ÉRIC LÉTOURNEAU
RENCONTRE
CHARLEMAGNE PALESTINE
Eric Létourneau (EL) : Charlemagne Palestine a réalisé hier une performance à
« Lautre caserne » à Québec dans le cadre du colloque sur la
performance organisé ici par Le Lieu, centre en art actuel.
Charlemagne, nous avons parlé, plus tôt, de cette performance, de cette hostilité et
de cette électricité... Les gens semblaient vouloir vous provoquer. Sans quil n'y
eut d'attaques directes à votre égard, le public avait des comportement un peu ambigüs
et semblait vouloir susciter une réaction de votre part.
Charlemagne Palestine (CP) : Comme je viens de New York, de Brooklin, et que je
suis de racine juive, cette sorte dhostilité nest pas rare. Je ne connais pas
beaucoup de performeurs qui peuvent « jouer » avec ça. Et hier soir,
javais pensé faire les choses dune certaine façon. Puis, jai vu que
jétais un peu comme dans une « corrida », et jétais devenu le
taureau. Jai alors changé le style de présentation. Et la pièce est
devenue : « moi » contre le public dune certaine façon, avec cet
autre thème qui était « Les années 70 », mon travail, les rituels que
jai fait, etc
Et après un certain moment, cette dernière bénédiction en
chanson ..
EL : Cette confrontation nétait pas du tout prévue?
CP : Mais comment peux-tu prévoir une confrontation comme celle-là? Sauf si tu
travaille dans un contexte où il y a habituellement ce genre dhostilité! En fait...Cétait
bizarre même pas bizarre en fait parce quon est tous dans le monde de
la performance. Tout le monde, depuis trois ou quatre jours, parlait de performances, la
soirée précédente était « Fluxus » et, sans dire que cétait
superficiel, je veux souligner que leur approche nétait pas du tout « de personne
à personne ». Chacun a fait une petite pièce entre 10 et 30 secondes.
Cétait fait dans un « présinium ». Cétait très conservateur,
dans un sens. De mon côté, jai renversé la situation, jai changé
lheure comme je le fais toujours, jai fait couper toutes les lumières comme
je le fais normalement, jai fait fermer le bar et demandé de ne pas acheter
dalcool, jai essayé détablir une sorte de communion, non-religieuse,
mais qui ressemble peut-être à celle dun groupe qui arrive à une espèce de
cérémonie ou de rituel. Et, au début, les gens étaient vraiment contre. Parce
quils avaient beaucoup bu et mangé. Après six heures de colloque avec beaucoup de
gens que je connais. Et aussi les gens de Québec
Cétait un bon mélange de
gens
très
« abusives »!
EL : Quaviez-vous prévu de faire au départ? La pièce musicale de la fin?
CP : En fait, jai fait presque tout ce que javais prévu mais dans un
climat tout autre. Moins sérieux, avec cette attaque.... Luvre nétait
pas nécessairement moins bonne à cause de cette attaque. En fait, jai peut-être
aimé cela parce que javais trouvé la soirée précédente, Fluxus, trop
« légère ». Pourtant jaime Fluxus. Mais, maintenant, cest
accepté par tout le monde. Avant, cétait quelque chose davant-gardiste. Ce
sont des rituels inutiles, que jaiment. Mais cest fait dans des contextes
très formels. Larry Miller était habillé en smoking avec un nud papillion. Il
ressemblait beaucoup à une parodie de « concert hall ». Et moi, depuis très
longtemps déjà, je crois que ce nest plus une préoccupation importante. Le monde
a changé maintenant. Il y a le techno, le disco, et tout ça, et il y a plein
dautres endroits pour écouter la musique. Mon intention pour les années
soixante-dix était aussi de démontrer que moi, et dautres personnes, ont voulu
mélanger lidée de composition avec une sorte de « personna », parce
que je fais de la musique, mais je suis toujours habillé dune certaine façon,
jai toujours mes peluches, jai toujours mon cognac, jai toujours mes
foulards, tout ça. Je suis à la fois compositeur, je suis performeur, je suis un
conteur, je suis un personnage
je fais tout cela. Cest la différence entre
les années soixante et les années soixante-dix. Et on arrive à cette idée aussi :
quand on va au concert rock par exemple, on a lamplification et tu peux
« blitz tout de suite » le public! Et, dès lors, tu nas plus aucun
contact avec cette hostilité du public parce que tu a totalement « détruit »
leurs oreilles. Mais, ce qui est intéressant hier, et jai parlé de cela,
cest que je pouvais parler dêtre humain à être humain.
EL : Le public pouvait vous envoyer des messages
.
CP :
et il la fait! Et cétait «un» contre
«beaucoup », parce que jétais seul et quil y avait plusieurs personnes
dans la salle. Jaime cette image de celle de lindividu contre la société. Et
grâce à cette uvre, je maperçoit que même si jai dépassé 50 ans,
je peux encore
Comment dis-t-on pour les animaux?...
EL :... domestiquer?
CP : Oui! J'ai domestiqué
Jai domestiqué 200 personnes hier soir!
Je
Jétais
je suis ravi! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha!
EL : Vous avez fait mention, parlant de Fluxus, de « rituels
inutiles ». Quels sont, pour vous les rituels utiles?
CP : Non! Non! Jaime
Robert Filliou qui parlait de lartiste
inutile. Et jaime cette idée. Par exemple, toutes les choses que jai fait ne
relèvent pas dune religion, je ne fait pas partie dun culte, je fais des
rituels comme dans une tribu, mais quelle tribu? Jai fait des chants comme pour des
fantômes, mais quels fantômes? Jai fait des tirades sérieuses sur toutes sortes
de choses, je me suis même fâché sur une sorte de position idéologique, mais je
nai aucune position idéologique! Sauf cette idée : « être humain à
être humain »! Cet aspect d « inutilité », il continue. Parce
que je ne fais pas dart politique, je ne fais pas de véritables sarcasmes ou de
critiques sociales. La seule chose que jai critiqué, cétait nous, hier,
entre 10 heures et 11H30. Et cest tout. Parce que je ne suis pas un critique social.
Bon, oui, jai beaucoup de problèmes avec ma société. Parfois, pour moi, presque
tous les jours, cest presque le même « feeling ». Moi, individu, je
suis confronté à une société infiniment plus grande que moi qui veut m
« emprisonner ». Et ça, je le sens tout le temps. Et ça je lai aussi
senti hier.
EL : Vous avez aussi fait remarquer lors de votre performance dhier, que la
musique que lon appelait dans les années quatre-vingt la musique
« minimale » sappelait auparavant la musique de « transe ».
Vous êtes lun des pionniers du genre. Pouvez-vous nous en parler?
CP : Le terme « minimal » nétait jamais appliqué à la
description de la musique avant 1974-75. Cétait le critique musical du Village
Voice, Tom Johnson, qui est aussi compositeur, qui a pris ce mot qui était seulement
avant cela pour décrire la sculpture : Sol LeWitt, Richard Serra, Tony Smith, Frank
Stella
Seulement pour des uvres dart plastiques. Et, comme musiciens,
nous étions des amis de ces gens. Mais maintenant nous somme tous des minimalistes! Mais
à lépoque nous avions fait cette distinction que, lorsquil sagissait
dart plastique, cétait minimal, quand cétait musique, cétait
transe. Particulièrement par exemple pour la musique de Terry Riley, Steve Reich ou
Phillip Glass, de cette époque là. Cétait toujours musique amplifiée, très
très fortement. Et tout de suite le public était « enterré » dans une sorte
de « blitz », une transe. On pouvait voir 5000 personnes à un concert de
cette époque donné par Phil Glass, avec tous les amplificateurs à la limite et en deux
secondes, tout le monde était crevé, ou dans une sorte de coma
Cétait
répétitif
. Mais on utilisait pas ce mot minimal
Et maintenant cest
minimal, et dans un sens, pourquoi pas, cétait minimal
On voit maintenant
comment ce mot peut inclure énormément de choses.
EL : Croyez-vous que cétait une bonne idée de la part de Tom Johnson
dappliquer ce terme à cette musique?
CP : Si ce navait pas été lui, cest évident quun jour
quelquun aurait fait cette distinction. Parce que nous étions tous de la même
génération aussi. So
So
Mais, la seule différence est que je ne crois pas
que je fasse de la musique minimale. Je fais de la musique maximale avec le minimum de
choses! Je pense que je fais de la « Maximin Music». Car il sy passe
énormément de choses
au lieu par exemple dentendre un petit
« tone »
non, ce nest pas moi! Il y a toujours, comme hier soir
par exemple, il y a eu quinze minutes dune sorte de musique mais
après une
bataille! So
Finalement, je trouve quelquefois que ce mot est une prison.
Mais bon. Ça va.
EL : Votre approche, au piano en particulier, est teintée de lidée
dart performance. Croyez-vous que vous en seriez venu à réaliser ce type
duvre si vous nétiez pas venu du milieu de lart performance? Car
ce sont des uvres où linterprétation nécessite une endurance physique,
beaucoup plus proche de la performance que des techniques de jeux musicales écrites et
traditionnelles.
CP : Voilà! Exactement! Cest la raison pour laquelle mes notations sont
bizarres. Cest plus physique que « notationnal » traditionnel. Cette
musique est « custom- made ». Chaque uvre est conçue pour chaque sorte
de situation. Parce quil y a aussi cette sorte de vitalité que parfois je ne vois
pas dans certaines autres musiques. Bien que certains éléments de ces musique
sapparentaient à des éléments de ma musique, cétait cependant noté et
présenté dans un contexte traditionnel. Maintenant, plusieurs critiques musicaux de la
presse alternative, dans le Wire par exemple, écrivent que je suis légendaire dans ce
genre de musique. Ils disent que je fais des choses comme on en a jamais entendu.
Cest parce que jai cette approche. Ce nétait pas si unique : la
différence cest que jai dépassé cette barrière entre « moi »
et la physique du son. Moi, je suis « physical », le son est
« physical » : je nai pas besoin de papier entre moi et lui.
EL : Entre vous et le son
CP : Voilà! Et je nai pas besoin dun « presinium » qui
viendrait dun autre siècle. Je nai rien contre les autres siècles mais ils
nont rien à faire normalement avec la présentation de ma musique! Déjà, tôt,
j ai fait comme on fait dans le techno. Et cétait typique à ma
génération. On trouvait des zones industrielles, des bâtiments totalement neutres, qui
servaient auparavent aux industries, aux usines, aux entrepôts, et nous avons décidé
quils deviendrait des salles de concert. Et cétait simplement un
« cube ». Et jai aimé la résonnance de ces « cubes », je
leur trouvaient des qualités de cathédrales, mais en plus bizarre, parce que leur
résonnance nétait pas classique, et bon
jai commencé à faire des
musiques pour chaque « cube ».
EL :Chaque lieu, suivant les caractéristiques de sa résonnance.
CP : Chaque lieu et sa résonnance, voilà!
EL : Vous avez mentionné hier que vous avez cessé de faire de la performance
pendant quatorze ans : une période assez longue. Cest quelque chose que je
savais déjà par Richard Martel. Mais Roland Sperkle, du Festival Impackt, ma aussi
dit que vous aviez cessé toute activité musicale pendant cette période.
CP : Jai non seulement cessé de faire des performances publiquement.
Jai arrêté de faire quoi que ce soit qui touche à la performance, aussi dans ma
vie privée : partout!
EL : Y compris la musique au piano?
CP : Partout (jai tout arrêté)! Même maintenant, je nai plus de
piano. Je ne possède plus de piano personnel depuis 1980. En 1979 ou en 80, jai
vendu mon Bösendorfer que la compagnie mavait donné en 1974. Jai lai
vendu à lun de mes étudiants de lépoque. Et je nai jamais possédé
un autre piano depuis.
EL : Mais vous avez fait en concert en 1987 sur un autre Bösendorder! Il existe
un disque de cela (Godbear)! Avez-vous fait des concerts occasionellement?
CP : Je lai fait deux fois pendant ces quatorze ans. Parce que cétait
pour des collectionneurs. Jétais sculpteur pendant cette période. Et à deux
occasions, lun de mes collectionneurs ma demandé de faire quelque chose en
lhonneur dune fête privée et il ma payé un énorme montant
dargent. Et bon, jai joué.
EL : Mais nétais-ce pas difficile? Parce que, physiquement, ces pièces
sont très éprouvantes à jouer! Comme vous ne les jouiiez pas souvent, nétais-ce
pas difficile de sy remettre et de les jouer?
CP : Normalement, tout le monde pense cela, et moi aussi. Et cest logique.
Mais parce que cest de la musique que jai fait, pour moi-même, la seule
comparaison que je pourrais prendre serait que cest comme faire lamour. Si tu
ne fais pas lamour pendant des années, la première fois, cest un peu dur.
Parfois, ça fait mal. Mais, tu « sais » comment faire! Poump, poump, poump,
il arrive, ah! Le son, lodeur arrive et voilà, tu est « re-arrivé » à
faire lamour! Même avec de longues périodes dabstinence! Cest comme
ça pour moi, jai juste recommencé
Bon
Je ne suis pas arrivé au piano,
sans y toucher, pendant quatorze ans! Mais, jai pris une semaine avant le concert,
jy ai joué cinq fois pendant une heure. Puis, jétais prêt! Voilà !
Cétait comme ça. Parce que cétais ma musique faite pour mon corps. Avec ma
mémoire, même si je nai pas joué, cétais toujours dans mon corps.
EL : Est-ce que vous prévoyez retourner à une pratique de concert sur une base
régulière?
CP : Pas régulièrement, mais déjà
cette année, jai joué cinq ou six fois, à
Londres, aux Pays-Bas, en Allemagne, à Los Angeles. Je suis
maintenant disponible si cest dans un contexte que je trouve
intéressant.
transcription :
Eric Létourneau
|