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Sophie Laurent rencontre

MICHEL MOGLIA
diffusé le 11 novembre 2001

Sophie Laurent : D'où vous est venue l'idée de créer ces chants thermiques ?

Michel Moglia : Ça correspond pratiquement à une synthèse d'expériences vécues au cours de ma vie. Donc, ça ne se fait pas comme ça, on ne se dit pas un jour : « Tiens, je vais composer des chants thermiques ! » Ça se fait par une succession de hasards qui correspond bien à ce qui passe dans la vie d'ailleurs. Tout d'abord, au tout début de ma vie, j'ai été dans une famille de musiciens. J'ai joué de la flûte traversière pendant 15 ans, mais j'ai abandonné parce que je n'avais pas la capacité de rejouer ou l'envie de rejouer continuellement des choses qui sont écrites puisque je faisais de la flûte classique. Donc, j'ai abandonné la musique et puis je suis parti dans des aventures en Afrique où j'ai rencontré des flûtistes qui jouaient de la flûte peule avec du souffle, avec des choses qu'on ne fait pas en musique classique et puis au cours de mon existence, j'ai été mécanicien diéséliste, j'ai travaillé sur des moteurs tout en étant assez passionné toujours de sons et d'écoute de sons. Puis après, je suis devenu, on appellerait ça « plasticien feu » , c'est-à-dire que j'ai travaillé beaucoup avec le feu, mais sur un plan visuel. Puis, en travaillant avec des sources de feu de plus en plus intenses, j'ai écouté le souffle du feu et je me suis dit un jour que le feu, notamment les brûleurs à gaz, avaient une sorte de respiration puisqu'ils consomment de l'air pour brûler et qu'il y avait une sorte de relation avec le souffle humain. Il m'est venue à l'idée l'envie de mettre du feu sous forme de brûleur à l'intérieur de tuyaux pour voir si je pouvais faire une flûte géante et ça a été le début d'une recherche et, comme j'ai obtenu des sons pour moi étonnants - disons assez différents de ce qu'on obtient avec un synthétiseur ou avec des instruments de musique classique - ça m'a donné l'envie de continuer. Et puis après, le côté feu, l'aléatoire du feu, m'ont rappelé ce qui se passait dans ma vie, c'est-à-dire que rien n'était vraiment répété que tout se passait avec des phénomènes de hasard. L'idée de travailler avec des sons et avec le hasard a été peut-être l'élément déterminant de ce début de recherche et j'ai appelé ça chants thermiques parce que c'était en même temps relié à une notion quand même sonore, mais plutôt comme le chant des oiseaux que comme le chant disons musical. Donc, j'ai poursuivi cette recherche.

S.L. : Vous avez bâti cet orgue à feu, , avec plusieurs tuyaux, mais ce n'est pas un orgue avec un clavier comme on peut l'imaginer …

M.M. : Absolument. D'ailleurs mes débuts de recherche commençaient avec deux tuyaux, puis trois, puis quatre, et j'ai cherché des oppositions de sons donc j'ai bâtit d'autres instruments et c'est vrai que très souvent on m'a dit pourquoi tu ne mets pas un clavier et mon idée n'a jamais été de faire un instrument sonore qui soit comparable aux instruments de musique existants qu'en plus la gestuelle de quelqu'un se déplaçant avec un brûleur sous les tubes avait pour moi un intérêt parce que, encore une fois, on n'était pas dans le domaine de la virtuosité. C'était même exactement à l'opposé. Je ne cherchais pas du tout à recoller, comme font très souvent des gens qui créent des instruments, à recoller avec le monde de la musique existant. Je cherchais plutôt à m'en éloigner et donc tout ce qui était différent ou même opposé de ce qui se fait habituellement m'intéressait. Tous les défauts qu'on pourrait imaginer dans un instrument je les ai sélectionnés.

S.L. : Comme c'est le cas pour plusieurs musiques d'aujourd'hui. C'est ce qui me surprend quand vous dites que vous n'êtes pas certain de pouvoir classer vos chants thermiques au rayon des musiques. Il y a plusieurs musiques maintenant qui font appels aux mêmes choses que vous, au hasard, aux défauts, par exemple. Aujourd'hui, est-ce que vous appelez ces chants thermiques de la musique ?

M.M. : Ce n'est pas à moi d'appeler ça de la musique ! Je poursuis une idée qui est effectivement peut-être en accord avec des choses qui se font aujourd'hui, mais des éléments qui sont très importants pour moi ; d'abord la notion de justesse. Les orgues à feu ont cette particularité, au niveau sonore, de ne jamais pouvoir être justes au sens classique du terme parce que quand on chauffe un tube bien entendu le son qui en résulte dépend de la chaleur de l'air environnant puisque même une flûte classique, quand on souffle dedans, il faut qu'elle soit équilibrée à une certaine température, c'est pour ça d'ailleurs que les musiciens chauffent leur instrument. Et là, effectivement, on ne peut jamais obtenir le même son puisqu'à chaque fois qu'on met du feu dans un tube, l'échange thermique modifie la chaleur du tube et donc l'air ambiant et donc, on obtient une infinité de sons. Ce sont des microtonalités bien entendu, mais on peut avoir des variations sur le même tuyau de l'ordre du ton ou même d'un ton et demi avec les gros tubes. Donc, sous cet angle-là déjà quand on fait une jonction avec des musiciens dits classiques, ils considèrent que ça joue faux. Ce qui m'amuse toujours beaucoup d'ailleurs. Il y a ça, il y a effectivement, vous parlez de l'aléatoire, c'est à plusieurs niveaux l'aléatoire. D'abord, moi je travaille toujours en extérieur et donc les éléments météorologiques : la pluie, le vent, la chaleur de l'air vont modifier les sons et vont modifier aussi ma présence face au tube. S'il pleut beaucoup, je ne vais pas agir de la même manière que s'il y a un magnifique clair de lune, puisqu'on travaille toujours de nuit. Là déjà la notion de répétition aussi est supprimée parce que tous les moments importants de ma vie ne se sont jamais passés dans un contexte où je pouvais les répéter. J'estime sans intérêt de répéter quelque chose, ce qui me pose aussi des problèmes quand j'interviens avec des musiciens parce qu'eux veulent répéter, veulent assurer quelque chose de précis et moi je refuse.

S.L. : En plus des rencontres avec des musiciens, vous visez aussi, avec votre orgue à feu, des rencontres avec d'autres éléments comme de l'eau ou de la glace. Vous avez aussi des liaisons avec des sons de la nature ou des sons industriels. Est-ce que cet orgue à feu est toujours obligé d'être à la rencontre de certains événements ou peut-il vivre tout seul ?

M.M. : Il peut vivre tout seul. La différence justement avec des choses disons normées musicales, c'est que l'orgue à feu est toujours dans un univers puisqu'il est à l'extérieur et donc que ce soit des chants d'oiseaux - c'est d'ailleurs très très amusant parce que les oiseaux défendent un territoire sur un plan sonore et quand ils entendent des sons d'orgue à feu, ils s'énervent assez facilement et du coup vient très vite l'idée, même si ce n'est pas vraiment un dialogue, tout au moins d'une interaction avec eux - je me retrouve toujours dans un univers et cet univers extérieur est un univers absolument important. Au même titre que les sons de l'orgue à feu sont modifiés par le climat ou par la pluie, le vent puisque quand il y a du vent, des fois les sons sortent encore plus aléatoires que normalement. Donc, je suis toujours quand même un petit peu passionné par tout l'environnement sonore que j'ai envie d'écouter ou de faire écouter en même temps que j'interviens. J'ai toujours quand même une relation très privilégiée avec le monde extérieur environnant. En fait, à la différence peut-être justement des choses musicales composées tout ce qui vient de l'extérieur que ce soit par exemple un camion qui se met avec une trompe . . . Je suis toujours amené à écouter en même temps ce qui se passe autour de moi.

S.L. : Est-ce que vos représentations sont toujours acoustiques ou vous avez des éléments qui sont amplifiés ?

M.M. : Malheureusement, on est obligé d'amplifier. Je travaille toujours avec le même ingénieur du son. C'est toujours pour moi une sorte de déchirure parce que le son d'orgue à feu qu'on peut entendre en acoustique, c'est beaucoup plus fort pour moi parce qu'il y a un tas de finesses qui ne sont pas reproduites très bien par les micros même si on utilise du matériel assez sophistiqué. Dès qu'on est au-dessus de 500-600 personnes, moi je demande à l'ingénieur du son d'essayer de reproduire les sons qu'on entend lorsqu'on est dans la nature ou dans une église en acoustique. C'est un gros sujet de difficulté pour moi parce qu'on s'aperçoit que dès qu'on amplifie, on passe dans une norme qui est la norme des haut-parleurs et de tout ce qui se fait qu'on peut trouver en location. C'est très difficile de sortir de la norme, dans tous les domaines ! Dans le domaine de la sonorisation, on travaille beaucoup avec des micros différents, on cherche des choses spécifiques. Ça fait aussi partie de mon travail de chercher à coller le plus possible avec la spécificité des instruments et pas avec ce qui se fait habituellement.

S.L. : Et est-ce qu'il y a d'autres sons qui sont produits à partir d'éléments préenregistrés quand vous faites vos représentations ou tous les sons sont produits sur place ?

M.M. : J'ai une règle de conduite qui est justement d'amener, par le biais d'instruments qui sont d'ailleurs des instruments très contemporains comme le sampler ou des choses comme ça, j'amène sur scène des sons de la nature notamment des loups, le brame du cerf, des bruits de vague, des sons même industriels. Tout ce que je ne peux pas avoir sur place peut éventuellement - pas toujours - être amené surtout dans le cadre de grosses scènes où on ne peut malheureusement pas entendre les chants d'oiseaux, où la nature se fait trop discrète. Ce que je ne fais jamais intervenir par le biais de sons enregistrés et joués comme ça, ce sont tout ce qui est relatif à l'énergie humaine, les voix, les gens, tout ce qui peut venir sur scène vient sur scène, mais je ne peux pas amener une meute de loups sur scène ou des baleines par exemple, parce qu'il y a des analogies assez frappantes avec des chants de baleine. De plus en plus, j'utilise l'artifice d'un récitant qui explique d'une manière la plus succincte possible et la plus claire possible d'où viennent les sons et pourquoi on amène des sons de la nature dans l'histoire. C'est quasiment poétique, mais d'une simplicité, la plus grande possible. Ce sont des sons aussi pour la plupart que j'ai enregistrés moi-même parce que c'est une deuxième zone de mon travail. J'adore me promener avec des micros et je vais enregistrer, j'ai passé des temps relativement longs à enregistrer des loups, notamment les loups au mois de février qui sont en train de se battre pour élire le nouveau chef de meute, sorte d'élection municipale en quelque sorte et la voix des loups et leur manière de se battre, en définitive, pour cette survie a quelque chose pour moi de très fort qui fait partie des chants thermiques.

S.L. : Les loups, les baleines, les oiseaux, tout ça fait partie de vos événements, un peu comme ils font partie de votre regard sur la vie en général …

M.M. : Oui, c'est vrai que je suis assez fasciné par tous les éléments du vivant. J'ai vraiment l'impression que le vivant fonctionne toujours dans un monde situé entre l'ordre et le désordre, entre le chaos absolu qui correspond à la mort et l'ordre absolu qui correspond à la mort aussi. Je veux dire que quand il ne se passe plus rien, c'est qu'on est mort. Cette espèce de vibration qui va de ces deux pôles opposés est également, pour moi, symboliquement la même histoire que le son qui est généré par les tubes des instruments thermiques. Si vous voulez, quand un tube est complètement chaud, il n'y a pas de son. Quand un tube est complètement froid, il n'y a pas de son. Il faut qu'il y ait un mélange d'air chaud et d'air froid et c'est ça qui va générer la vibration. J'ai l'impression qu'avec l'ordre et le désordre, la vie quelque part, c'est une vibration qui se fait entre ces deux pôles opposés.

S.L. : Votre orgue à feu est aussi un instrument qui est rassembleur. Ce sont toujours des éléments publics, à l'extérieur, qui rassemblent souvent des gens impliqués dans les événements. À l'intérieur de toutes ces activités, quel est le rôle de l'orgue à feu ?

M.M : Ce qui est intéressant avec l'orgue à feu, c'est qu'il n'y a pas de référence. Personne ne peut dire que l'orgue à feux X joue mieux que l'orgue à feu Y. Il y a déjà une espèce d'étonnement de ces sons qui surgissent avec des flammes et ça crée un phénomène d'écoute. Ce qui me permet de mettre en scène et en écoute des gens qui d'habitude travaille ans des contextes plus petits. Déjà ça c'est une chose très forte c'est que l'orgue à feu permet de faire respecter des musiques différentes ou des sons différents par le climat qu'il crée. Je dirais, plus globalement, l'orgue à feu est une sorte de catalyseur d'énergie c'est-à-dire que je peux mélanger effectivement des gens qui sont sur scène et qui ont une énergie que ce soit visuelle ou sonore et ils placent ça sur un plan je dirais… pas rituel parce qu'un rituel doit être partagé en même temps par les officiants et le public, mais il place les spectateurs/auditeurs dans un monde d'écoute, ça c'est sûr. Ils regardent et ils entendent un peu avec étonnement des choses qu'ils n'ont jamais vraiment perçues jusque là.

Pour voir et entendre : http://www.orgue-a-feu.com/

transcription : Carole Legault et Sophie Laurent


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