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  • "L'autre rôle, celui de la recherche, était plus intéressant...
  • C'était plus satisfaisant pour moi. (...)
  • Et cette recherche était plus attribuable pour moi à la recherche des sons qu'à celle du "time-keeping".
Eric Létourneau rencontre

GÜNTER MÜLLER

 
Günter Müller, tu es musicien. Tu as aussi fondé une maison de disque. Tu as également produit beaucoup de disques et endisqué plusieurs albums en collaboration. J'aimerais te demander, dans un premier temps, ce qui caractérise ce travail que tu fais avec Jim O'Rourke par rapport à l'ensemble de tes projets.

 

Hum... Cette collaboration avec Jim est très spéciale. Je peux citer un exemple : le premier concert que nous avons donné était d'une telle sensibilité et, comme tu l'as remarqué, je travaille avec des pédales de volume ... et je n'avais jamais autant utilisé les pédales de volume que pendant ce concert! C'était totalement fou : balancer le tout et jouer avec de très petites nuances.

La musique avec Jim est très particulière et les deux disques que nous avons faits en duo, c'est une documentation de ce travail. C'est spécial car le deuxième disque est totalement différent du premier. Et - par exemple - la musique du concert d'aujourd'hui est totalement différente de celle des deux disques. Et je crois que c'est particulier à ce travail avec Jim si on le compare à celui avec d'autres groupes. Lorsque je travaille avec un autre groupe, le résultat est peut-être plus constant. Et, sans essayer de reproduire, le langage est plus semblable d'une fois à l'autre. Avec Jim, à chaque fois - Jim ne sait pas ce qu'il va faire d'une fois à l'autre, et je ne sais pas ce je que je vais faire non plus.

 

 
Alors c'est vraiment spontané.

Oui. Et aujourd'hui, je n'avais aucune idée de quel instrument il allait jouer.

 

 

Est-ce que tes sonorités sont plus "constantes" que celles de Jim d'un concert à l'autre?

 

Oui... peut-être...

 
Alors Jim peut-il s'attendre un peu aux sonorités que tu vas utiliser?

Pour le concert d'aujourd'hui, c'était un peu différent parce que j'ai commencé à travailler avec un mini-disc. Et c'était la deuxième fois que je jouais avec Jim en utilisant le mini-disc. (Note du transcripteur : Le mini-disc génère des sonscomplémentaires lorsqu'on frappe sur certaines pièces de la batterie.)

 

Je pense que c'était également nouveau pour lui que d'entendre ces sons. Mais j'utilise les sons que j'ai enregistrés sur le mini-disc de la même manière que j'utilise les sons de ma batterie acoustique. Ça veut dire que je change les sons électroniquement. Et je travaille avec les modulations du son : le son acoutique de la batterie ou le son du mini-disc.

 

 

Quelle différente cela fait-il de déclencher les sons avec la batterie plutôt qu'avec un instrument purement électronique?

 

Je pense que les mouvements sont totalement différents. Car les mouvements sont un truc "existentiel" pour un batteur.
 

C'est par rapport au corps.

Oui, oui... oui... c'est ça... c'est ça...
 

La gestuelle naturelle qui se dégage du corps...

 

C'est ça, c'est ça...
 
Cette méthode te permet-elle de faire davantage de subtilités, des sonorités ou des dynamiques différentes?

Je pense que oui. Par exemple, aujourd'hui, on m'a donné cette batterie louée... Et... pffft!.. Il n'y a pas deux batteries pareilles dans le monde!

Et la première chose que j'ai faite, c'est d'écouter toutes les cymbales pour choisir celles qui me plaisaient ... et j'ai écouté les tambours... et, par après j'ai décidé lesquels j'allais utiliser pour ce concert. Ça veut dire, comparé avec un piano ... un piano est plus ou moins le même... mais une batterie est totalement différente chaque fois! Chaque fois! Il y a des dizaines de cymbales différentes, des dizaines de tambours différents... Aussi, je change toujours ma batterie.

 

Lorsque je travaille à la maison avec ma propre batterie, je la transforme toujours. Par exemple, je joue avec un "snare " et deux "stand toms" : ou je joue avec deux "stand toms" et trois cymbales comme aujourd'hui. Ou je travaille avec une cymbale et un tom... Ou je travaille avec un "drum kit" de jazz... Alors ça change à chaque fois.

 

 
Est-ce que tes premières expériences musicales étaient rattachées davantage au jazz?

Non, non! Pas du tout! J'essayais de jouer un peu dans le style jazz-rock est puis je suis très vite tombé dans la musique improvisée. Et ça me plaît beaucoup, cette interaction et la recherche des sons et tout ça. Et je ne suis pas un batteur qui aime le rôle du "time-keeper". I hate it! (rires)

 

 

Tu es plutôt quelqu'un qui crée de la matière...

 

Oui, oui...

 
C'est intéressant cette idée de ne pas être le "time-keeper". Jusqu'à récemment dans l'histoire de la musique, on avait presque toujours le "time-keeper". Mais, (grossièrement), depuis les années soixante environ, quelque chose s'est passé dans le langage musical. Et maintenant, beaucoup de gens qui font de la musique plus... intemporelle... à cause de la disparition des mélodies et des structures préméditées.
 
Qu'est-ce qui t'a poussé vers ce genre de musique où le temps est, en apparence, plus "dissout", où il n'est plus "tenu" de cette manière? Dans le concert d'aujourd'hui, ni toi, ni Jim O'Rourke ne tenaient particulièrement le temps : vous le construisiez tout simplement ensemble. Il n'y avait pas de pulsion régulière ou constante. Qu'est ce qui t'a amené, en tant que batteur , à refuser ce rôle du "time-keeper"?  
 
L'autre rôle, celui de la recherche, était plus intéressant. C'était plus satisfaisant pour moi. Et j'avais une motivation de faire de la musique et d'écouter des choses nouvelles. Et cette recherche était plus atrtribuable pour moi à la recherche des sons que de celle du "time-keeping".
 

Qu'est-ce qui a généralement contribué, selon toi, au développement de cette musique où le temps n'est plus mesurable au sens traditionnel du terme? J'aimerais avoir ton opinion quand au fait qu'aujourd'hui, dans ces musiques, le temps n'est plus "marqué". Ces choses découlent-elles davantage des changements sociaux, politiques, personnels ou esthétiques?

 

  • Je crois que c'est une question esthétique et personnelle. Ce n'est pas politique ... non...
 

Tu ne penserais pas, par exemple, comme John Cage, qui disait "Je ne veux plus qu'on perçoive la mesure parce que je suis un anarchiste"...

 

C'est peut-être une question très importante que cette définition du son. Tous ces bruits, tout ceux que tu peux écouter, sont des matériaux musicaux pour moi... Mais c'est une histoire ancienne! Ce n'est pas une nouveauté que je raconte maintenant! Mais... il y a beaucoup de musiciens qui travaillent dans une région plus limitée et j'ai eu beaucoup de discussions et de "fights" avec des musiciens à cause de cette question assez "stupid".
 
Quel genre de discussion?

Oh! "Mais pourquoi tu fais ces bruits? Pourquoi tu utilises les "drumsticks" de cette manière? Pourquoi pas jouer comme tout le monde? " Et c'est ridicule!

 

D'ailleurs, après quelques années à faire de la musique de ce genre, je savais de plus en plus avec qui je voulais travailler.

 

 

À partir du moment où l'on considère l'improvisation comme un genre de composition spontanée, qu'est ce qui dirige, avant une séance d'improvisation, le choix des sons que tu vas utiliser?

 

Hum...

 
C'est une question un peu difficile, je sais...

Oui c'est difficile... C'est un miracle (rires)!

 
Non, c'est la communication, c'est l'inspiration. Je pense que l'improvisation est un moment de la vie qui est très concentré. C'est-à-dire que je suis ouvert, aussi ouvert que possible et ça me donne la possibilité de mettre des sons qui font un sens...
 

On peut peut-être comparer cela avec une situation de rituel. Par exemple aujourd'hui... ce matin c'était le "sound-check". Et je savais que le concert commençait à une heure. Cela me donne une préparation mentale. Aussi, c'est une espèce de "tension" spéciale. C'est un moment plus spécial que d'aller dans ma maison et de jouer pour une demi-heure ou une heure.

J'ai eu une très belle expérience l'été dernier à Tokyo. C'était, un saxophoniste de Tokyo qui a organisé deux jours d'enregistrement dans un studio mais le truc spécial était ouvert seulement pour un public limité. Ça veut dire que c'était une situation de studio "classique", mais aussi, en plus, il y avait des gens. La tension et l'atmosphère étaient totalement différentes que si on joue sans public.

 

 

Est-ce que ça rend la musique meilleure?

Oui, je pense. Et ça fait appel à une autre forme de concentration, j'en suis certain. L'enregistrement durait quelques heures, on a arrêté, on a discuté, et c'était une situation typique de travail en studio. Ce n'était pas seulement un concert dans le studio, c'était vraiment un travail de studio, mais la présence du public a affecté la musique, l'a enrichie.

 

 

Tu es artiste et professeur en arts visuels en Suisse. Comment les idées en arts visuels nourrissent-elles tes idées musicales?

Nous avons parlé du "time-keeping". Et je peux comparer l'idée du "time-keeping" avec celle d'une ligne: c'est une idée "linéale". Et, je comprends la musique comme une ligne. Je la comprends davantage comme une forme à deux ou trois dimensions, comme un canevas ou une sculpture. Je peux donc commencer la musique, et je peux retourner puis, je peux trouver une deuxième forme et ainsi de suite. Je peux ainsi former des sculptures acoustiques. Je comprends davantage la musique comme une sculpture que comme une ligne. Je crois que le jazz est très linéaire. Ainsi le free-jazz est linéaire avec ces formes A/B/A, A/B/B/A et bla,bla,bla... Et cela ne m'intéresse pas.

 

 

Lorsque tu improvises avec Jim, est-ce que vous vous donnez des formes de bases ou est-ce que l'improvisation est totalement "free"?

 

C'est totalement "free". Mais chacun de nous possède un vocabulaire personnel. Mais avec Jim, la spécialité est qu'on essaie vraiment d'ouvrir ce langage personnel. De faire des surprises non seulement pour l'autre mais aussi pour soi-même.
 

Comme une forme de dialogue.

C'est à la fois un dialogue avec l'autre et un dialogue avec soi-même. Je pourrais mieux expliquer cela en allemand. Hum... Mais en français, c'est très difficile.

 

 

Dans ce "dialogue" auquel nous avons assisté entre Jim et toi cet après-midi, il y avait différentes formes de communication. Certaines parties étaient plus abstraites ou intellectuelles, d'autres laissaient intervenir l'humour. C'était peut-être plus évident chez Jim qui utilise le collage et la citation avec son lap-top échantillonneur. Comment percevez-vous ces différents niveaux de conversation? Est-ce que Jim et toi avez déjà discuté de cela?

 

Non, non. Rien. Jim est arrivé hier dans la nuit et nous nous sommes rencontrés au "sound-check". Non. Non. On ne discute pas avant!
 

Mais après?

Oui après!
 

Vous dites que chaque concert avec Jim est différent. Est-ce cette dose de différents niveaux de dialogues musicaux est toujours semblable? Comment le dialogue musical se transforme-t-il d'une pièce à l'autre?

 

Hum... C'est difficile... Si je finis une pièce, je fais une petite pause, et je commence de nouveau. C'est différent que de continuer et de continuer pendant quarante minutes. C'est un recommencement. Et chaque recommencement change le caractère d'une nouvelle pièce. Et seulement ça. Tu commences de nouveau et ainsi de suite.
 

Comment entrevois-tu les futurs projets avec Jim? Est-ce que vous voulez continuer à faire des pièces différentes à chaque fois, ou de travailler sur des idées spécifiques?

 

On verra demain à Chicago! Je ne penses pas que nous allons travailler sur des idées spécifiques : c'est toujours ouvert, totalement ouvert.
 

Est-ce que c'est difficile de travailler comme cela à distance, Jim aux États-Unis et toi en Suisse?

Oui. Ce n'est pas facile pour organiser tout ça. Par exemple, on a eu un quartet formidable pour moi. C'était avec Jim, Lê Quan Ninh avec Jay et moi. et nous avons arrêté parce que c'était trop difficile à organiser. Jay au Nouveau-Mexique, Jim a Chicago, Lê a Toulouse et moi en Suisse. C'était trop difficile. Et en duo, Jim est de temps en temps en Europe et si il y a l'occasion de jouer, on peut la prendre.

 

 

Est-ce qu'il vous arrive pour jouer sans public?

Non, mais, par exemple, demain nous jouons à Chicago dans un petit club et après-demain nous allons enregistrer dans un studio. Et après je vais rentrer.

 

 

Un nouveau projet de disque?...

 

Je ne sais pas. On va voir.
 

Est-ce qu'ils vous arrive de travailler ensemble en studio et que par la suite, l'un de vous manipule la scéance avec l'aide de l'ordinateur?

 

Oui, oui, oui. Il n'y a pas de problème.
 

Préfères-tu produire des enregistrement "live" ou du travail de ce type?

Dans mon catalogue, il y a les deux. Mais je travaille avec l'ordinateur, parce que je pense qu'un disque est quelque chose de totalement différent d'une situation live. La réception du public est différente dans une salle de concert, très différente de celle de l'écoute dans un salon confortable avec de l'équipement stéréo. Écouter la même musique du concert à la maison, c'est totalement différent. Et l'autre chose qui est intéressante est de travailler avec le matériel musical dans l'ordinateur. Par exemple, nous avons fait un enregistrement avec Voice Crack, Erik M. et moi. Et nous avons transformé le pré-mixage. Avec le simple mixage, on peut changer toute la musique. C'est très facile. Et, nous avons fait une expérience très drôle. On a enregistré en multipiste et chacun de nous a pris un mini-disque et enregistré une autre voix. J'ai enregistré la voix de Erik M. seulement. Et Erik. a enregistré la voix de Norbert de Voice Crack et après, on est retourné à l'instrument mais la source des sons était la voix de quelqu'un d'autre et c'était totalement fou. C'était plus que schizophrénique. C'était " quatro-skizo " : c'était moi et en même temps j'étais Norbert et j'écoutais Andy qui faisait ma voix et c'était totalement fou. Et très très intéressant! Et c'est une idée que nous voulons continuer, d'échanger et de changer des voix.
 
Gunter, merci beaucoup de cette entrevue.
transcription : Carole Legault

 


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