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AnalyseLa diplomatie du plastique (ou pelleter par en avant)

En insistant sur le recyclage du plastique plutôt que sur la réduction de sa production, à la rencontre du Comité intergouvernemental de négociation (CIN) sur un futur traité sur la pollution par le plastique, à Ottawa, les pays producteurs de pétrole incitent les responsables politiques à repousser à plus tard les efforts pour résoudre le véritable problème.

Un bulldozer pousse des déchets dans un site d'enfouissement.

Beaucoup de plastiques ont une composition trop complexe pour pouvoir être recyclés et finissent dans les sites d'enfouissement.

Photo : Getty Images

Pendant longtemps, mettre ses détritus au recyclage a été le geste individuel ultime pour se convaincre qu’on faisait sa part pour protéger l’environnement.

Au fil des ans, nos bacs ont pris du poids, à mesure que la quantité d’emballages et d’objets de plastique à usage unique augmentait dans notre vie quotidienne. Petit à petit, on s’est aperçus que seule une partie infime de ce qui va au centre de tri est recyclée.

Il est toujours socialement mal perçu de mettre à la poubelle des matières dites recyclables. Peu importe la part colossale des emballages de plastique que lui impose l’industrie, c’est encore beaucoup le citoyen qui porte l’odieux de cette pollution.

Pourtant, le problème que les responsables politiques commencent à reconnaître, c’est qu’il y a, d’un côté, cette obsession de l’industrie à tout emballer de plastique et, de l’autre, des lacunes pour recycler et réutiliser la matière.

On produit du plastique qui ne se recycle pas et qui va directement aux poubelles quelques minutes après avoir été consommé, note en entrevue à Radio-Canada la directrice générale du Programme des Nations unies pour l’environnement et secrétaire générale adjointe de l’ONU, Inger Andersen.

Mme Andersen lors d'une conférence.

Inger Andersen, directrice générale du Programme des Nations unies pour l’environnement, lors de la rencontre d'Ottawa, lundi dernier.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

L'ennemi plastique

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Des matériaux plastiques recyclables  dans une décharge.

À l’échelle de la planète, plus de 90 % du plastique consommé se retrouve dans la nature. Seuls 9 % de tous les déchets plastiques sont recyclés, autant au Canada que sur l’ensemble de la planète.

Neuf pour cent : s’il y a une statistique qui symbolise l’échec de la gestion du plastique dans le monde, c’est bien celle-là.

Une très grande partie du plastique n’est pas recyclée tout simplement parce que sa composition est devenue trop complexe. La grande multiplicité des polymères et des nombreux additifs ajoutés pour la couleur, la souplesse ou les différentes textures sur un même emballage posent de grandes difficultés pour un recyclage efficace.

En moins de 100 ans, le plastique est devenu le troisième matériau le plus fabriqué au monde, après le ciment et l’acier. Si rien n’est fait pour ralentir sa production, elle va tripler d’ici 2060.

Les citoyens ont beau vouloir réduire leur consommation de plastique, son omniprésence est telle qu’il est difficile de l’éviter.

Peut-on renverser la tendance? Tout à fait, mais à une condition, insiste Inger Andersen : il faut réduire la production à la source et trouver des solutions de rechange moins dommageables pour l’environnement.

Il y a loin de la coupe aux lèvres.

Car certains pays, dont la Russie, l’Arabie saoudite, l’Iran et la Chine, refusent de se faire imposer une réduction de la production et soutiennent l’idée qu’il faut plutôt mettre les efforts sur le recyclage de la matière.

Ils défendent ainsi leur industrie pétrolière et pétrochimique. Car pour faire du plastique, il faut chauffer un mélange de produits pétroliers et de vapeur, une première étape pour obtenir les molécules élémentaires – des monomères – qui permettent de fabriquer le plastique.

Ces pays jettent du sable dans l’engrenage des négociations pour ralentir le processus d’un éventuel traité international sur la pollution par le plastique.

Ils défendent le même type de discours que ceux qui bloquent les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) : il n’est pas nécessaire de réduire à la source la production des énergies fossiles, ce qui exigerait de changer nos façons de faire, on peut tout simplement continuer à produire du pétrole et du gaz, mais tenter de capter et de stocker le CO2 résiduel dans le sol.

Du point de vue du citoyen, qui n’a pratiquement pas d’emprise sur le problème tellement le plastique est omniprésent, ça revient à pelleter le problème par en avant, au nom de la survie d’une industrie qui se sent menacée.

Ralentir les négociations

La rencontre d’Ottawa est la quatrième d’un cycle de cinq du CIN sur un futur traité sur la pollution par le plastique.

Elle a démarré dans un contexte un peu trouble, à cause du naufrage partiel de la réunion précédente, qui avait lieu au Kenya l’automne dernier. En effet, le sommet de Nairobi a été le théâtre de tactiques diplomatiques qui ont mené vers un échec sur presque tous les plans.

Normalement, dans ce genre de grandes tractations internationales, plus on avance dans les séances de négociations, plus le texte devient précis et plus on se rapproche de l’accord désiré. Mais à Nairobi, c’est le contraire qui est survenu. Les pays récalcitrants à une réduction obligatoire de la production de plastique ont joué les trouble-fêtes.

Selon plusieurs sources, ils ont ralenti les discussions de façon volontaire. Au lieu de chercher des terrains d’entente, ils ont surtout exprimé leurs doléances, en gorgeant le texte de départ de plusieurs dizaines d’ajouts et de commentaires.

En quelques jours, la longueur du texte a triplé, passant d’une trentaine à une centaine de pages.

Il n’est pas anormal que le texte servant de base aux discussions, qui représente un peu l’accord idéal si toutes les positions étaient alignées, soit dilué et engraissé de multiples propositions au fil des discussions. C’est à ça que servent les négociations.

Mais ce qu’on a vu à Nairobi, c’est une généreuse dose de mauvaise foi.

Résultat : la rencontre s’est conclue sans qu’on puisse s’entendre sur un premier projet de texte du traité, ce qui aurait permis à la conférence d’Ottawa de démarrer sur des bases solides.

Un barrage diplomatique qui a jeté une ombre sur les négociations, et qui a fait naître une dynamique d’opposition. C’est dans ce contexte que se déroule la conférence d’Ottawa.

Illustration d'une souque à la corde.

Une dynamique d’opposition règne dans les discussions du Comité intergouvernemental de négociation en vue d'un traité sur la pollution par le plastique.

Photo : Getty Images / Retrorocket

Quel rôle jouent les États-Unis dans cette joute? Après tout, ce sont les plus grands producteurs de pétrole et les plus grands générateurs de déchets de plastique de la planète. Ils pourraient faire bouger les choses et convaincre les pays récalcitrants de monter dans le train de la lutte contre la pollution par le plastique.

Mais ils se font pourtant très discrets dans ces négociations. Ils ne s’opposent pas officiellement à la réduction de la production, mais ne font pas non plus partie de la coalition de haute ambition – 65 pays, dont le Canada – qui défend cette position. Les élections à venir, qui captent beaucoup de leur attention, auront lieu quelques semaines à peine avant la dernière ronde de négociations, qui doit se dérouler en Corée du Sud en décembre.

En coulisse, par contre, poussés un peu par le puissant lobby pétrolier américain, les Américains s’agitent et ne veulent pas de traité juridiquement contraignant pour réduire la production de plastique. Ils prônent des mesures volontaires.

C’est dommage, parce que s’il y a un joueur qui pourrait faire changer la dynamique des pourparlers, c’est bien notre voisin du Sud.

Un traité contraignant est possible

Les 175 pays représentés ont tous accepté le mandat proposé par les Nations unies en 2022 : négocier pour en venir à la signature d’un traité juridiquement contraignant sur la pollution par le plastique.

Le mot contraignant en effraie quelques-uns. Il veut dire que si l’entente entre en vigueur un jour, les pays seront obligés d’en respecter les règles, sous peine de sanctions.

Le plus important accord environnemental en fonction, l’Accord de Paris sur les changements climatiques, n’est pas contraignant. Certains le déplorent. Mais cet accord, qui est la première entente universelle sur le climat de l’histoire (tout le monde l’a signée), n’aurait jamais vu le jour s’il avait été question de le rendre contraignant. Les Chinois et les Américains l’auraient rejeté.

Il y a un exemple d’accord qui a fait ses preuves et dont peuvent s’inspirer les négociateurs : le Protocole de Montréal sur la protection de la couche d’ozone, signé en 1987 dans la métropole québécoise.

Cette entente, souvent considérée comme un des traités environnementaux les plus efficaces de l’histoire, est en partie contraignante. Elle vise à éliminer les gaz refroidissants qui détruisent la couche d’ozone. Peu après son entrée en vigueur, les pays ont banni les substances nuisibles et l’industrie les a remplacées par des produits moins dommageables.

Résultat : la couche d’ozone est en voie de reconstitution.

On a éliminé les gaz qui posaient problème grâce à un traité contraignant, et malgré tout, nos frigos et nos airs climatisés fonctionnent toujours, signale Inger Andersen.

Bref, l’industrie s’est adaptée grâce aux interdictions mises en place.

Mme Andersen défend l’idée qu’il faut penser le traité sur le plastique de la même façon que le Protocole de Montréal : certains produits devront disparaître, et grâce aux lois qui seront mises en place par les signataires d’un traité contraignant, l’industrie trouvera d’autres solutions.

Certains emplois seront perdus, de nouveaux secteurs verront le jour et de nouveaux emplois seront créés, affirme-t-elle.

La pollution par le plastique est l’une des crises environnementales majeures de notre temps. Elle est peut-être aussi la moins complexe à contenir de toutes, car les solutions pour la réduire ne commandent pas nécessairement une transformation majeure de nos vies. Elles sont en bonne partie technologiques : une meilleure conception des produits, un meilleur design, une meilleure chimie des matériaux, une interdiction des plastiques à usage unique…

On ne bannira cependant pas tous les plastiques. À court terme, il en faudra pour alléger les avions et les voitures électriques, dans les éoliennes et les panneaux photovoltaïques, ou dans le domaine de la construction.

La pollution par le plastique touche tous les pays, sans exception, producteurs de pétrole ou non.

Pelleter le problème dans la cour de nos enfants ne fera que l’empirer.

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