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Plus de trois ans d’attente pour les nouvelles demandes d’asile

Confronté à un volume historique de demandeurs d’asile, le tribunal responsable d'analyser leurs dossiers n'a les capacités de traiter qu'un tiers des demandes reçues.

Un avis sur le chemin Roxham avec les mises en garde, rédigées en français, pour les demandeurs d'asile.

Les délais pour obtenir une audience de la Section de protection des réfugiés ont explosé au cours des derniers mois.

Photo : Radio-Canada / Anne-Louise Despatie

L’attente risque d’être longue. Avant d’éventuellement obtenir le statut de réfugié au Canada, les demandeurs d’asile qui arrivent toujours en grand nombre au pays devront patienter plus de trois ans pour leur audience.

Le temps d’attente moyen pour les dossiers reçus est estimé à 38 mois depuis le 1er mars, explique une porte-parole de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada (CISR), le tribunal administratif indépendant responsable d’analyser ces demandes.

Ce délai a doublé en seulement quelques mois. À la fin de l’année passée, les demandeurs d’asile devaient patienter en moyenne 19 mois avant de passer devant les commissaires de la Section de protection des réfugiés.

En moyenne, durant la dernière année, ce temps d'attente était même de 15 mois, détaille la CISR.

Cette attente, c’est terrible pour ceux qui la vivent. Ça pose énormément de problèmes, notamment pour l’intégration au marché du travail, juge Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).

Ce sont des vies qui sont en suspens. C’est beaucoup trop long.

Une citation de Stephan Reichhold, directeur de la TCRI

Ils vivent avec de l’angoisse tous les jours, renchérit Frantz André, coordonnateur du Comité d’action des personnes sans statut. Cela crée des problèmes de santé mentale. Ils souhaitent avoir une réponse, même négative, le plus vite possible.

Les raisons de cette soudaine et vive augmentation de ce temps d’attente sont simples.

Cela s’explique par le fait que la CISR ait reçu plus de 149 000 nouvelles demandes d’asile dans les 12 derniers mois, précise l’organisation fédérale, débordée par le nombre historique de demandeurs d’asile au Canada depuis la fin de la pandémie.

Depuis la pleine réouverture des frontières canadiennes à l’automne 2021, près de 250 000 personnes ont tenté d’obtenir le statut de réfugié, dont 144 000 l’an passé. Un record.

Une croissance continue

Malgré le retour du visa pour les ressortissants mexicains à la fin du mois de février, le nombre de demandes d’asile au Canada ne faiblit pas. En mars, près de 16 000 nouvelles demandes ont été faites, soit presque autant que le mois précédent. Désormais, comme l’a révélé récemment Radio-Canada, ce sont les ressortissants indiens qui tentent majoritairement d’obtenir le statut de réfugié.

En trois mois, environ 46 800 demandes d’asile ont ainsi été faites. Si une telle tendance se maintient, le record de l’an passé (143 770) devrait être battu.

La CISR avait sonné l’alarme

La CISR avait pourtant alerté le gouvernement fédéral dans ses derniers rapports annuels.

Dans son plus récent rapport ministériel, daté du mois de mars, la présidente de la Commission avertissait des risques à venir. Si la réception des demandes d'asile se poursuit au rythme actuel ou s'il augmente, la capacité de traitement [...] sera encore plus sollicitée, écrit Manon Brassard, qui dirige ce tribunal administratif.

Cette situation, poursuit-elle, exercera des pressions sur les processus existants et les ressources nécessaires pour régler les cas, et ainsi fera augmenter le nombre de demandes à traiter et les temps d'attente.

À l’heure actuelle, la CISR a les capacités pour traiter trois fois moins de dossiers que ce qu’elle doit en réalité analyser. [Notre] capacité de traitement actuelle est plutôt de l'ordre de 50 000 demandes d'asile par année, peut-on lire dans ce rapport.

En 2023, le nombre annuel de demandes d’asile reçues a plus que doublé pour atteindre quelque 140 000 demandes d’asile (soit une hausse de 128 % en un an), tandis que la capacité financée est demeurée constante.

Une citation de Plan ministériel 2024-2025 de la CISR

L’attente varie beaucoup en fonction des pays [de provenance des individus], explique Stéphanie Valois, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI). Pour certains, c’est long et lent.

Des passagers arrivent au contrôle frontalier à l’aéroport international Trudeau à Montréal pour les formalités d’entrée au pays.

Des milliers de ressortissants étrangers ont demandé l'asile dans les derniers mois dès leur arrivée à l'aéroport de Montréal. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

La CISR est pourtant l’une des rares entités fédérales à avoir rapidement effectué une transition numérique durant la pandémie.

Quelques mois après la mise en place d’un télétravail obligatoire dans les bureaux fédéraux au printemps 2020, des audiences virtuelles ont été instaurées et celles-ci demeurent. Conjuguée à la fermeture des frontières, cette décision avait permis, à l’époque, de réduire de façon drastique un important inventaire, créé par les entrées massives au chemin Roxham.

La Commission a réagi à la pandémie en accélérant l'élaboration et l'adoption de sa stratégie numérique, en passant à un modèle d'audiences à distance par défaut; elle est dans la bonne voie pour devenir une organisation entièrement numérique, se félicitait d’ailleurs le tribunal dans son plan d'action publié l’an passé.

Ces mesures avaient alors permis de régler un nombre record de décisions, permettant au temps d’attente d’atteindre leur niveau le plus bas depuis 2016. Jusqu'à ce que surviennent ces hausses soudaines et historiques du nombre de demandeurs d’asile entrant au Canada, par voies terrestre et aérienne.

Un financement incertain

Alors que le nombre de demandeurs d’asile ne semble pas faiblir, Ottawa va-t-il s’ajuster pour augmenter les capacités de traitement de la Section de protection des réfugiés afin de réduire les délais? Rien n’est moins sûr.

Questionnée sur son manque de ressources, la CISR n’a émis aucun commentaire.

Celle-ci a néanmoins précisé, dans son plan annuel, être contrainte, comme d’autres ministères et entités fédérales, de réduire ses dépenses de 8,2 M$ pour l' exercice financier actuel.

Cependant, pour maintenir l’intégrité et l’équité du système d’octroi de l’asile, le gouvernement Trudeau a débloqué 743,5 M$ sur cinq ans, d’après le dernier budget présenté par Chrystia Freeland.

Ce financement aidera les agents des services frontaliers, les agents d’immigration et la Commission de l’immigration et du statut de réfugié à traiter, à enquêter et à statuer sur les demandes d’asile.

Une citation de Caroline Thériault, porte-parole du ministère des Finances

Ces sommes, destinées à la CISR, à Immigration Canada et à l’Agence des services frontaliers, « répondent à l’augmentation récente du nombre de demandes d’asile », souligne une porte-parole du ministère des Finances. Mais, reprend-elle, les allocations par organisation ne sont pas encore disponibles.

« On peut en faire plus », reconnaît le ministre Miller

Après la publication de ce reportage, le ministre fédéral de l'Immigration, Marc Miller, a reconnu qu'Ottawa « n'est pas sorti du bois ». Ces « flux historiques » de demandeurs d'asile, qui touchent de nombreux pays, « impactent notre capacité de traitement », a-t-il indiqué dans une entrevue accordée à l'émission Phare Ouest de Radio-Canada.

Sans donner davantage de détails, le ministre Miller a assuré que « des sommes » sont prévues dans le budget fédéral pour tenter de réduire ces délais. Cependant, a-t-il confié, ces délais resteront élevés. « Je ne veux pas leurrer qui que ce soit en disant qu'on va revenir à la normale de 2016 [avant les entrées massives au chemin Roxham]. C'est la réalité du monde et le Canada n'est pas exempt de ce constat », a-t-il déclaré.

Néanmoins, a-t-il promis, « on peut en faire plus, on a de l'argent pour le faire et j'ai une certaine confiance qu'on pourra quand même accélérer un peu le pas ».

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