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Eric Letourneau - eric_létourneau@yahoo.com - rencontre

ZACK

 

SETTEL

 

QUAN
NINH

 

ATAU

 

TANAKA

Eric Létourneau : Atau Tanaka, est-il vrai que tu travailles pour une société informatique?

Atau Tanaka : Non, non, non. Moi je suis musicien. C'est seulement le programme qui dit que je suis informaticien! C'est que, à l'époque, j'ai été sponsorisé par l'une de ces sociétés pour mon travail musical.

Eric : Il y a eu beaucoup de cela au Japon à une certaine époque…

Atau : Oui mais plus maintenant. À cause de la crise économique.

Eric : Je ne fierai pas sur le programme alors - et je commencerais donc par vous demander de vous présenter. D'où venez-vous? Pourquoi et comment vous en êtes venu à faire ce que vous faites?

(rires de tous)

Le Quahn Nin : Pourquoi? ... Jamais!

Eric : Non, mais ... il ne faut pas croire Hélène Prévost qui vous a dit que j'allais vous torturer. Ok jouaons le jeu... Pourquoi vous faites de l'art? Non!... Non!...

Zack Settel : OK. Qu'est-ce que vous avez mangé ce matin?

Atau : Comment était la poutine? J'ai mangé la poutine chez Max poutine et aussi chez Stratos et je peux dire que Stratos, c'est mieux.

Eric : Quelle est la différence entre les deux poutines?

Atau : Les pommes de terres ne sont pas du tout les mêmes et la sauce très différente.

Eric : Là sur l'écran je vois une photo et vous êtes avec la boîte, celle qui contient votre équipement... Vous l'avez prise juste avant votre départ! Vous voyez-vous souvent? Avez-vous pu pratiquer avant devenir ici à Victoriaville?

Atau : Pratiquer???

LN : Non, non, non. On joue ensemble depuis quelques années. On a eu une résidence près de Nancy, là où ily a un festival, peut-être le meilleur en France, qui s'appelle Musique Action qui est exactement en même temps que celui de Victoriaville. Mais on était plus nombreux. C'était un projet qui s'appelait Kinobits. Il y avait deux cinéastes expérimentaux et aussi deux autres musiciens. Et c'est comme ça qu'on a commencé à travailler ensemble. On a eu une résidence pendant une semaine, on a bricolé nos outils, on a fait notre cuisine pendant une semaine pour arriver chacun à "changer ses munitions". Et ensuite, on a fait quelques concerts comme ça, concert-spectacles avec du cinéma expérimental en même temps, du cinéma en direct. Mais cette formule-là on l'a fait une seule fois. C'était à Albi près de Toulouse en France. Mais juste avant de se voir là non, on n'a pas «pratiqué» en France.

Atau : En fait, j'ai vu Nin au petit déjeuner ce matin. Je savais qu'il était à Montréal depuis deux jours : moi je suis arrivé depuis un jour et demi aussi. Mais on se parle d'autre chose, on parle de la musique mais pas seulement de ça.

Eric : Alors aujourd'hui était la première fois que vous jouiiez à trois?

LN : Non, on a déjà joué une fois à trois. Cette formule-là on l'a fait une fois à Albi près de Toulouse.

Atau : Mais à Albi on a joué six ou sept fois...

Zack : Oui, deux résidences... On a joué pas mal... Et même dans le cadre de Kinobits, on a joué à plusieurs moments en trio dans la mesure ou il y avait l'occasion de faire des sous-ensembles en jouant. Donc, on avait déjà l'habitude de jouer à trois, dans le contexte de Kinobits. Donc, c'est comme une réunion familiale : tout le monde a une idée de sa place déjà une peu, et, ça continue.

Eric : Et qu'est-ce qui vous a mené au départ à vouloir travailler ensemble par ce que Nin vient d'un milieu d'instruments plus acoustiques : c'est la percussion Zack vient du milieu plus électroacoustique où l'on fait du live-electronic et Atau en plus du milieu musical intègre un élément d'art performance important dans son travail. Qu'est-ce qui vous a mené à unir les trois mondes ?

Nin : Quand on a commencé Kinobits, c'était l'idée - et aussi avec le cinéma expérimental, c'était un ensemble - que chacun devait même si c'était électronique informatique ou acoustique, il y avait des gens qui construisent en permanence leur instrument. Ils le construisent de manière presque physique, de manière logicielle quand il y a de l'électronique et informatique. Et même au niveau instrumental acoustique, le fait de travailler l'instrument d'une autre manière, c'est une manière de construire sons instrument, une manière de l'aborder. Et l'idée au départ de Kinobits était de réunir des gens, au départ sept personnes, qui font, fabriquent et conçoivent l'instrument avec lesquels ils jouent. et que ce soit des choses très anciennes comme le cinéma ou très nouvelles comme l'informatique au bout du compte le geste est le même : c'est celui de fabriquer ses choses d'être ses propres luthiers un petit peu, même si on utilise des choses qui sont d'origine extérieure.

Eric : Ce que j'ai vu aujourd'hui sont des objets qui existaient déjà. Est-ce vous intervenez à l'intérieur d'une façon électronique ou acoustique?

Nin : Un ordinateur effectivement a été fabriqué dans une usine qui appartient à Apple mais ensuite, le logiciel lui-même, quand on l'ouvre, quand on utilise MAX qui a été développé en son temps à l'IRCAM, qui continue maintenant à être développé un peu ailleurs c'est comme un traitement de texte. Quand on ouvre un traitement de texte, quand on ouvre une page, elle est vide. Il faut écrire son texte. On ne l'ouvre pas avec des textes tout faits! Et c'est la même chose, on a des pages vides, et on doit écrire ses propres programmes.

Eric : Et le fait que Zack a aussi travaillé à l'IRCAM a-t-il une influence sur cette façon d'écrire le programme et sur ces techniques?

Zack : Peut-être pour moi. Mais pour les autres je ne sais pas. Atau a été à l'IRCAM aussi. Et ce logiciel qui a été développé là, Max, est l'un des plus répandus pour la "performance". Et cela nous donne la possibilité de construire ces "instruments" particuliers. Dans le cas de Nin et moi, des instruments acoustiques avec des "parties" informatiques et électroniques qui vont avec les contrôleurs les capteurs et les choses comme ça. Et avec Max, Nin et moi, on a pu construire chacun son propre instrument entièrement programmé dans Max et intégré dans chaque canaux. Pour Nin c'était la percussion et les capteurs de percussions et pour moi, c'était plutôt la voix, l'analyse de signal avec le micro et tout ça. L'instrument est défini en "software", en logiciel.

Éric : Et dans le cas d'Atau, avec ses senseurs, comment cela fonctionne? Jusqu'où peut-on aller pour que le geste corporel puisse être traduit sous une forme sonore ou musicale?

Atau: Oh tu as répondu à la question! C'est un système qui prend la gestuelle du corps pour piloter et permettre au musicien de s'exprimer en son sur l'ordinateur et c'est tout!

Eric : Et qu'est-ce qui est capté du corps est-ce que c'est le mouvement? Est-ce que c'est le potentiel électrique des muscles?

Atau : Oui c'est le potentiel électronique des muscles.

Eric : C'est de l'électromyographie?

Atau : C'est de l'électromyographie mais au service de la musique.

Eric : ... et qui est ensuite traduite dans l'ordinateur avec Max?

Atau : Ouais.

Eric : OK... mais continue!.. Et après qu'est-ce qui arrive? D'où vient la matière sonore? Comment est-ce généré? Est-ce que c'est de la synthèse ou de l'échantillon qui est retraité en temps réel?

Atau : (un temps) Moi, je trouve que toutes ces questions n'ont pas beaucoup d'importance en fait. Parce qu'on joue de la musique. C'est une musique qui est jouée sur plusieurs instruments. Mais ça n'est pas différent des autres musiques. Donc ce n'est pas une question de savoir si je suis performeur et si Zaki est chercheur, si on est passé par l'IRCAM ou quoi... C'est de là que viennent nos instruments d'aujourd'hui. C'est vrai que ce qu'on a créé à l'IRCAM à l'époque était quelque chose de... peut-être avancé pour cette époque mais aujourd'hui on a plus besoin de ce studio. On peut faire tourner ce même logiciel sur un ordinateur portatif : on a ça sur scène. On peut avoir ça chez nous sur le Power Book et, en fait, c'est notre volonté comme musicien et d'avoir cet aspect performatif avec n'importe quel moyen qui est à notre disposition. C'est vrai que moi j'ai un instrument qui peut être considéré un peu exotique : ça prend des signaux myogrammes, ça transforme ça en signal musical en Max, j'ai des électrodes sur la peau et tout ... mais finalement j'ai seulement envie de m'exprimer ...

Eric : En fait le sens de ma question était différent. Je m'interroge souvent quant au rapport entre les instruments électroniques dont les sons sont générés par échantillonnage et les instruments acoustiques. Pour avoir moi-même occasionnellement, comme compositeur, trifouillé dans cela, je me suis souvent heurté à des limites techniques. J'en suis venu personnellement à une espèce de conclusion : il y a moyen de faire un certain nombre de choses mais l'échantillonneur est, dans un sens, une machine très primitive dans le sens ou les possibilités sonores, surtout quand on ne travaille pas avec de l'analogique, sont d'apparence limitées dans le nombre d'événements accidentels possibles lorsqu'un son se déclenche (je crois que le proportions accidentelel de bruits et d'harmoniques généré par les macanismes d'un instruments acoustiques fait la beauté de la structure interne d'un son).

Il y a également des limites d'interface entre le corps du musicien et l'instrument, surtout dans la subtilité ou dans la virtuosité que je peux obtenir avec un dispositif numérique si on le compare avec un instrument acoustique, que ce soit un gamelan (je pointe le gender wayang balinais se trouve dans la chambre), une flute ou autre chose... (Avec le gamelan, j'ai beau jouer la même note cinq cent fois, cette note sera cinq cent fois différente, tandis qu'avec un échantillonnage, l'échantillon sera parfaitement répliqué 500 fois, sans nouveau chaos accidentels notables dans la structure interne du son).

Et c'est un peu pour cela que je me demandais jusqu'où Atau pense pouvoir aller dans ce rapport entre le corps et le son et jusqu'où on peux aller dans le détail avec de tels instruments. Il est parfois difficile avec ces machines électroniques qui fonctionnent en temps réel de parler de virtuosité dans le détail du son dans le langage musical.

Atau : On cherche à être virtuose avec ces moyens. Et les limites ne nous gênent pas. En fait les limites aident à voir les frontières, les murs sur lesquels on peut frapper avec notre créativité. Nin va me dire "je t'en prie" mais moi je peux dire aussi dire que la grosse caisse est aussi un instrument "primitif" mais Nin trouve dans cet instrument "primitif" une gamme d'expression infinie. Et c'est justement à cause du fait qu'il y a des limites, parce que la grosse caisse a un certain diamètre et que la peau est fabriquée d'une certaine matière qu'il se bute sur une toile créative sur laquelle il joue. Si il n'y a pas de limite, on finit par faire n'importe quoi. Et c'est ça le problème de la technologie en fait. On dit que c'est sans limite. Mais on trouve très vite en fait que la technologie est très limitée. Moi ça ne me gêne pas. Mais ça aide à retrouver en fait la "personnalité" de la machine.

Eric : Attendez, laissez-moi encore un peu tirer la couverture! Le développement de la grosse caisse a pris des siècles, même des millénaires si on le voit dans un sens anthropologique. Alors que j'ai l'impression que le développement de cette machine (Éric pointe le Mac G3 de Tanaka) et bien... ce qu'on va pouvoir faire dans cinquante ou dans cent ans avec une machine comme celle-là, ça va être beaucoup plus puissant! Alors que la grosse caisse, elle ... elle a atteint un point d'évolution relativement stable.

Nin : Ah non! Non! Moi je ne crois pas!...

Zack : On peut dire une chose c'est qu 'avec l'informatique, il y a eu deux choses bien importantes. Deux seuils à dépasser. Le premier c'était peut-être au début des années quatre-vingt dix quand un logiciel comme Max et le Midi se développaient. Ça a donné naissance à un moment où on pourrait concocter soi-même sans passer par les logiciels déjà faits, une sorte d'instrument qui gère les événements musicaux, c'est-à-dire un traitement d'événements musicaux qui se veut relié aux instruments acoustiques, aux contrôleurs et tout ça et ça voulait dire que nous pouvions faire nos instruments sans avoir à passer par le logiciel de quelqu'un d'autre. Donc, c'était une certaine liberté, toujours avec les aléas de l'informatique : "ça plante, c'est de la merde" et tout ça mais ça donnait out de même une certaine liberté qui permettait de construire des instruments mais là c'était toujours relié au plan contrôle, Midi et tout ça donc on avait toujours des expandeurs, des générateurs de sons qui allaient avec l'informatique.

Donc, typiquement, c'était tu frappe sur un pot, il y a un capteur ça rentre dans l'informatique, l'informatique va faire des traductions et va peut-être envoyer un message musical MIDI vers l'expandeur pour sonner dans la salle et puis, juste cette année, il y a eu l'arrivée d'un Software bien important qui est le traitement de signal en temps réel générique. On a plus besoin d'acheter une carte spéciale ou un logiciel spécial. On fait plutôt le traitement de son sur le même système informatique que celui qu'on utilisait avant mais maintenant on peut aussi calculer l'audio et faire le traitement de signal de l'audio et on peut programmer cela nous-mêmes, tout en Software. Donc tout le studio que nous avions avant avec toutes les boites noires, et les racks et tout ça existent toujours mais maintenant en Software et tout l'instrument est défini maintenant dans un document texte par exemple qui décrit et le système de contrôle et le système de traitement de signal. Ce que ça veut dire pour nous c'est que ça peut non seulement exploiter le système de contrôle et tout ça nos instruments de contrôle mais aussi les systèmes audios ce qui veut dire qu'on peut créer des échantillons et des traitements de signal et tout ça ça reste intégré : ça tourne sur le même processseur : on fait un petit concert ce n'est rien du tout ça ne coûte pas cher mais, plus important, ça veut dire que les instruments que nous fabriquons pour nous-mêmes restent très très très sous notre contrôle et sous notre influence.

Atau : C'est organique. Quand tu parle de l'altération je trouve ça important. Parce que le contrôle tout seul, je ne trouve pas cela très intéressant. Cette idée d'avoir un senseur, un capteur pour piloter un truc et tout cela ne fait pas de la musique parce que c'est sens unique comme contrôle. Mais la musique c'est basé sur double sens : communication et échange. Soit entre les musiciens ou entre les musiciens et leur instruments et c'est plutôt celle dynamique que je recherche, avec l'ordinateur, c'est cette relation intime qu'on a avec les instruments acoustiques.

Eric : Est-ce ce qui différencie une telle utilisation des senseurs par rapport à celle en vogue dans les années soixante? Au début, les senseurs étaient interfacés avec des systèmes qui étaient entièrement analogiques. C'était finalement un contrôle assez direct du dispositif et j'ai l'impression que souvent le résultat était souvent plus organique avec du numérique. C'est pourquoi tantôt j'ai demandé si les sources sonores d'Atau étaient analogiques ou numériques, échantillonnées et synthétisées Quel est le taux d'accidents" sonores, etc.?

Atau : On ne peut pas dire que ce qu'on fait aujourd'hui était mieux que ce qui se faisait dans les années soixante. On revient à cette notion qu'il faut un peu de temps comme tu disais... la grosse caisse a évolué pendant des centaines d'années, des siècles. Il y a le violon qui a évolué de la viole au violon moderne. Et on ne dit pas en fait que la musique baroque est moins bonne que la musique romantique. C'est juste différent. Et c'est surtout qu'on a souvent pas le temps pour approfondir sa relation avec son instrument dans la technologie. L'ordinateur change tous les ans, il y a une mise à jour de logiciel tous les deux mois : on a pas les vingt ans qu'on aurait pour apprendre le violon. C'est pourquoi le Biomuse que j'utilise aujourd'hui est le même que celui que j'utilisais en 1992. Ça n'a pas changé!

Eric : Quand on parle du Biomuse, est-ce qu'on parle de logiciel ou de matériel?

Atau : Non c'est le boîtier qui transforme le signal myogramme vers l'ordinateur. Bon l'ordinateur a changé entre-temps mais donc c'était des changements pour le rendre plus organique … Mais à a base, ce que je fais n'a pas changé depuis sept ans, ce qui pour un musicien est tout à fait normal mais pour un informaticien, c'est quelque chose d'impensable. Parce que la technologie change à une vitesse très rapide. Moi je cherche à ralentir un peu cette accélération artificielle à chercher une relation avec la machine.

Eric : Est-ce que le fait de pourvoir maintenant transporter aussi facilement un appareil qui a autant de possibilité, qui est complet et qui devient un instrument - vous habitez tous dans différents coins du monde et pour vous retrouver comme cela - est-ce que celle flexibilité a une influence sur la musique que vous faites?

Nin : Non. C'est peut-être plus facile mais non ... je ne crois pas que ça change... bon on sait que le média souvent change la perception mais ... non je crois qu'on a la musique qu'on a à faire ... et qu'elle est commune à tous les trois, là. C'est cette relation qu'on a qui fait qu'on va jouer ce type de musique mais c'est sur que maintenant c'est moins pénible de transporter un power book que la 4X de l'IRCAM.

Eric : Ça c'est quelque chose qui n'était pas pensable!

Nin : Voilà, c'est ça qui est vraiment formidable et surtout ça a permis de sortir de l'institution : c'est ça qui est très important. Que les musiciens puissent sortir des institutions pour pouvoir faire des choses, ce dont ils parlaient tout à l'heure. Pouvoir venir sur scène avec des outils qui sont beaucoup plus adaptés à la scène sans prendre une prendre une place énorme. Et le fait de prendre moins de place est pour moi très important parce que ça prend moins d'importance aussi parce qu'on ne «focalise» pas sur ... «Ah! Ils ont imaginé tout ce matériel. !» Il y avait un côté «savant fou». Et on sait que les «savants fous» sont des gens qui ont envie d'avoir le pouvoir un peu sur les gens. Ils ont envie de les émerveiller...

Eric : ... de les fasciner...

Nin : ... de les fasciner! Et le mot "fascination" est quand même assez proche d'un autre mot qui commence pareil mais qui se finit autrement...

Eric : Ah oui? C'est comme ça que tu le conçois?

Nin : Ah oui pour moi complètement! Quand il y a trop de ... de ... merveilleux ...

Atau : C'est quoi le mot?

Eric : Il finit en "...iste".

Nin : "Fascination" est très proche de "fasciste" quoi, parce que le fait de cacher, on ne sait pas ce qui se passe et il y a le côté : "Ah! Ah! Voyez ce qu'on sait faire avec nos machins!" Ça me rappelle un peu...

Eric : Zack n'a pas l'air d'accord...

Nin : … le Magicien d'Oz... et ensuite il y a la gigantesque tête - Ah! Ah! - qui dit des choses et en fait c'est un petit mec qui a des manettes comme ça! Atau : Comme Zack!

Nin : … et pour moi la grosse technologie qui se montre c'est un peu ça. C'est cette espèce de tromperie tandis que là , on sait que c'est là, ça passe inaperçu et l'objet passe inaperçu et on peut vraiment passer au fait de faire de la musique ou faire son instrument. Et voilà, il a simplement l'importance qu'il devrait avoir ...

Zack : C'est comme la poutine cet après-midi quand on parlait de ces choses là!

Atau : Ah oui, ce qu'on mange avant le concert, ça joue beaucoup! Ca change le concert.

Zack : C'était notre répétition!

Nin : Et je voulais aussi revenir sur l'histoire de la grosse caisse. Non, pour moi il n'y a pas de limite parce qu'il y aura peut-être bien des limites techniques mais moi je ne crois pas du tout à ces choses-là. Moi je pense qu'il faut faire confiance à la capacité poétique des personnes, de l'effort poétique des personnes qui jouent un instrument. Moi je pense que dans cinq cent ans, si quelqu'un joue encore du saxophone soprano, si il a sa faculté de faire cet effort poétique permanent pour jouer, il n'y a pas de limites, c'est pas quantifiable ça. Et surtout il n'y a pas de "progrès" au sens de " quelque chose qui serait mieux qu'avant ". L'exemple bête c'est que même si on ne peut pas faire de voyages, on peut entendre des musiques qui sont millénaires que quelques ethnomusicologues ont captés et qu'on a quelquefois la chance d'acheter un disque et de le mettre. Et on s'aperçois d'une musique absolument - poétique : ca ne veut pas dire "fleur bleue" poétiquement - ça veut dire quelque chose de bouleversant et de quelque chose d'extrêmement fort de la relation de l'homme avec le monde.

Eric : Et ces musiques se rapprochent quelquefois de certaines musiques qui se font maintenant!

Nin : Ouais… Ca dépend! Ca dépend!

Eric : C'est une grosse question - très large - dont nous ne parlerons pas maintenant!

Nin : Voilà, donc . . . la grosse caisse, je pense que, par exemple, on parlait de ça, elle n'a aucune limite. La grosse caisse en soi c'est rien. C'est la personne qui en joue. Je veux dire l'instrument. C'est vrai qu'on fabrique ces instruments pour être soi, mais à la limite, au bout d'un moment, l'instrument on tache de l'oublier. C'est simplement un relai qui permet d'exprimer des choses ou de ne pas exprimer des choses ou enfin peu importe mais c'est pas, le fait, c'était ça d'ailleurs le projet de Kinobits c'était des gens qui doivent vraiment, l'extension qui est Quark, mais en plus petit, c'est vraiment. On fabrique des choses, mais c'est pour finalement avoir une relation extrêmement directe entre ce qu'on a envie de faire et ce qui sort. Toute cette espèce de contradiction incroyable en train de bosser pendant des semaines, des semaines, pour faire des choses, fabriquer quelque chose pour finalement l'oublier, mais comme un violoniste qui a, au bout de vingt ans de pratique, travaille techniquement beaucoup, mais au bout d'un moment, cette chose technique, il ne s'accroche pas au fait que, en permanence, est-ce que c'est correct par rapport . . . (si c'est la sonorité exacte). Non, il joue de la musique, c'est de la musique, mais c'est à force d'avoir travaillé quelque chose, d'avoir travaillé le médium quoi, c'est un instrument lui-même. Donc, un violon il a été construit et a eu une évolution au niveau de sa lutherie, donc après c'est à chacun de s'en emparer, mais, en même temps, on pourrait comparer je crois la fabrication d'un instrument au travail du son par exemple sur un violon ou au travail puisque la forme instrumentale du violon, l'objet est fixe maintenant, il est même . . . je veux dire quand il est acoustique en tout cas, il est fixe, mais ensuite c'est la personne qui en joue, sa sensibilité, sa façon d'attaquer le son, d'avoir le poids sur l'archet, le fait qu'il ait un bras long comme ça plutôt que . . . et c'est tout ce poids du corps, cette limite encore biologique presque des personnes qui font que le son va changer. Limite mentale . . .

Eric : C'est une chose qu'on retrouvait dans votre spectacle, je ne sais pas comment définir ces performances ou concerts ?

Nin/Atau/Zack : Concert . . . on a fait de la musique.

Eric : Le rapport au corps aussi, le rapport à la voix, le rapport aux gestes. Est-ce que votre association a été spontanée comme ça parce que moi j'avais vraiment comme trois mondes, si tu veux, je voyais vraiment le monde un peu de l'invisible avec le corps, avec le mouvement. Je voyais le monde de l'invisible, mais qui vient de la matière avec la voix et je voyais le monde de la matière qui chantait. C'est une vision un peu personnelle, mais c'est un peu comme ça que j'ai vu. C'était très bien aussi de voir votre relation et votre complicité dans ça et j'aimerais peut-être avoir un peu des commentaires, peut-être aussi de ceux qui travaillent avec l'invisible.

Zack : Moi je vois notre réunion comme un vrai trio musical et la partie informatique et technique, ça vient après. Il y a trois musiciens qui jouent ensemble et chacun a besoin de jouer son instrument qui lui apporte le plus de choses et pour moi de jouer sans bouger ça me branche pas. J'ai besoin de bouger. L'énergie est capitale. C'est ça qui s'est passé sous la poutine cet après-midi quand on a parlé au déjeuner, on a parlé justement de ça.

Eric : Vous avez mangé de la poutine avant le concert ?

Zack : Toujours. C'est sur la fiche technique.

Atau : Il faut déguster ce qui est local avant le concert pour connecter avec les résonances culturelles.

Zack : Pour moi, ça fait partie de l'instrument, d'avoir un geste de corps, de mouvement. Pour moi, c'est inséparable de la musique. Quand j'écoute la musique, je bouge déjà dans mon corps et dans mon esprit.

Atau : Je crois qu'on est bien d'accord sur le fait que vous vous entendez bien. On revient toujours au fait qu'on joue simplement de la musique, c'est tout et c'est pas si exotique que ça ce qu'on fait.

Eric : Je n'ai jamais prétendu que c'était exotique. Est-ce que j'ai eu l'air de dire ça. Atau : D'accord, c'est un concert, c'est pas un spectacle. On joue des instruments. Ce ne sont pas des . . .

Nin : Surtout, par rapport à ce que tu disais on n'a pas calculé le fait de . . . alors, lui il bouge comme ça, ça va être chouette. Non, non, non, c'est le mouvement du travail de nos rencontres et puis il y avait * ensuite il y a eu cette extension réduite du trio, mais vraiment de manière naturelle.

Atau : Cela dit, le choix des gens avec qui on a envie de jouer c'est de voir qui fait un travail intéressant et pour moi c'est vrai que ce sont de nouveaux instruments, ce sont différentes façons d'attaquer un peu la notion du son et de la musique et c'est pour ça que moi personnellement j'aime bien jouer avec mes deux collègues parce que chacun prend une approche nouvelle. Quand il joue d'un instrument, il y a quelque chose frais qui sort que je n'ai pas encore entendu, et c'est ça que je cherche. Ça ne nous met pas dans le domaine de l'exotique, ça nous met dans le domaine de la musique évolutive, intéressante et c'est pas nous qui sommes exotiques, c'est plutôt les autres qui jouent une musique figée en ce moment je crois. Il faut plutôt chercher les gens qui font quelque chose de nouveau, des découvertes.

Eric : Il y a une chose, en fait ça m'avait frappé, pas juste dans votre concert mais aussi dans un concert avec *, il y a deux jours avec un DJ et c'était écrit dans le programme, on va pouvoir danser et tout, et je suis arrivé au Colisée, tout le monde était assis comme ça, ne bougeait pas et il y avait un gros beat de drum and bass. Je suis arrivé au milieu du concert et ça n'avait aucun sens alors j'ai écouté une demi-heure, je suis resté debout, j'ai bougé un peu et ensuite je suis parti parce que personne ne voulait danser et je me suis demandé un peu quel était, comme tu as dit tantôt, parce que tu écoutes de la musique, tu bouges souvent, quelle est votre opinion par rapport à ce qu'une salle de concert doit être ou une situation de concert. Moi j'aurais bien bougé pendant la musique. Je suis sûr que mon voisin aussi aurait bougé s'il avait pu bouger, mais le fait que ces chaises étaient placées là comme ça dans une forme très classique finalement, frontale et tout, moi ça me semblait un peu étrange. Je ne sais pas quel est votre feeling par rapport à ça.

Atau : Il faut remettre tout ça en question aussi. Ça dépend de la musique, de voir c'est vrai certains DJ assis il me semble que ça n'a pas été trop pensé la présentation de ce concert.

Eric : Mais vous, est-ce que ça vous aurait plu qu'on puisse bouger pendant votre concert ?

Nin : Mais c'est-à-dire que les gens il faut les laisser libres les gens de faire ce qu'ils veulent à part de ne pas forcément gêner aussi la relation des artistes avec le public, mais si les gens ont envie de bouger, ils bougent. Ça c'est la forme qu'il faut vraiment remettre en cause et la forme du festival aussi. Le festival n'est peut-être pas forcément, je ne veux avoir l'air de cracher dans la soupe du tout, mais le festival n'est pas forcément le meilleur endroit pour faire ce qu'on a à faire. Surtout, nous on est tout le temps en train de réfléchir aussi sur d'abord s'adapter au lieu, s'adapter à l'acoustique et tout ça, mais là on est dans une situation frontale de concert et parfois c'est pas forcément la meilleure façon de partager ce moment artistique avec toutes les personnes qui sont là, l'acoustique, etc. et c'est vrai que cette notion est assez peu remise en question, cette frontalité et avec cette idée présupposée qu'il y a des émetteurs et des récepteurs alors qu'on le sent nous quand on est sur scène que certaines vibrations entrent. Donc nous aussi on reçoit beaucoup de ce qui se passe en face. Donc cette relation est un peu curieuse, mais ça ne veut pas forcément dire que tout le monde doit bouger, que tout le monde doit circuler, c'est à travailler à chaque fois avec le lieu surtout, l'endroit.

Zack : Mon avis c'est peut-être encore plus fort que Nin, moi ça me fait chier carrément d'avoir à imposer à un public aussi en tant qu'interprète une certaine ambiance comme ça et je trouve souvent que la convivialité est perdue là-dedans et je commence avec, par exemple, des concerts " électroacoustiques " qu'on voit souvent à Montréal, on veut aller dans une salle, une université et tout le monde est collé à sa chaise et tout ça dans une tradition d'écoute qui remonte à des siècles et tout ça et d'après plusieurs expériences * ce genre de musique, musique électroacoustique live et tout ça et de mettre ça dans un contexte lounge genre Foufounes électriques ou autres où la convivialité est plus en avance, ça fait une grande différence et pour le joueur qui est sur scène, celui qui va jouer, il y a une sorte d'intimité qui est très importante. Si vous avez un public devant vous qui est branché et qui est confortable, qui est convivial et tout ça, il se passe des choses et s'il faut enlever les chaises et mettre un bar derrière et tout ça, ça c'est une façon, mais je trouve que ça vaut vraiment la peine d'étudier cette question-là.

Atau : Il faut toujours réfléchir à l'environnement du concert parce que ça fait partie de la musique, l'espace comme les cordes du violon font partie du son qui sort ….

transcription : Carole Legault

(Fin de l'enregistrement)

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