H.P.
: Steve Heimbecker, où êtes-vous au moment où on se parle?
S.H.
: Où suis-je situé? Je suis à l'ouest de Saskatoon dans un petit
village des prairies de la Saskatchewan qui s'appelle Springwater.
La population ici est de 20 habitants. Le travail que je fais principalement
depuis que j'ai déménagé ici il y a deux ans implique des sons environmentaux
des prairies, enregistrés en son surround et manipulés dans mon
studio. Un des sons qui me fascine le plus est celui du vent.
H.P.
: Le vent qui, j'imagine, doit être très fort par moment où vous
êtes…
S.H.
: Oui. Lorsque j'ai commencé à travailler ici, quand j'essayais
d'enregistrer un ensemble complexe de sons environmentaux comme
des oiseaux qui chantent ou d'autres sons dans les arbres ou sur
les plaines, des criquets et ce genre de choses, j'avais toujours
un problème qui se présentait : le vent soufflait dans mes microphones.
Après avoir été frustré pendant un certain temps, j'ai réalisé que
le vent était quelquechose que je pourrais utiliser. Maintenant,
mon travail s'oriente vers le son du vent en combinant le vent avec
d'autres sons des prairies.
H.P.
: Avez-vous trouvé une solution pour enregistrer le vent? C'est
toujours complexe d'enregistrer du vent…
S.H.
: Oui, en effet. Ce que j'ai réussi à faire, c'est d'enregistrer
le vent dans les bosquets ou à l'intérieur de bâtisses abandonnées
qui ont de larges ouvertures, de façon à ce que les microphones
ne soient pas affectés, pour que je puisse entendre le mouvement
du vent autour de la bâtisse ou à travers les buissons. J'ai aussi
une maison spécialement conçue pour mes recherchessi on veut….un
petit garage qui est élevé sur des blocs afin qu'il y ait de l'espace
en-dessous et que le vent puisse y voyager librement. Ainsi j'enregistre
le vent de manière multi-directionnelle, plaçant le micro au centre
tout en laissant le vent souffler sous la maison.
H.P.
: C'est touchant de vous entendre. Vous êtes comme un observateur
d'oiseaux, comme si vous étiez un complice de l'événement tout en
essayant de vous cacher pour que le vent soit dupé, puisqu'il ne
vous voit pas, et qu'il puisse se laisser aller.
S.H.
: Oui.
H.P.
: Est-ce que c'est aussi votre approche avec le Silophone? Est-ce
que le vent est un des éléments avec lequel vous voulez travailler?
S.H.
: Quand j'ai visité le Silophone, le vent était très fort, évidemment,
parce que l'architecture est si vaste. Alors il y avait beaucoup
de résonance due au vent qui soufflait dans les fenêtres. Le vide
de cet espace, parce qu'il est abandonné depuis si longtemps, résonnait
vraiment en moi et avec ce que je fais ici dans les prairies. Il
y a une relation entre le fait que j'ai grandi dans les prairies
avec la production du grain et celui de me retrouver au silo, sachant
très bien que l'exportation de ce grain s'est produite à travers
ce bâtiment. Alors je tente de créer un lien, presqu'un " carnet
de route " du son des Prairies en relation avec la croissance du
grain, alors qu'il passe à travers les silos et qu'il est redistribué
au reste du monde. Je suis très enthousiaste à l'idée de prendre
ces sons et de les transporter à travers le silo puis de les diffuser
à l'extérieur pour un public. De ne pas être restreint par l'architecture,
mais d'être soutenu par elle.
H.P.
: Est-ce que c'est la première fois que vous travaillez avec un
espace pareil?
S.H.
Oui, quoique j'ai déjà travaillé avec des systèmes de diffusion
et j'ai travaillé à des projets relativement grands. J'ai fait une
pièce en 1993 qui impliquait l'enregistrement de l'environnement
sonore de deux sites équidistants sur un mile. Une fois l'enregistrement
terminé, j'ai synchronisé les enregistrements (ils étaient enregistrés
individuellement) sur un appareil playback qui jouait l'environnement
acoustique, qui renfermait ce mile de son dans un espace de 64 pieds
de long. Lorsqu'on écoutait l'environnement dans son modèle acoustique,
si on voyageait d'un bout à l'autre du modèle en moins de 5.5 secondes,
ce qui est la vitesse du son, conceptuellement, on pouvait voyager
plus vite que le son dans cet environnement d'écoute.
H.P. Et sur quoi travailliez-vous récemment, avant le projet Silophone?
S.H.
: Eh bien, je fais beaucoup d'installations en art visuel qui utilise
le son comme élément de base. En 1999, j'ai publié une anthologie
sur disque compact chez Avatar/Ohm qui s'intitule The Enormouslessness
of Cloud Machines. C'est un album double qui présente mon travail
sonore depuis les huit dernières années, depuis 1992. Mais mon intérêt
principal depuis quelques années est vraiment les sons environnementaux
et la création de nouvelles technologies et méthodologies pour la
diffusion d'environnements sonores complexes. J'ai développé un
système où je peux utiliser les variations de voltage de l'enregistrement
d'un son surround et le mouvement - parce que je suis très intéressé
par l'effet sculptural du son- mais le mouvement du son utilisé
comme moyen mécanique à travers la dynamique des amplitudes alors
que le son se déplace dans un système de diffusion multi-piste ou
de son surround. Puis, je peux prendre ceci comme modèle et l'utiliser
pour contrôler d'autres sons, pour qu'ils aient le même mouvement
que les sons d'origine.
H.P.
: Vous utiliserez cette technique avec le Silophone?
S.H.
: Oui.
H.P.
: Pourriez-vous nous donner un exemple de son fonctionnement, de
ce que vous recherchez?
S.H.
: Eh bien, par exemple, je peux faire un enregistrement du vent
et du mouvement du vent alors qu'il souffle et tourbillonne autour
de vous et l'utiliser comme modèle (template) pour appliquer, disons,
à un orage afin que soient présents non seulement la dynamique de
l'orage (qui est un son omniprésent), mais aussi le mouvement à
travers le système de diffusion. Le mouvement serait alors comme
celui du vent, mais le vent ne serait pas nécessairement entendu.
Il produirait seulement le mouvement de l'orage à travers le système
de diffusion.
H.P.
: Dans le cas du Silophone, bien sûr, tout sera amplifié et écouté
à travers des hauts-parleurs qui seront situés au niveau du public.
Serez-vous en haut du Silophone ou en bas avec nous?
S.H.
: Je serai en bas avec vous. L'idée, d'après ce que je conçois présentement,
c'est d'avoir une petite scène au centre de l'architecture du Silophone,
en bas, pour que le système de diffusion supérieur à quatre canaux
soit à l'arrière et au dessus de moi. L'autre système de diffusion
à quatre canaux sera placé dans un carré devant moi. La grandeur
du carré devant moi sera selon les proportions de la distance qui
me sépare de la scène et de la hauteur du système de diffusion supérieur,
de façon à créer l'effet d'un cube qui sort du Silophone ou de l'architecture.
H.P.
: Vous entendrez donc ce que nous entendrons, d'une certaine façon?
S.H.
: Oui, absolument. J'ai toujours fonctionné ainsi pour mes diffusions.
H.P.
: Essentiellement, vous injectez des sons dans le Silo?
S.H.
: Oui.
H.P.
: Vous ne manipulez rien directement dans le Silophone? Vous lancez
des sons?
S.H.
: Oui, je vais lancer des sons. La manipulation principale sera
de disperser les sons à travers les silos. Je veux quatre silos
parce que mes échantillons et mes enregistrements sont tous à quatre
canaux. Donc, je veux être capable de garder la diffusion sonore
intacte, l'espace naturel de l'environnement ou l'affecter par les
quatre silos discrètement, pour que ce soit transmis à travers le
système de diffusion comme des événements discrets. Je suis très
intéressé par les échelles variables, par l'enregistrement de petits
événements sonores diffusés dans des grands espaces et vice-versa.
H.P.
: Une dernière question : Qu'est ce que le Silophone pour vous maintenant?
Est-ce que votre perception évolue alors que vous travaillez avec
lui? Avec quelle mémoire sonore travaillez-vous, puisque vous avez
fait une résidence cet été, mais vous n'êtes jamais revenu au Silophone
depuis? Travaillez-vous avec la mémoire du Silophone? Avec quel
aspect, physique, métaphorique, perceptuel, avec quel aspect travaillez-vous
maintenant?
S.H.
: J'ai un sentiment très fort de l'espace. C'est une question de
mémoire. Mais à mon avis, la mémoire comprend aussi l'espace. Comme
l'équation temps-espace d'Einstein : la mémoire est un morceau de
temps et le temps est un morceau d'espace. Alors, en ce sens, tout
cela se rejoint pour moi. La réverbération est comme un spectre
pour moi, mais elle est comme des ficelles de temps et de son… Un
des éléments que j'ai vraiment exploré dans les Prairies ici, est
l'observation du son voyageant sur de longues distances. Il y a
un endroit ici où je peux entendre un train à un élévateur à céréales
à 30 miles de là. Alors, ce son est pour moi analogue au Silophone.
C'est un tracé des distances parcourues entre l'endroit où il est
produit et l'endroit où il se rend à moi pour que je puisse l'écouter.
Alors la réverbération de ce son est l'espace entre nous, et le
Silophone est cet espace. C'est mon approche.
H.P.
: Merci beaucoup Steve.
traduction : Sophie
Laurent
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