas lu (sic) du tout (Prologue, p4)

Extrait du dossier disciplinaire de Guylaine Lanctôt (p.11, point 2)

En 1997, Guylaine Lanctôt est déclarée coupable de tous les chefs d’accusation. Le Comité de discipline tranche qu’elle trompe le public par la communication d’informations inexactes et contraires aux données de la science et que ses opinions posent préjudice à la santé et au bien-être de la collectivité.

Guylaine Lanctôt est alors radiée de façon permanente et perd son titre de médecin. La Dre Marguerite Dupré explique qu’il s’agit d’une sanction extrêmement rare : C'était la première et la seule fois. Je n’ai jamais demandé une révocation de permis [depuis].

Deux fioles de médicaments.
Guylaine Lanctôt, médicaments Photo : Radio-Canada

Propulsée par la pandémie
Propulsée par la pandémie

Depuis plusieurs années, Guylaine Lanctôt roule sa bosse dans l’univers marginal du mouvement antivaccin. Elle donne des ateliers en Amérique du Nord, mais également en Europe, où elle côtoie certains complotistes notoires, comme le Britannique David Icke, célébrité de la complosphère qui croit que le monde est secrètement gouverné par des reptiles extraterrestres.

« Guylaine Lanctôt, c'est une figure de proue un peu historique du mouvement antivaccin au Québec. Elle a beaucoup d'expérience. C'est une ancienne médecin, donc elle est souvent citée comme autorité dans le milieu complotiste. »

— Une citation de   Louis Audet-Gosselin, directeur scientifique et stratégique du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence

Loin de ralentir, l’octogénaire multiplie les livres, publiant de nouveaux carnets vendus à 20 $ la pièce qui présentent tous les volets de sa doctrine, et donc ses croyances en lien avec la société, la loi, la santé, l’éducation, etc.

La pandémie a donné un regain de popularité à Guylaine Lanctôt. Elle se trouve un nouveau public auprès du mouvement de contestation contre les mesures sanitaires. Ses théories concernant les virus et les vaccins l'amènent sur le circuit des vlogueurs conspirationnistes et des manifestations antimasques.

Sur scène, sur YouTube et dans de nouvelles éditions de ses livres, Guylaine Lanctôt continue de transmettre sa désinformation : les vaccins sépareraient le corps de l’âme et les virus sont simplement les rejets de choses dont le corps n’a plus besoin.

Ses enseignements sont allègrement saupoudrés d’idées tirées d’autres théories farfelues, comme le mégacomplot QAnon qui prétend que le monde est gouverné par un groupe d’élites pédo-sataniques.

Au cours de l’atelier que nous avons infiltré, des collaborateurs de Lanctôt nous ont révélé que la pandémie avait fait bondir la demande pour les conférences de l’ancienne médecin et que de nouvelles sessions avaient été ajoutées au calendrier déjà chargé de la conférencière.

Pendant l’atelier auquel Enquête a assisté, la conférencière a encouragé ses participants à éviter les vaccins et à ne pas consulter de professionnels de la santé.  
Des sacs d'argent.
Guylaine Lanctôt, sac d'argent. Photo : Radio-Canada

Hors des radars
Hors des radars

Ce n’est pas qu’avec son ordre professionnel que Guylaine Lanctôt a des ennuis. En 1995, quelques mois après la parution de son livre La mafia médicale, la médecin déchue fait faillite.

Dans le dossier de faillite consulté par Enquête, Lanctôt témoigne que La mafia médicale était son œuvre humanitaire. Elle explique qu’elle voulait à tout prix dénoncer la cupidité de l’industrie médico-pharmaceutique, même si cela lui coûtait son métier.

Avant la publication de son livre, elle tente de vendre ses cliniques. On apprend qu’elle reçoit quelques offres, qu’elle les refuse sous prétexte qu'elles ne sont pas assez généreuses. Finalement, elle dit les avoir données aux médecins qui travaillaient pour elle. Puis elle cède les droits d’auteurs de son livre inachevé à ses enfants, et elle vend sa maison à sa sœur.

Au moment de sa faillite, Guylaine Lanctôt prétend ne plus rien avoir, ni résidences, ni droits d’auteur, ni cliniques. Il ne lui restait que 300 $ en actifs, d’après elle.

Les documents judiciaires consultés par Enquête démontrent que les procureurs au dossier doutaient des gestes posés par Lanctôt avant sa faillite. La faillie a occasionné sa faillite par négligence coupable à l'égard de ses affaires commerciales, avaient-ils argumenté, ajoutant qu’à leurs yeux Lanctôt aurait commis une infraction aux termes de la Loi sur la faillite.

La cour a rejeté ces accusations, tranchant que Mme Lanctôt avait fait preuve d’insouciance plutôt que de négligence. La décision souligne cependant la disparition d’actifs tangibles sans aucune explication, soit près de 200 000 $ en REER.

Depuis, Guylaine Lanctôt a cessé de soumettre ses déclarations d'impôt. Elle se revendique citoyenne souveraine et renie donc les institutions financières.

« Les citoyens souverains prétendent que chaque individu peut choisir de ne pas être assujetti à tous les types d'impôts. L'individu peut décider qu'il n'est pas assujetti aux lois de l'État. »

— Une citation de   Marie-Pierre Allard, fiscaliste

C’est effectivement ce que croit Guylaine Lanctôt, qui, depuis 1995, dit refuser de produire ses déclarations de revenus. Elle a d’ailleurs fait face à la justice en 2008 et purgé une peine de prison de deux mois pour refus de signer la libération conditionnelle faite à son nom d'état civil.

Devant les tribunaux, Guylaine Lanctôt a expliqué qu’elle refusait de participer au processus judiciaire, car elle ne s'identifiait plus comme Guylaine Lanctôt. Pendant les procédures, elle a même remis au juge un avis de décès annonçant le décès de cette dernière.

L'avis de décès de sa mère truqué.
Faux avis de décès produit par Guylaine Lanctôt pendant son procès en 2008.  Photo : Radio-Canada

Moi, je n'ai jamais admis que c'était moi qui devais payer l'impôt, a-t-elle déclaré dans l’atelier que nous avons infiltré en 2021. Elle explique qu’il existe deux Guylaine Lanctôt, l’être humain et l’autre, qui est une création du gouvernement, une corporation et qui doit payer l'impôt.

Ils ont condamné l'autre à 1000 $ payables sur deux ans, dit-elle à ses adeptes. Donc, ça a été fini, évidemment j'ignore si l'autre a payé ou pas, mais je n'en ai plus entendu parler!

Celle qui prétend toujours ne pas payer d’impôts encourage ses adeptes à suivre sa trace. Elle leur donne même des conseils pour se cacher du fisc, en leur recommandant de rompre avec les banques et de travailler au noir. On arrête de payer l'impôt. Vous avez envie d'arrêter? Vous allez voir, c'est pas grave!, lance-t-elle.

Pendant l’atelier auquel Enquête a assisté, Guylaine Lanctôt encourage ses adeptes à sortir leur argent des banques et leur donne des conseils pour se cacher du fisc.  

Les conséquences, selon Guylaine Lanctôt, sont minimes : Le pire qui arrive, c’est qu’ils vous envoient une lettre disant [que] vous n'avez pas payé d'impôt. Peut-être qu'ils ne reviendront pas, peut-être qu'il y aura pénalité, mais amusons-nous. Tout est faux!

Pour l’avocate fiscaliste Marie-Pierre Allard, de tels propos sont préoccupants. Le fait d'encourager les gens non seulement à ne pas produire de déclaration de revenus, mais à faire du troc ou à utiliser de l'argent comptant, ou ne pas utiliser de carte de crédit, c'est de différentes façons de faire la fraude fiscale.

De son côté, Revenu Canada nous indique que les stratagèmes de contestation fiscale sont illégaux et ont de graves conséquences juridiques et financières. L’agence fédérale n’a pas voulu commenter le cas de Guylaine Lanctôt, mais elle nous dit qu’elle s’engage à ouvrir une enquête criminelle lorsqu’il y a présence d’évasion fiscale flagrante et délibérée, et qu’il est dans l’intérêt public de le faire.

Mais Enquête a pu constater que Guylaine Lanctôt compte sur un réseau de personnes qui sont toujours liées aux institutions qu’elle vilipende. Elle affirme souvent ne plus posséder de biens à son nom.

« Je n'ai rien, c'est clair? Rien, rien, rien. Pas de compagnie à numéro. Je n'ai rien, je me suis totalement dépossédée. Alors, ça ne veut pas dire que je suis pauvre et que je vis dans la misère. Non, je vis bien, mais dans une maison qui ne m'appartient pas. Ça n'a pas besoin de m'appartenir. »

— Une citation de   Guylaine Lanctôt, conférencière controversée

Or, cette maison qui ne lui appartient pas est la propriété d’une fiducie, dont la fiduciaire est une associée de longue date avec qui Guylaine Lanctôt habite; une femme qui participe à la publication de ses livres, enseigne sa doctrine et qui cosigne parfois ses courriels. Dans l’avis de décès de la mère de Guylaine Lanctôt publié en 2000, le nom de cette même femme est annexé à celui de Guylaine dans le format habituellement réservé aux conjoints.

Guylaine Lanctôt offre certaines de ses formations en collaboration avec une entreprise de coaching enregistrée, détenue entre autres par deux de ses enfants. Les ateliers sont payants, mais les modalités financières entourant sa rétribution sont inconnues.

Les profits engrangés par Guylaine Lanctôt sont difficiles à cerner. Les dates, les lieux et les coûts précis de ses ateliers ne sont pas affichés sur son site web, mais seulement disponibles par courrier postal. Enquête a pu mettre la main sur l’horaire été/automne 2021, qui comptait cinq ateliers dont les prix varient entre 120 $ à 600 $ par personne.

L’atelier auquel nous avons assisté, qui a coûté 300 $ sans hébergement, comptait une trentaine de participants. On estime donc que Guylaine Lanctôt aurait récolté environ 9000 $ durant cette fin de semaine, sans compter les livres et les autres produits vendus sur place.

S’il est impossible de connaître les revenus des publications de Guylaine Lanctôt, le dossier de faillite de 1995 mentionne que, dans l’année après sa sortie, son livre La mafia médicale avait rapporté des profits au-delà de 120 000 $.

Le bouquin, qui porte désormais l’inscription Best Seller, a été réédité en 2021. L'auteure a depuis publié 13 autres volumes, dont une collection de 10 livrets qui se vend 180 $.

Une forme de radicalisation
Une forme de radicalisation

En janvier 2022, le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation publiait un rapport intitulé Typologie des discours complotistes au Québec durant la pandémie. Le projet servait à mieux comprendre les principales croyances complotistes ayant circulé pendant la crise de la COVID-19 et entravé les efforts gouvernementaux.

Guylaine Lanctôt y est identifiée comme une des figures de proue du mouvement de santé New Age (NA). Les adeptes des réseaux du NA se perçoivent comme des créateurs spirituels censés révéler au reste des simples mortels l’accès à la connaissance absolue de soi et de l’univers, indique le rapport.

Au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), le directeur scientifique et stratégique Louis Audet-Gosselin explique que, comme toute idéologie, ces idées de fausse science et de santé alternative véhiculées par Guylaine Lanctôt peuvent mener à la radicalisation.

« Les gens vont se mettre à adhérer à des idées qui vont à l'encontre des prescriptions médicales. Qu'on essaye de convaincre des gens de ne pas prendre des médicaments, d'avoir des comportements qui sont dangereux pour eux-mêmes. C'est là que se situe le danger. »

— Une citation de   Louis Audet-Gosselin, directeur scientifique et stratégique du CPRMV

Il explique que bien que le processus ait des allures de lavage de cerveau, il implique souvent des participants consentants : Ce qui est délicat, c'est qu'évidemment on parle d'adhérents qui sont adultes, qui font leur choix aussi.

Cependant, il ajoute que ceux qui se tournent vers ce genre de doctrine sont souvent en période de questionnement ou de choc traumatique.

Ce qu'on remarque comme facteurs de vulnérabilité principaux, il y en a vraiment une panoplie, mais c'est souvent le sentiment d'être marginalisé, d'être laissé pour compte, explique-t-il. Ça peut être un événement traumatique dans la vie personnelle qui l’amène à chercher des réponses globales à un événement vécu dans sa vie.

Un homme et une femme sourient.
Bernard Lachance en compagnie de Guylaine Lanctôt.  Photo : Radio-Canada

La famille de Bernard Lachance croit que c’est le traumatisme de son diagnostic VIH qui l’a fait basculer vers le complotisme et, par la suite, vers Lanctôt.

« Le VIH, il ne l'a pas pris. J'ai l'impression qu'il y a quelque chose, ça a créé quelque chose en lui qui fait qu'il a voulu que ce ne soit pas vrai.  »

— Une citation de   Lise Lachance à propos de son frère Bernard

Il cherchait, pour valider ces idées de faux virus, quelqu'un en qui il avait vraiment confiance, explique-t-elle. Guylaine Lanctôt, avec son parcours en médecine, lui a inspiré confiance. Et elle dit que c'est un faux virus, et lui, c'est ça qu’il voulait entendre. C’est bien évident qu’elle a eu une grande influence sur lui, soutient-elle.

Le 5 novembre 2021, le rapport du coroner portant sur la mort de Bernard Lachance a tranché que ce dernier était bel et bien mort du sida.

Le coroner Pierre Bélisle souligne que Bernard Lachance s’était éloigné de la médecine traditionnelle, un choix qui lui appartenait, et qu’il avait pris cette décision en pleine connaissance de cause. Mais, pour ses problèmes de santé, il s’en remettait à des produits naturels et aux conseils de gens qui partageaient ses convictions, ajoute M. Bélisle.

Les conclusions du rapport du coroner ont fait bien peu de bruit dans les cercles complotistes, où l’on favorise la théorie du meurtre. Selon Guylaine Lanctôt, Bernard Lachance aurait été assassiné par l’industrie pharmaceutique à cause de ses prises de position contre la trithérapie.

Je l’ai connu il y a quelques années, il m’avait découverte par une vidéo et il s’est adressé à moi, et donc je l’ai suivi, raconte Guylaine Lanctôt dans une capsule vidéo animée par le conspirationniste Jean-Jacques Crèvecoeur. Pas suivi comme tel, je l’ai vu évoluer dans cette décision de dire, d’exposer l’imposture du VIH égale sida. Au début, il était tellement en colère. Je lui ai dit : "Tu ne peux pas faire ça comme ça, tu vas te faire tuer".

Elle dit avoir averti Bernard des risques qu’il prenait en sonnant l’alerte. Jean-Jacques Crèvecoeur renchérit que c’est suspect, la manière dont il est mort. Lanctôt acquiesce. Oui, oui, il était en grande forme et en trois mois il a dégringolé à toute vitesse.

Dr Réjean Thomas assis à son bureau face à la journaliste Brigitte Noël.
Le Dr Réjean Thomas a suivi un certain temps Bernard Lachance à sa clinique médicale. Photo : Radio-Canada / Emmanuel Marchand

La théorie que Bernard aurait été assassiné par Big Pharma parce qu'il était en croisade pour la vérité, ça me semble, c'est impossible et ridicule, dit Dr Réjean Thomas, ancien médecin de Bernard et expert dans le domaine du VIH/sida.

« Quand Bernard est décédé, le lendemain, le téléphone a sonné ici. Des gens qui voulaient reprendre leur trithérapie! Bernard a été influencé comme il a influencé d'autres. »

— Une citation de   Dr Réjean Thomas, expert dans le domaine du VIH/sida

La famille de Bernard Lachance – et les autres familles à qui nous avons parlé – se désole du fait qu’il existe si peu de recours pour les familles affectées par ce type de dérive.

Ça pousse les gens au suicide. Il ne s'est pas transformé en jument ailée. Il est mort. On a besoin d'être protégé de ces criminels, ces personnes, ces gourous qui veulent nous empêcher de voir des médecins, se désole Marie-Claude Lachance, sœur de Bernard.

La Dre Marguerite Dupré, qui ne travaille plus au Collège des médecins depuis 2005, se dit estomaquée d’apprendre que, malgré leurs efforts, Lanctôt a continué d’œuvrer dans le milieu de la santé alternative.

Elle mentionne que cette dernière s’expose maintenant à d’autres types de sanctions, car ses actions pourraient relever de l’exercice illégal de la médecine.

Le Collège des médecins peut intenter une poursuite pénale contre ceux qu'il considère exercer illégalement la médecine.

C'est ensuite aux tribunaux de déterminer s’il y a eu infraction. Les amendes prévues au Code des professions peuvent aller jusqu’à 62 500 $ par chef d’accusation.

Le Collège des médecins n’a pas voulu confirmer ou infirmer la tenue d’une enquête impliquant Guylaine Lanctôt.

Guylaine Lanctôt n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue.

Un document réalisé par Radio-Canada Info

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