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HÉLÈNE PREVOST ET ERIC LÉTOURNEAU RENCONTRENT

NATHALIE DEROME

INTRO : Enregistrement d’une discussion entre Hélène Prévost et Éric Létourneau, un jeudi matin, dans le bureau au 14ème,. Nathalie Derome écoute.

Hélène Prévost (HP) : De Natalie Derome, on dit qu’elle explore les voies multiples du théâtre, de la poésie, de la danse, de la musique et des arts visuels à travers des spectacles aux formes variées, des performances-fleuves, des cabaret performances, des  tombolas multidisciplinaires, etc… Eric Létourneau  la connais depuis quelque temps déjà.

Eric Létourneau (EL) : Ce que fait Nathalie est très particulier (et un peu difficile à expliquer à ceux qui ne connaissent pas son travail). Elle utilise tous ces médiums (danse, poésie, musique, théâtre, performance) mais on a l’impression qu’elle se glisse entre ces médiums, qu’elle est par exemple en train de faire quelque chose qui serait à la fois une chorégraphie - mais pas tout à fait - et qui serait aussi à la fois du théâtre et de la musique – et, toujours, « pas tout à fait ». Ce n’est pas simplement une combinaison de ces disciplines : elle se glisse entre les choses et crée ainsi, d’une certaine manière, de nouvelles disciplines, hybrides, qui n’ont pas encore de noms.

HP : Elle vient du théâtre je crois.

EL : Elle vient du théâtre. J’ignore si, plus jeune, elle a fait de la musique avec son frère Jean (Derome). Nathalie définit son travail comme une entreprise théâtrale. Si vous invitez des gens qui ne connaissent pas son style à assister à l’une de ses créations, je peux vous affirmer qu’ils risquent de rester ébaubis! J’ai tenté l’expérience avec des amis d’un peu partout, de Montréal, de la région, des européens… Sur le coup, ces gens ne savent pas comment réagir! Mais grâce à son humour, Nathalie est capable d’aller « chercher » les gens.

HP : Parce qu’elle dit des choses importantes. C’est quelqu’un de socialement engagé. Elle parle de notre condition d’être humain, de la situation des femmes, des hommes et des femmes, et l’exprime avec une sorte d’insolence poétique…

EL :… qui est une sagesse je crois...  Je la vois un peu « zen » (je vais peut-être la faire rire en disant cela) car elle opère des « détachements » de sens, en dévoile ainsi le vide qui est sous-jacent. C’est comme regarder un jardin zen. Dans un jardin zen, celui de Ryoangi par exemple, il y a toujours un certain nombre de pierres et, toujours, quelque soit le point de vue que l’on adopte, l'une des pierres reste toujours cachée de notre vue. En changeant d’angle, cette pierre se dévoile mais notre changement de position nous empêche alors de voir une autre pierre. Et ainsi de suite. Où que l’on aille, il y a toujours une pierre cachée derrière une autre dépendant du panorama que nous offre notre position. C’est la même chose avec le travail de Nathalie. Avec elle, on sent qu’il existe une forme d’  « absolu relatif ». Mais on ne peut jamais connaître l’entièreté de la vérité même si la vérité est là. J’irais plus loin. Je dirais que, dans ses œuvres, on a souvent l’impression que quelqu’un déguisé en costume de voleur va venir   dérober cette pierre cachée. Ainsi, si l’on se déplace encore, on ne la retrouvera plus! C’est à la fois angoissant et magique! Cet humour est une manifestation de la sagesse et de l’intelligence dont Nathalie fait preuve dans son travail.

NATHALIE DEROME ET HÉLÈNE PRÉVOST, sur les ondes du Navire « Night

HP : Bonsoir, Nathalie Derome.

Nathalie Derome : Bonsoir.

HP : Qu’est-ce que tu penses de nos prospections et de ce que tu viens d’entendre sur l’enregistrement?

Nathalie Derome (ND) : C’est touchant… J’aime bien l’idée de dire que « je me glisse entre »… Je m’amuse beaucoup à faire ça : « me glisser entre les disciplines »… Peut-être pour me « cacher ». Eric a parlé de la sagesse. De ne pas « tout » dire… Toi tu parles de l’insolence… Il y a quelque chose d’ « ouverture » et de « caché », une sorte d’« impudeur » et de « pudeur » dans mon travail. Je crois que cela est vrai. La multitudes des médiums me sert à ouvrir … et à refermer, un peu comme si je jouait à l’huître. Je m’aperçois que, de plus en plus, je construit mes pièces comme on compose de la poésie. Il y a des images qui sont souvent de la « condensation ». Je crois que j’utilise des procédés qui ressemblent à l’écriture poétique, je crois : la condensation, l’éllipse, etc... Donc, je construit des images et je les offrent. Elles ont l’apparence d’un discours narratif, de petites histoires. Souvent c’est léger. Mais, en dessous, il y a toujours une anguille ou un poison, une grande inquiétude planétaire et existentielle. Et je fais le jeu du balancier entre ces inquiétudes et la grande joie de vivre qui me semble essentielle.

HP : Est-ce que l’écriture est venue conjointement avec ta pratique théâtrale ou est-ce que tu est partie de l’écriture pour arriver à la mise en espace, la performance et le mouvement?

ND : Non! Je ne viens pas du tout de l’écriture! Je ne suis pas du tout quelqu’un de « littéraire ». Je viens de l’ « espace »! (J’ai commencé à faire du théâtre très jeune. Mais c’était surtout du théâtre gestuel, beaucoup de danse et de mouvement. Les mots sont venus plus tard dans mon travail. Maintenant je travaille beaucoup avec le langage, mais ce n’est pas ce premier médium qui est venu. J’ai étudié en théâtre. Mais au moment où j’ai étudié à l’Université du Québec, c’était très ouvert comme profil de cours. Et j’ai donc fait beaucoup de cours de mouvement, de danse, de mime. Il n’y avait pas d’obligation de faire de l’interprétation. Quand à la voix, je l’ai travaillée, plus tard.

HP : Et c’est venu naturellement j’imagine, dans la suite des choses…

ND : Oui javais besoin de parler. Mais c’est venu plus tard. Au début, le mouvement seul me suffisait.

Enregistrement, un jeudi matin, dans le bureau au 14ème

EL : Nathalie Derome travaille sur une question fondamentale en art. L’art est-il là pour créer une illusion?.. Ou l’art est-il destiné à dévoiler de nouveaux aspects de la réalité?.. Nathalie arrive toujours à conjurer ce problème. Elle réconcilie les deux idées. On sait toujours que la réalité est là, Nathalie crée une illusion qui à son tour, en fait, décrit le réel. Et toujours de façon poétique. Elle explore et élargit la perception du réel. Elle nous fait partager son expérience et son expérience est celle de notre expérience collective en tant qu’êtres humains. Ses références sont pourtant très personnelles et souvent très ancrées dans la culture québécoise, sinon Montréalaise. Mais grâce à ce pouvoir qu’elle a de donner une dimension universelle à cet univers personnel, son travail possède une qualité unique.

Nathalie à Hélène :

HP : Nathalie, plusieurs chansons de ce concert « Les quatre ronds sont allumés » proviennent de pièces théâtrales antérieures. Et j’aimerais citer Solange Lévesque qui parlait de ton travail en 1996 : « Chez Nathalie Derome, si la voix peut se faire douce, la rime est âpre et le cri n’est jamais très loin. Car la souffrance, les contradictions d’un univers déjà plus virtuel que réel, et les faux-semblants sont mis à nu. Elle ne se contente pas de railler ou de faire rire, elle nomme, questionne, démasque. Elle œuvre dans l’humilité de l’essentiel. » Ces propos rejoignent peut-être ceux d’Éric au sujet de l’éclairage que tu apportes à la réalité et à cette dimension poétique dont tu parlais au début. Quel est le lien avec ce concert que nous allons entendre?

ND : Souvent, pour moi, les sujets sont abordés à partir de petites choses anodines. Et j’essaie peut-être de vérifier si « ma réalité » est peut-être celle de tous. J’essaie de voir si j’ai « bien compris » et dans plusieurs de mes chansons, je pose ces questions : « la vie, est-ce que c’est comme ca? ». Pour moi, la vie est ainsi. Mais pour les autres, est-ce la même chose? J’essaie toujours d’essayer de « vérifier le réel ». Est-ce qu’on marche tous sur la même planète, de la même façon? Est-ce qu’on est inquiet des mêmes choses? Et-ce que … ? Alors je passe du très petit au très grand, et cela rejoint ce que je disait tantôt ; je referme puis je ré-ouvre. Pour moi, c’est toujours des espèces d’urgences que de faire des spectacles. J’essaie de m’en dégager. Plus j’avance, plus je me dis , mon Dieu ça devrait plutôt être seulement un luxe, un plaisir.

HP : De te dégager de l ‘« urgence » ?

ND : Oui, de l’urgence de dire de nommer, de crier, de se révolter, je voudrais que ce soit plus léger…

HP : Mais non…. Y’a rien là!

ND : Oui… y’a rien là. Parce que, au fond, la vie est une partie de plaisir. Je ne peux pas dire que ce n’est pas angoissant. Mais la vie est seulement une expérience tellement forte et tellement vaste … et tellement prenante! Et c’est un peu cela que j’essaie toujours de décrire! Mais en partant du petit quotidien. Parler du fait qu’on cherche nos bas le matin…

HP : Sauf que tu en fais un objet qui est « multi-facettes ». Par le texte, par la musique, par ta place dans l’espace, par l’accessoire. Ton utilisation de l’espace est troublante.

ND : Mais c’est comme la vie. Dans la vie aussi, on est entouré de choses horribles, de choses fabuleuses, de beautés frappantes. Même en se promenant dans la ville, on remarque des sculptures, parfois des détails. Ce matin, je marchais dans le couloir de la station de métro près de Radio-Canada. Des gens avaient ouvert la voûte pour restaurer le passage qui monte vers la rue! Et ils ont fait un éclairage hallucinant. C’est tout à fait surréaliste comme avenue. On est en train de monter sur un tapis roulant de quelques centaines de mètres dans une voûte de faux ciment, pleine d’ombres. C’est très beau. On habite dans une espèce de réalité cosmopolite … euh… complètement … euh… « multidisciplinaire »! (Rires) Et c’est cette réalité là que j’essaie de décrire. Donc, avec plusieurs médiums, parce que j’ai du mal à me restreindre à un seul. Je n’ai pas l’impression de « bien expliquer » avec un seul. Lorsque je peux le faire avec la danse, je le fais comme cela - sinon je le chante, sinon je le dit, sinon je le cri, sinon je me tais.

HP : Tu as choisi de travailler avec des musiciens qui t’accompagnent plutôt que de jouer avec tes petites machines, tes petits « bidules », tes Casios, tes synthés. Comment as-tu choisi les musiciens avec lesquels tu as travaillé?

ND : J’avais presque envie de te répondre «  par hasard »! C’est par affinité, par bonheur. Ce sont des gens que j’admire beaucoup et dont je connais bien le travail mais avec lesquels je n’avais pourtant jamais travaillé. En fait, c’est René Lussier qui m’a presque proposé de monter mes chansons. Je voulais aussi travailler avec Guillaume Dostaler. J’aime beaucoup le piano : c’est un instrument qui me touche énormément. Et comme René et Guillaume jouent souvent ensemble dans différentes formations, notamment dans les Dangereux Zhoms de Jean Derome, ils ont déjà développé une intéressante complicité en improvisation. C’est pour cela qu’on s’est réuni. J’avoue … en fait c’est René qui a forcé la note…

HP : Il avait vraiment envie d’approcher ton univers.

ND : Heureusement, ils en avaient le temps. Ces deux musiciens sont souvent très occupés.

HP : Vous avez travaillé en atelier, je crois. Mais sans partition, bien que tes chansons étaient déjà structurées. Tout était là. Il restait à définir un univers…

ND : Ce fut délicat, de définir la façon de travailler. Moi souvent, dans mes « processus », et c’est le plus gros du travail, c’est d’essayer de développer un langage commun. Guillaumme et René poss`dent déjà leur langage musical. De mon côté, je n’ai vraiment pas le langage et le vocabulaire musical comme eux. Je n’ai pas la « compréhension » de la musique de cette façon. Mais j’ai mes chansons. Et je peux parler souvent de « textures » ou de « feelings ». Nous avons vraiment travaillé comme si il s’agissait de « petits films » sonores. C’est à dire, une intention, une émotion. Une couleur. Et cette méthode fonctionnait très bien avec ces musiciens qui sont aussi des improvisateurs. René, notamment, fonctionne beaucoup avec les images. On peux lui dire des choses comme « c’est plus beige que brun » et il va comprendre la nuance tout de suite.

HP : Tu dis de ces chansons qu’elles sont « parodisiaques » , je les appellerait carrément « paradisiaques ».

ND : C’est un mélange des trois : paradisiaques, aphrodisiaques et de parodies…

J’avais déjà travaillé ces chansons avec des petits Casio. Je m’amuse à faire des chansons avec des petits pianos synthétiques que je trouve souvent dans le remises de mes amis, des objets dont personne ne se sert et que l’on reçoit comme cadeau à noël et puis que, après quelques mois, on n’utilise plus. Et ça m’amuse beaucoup parce que ces instruments offrent souvent toutes sortes de possibilités grotesques, "théâtrales" dans un sens. J’avais donc fait ces chansons et ce fut un grand honneur pour moi de les travailler avec des «vrais » musiciens. Et un grand bonheur aussi. Chaque soir, ils improvisent de façon différente et fantastique, même si de mon côté, la structure de la chanson est fixe. Ainsi, ces musiciens m’ammènent quand même dans toutes sortes de directions, toujours nouvelles. Lorsque l’on répétait, j’avais souvent l’impression d’être avec deux… deux fous! (Rires) Deux amis. Et c’était très intime parce que je les ai trouvé très délicat. J’étais un peu inquiète de travailler avec des « musiciens » - avec des hommes aussi - qui peuvent m’entourlouper facilement puisque musicalement je ne peux pas comprendre toutes les « attrapes », tous les « pièges ». Et finalement nous avons eu beaucoup de plaisir car ils aiment jouer des tours et moi aussi j’aime jouer des tours. Ainsi, nous sommes arrivé à une façon de « se donner de la corde » et en même temps de se tenir très serrés. Je ne sais pas quelle sorte d’animaux ils sont ces gars-là! Guillaume, par exemple, est à la fois très droit, et en même temps il louvoit : c’est une espèce de poisson. On taxe René souvent d’être plus cabotin, presque théâtral. Moi je lui disait souvent : « tu travaille avec des couleurs très franches : quand c’est bleu, c’est bleu, quand c’est rouge, c’est très rouge, quand c’est jaune, c’est vraiment criant comme couleur » mais c’est en fait le premier cliché qu’on a de ce personnage. Ensuite …. Oups! On se rend compte qu’il y a toute une variété de gammes d’émotions dans cette « franchise ». C’était vraiment intéressant de partager cet univers avec eux.

HP : C’était vraiment un mariage heureux. Je connais bien ces musiciens et, en les voyant travailler avec toi, c’est le mot « générosité » qui m’est apparu. Ils prennent toute leur place et en même temps, c’est toi qui reste au centre, qui est au cœur, qui porte le mot. Et je n’ai senti à aucun moment qu’ils te laissaient tomber.

ND : J’aimerai éventuellement qu’ils puissent davantage me « laisser tomber »! Lorsqu’on aura développé encore plus notre complicité, ils vont pouvoir pousser les improvisations musicales et moi je vais pouvoir les suivre et aller plus loin. Quelquefois ils ne pouvaient pas aller trop loin dans un développement harmonique…

HP : Ou « free »…

ND : Oui parce que sinon je ne saurai plus on est sur quelle note … où on est… De perdre tous mes repères. Ils auraient vraiment pu quelquefois m’abandonner. Et c’est que j’ai aimé - les textes du spectacle parlent beaucoup de ça – c’est que c’est comme un voyage, moi je les ai invité à ce qu’on parte en voyage ensemble, mais il est certain qu’une fois perdus dans l’immensité du voyage, je ne pouvais pas faire les lunchs tous les jours et s'il fallait faire du feu pour ré-animer la flamme de la recherche, ce n’était pas toujours à moi de le faire. Ça a vraiment été un échange. Il s’est fait naturellement. Parfois, il faut que chacun porte son sac. Ce fut du travail. Et ce fut très agréable.

Enregistrement :

EL : Il y a toujours un côté intemporel dans son travail qui se retrouve également dans ses chansons. J’ai toujours eu l’impression que ce qu’elle créait visuellement était construit de façon presque musicale. Je me rappelle d’une scène d’un ancien spectacle de Nathalie, c’était dans « La peau de dents » ou dans « Canada errant ». Au début du spectacle, après une longue pause scénique, un grille-pain télécommandé a traversé la scène avec un petit bruit de moteur pour laisser place à un nouveau silence scénique. C’était un moment très beau, intemporel, presque métaphysique. La métaphysique du grille-pain! Et c’était construit de façon presque musicale quand au déroulement.

HP : Je crois avoir vu cela durant l’Événement Tuho-bohu : ça me dit quelque chose.

EL : Dans « Le voyage de Pénélope », elle utilise également les valises que l’on brasse comme source sonore. Les femmes qui jouaient dans cette pièce utilisaient ainsi les valises remplies d’objets pour créer des contrepoints rythmiques…. Tout en voyageant sur la scène. Il y avait cette allégorie du voyage, du déplacement dans l’espace et dans le temps, et aussi le déplacement du son par rapport à leurs déplacements respectifs dans l’espace et dans le temps. C’était un très beau moment et je crois que c’était musical. C’est pourquoi je dis que Nathalie combine les choses mais qu'elle s’infiltre aussi entre les disciplines et en crée presque de nouvelles.

P : Oui. Un art total...

 

HP : Eric, lors de tes interventions, tu parlait beaucoup de l’aspect multidisciplinaire du travail de Nathalie. Bien sur, on a mis l’accent ce soir sur la chanson et la musique. Mais tu t’es toujours intéressé à l’aspect « performance » du travail de Nathalie.

EL : Si je ne me trompe pas, Nathalie, ton travail du début des années 80 était surtout axé autour de l’idée de performance. Mais maintenant, c’est plutôt du « théâtre perforé » que tu fais…

ND : « Théâtre perforé » est une appellation un peu… grotesque!… Encore une fois, devrais-je dire… Parce qu'autant du côté de la performance, on me chicane, on me dit «  non, c’est du théâtre ». Et du côté du théâtre, on me chicane et on me dit « Non ce n’est pas du théâtre, c’est de la performance ». À un moment donné, fatiguée d’essayer de trouver une appellation qui soit à fois juste et qui n’inquiète ni les spectateurs, ni les diffuseurs, je me suis dit : « je vais appeler cela du théâtre perforé ». Car mon travail est difficile à diffuser. Les gens ne savent pas sur quel pied danser. Et aussi parce que, souvent, ce sont des spectacles dans lesquels la trame narrative n’est pas continue. En fait, ce fil existe mais il faut être alerte pour pouvoir le suivre. C’est un peu comme la poésie et comme ce dont on a parlé plus tôt dans l’émission. Il y a deux ans, j’appelais cela du « théâtre en forme de femme ». Je m’était dis que ce terme décrivait peut-être bien l’univers que j’essaie de créer. C’est à dire que ce n’est pas en ligne droite : c’est en ligne courbe. Et c’est rond.

HP : C’est inclusif plutôt qu’être exclusif?

EL : Je crois que Nathalie référait à la structure d’une pièce de théâtre classique : l’introduction, le développement dramatique jusqu’à son apogée puis la conclusion.

ND : Oui, c'est, selon moi, souvent relié au plaisir masculin. Alors que le plaisir féminin n’est pas nécessairement avec un dessin aussi précis et aussi établi. Au théâtre classique, c’est cela, il y a introduction, développement, apogée, conclusion. Un peu comme la courbe du plaisir masculin. Et je penses que la plaisir féminin se développe d’une autre façon. C’est pour cette raison, je crois, que le travail « féminin » n’est pas nécessairement toujours bienvenu dans la société.

HP : Est-ce une question de majorité, du nombre, du type de discours?

ND : De type de discours et de commercialisation…


HP : Parce qu’il crée plus d’ « instabilité » comme le ferait un liquide instable qui ne se dépose pas?

ND : Oui… qu’on peut moins facilement « mettre en capsule ». Entrer dans une machine ou dans un cadre précis…

EL :Si, petit à petit, ce discours féminin prends sa place dans la société, est-ce qu’à un certain moment, lorsqu’il y sera pleinement intégré au même titre que le discours masculin, il ne risque-t-il pas de s’ « encapsuler » à son tour?

ND : Oh… peut-être… (rires)… Je ne sais pas! Mais pour l’instant, on est loin d’en arriver à ce moment là!

Transcription : Eric Létourneau

On peut rejoindre Eric Létourneau à l'adresse suivante : eric_létourneau@yahoo.com