La question raciale au centre de l’audience disciplinaire d’une haute gradée de police
Début des audiences disciplinaires de la surintendante Stacy Clarke devant un tribunal de police à Toronto.
La surintendante Stacy Clarke de la police de Toronto a plaidé coupable en septembre de sept accusations d'inconduite professionnelle pour avoir permis à six agents noirs de tricher à des entrevues de promotion en 2021.
Photo : Radio-Canada / CBC
À Toronto, la défense de la surintendante Stacy Clarke, première haute gradée noire de l'histoire du service de police, a demandé, lundi, la clémence à l'audience disciplinaire de sa cliente. La Sdte Clarke a plaidé coupable, en septembre, de sept accusations d'inconduite pour avoir permis, en 2021, à six agents noirs de tricher à des entrevues d'embauche promotionnelle.
La surintendante Clarke a déjà plaidé coupable d'accusations de conduite déshonorante, d'abus de confiance et d'insubordination, en admettant tous les faits qui lui étaient reprochés.
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À l'époque, Mme Clarke agissait comme mentore auprès des six policiers en question au cours d'un processus pour l'obtention du grade de sergent. Elle siégeait au comité des promotions de son service en 2021.
Position de la poursuite
Dans ses arguments d'ouverture, l'avocat de l'accusation, Scott Hutchison, a demandé à l'arbitre du tribunal la rétrogradation de deux rangs de la surintendante.
Elle a d'abord eu le rang de sergente-cheffe pendant un an, puis celui d'inspectrice de police pendant une autre année.
Nous pensons qu'elle a toujours sa place au sein de la police, mais la sanction doit être proportionnelle à la faute commise.
Me Hutchison ne croit pas en revanche que la haute gradée doive réintégrer son poste à l'issue de deux années de pénalité, même s'il reconnaît les défis qu'elle a dû relever dans sa carrière.
L'avocat de la défense de Stacy Clarke a livré un vibrant plaidoyer en faveur de sa cliente. L'avocat de l'accusation, Scott Hutchison, est en bas à gauche.
Photo : Radio-Canada / Pam Davies
Me Hutchison parle d'un cas d'inconduite très sérieux
et il accuse la SdteClarke d'avoir entaché l'intégrité des procédures d'embauche au sein du service.
Un énoncé conjoint des faits des deux parties reconnaît que Mme Clarke a pris des photos des questions et des réponses et les a envoyées à ses six protégés qui voulaient devenir sergents.
Position de la défense
L'avocat de la surintendante, Joseph Markson, demande plutôt une rétrogradation d'un rang seulement pendant une période de 12 à 18 mois avec une réintégration automatique dans son poste par la suite.
Elle a un parcours professionnel impressionnant, elle a plaidé coupable et elle est remplie de remords
, dit-il.
Me Markson ajoute que sa cliente a dû faire face au harcèlement, à la discrimination et au racisme systémique et qu'elle a voulu rectifier le tir.
Sa frustration et son désespoir ont affecté son jugement
, poursuit-il, en expliquant qu'elle a voulu créer des conditions d'égalité des chances pour tous
.
La surintendante de police, qui cumule 26 ans de carrière, a dû essuyer des larmes lorsque son avocat, Joseph Markson, a lu sa déclaration devant le tribunal.
Photo : Radio-Canada / Pam Davies
L'avocat souligne que sa cliente s'est battue toute sa vie pour éliminer toute discrimination et toutes les injustices, pas seulement contre les groupes racisés, mais aussi les Autochtones et la communauté LGBTQ+.
Il cite les nombreuses qualités de sa cliente, comme son sens de la justice, son courage et sa persévérance.
La surintendante Clarke a certes fait preuve de frustration, mais elle était motivée par l'humiliation qu'elle subissait au travail.
L'avocat conclut que sa cliente a bâti des ponts avec les communautés racisées et rétabli la confiance des Torontois dans leur service de police.
Il est dans l'intérêt de ces communautés et du service de la réintégrer dans ses fonctions après sa période de rétrogradation
, dit-il.
L'avocat de la défense, Joseph Markson, explique que sa cliente était épuisée mentalement et physiquement.
Photo : Radio-Canada / Pam Davies
Me Markson compte en outre présenter plus tard cette semaine un rapport psychiatrique qui montre que Sdte Clarke vivait à l'époque des moments de stress intense
à cause du racisme dont elle dit avoir été victime au travail.
Son passé médical doit être pris en compte dans la détermination de la sanction à lui infliger
, souligne-t-il.
Lettre de la surintendante
Me Markson a par la suite lu une déclaration écrite de sa cliente. Mme Clarke y présente d'abord des excuses et de profonds remords.
Je suis consciente de l'impact que mes actes ont eu sur les 6 agents, sur le service et la communauté
, répète l'avocat.
Dans son réquisitoire, l'avocat de l'accusation, Scott Hutchison, a dit que le service de police ne cherchait pas à obtenir le renvoi de Stacy Clarke.
Photo : Radio-Canada / Pam Davies
La Sdte Clarke affirme néanmoins qu'elle n'a pas eu la vie facile en tant que seule femme noire de haut rang dans un univers d'hommes blancs.
J'ai vu des policiers noirs être ridiculisés, sapés et discriminés et je voulais mettre fin à cette stigmatisation, mais on me trouvait trop bavarde.
J'ai été la voix de ceux qui sont désavantagés dans la société et je me suis moi-même retrouvée seule au combat en tant que femme et en tant que Noire
, poursuit-elle.
Elle ajoute que nous connaissons tous la profondeur des racines du racisme dans le service de police
.
L'ex-chef de police Mark Saunders s'adresse à la cheffe adjointe à la retraite du service de police de Simcoe, Robin McElary-Downer, qui préside les audiences.
Photo : Radio-Canada / Pam Davies
Elle souligne qu'elle a tenté d'être une alliée, mais que ses efforts sont passés inaperçus. Je pensais que ces six policiers n'auraient aucune chance d'être promus
, dit-elle.
Elle admet que son désir de justice, sa frustration devant les obstacles et sa détresse ont occulté son jugement.
Je voulais changer le système et ce que j'ai enduré dans ma carrière m'a changée à tout jamais
, conclut-elle.
Me Markson rappelle en outre le contexte dans lequel sa cliente a commis sa faute : la mort de George Floyd aux mains de policiers aux États-Unis en 2020. Il assure toutefois que sa cliente ne tente pas de se justifier ou d'excuser sa conduite.
Témoignages d'appui
La défense de la haute gradée a ensuite appelé des témoins à la barre pour témoigner de l'intégrité de sa cliente.
L'ex-chef Mark Saunders admet qu'il a promu la Sdte Clarke en juillet 2020 pour l'excellence de sa candidature
[elle n'est entrée en poste qu'en octobre 2021, NDLR].
L'ancien chef de police de Toronto, Mark Saunders, témoigne pour la défense dans ces audiences disciplinaires.
Photo : Radio-Canada / Pam Davies
Mark Saunders ajoute que la surintendante a réussi à gagner la confiance des communautés racisées de Toronto.
Le service aurait tort de ne pas la rétablir dans ses fonctions après une rétrogradation temporaire
, poursuit-il.
Je la connais depuis 20 ans et sa récente inconduite ne lui ressemble pas, elle a toutes les qualités pour être une cheffe de file.
L'ex-chef souligne que la Sdte Clarke a fait du très bon travail lorsqu'elle était affectée au poste de police No 14, le plus difficile au Canada
.
Mark Saunders affirme que la surintendante a réussi mieux que quiconque à s'attaquer au problème du racisme dans les forces de l'ordre.
On s'attend à ce que l'arbitre du tribunal, Robin McElary-Downer, mette la cause en délibéré à la fin des audiences prévues vendredi.
Photo : Radio-Canada / Pam Davies
Dans son contre-interrogatoire, Mark Saunders a refusé de s'avancer en conjecture lorsque Me Hutchison lui a demandé s'il ne l'aurait pas recommandée pour le poste de surintendante s'il avait su qu'elle tricherait 18 mois après lui avoir accordé une promotion.
Le surintendant à la retraite David McLeod, qui est lui-même Noir, a pour sa part affirmé que la Sdte Clarke a réussi à éduquer la police sur le racisme systémique
et que le service n'aurait pas progressé sans ses efforts.
L'ancien chef de police Mark Saunders s'est adressé à la presse après son témoignage devant le tribunal.
Photo : Radio-Canada / Paul Smith
Les policiers de couleur n'ont jamais eu les mêmes opportunités que les blancs
, déclare-t-il en se défendant toutefois de lui accorder un traitement de faveur.
La Sdte Clarke peut, devrait et pourra être reconduite dans ses fonctions à cause des valeurs qu'elle véhicule au sein du service.
L'ancienne présidente de l'Association canado-jamaïcaine, Audrey Campbell, confirme que la Sdte Clarke a bâti des relations solides avec les groupes racisés de Toronto.
Mme Campbell a rappelé que l'ex-maire John Tory (ici à la gare Union en 2021) avait souligné l'absence de hauts gradés de couleur dans le service de police avant que Stacy Clarke ne soit nommée surintendante.
Photo : Radio-Canada
Elle a tenu parole et n'a jamais reculé
, précise Mme Campbell, en la qualifiant de phare d’intégrité
.
Elle assure que Mme Clarke saura rester honnête et impartiale si on lui permet de récupérer un jour son poste.
Si vous la punissez plus durement, cela confirmera ce que nous savons depuis le début, à savoir que la police est toujours plus dure avec les Noirs
, conclut-elle.
Les audiences reprendront mercredi.