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Percer le mystère du syndrome de la fatigue chronique

Percer le mystère du syndrome de la fatigue chronique

Un texte de Maude Montembeault

Publié le 12 juin 2019

Marie-France Barry, 50 ans, est atteinte d’encéphalomyélite myalgique, aussi appelée syndrome de fatigue chronique. La maladie cloue au lit les personnes touchées, qui sont envahies d’un malaise généralisé. Sa sœur jumelle, en pleine santé, et elle pourraient détenir la clé de ce mystère.

31 décembre 1999. Marie-France et ses proches se rassemblent un peu avant minuit sur le balcon de son condo de Toronto où elle habite. Ils soulignent l’arrivée de la nouvelle année en regardant les feux d’artifice dans la ville reine.

« J’étais en robe de chambre. Je tremblais comme une feuille et j’étais extrêmement malade. J’ai dit tiens, c’est le bogue de l’an 2000 qui est tombé sur moi. »

— Une citation de   Marie-France Barry

Ce n’était pas le bogue du nouveau millénaire, mais plutôt tous les symptômes de l’encéphalomyélite myalgique qui frappaient, sans signes avant-coureurs : étourdissements, troubles du sommeil, problèmes gastriques, baisse de pression, pertes de connaissance, faiblesses musculaires, etc.

Elle est alitée pendant trois ans. Trois ans allongée, soit dans son lit, soit sur son divan. Lors de périodes de crise comme celle en début de maladie, elle se déplace à quatre pattes pour se rendre à la salle de bain. Malgré quelques améliorations au fil des ans, Marie-France n’a jamais retrouvé la femme qu’elle était avant l’an 2000.

Aujourd’hui, faire l’épicerie, couper des carottes ou se laver les cheveux demandent un effort inimaginable. Par exemple, elle doit prévoir plusieurs jours d’avance de faire son épicerie. Une fois de retour à la maison, elle est souvent trop faible pour monter les sacs dans son logement. Une période de repos s’impose avant de poursuivre. Il est impensable pour elle de cuisiner ce qu’elle vient d’acheter.

Lorsque Radio-Canada l’a rencontrée, l’entrevue s’est interrompue après 20 minutes. La fatigue était perceptible dans ses yeux, son élocution était affectée. Elle devait se reposer.

« La dernière énigme médicale du 21e siècle »

Alain Moreau dans un laboratoire
Le chercheur Alain Moreau est l’un des seuls au Québec à s’intéresser à l’encéphalomyélite myalgique. Photo : Radio-Canada / Francois Genest

Plus d’un demi-million de Canadiens sont touchés par l’encéphalomyélite myalgique. Si on regroupe les cancers du sein, la maladie de Parkinson et la sclérose en plaques, on a encore deux fois plus de gens atteints, précise Alain Moreau. Le chercheur du Centre hospitalier universitaire de Sainte-Justine est en mission pour démystifier la maladie qu’il considère comme la dernière énigme médicale du 21e siècle. Les causes de la maladie demeurent inconnues à ce jour. Il n’existe aucun diagnostic pour la détecter.

Selon Santé Canada, l’encéphalomyélite myalgique est une affection débilitante et potentiellement invalidante. La maladie est plus fréquente chez les femmes de 40, 50 et 60 ans et se caractérise par une fatigue persistante, un malaise après effort, des douleurs et des troubles du sommeil.

Le défi est donc de taille pour le chercheur : trouver les causes et surtout un remède au syndrome de fatigue chronique. Mais comment faire avancer la science quand les patients peinent à se déplacer?

Marie-France Barry se soumet à des tests pour l'étude du chercheur Alain Moreau. Photo : Radio-Canada / Francois Genest

La science au chevet des malades
La science au chevet des malades

Mardi 19 mars, 10 h 30. Deux infirmières cognent à la porte du logement de Marie-France, qui réside à Trois-Rivières depuis maintenant plusieurs années. Leurs bras sont chargés de sacs et de glacières remplis d’équipements médicaux.

« On doit se rendre disponibles et aller vers les patients qui sont souvent alités et même quasiment hospitalisés à la maison donc ça change complètement la façon dont on doit penser quand on développe des tests pour les rendre disponibles. Pour ça, on a développé des tests pour reproduire entre autres le symptôme de malaise après effort. »

— Une citation de   Alain Moreau, chercheur

Pendant 1 h 30, Marie-France est branchée à une machine par un brassard semblable à celui que les médecins utilisent pour mesurer la tension artérielle. Juste cette pression-là qui gonfle et dégonfle va être suffisante pour créer un effort sans en faire un. C’est vraiment le but, explique l’infirmière Sophie Perreault.

Des prises de sang sont effectuées avant, pendant et après le test. À l’intérieur de 2 h 30, les analyses sanguines doivent être traitées dans les laboratoires d’Alain Moreau. Les échantillons de sang au repos et après l’effort sont comparés en fonction de différents biomarqueurs qui permettent d’établir un profil.

Une pipette dépose le plasma d’un échantillon sanguin dans un récipient.
Dans les laboratoires de l’hôpital Sainte-Justine, les techniciennes retirent le plasma du sang. Photo : Radio-Canada

L’équipe de scientifiques s’intéresse principalement au plasma, plus précisément à la concentration ou à la variation de certains microARN. Les microARN sont de petites molécules qui ne produisent pas de protéines. Ils permettent de découvrir les gènes en cause dans la maladie pour ensuite trouver des solutions thérapeutiques.

Compter sur sa jumelle

La cohorte de 196 patients d’Alain Moreau serait la plus grande au pays pour étudier la maladie et parmi les plus importantes dans le monde. Le cas de Marie-France Barry est particulièrement intéressant et pourrait rapidement faire progresser la recherche. Pourquoi? Elle a une sœur jumelle, qui n’est pas atteinte de la maladie. En comparant leur profil d’ADN, il est plus facile d'identifier des hypothèses comme causes de la maladie.

Pascale Baril subit des tests.
La sœur jumelle de Marie-France, Pascale Barry, se compte chanceuse d’être en pleine forme. Photo : Radio-Canada / Francois Genest

Pour être capable d’investiguer ces facteurs environnementaux là, il faut travailler avec des sujets qui vont être quasi identiques au niveau de leur génome, d’où l’importance de travailler avec des jumeaux et jumelles identiques, mais qui vont être discordants au niveau de la maladie, explique Alain Moreau.

Les jumelles possèdent le même bagage génétique, mais pas le même profil de microARN en raison de l’influence de leurs environnements respectifs. Le profil de microARN peut indiquer ce qui, dans l’environnement, pourrait expliquer qu’une jumelle est malade et l’autre non. Les chercheurs veulent en quelque sorte évaluer l’influence environnementale pour ensuite identifier le mécanisme qui causerait les symptômes de la maladie.

Une veste d’astronaute pour les jumelles

Une camisole est suspendue sur un cintre.
La veste Hexoskin est utilisée pour mesurer différents paramètres dont la respiration et le rythme cardiaque. Photo : Radio-Canada

Deux semaines avant la visite des infirmières, Marie-France et sa jumelle ont enfilé la même veste que celle que revêt l’astronaute David Saint-Jacques pour sa mission dans l’espace.

On s’est dit que si la technologie est bonne pour aller dans la station spatiale, elle serait bonne aussi sur terre, lance Alain Moreau

Grâce à des capteurs, la veste permet de mesurer en temps réel différents paramètres comme la fréquence cardiaque et la respiration. Des données supplémentaires, aussi utiles pour la recherche d’Alain Moreau.

Réduire les symptômes d’abord et avant tout

Alain Moreau devant des techniciennes de laboratoire.
Alain Moreau s’est donné pour mission de percer le mystère de l’encéphalomyélite myalgique. Photo : Radio-Canada / Francois Genest

Il faudrait presque un miracle pour trouver rapidement un remède dans les prochaines années. Alain Moreau s’est fixé un objectif plus accessible à moyen terme. Il est plus réaliste de penser que dans un horizon de cinq ans, on va pouvoir s’attaquer plus spécifiquement à certains symptômes, les symptômes les plus sévères chez les patients, ce qui va leur permettre une qualité de vie.

Quant à Marie-France Barry, après 19 ans aux prises avec l’encéphalomyélite myalgique, elle a accepté son sort plutôt que de s’enfoncer dans la dépression. Ses crises sont moins sévères et elle a appris à cohabiter avec la maladie. La Trifluvienne vit au jour le jour, en comparant sa situation aux nombreux malades plus atteints qu’elle. J’ai pu voir une amélioration. Je la savoure énormément, je l’apprécie énormément.

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