Hélène
Prévost
Michel. "Y faut qu'ça pet". C'est
le nom de ce que tu appelles une performance. Tu pourras peut-être
nous dire si ç'en est une ou non. Et tu dis aussi que c'est
une "installation dressée comme un parcours". Est-ce que tu
peux nous expliquer cela?
|
|
MICHEL SMITH
|
Je prends le terme "performance" au pied de la lettre. Quand
je regarde l'histoire de la performance, c'est venu par les
artistes en arts visuels. Il y avait un besoin de s'exprimer
en tant qu'artiste "live". Et au départ, j'ai pris position
en tant qu'artiste. Ma vision sur moi-même, sur l'art et sur
la vie contemporaine telle que nous la vivons. Alors "Y faut
qu'ça pète", ça relate un peu le côté performance, le côté
personnage musical, le côté artiste ayant une vie sociale,
et on essaie de tout mettre ça en un paquet, un petit paquet
de trente minutes.
|
|
HP : Est-ce qu'il y a une dominante?
|
MS : Oui. Quelque chose qui brise, quelque chose qui éclate,
quelque chose qui doit aboutir...
|
|
|
HP : Ça c'est la thématique
de structure. Mais est-ce que ça touche aussi aux aspects constituant
sur le plan sonore? |
|
MS : J'ai essayé de la faire. Quand on m'a appelé pour la
performance, je savais aussi que ça allait être un élément aussi
sonore et radiophonique. J'ai voulu que ce soit autant visuel,
parce qu'on avait des spectateurs en salle, que sonore. Et le
titre est venu un peu en fonction du son que je voulais produire
parce qu'une explosion, on peu la voir et on peut aussi l'entendre.
Et ça c'était la démarche que j'avais entreprise au niveau sonore
et visuel, pour relier la radio avec les gens en salle. |
|
|
HP : Peux-tu nous expliquer un petit
peu les éléments que tu utilises?
|
MS : Bon au départ, j'étais arrivé dans la performance
avec une petite guitare, avec des élastiques autour. Ça, c'était
pour signifier ma volonté de ne pas faire un spectacle musical.
Parce que quand on parle de "performance musicale", on peut
parler d'un interprète qui a fait une "performance musicale".
Mais quand on parle de performance, il ne s'agit pas seulement
d'un aspect musical, il s'agit comme je le disais tantôt du
geste de l'artiste. Alors au départ, il y a une guitare qui
pète. Et ça c'est pour placer le lien anti-musical. Par la suite
j'ai utilisé une bonbonne d'hélium où je gonfle des ballounes.
Ce sont tous des trucs de l'enfance que j'ai utilisé. du vinaigre
avec de la petite vache. J'avais trente-cinq contenants avec
du vinaigre où je rajoute un peu de petite vache. Et ça crée
un parcours autour de cette petite bonbonne là. Ça finit par
une bouteille de Baby Duck qui explose en dessous de mon chandail.
Et ça, c'est sur que sur le plan sonore, ce sont des éléments
qui sont moins - entre guillemets - visibles à la radio mais
qui étaient très pertinents au niveau visuel. Et j'ai essayé
de raccorder par des expressions vocales, le lien visuel au
son de la radio. |
|
|
HP : Il y a un élément.
Et c'est drôle que tu l'oublies - il est omniprésent - c'est
cette tour, cette "DJ control Tower". |
MS : C'est elle qui me sert de parcours d'instruments, d'hôtel
religieux. C'est comme mon artefact principal. Mais il se
greffe à ça peut-être une trentaine d'accessoires durant la
performance. Mais tous les sons électroniques, et sur bande
- moi j'ai un micro sans fil où ma voix est amplifiée. Tous
ces sons-là sont diffusés par le "DJ control Tower". Je l'ai
nommé en anglais parce que je trouve que ça fait ludique comme
terme. Et... tous les sons sont diffusés à partir de cette
tour. Et cette tour est munie de deux Leslie, vous savez,
ces anciens haut-parleurs qui permettaient au son de la Hammond
B3 d'être diffusé. C'est un haut-parleur qui tourne, qui crée
un effet Doppler. Alors j'ai deux Leslie comme ceux-là sur
cette machine qui est complètement motorisée aussi. Je peux
conduire ce véhicule avec un "joystick" que j'ai au pied.
Ce qui me laisse la possibilité de jouer avec mes deux mains
sur un instrument de musique. Alors c'est utilisé durant la
performance, autant au niveau de la diffusion qu'au niveau
du déplacement dans la salle.
|
HP : Tu es quelqu'un
qui écrit beaucoup de musique pour le théâtre et qui s'engage
aussi beaucoup physiquement dans le geste d'une pratique musicale.
Même si tu es électroacousticien. En général, les électroacousticiens,
on ne les voit pas. Ils sont ailleurs. derrière une console
ou derrière un autre type de support. Toi, tu es très engagé
dans le geste. Est-ce que ça vient de l'expérience du théâtre
ou ça vient d'une attitude que tu as dans la performance musicale?
|
|
MS : Oui, j'ai toujours aimé être en spectacle. Au départ,
mon instrument c'était le piano. Mais je n'aurais pas aimé
être pianiste de concert. C'est sur que le théâtre m'a amené
à ça. Parce qu'on est souvent nous-mêmes des concepteurs de
théâtre et on est derrière la console. Quand le comédiens
enchaînent on est dans la salle et on écoute. On est un peu
"back stage". On reste toujours à ce niveau-là, même si notre
musique est 'portée par la voix des comédiens, ça reste un
domaine très assis. Et le besoin de faire des spectacles à
l'extérieur en salle, ça fait longtemps que j'ai ça. Et il
y au une autre raison. Quand on est compositeur électroacoustique,
nos pièces sont souvent diffusées sur bande, ce qui donne
un accès un petit peu "austère" à notre musique parce que
les gens sont assis dans la salle, et n'ont que le haut-parleur
comme source visuelle. Et moi je me suis tout le temps dit
que si nous, on fait bouger le son, c'est déjà beaucoup plus
intéressant d'écouter une bande où le son est dirigé par un
véhicule qui est manipulé par une vraie personne et je crois
que ça vient aussi du besoin de voir une performance tout
en écoutant une bande. Ça c'est un profond désir qui est là
depuis le début de l'électroacoustique. Je trouve ça très
intéressant sur le plan sonore, mais c'est mortel pour le
spectateur d'être assis à l'italienne, sur une chaise avec
un dossier, mais de regarder des haut-parleur, car la musique
est abstraite : on ne voit pas les sons bouger. Tandis qu'avec
un appareil comme un DJ control Tower, on a cet aspect du
son qui bouge. Et qu'on le voit bouger. Et qu'une personne
qui fasse bouger ce sons. Ça c'est le premier ingrédient.
Par la suite, il y a cet l'aspect : quand j'étais jeune je
faisais des sketchs à l'école et j'ai toujours été sur les
planches, malgré tout le côté un peu protocolaire de la musique,
j'essaie de diversifier un peu ces apparitions.
|
HP : Le scénario que
tu as choisi pour "Y faut qu'ça pète" est assez touchant, une
espèce de personnage sur le bord d'être défait, d'être envahit,
d'être dévasté. Est-ce que tu l'as choisi parce qu'il rentrait
dans l'univers sonore que tu avais sculpté ou est-ce que c'est
l'inverse? |
|
|
MS : Comme je le disais au début, le performance, c'est un
peu la vie. Autour de nous, dernièrement, il y a des gens
qui ont eu le coeur malade : mon père a été hospitalisé pour
d'autres raisons en fait - un accident. Donc, je n'ai pas
vraiment été confronté à la mort, mais plutôt, au risque de
mourir. À la fragilité de la vie. Et j'avais comme paradoxe:
"oui y faut qu'ça pète pour renaître, dans la vie, faut régler
des choses, y faut passer à d'autre chose". Mais en même temps,
il y a toujours le danger que le coeur puisse péter! Il y
avait cet aspect là.. Il y avait aussi la mort de Jean-Louis
Milette, qui m'a beaucoup touché, comme acteur et comme ami.
Parce que cet homme était un homme charmant et très facile
à rencontrer, et auquel on pouvait se confier. Il est mort
comme ça, par le coeur, sur la rue, disparu... Et c'est très
touchant quand on pense à cette fragilité-là, cette bascule
vers la mort qui peut arriver par l'arrêt cardiaque. Et il
y avait un peu de ça : le personnage à, comme tout le long
de la pièce, un malaise. Un malaise un peu avec tout ce qu'il
touche. Ce n'est pas très "confortable" disons, comme performance.
Et dans une situation aussi de changement mais ce n'est pas
nécessairement dans la pièce que ça va se faire mais ultérieurement.
Mais on a un personnage en changement. Je ne dirais pas que
c'est ma vie, parce que c'est plutôt ce qui nous entoure dans
la vie. L'écrivain est comme ça aussi. Il décrit des choses
de la vie en filtrant sa propre vision.
|
|
HP : Tu as parlé du rapport du corps
dans la performance musicale et de l'engagement quand tu décrivais
cette machine. On sent qu'elle respire, qu'elle vit avec toi.
Il y avait quelque chose de descriptif dans cette musique.
On entre dans une sorte de théâtre musical, on suit un fil,
avec des tensions et des détentes... Est-ce que tu pourrais
imaginer faire une intervention ou une performance musicale
plus abstraite? Est-ce que tu serais capable de faire une
performance abstraite sur le plan sonore? Sans un scénario,
sans un personnage? Une musique plus abstraite seulement pour
la beauté de l'objet sonore?
|
MS : Cette performance-ci était visuelle. Cette
pièce-là c'était la volonté de faire une histoire, d'avoir un
personnage, d'être le propre personnage de l'acte musical. Mais
je crois qu'on peut se détacher facilement dans une performance
de tout cet aspect-là. C'était une volonté vraiment subjective
de ma part de vouloir créer ce personnage, Mis je pense qu'on
pourrait aborder "Y faut q'ça pète" d'une façon beaucoup plus
abstraite. Beaucoup moins "connotative" que je l'ai fait. Et,
même si il subsiste l'être autour des gestes musicaux et si
jamais je refaisais "Y faut qu'ça pète" sans préalablement penser
à un personnage physique, un personnage imaginaire, ou un personnage,
dans ce cas-ci plutôt urbain, il reste que je pourrais recréer
cette fragilité-là en enlevant les ingrédients qui font partie
de la performance. Je crois que la performance m'a guidé, sans
le vouloir, vers un domaine théâtral dans lequel on m'aurais
dit " fais-moi un trente minutes de musique" ça aurait été beaucoup
plus abstrait par le fait même. Et ça aurait été beaucoup plus
abstrait par le fait même de me demander une performance qui
m'a entraîné à ce niveau-là. Mais je crois que la musique a
un avenir avec le DVD, avec le 5.1 pour arriver à un niveau
d'abstraction beaucoup plus fort, des mondes imaginaires beaucoup
plus forts et qu'on va pouvoir écouter chez soi, sans besoin
d'avoir l'artiste sur scène et c'est là que je crois que la
musique électroacoustique a un sens. Je ne sais pas si je répond
à ta question mais moi je vois l'abstraction de toute façon.
C'est-à-dire que le spectateur se forge sa propre histoire,
de donner le moins de piste possible, et que la subjectivité
de l'auditeur devienne un moteur de la pièce proprement dire.
|
|
HP : C'est très clair mais en quoi
le DVD contribue-t-il à cela ? |
|
MS : C'est parce que présentement on est dans
la stéréophonie. On est dans des domaines - je dirais - qui
nous amène à deux dimensions. Oui, on a la profondeur mais le
5.1 nous amène à un niveau de recréer une pièce, de recréer
une grande pièce, une petite pièce dans un mêmem lieu. Et je
crois que ça va être beaucoup plus précis, ces niveaux musicaux
qu'on peut atteindre en électroacoustique. Présentement les
électroacousticiens aiment beaucoup faire de l'acousmatique
car leurs pièces qui sont créées sur deux pistes deviennent
des pièces multipistes par la multiplicité des haut-parleurs.
Avec le procédé 5.1, on est plus sur deux pistes, on peut recréer
les phénomènes acoumatiques de déplacement du son à l'intérieur
d'un espace donné et sur un support cédérom. C'est génial. Sur
un petit DVD on va avoir cinq pistes, six pistes. Et on va pouvoir
recréer des atmosphères soit très concrètes ou très abstraites.
Je penses à des pièces de Parmegiani comme "Dedans/Dehors".
En 5.1 ce serait fantastique. On aurait des niveaux de sensations
énormes. Et la subjectivité de l'auditeur va de plus en plus
être sollicité de ce côté-là au niveau des environnements. Je
crois que l'électroacoustique a besoin de cette chaleur. Le
deux pistes ne conduit pas vraiment vers ce niveau-là. Et le
5.1 d'après moi, ça va contribuer à donner plus de vie à cette
musique |
|
HP : C'est intéressant
comme commentaire. Ça va sûrement faire taire les commentaires
qui disent que les nouvelles technologies sont froides.
|
|
Oui, moi je crois que l'électroacoustique
avec un lien... parce que les gens deviennent aussi de plus
en plus critiques,. J'ai remarqué que dans le cas du surround,
les gens apprécient un surround 5.1., comparé à un Pro Logic.
Juste pour écouter le cinéma. Les gens dépensent jusqu'à $5000
pour avoir des salles d'écoute comme ça, pour le cinéma. Mais
maintenant, on va pouvoir acheter des disques qui vont être
en DVD format 5.1. Et là je me dis que les gens vont avoir plus
de critères et vont avoir l'oreille plus aiguisée aux environnements
qu'on leur suggère. Et peut-être l'électroacoustique va trouver
un filon commercial à travers le DVD. |
|
HP : En terminant Michel, toi qui
est aussi un inventeur, quelle est la machine, l'objet mécanique,
électronique, interactif vers lequel tu diriges ou auquel tu
songes en rêve. |
MS : Il y a une partie de rêve et une partie
de réalité parce que, oui, la tête rêve... mais le corps a
besoin de passer à l'acte! Et pour le prochain orchestre,
je reste avec l'idée que l'art est vivant, il faut le "sociabiliser",
il ne faut pas le contraindre à rester dans un cloître comme
les musées, les salles de concert . Il faut plutôt l'ouvrir
et je pense un orchestre qui pourrait être tout terrain, électroacoustque
ou justement le surround live crée par les personnages deviendrait
beaucoup plus malléable. Présentement dans mon orchestre,
ce sont les gens qui manipulent les sons, mais si j'avais
la possibilité d'être le régisseur et de pouvoir faire manipuler
les sons dans - je prends un exemple - j'ai cinq machines
et c'est le même son qui redistribué dans cinq machines, je
peux le faire bouger d'une machine à l'autre, on pourrait
prendre le parc Lafontaine et changer carrément l'aspect sonore,
le paysage sonore. On pourrait se rendre dans le Centre-Ville
et faire la même chose. C'est de reprendre des lieux communs
où les gens sont là pour luncher le midi et notre troupe d'intervention
arrive et on change le paysage sonore. Et qu'on puisse le
changer de façon très rapide, qu'on passe en trente seconde
su désert au monde urbain et les nouvelles technologies vont
nous permettre d'atteindre ce niveau-là. Présentement, je
suis dans un état de low-tech comme on dit. Ce n'est pas désagréable
mais j'ai hâte d'être au high-tech.
|
HP : (Rires) Je ne doute
pas que tu y arrives. J'espère que le message passe. Merci beaucoup
Michel. |
|
Merci.
transcription
: André Éric Létourneau
|
page d'accueil | émission
| calendrier | rencontres
| radioVision | répertoire
d'artistes | liens
|