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La SQ raffine ses techniques d’entrevue des victimes grâce à la science de la mémoire

Agression sexuelle, tentative de meurtre, violence conjugale... Au début de toute enquête, la police rencontre les victimes afin de recueillir le maximum d’informations. La Sûreté du Québec a décidé de revoir complètement la façon de mener cette entrevue charnière, a appris Découverte. La nouvelle approche est basée sur la neurobiologie du trauma et sur le fonctionnement de la mémoire.

Illustration d'une tête dont se détachent des morceaux de casse-tête.

La Sûreté du Québec a développé ce qu'elle appelle « l'entrevue cognitive adaptée aux traumatismes ».

Photo : iStock / GD Arts

Guider une victime à travers son récit demande du doigté. Pour Marie-Claude Paquin-Champoux, sergente-enquêtrice aux crimes majeurs à la Sûreté du Québec (SQ), comme pour ses collègues, cette rencontre ne se fait pas de gaieté de cœur.

Si on pouvait récupérer l’information dans le cerveau de la personne à l’aide d’une clé USB, on le ferait, dit-elle.

L’objectif d'une entrevue policière est de récupérer le plus d'informations possible. Il faut réveiller la mémoire dans un contexte délicat. Parfois, elle est menée quelques heures à peine après le crime. Au mieux de ses capacités, la victime doit raconter, en détail, la chose souvent la plus horrible qui lui soit arrivée.

Lynne Bibeau, psychologue judiciaire à la SQ, et sa collègue enquêtrice Jennifer Chez se sont tournées vers la science pour que ce passage obligé soit le plus efficace et le moins douloureux possible.

Ce qu'on voulait, c'était mettre sur pied une formule d'entrevue mieux adaptée aux personnes victimes, tournée vers elles. Ce qu’elles vivent est déjà assez difficile. Il faut tout faire pour leur épargner une autre douleur.

Une citation de Lynne Bibeau, psychologue judiciaire à la Sûreté du Québec
Portrait de Lynne Bibeau.

Lynne Bibeau est psychologue judiciaire à la Sûreté du Québec.

Photo : Radio-Canada / Découverte

Lynne Bibeau et Jennifer Chez, toutes deux spécialistes du module des sciences du comportement de la SQ, ont mis deux ans d’effort pour créer l'entrevue cognitive adaptée aux traumatismes.

Cette méthode revue et corrigée s’appuie principalement sur les travaux de deux sommités, les psychologues Jim Hopper, de l’Université Harvard, (Nouvelle fenêtre) et Ronald Fisher, de l’Université internationale de Floride (Nouvelle fenêtre).

Leurs recherches contribuent à défaire les mythes nombreux et tenaces qui peuvent teinter les entrevues menées auprès, notamment, des victimes d’agressions sexuelles.

Pourquoi la victime ne s'est-elle pas débattue? Pourquoi n’a-t-elle pas crié? Voilà des questions qui persistent encore aujourd’hui.

Pourtant, la neurobiologie du trauma explique ces réactions, rappelle Lynne Bibeau. En fait, il est plutôt rare qu’une personne réagisse lors d’un viol. Et ce n’est pas une question de force physique ni de caractère. Idem pour les contradictions. On sait aujourd’hui que même si la victime a des petites contradictions dans son histoire, ce n’est pas la fin du monde, c'est normal. C'est comme ça que fonctionne la mémoire.

Le reportage de Danny Lemieux

La mémoire n’est pas un enregistreur numérique. Les souvenirs resteront toujours parcellaires. Les bons, comme les mauvais.

Auparavant, les cinq sens et le ressenti de la victime n’étaient pas exploités à leur juste valeur au cours de l’entrevue policière. La science nous montre aujourd’hui que des détails révélateurs peuvent y être rattachés.

Sergente-coordonnatrice en enquête, Jennifer Chez donne un exemple : Si la personne a eu peur, on peut explorer ce qu'elle ressentait ou pensait à ce moment-là. Puis, souvent, de nouveaux détails vont ressurgir.

Autre point crucial : on sait que le stress bloque la mémoire. Alors, diminuer la pression et donner confiance à la victime est essentiel pour Jennifer Chez.

 Jennifer Chez en entrevue.

Jennifer Chez est enquêtrice à la Sûreté du Québec.

Photo : Radio-Canada / Découverte

Grâce à une meilleure compréhension de la neurobiologie du trauma, lorsqu’on sait comment les traumatismes sont encodés dans la mémoire, on est mieux outillés pour diminuer le stress et la pression que se met la victime.

Une citation de Jennifer Chez, sergente-coordonnatrice en enquêtes à la Sûreté du Québec

Elle a constaté que cette nouvelle formule d’entrevue rend aussi les policiers plus à l'aise.

Il y a un lien qui se tisse rapidement avec la personne assise devant eux, note-t-elle. On ne devient pas des psychologues ni des thérapeutes, mais il y a un savoir-être qui est là, tout au long de la rencontre. Ça change la dynamique et remet la victime au premier plan.

Remettre la victime au premier plan : le changement n’est pas banal pour Marie-Claude Paquin-Champoux, spécialisée dans les enquêtes sur les crimes à caractère sexuel.

Un peu par déformation professionnelle, nous sommes axés sur le travail à accomplir, convient-elle. On veut récupérer le plus de détails possible pour mettre la main sur le suspect. La nouvelle forme d’entrevue nous permet d'être avec l’autre au lieu de n'être que dans la tâche.

Portrait de Marie-Claude Paquin-Champoux.

La sergente enquêtrice Marie-Claude Paquin-Champoux, de la Sûreté du Québec.

Photo : Radio-Canada / Découverte

Lynne Bibeau abonde dans le même sens.

Avant, les enquêteurs étaient peut-être plus centrés sur l'information à récupérer et peut-être pas assez sur la façon de procéder, raconte la psychologue judiciaire. Parfois, certaines questions pouvaient être perçues par la victime comme blessantes, confrontantes, voire même humiliantes. Maintenant, si on pose une question délicate, on va anticiper le malaise, on va lui expliquer pourquoi cette question est importante.

Marie-Claude Paquin-Champoux a été l’une des premières expertes formées. Elle a rapidement remarqué un changement positif.

L'atmosphère lors des rencontres est très apaisante, souligne la sergente-enquêtrice. Le climat de confiance s'installe rapidement. La pression que la victime se met sur les épaules s'atténue.

Portrait de Jenny Charest.

Jenny Charest est la directrice générale du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels de Montréal.

Photo : Radio-Canada / Découverte

Même si Jenny Charest, directrice générale du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) de Montréal, estime que les enquêteurs faisaient déjà un excellent travail, elle croit qu’une meilleure compréhension des effets d’un traumatisme permettra aux policiers de mieux comprendre les réactions des victimes.

Quand ces dernières sont accueillies, soutenues et crues par les policiers, elles se sentent moins jugées, dit-elle.

Pour Mme Charest, ça ne fait aucun doute, ce type de formation suscite l'empathie chez les intervenants. Plus on comprend une personne et ses réactions, plus on est capable de s'adapter à ses besoins.

Qui sera gagnant avec cette nouvelle formule d'entrevue?

Tout le monde. La victime, l'enquêteur et le système de justice, répond Lynne Bibeau sans hésitation.

Jennifer Chez gesticule de la main gauche en parlant.

Jennifer Chez est enquêtrice à la Sûreté du Québec.

Photo : Radio-Canada / Découverte

Sa collègue Jennifer Chez ajoute : Les policiers et les policières se sentent plus compétents, plus utiles.

Au cours des prochaines années, l’ensemble des enquêteurs de la Sûreté du Québec et des autres corps policiers recevront des formations sur l’entrevue cognitive adaptée aux traumatismes. Les centres d’appels d’urgence et le milieu juridique seront aussi sensibilisés.

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