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« On manque de temps » : combat pour qu’un patient en fin de vie soit soigné en français

Les deux personnes à l'hôpital.

Suzanne Bazinet en visite auprès de son père, Léon Castonguay, à l'hôpital.

Photo : Gracieuseté : Suzanne Bazinet

La famille d’un Franco-Ontarien unilingue francophone hospitalisé au campus Civic de l’Hôpital d’Ottawa en raison d’une vilaine chute dit se battre pour qu’il puisse être soigné dans sa langue. Celui-ci n’arrive pas à communiquer avec le personnel soignant anglophone.

On n'est pas en train de parler de service à la clientèle dans un grand magasin. On parle de questions de vie ou de mort. On parle de questions de bien-être en santé, lance la petite-fille du patient, Karine Bazinet, indignée par la situation. Quand on est à l'hôpital, on n'a pas choisi ça. C'est inacceptable.

Karine et son grand-père à l'hôpital.

Un aîné peine à se faire soigner en français à Ottawa.

Photo : Gracieuseté : Karine Bazinet

Originaire de la Municipalité de Casselman, Léon Castonguay, 95 ans, est hospitalisé depuis le début du mois de décembre. La famille affirme que l’homme est atteint d’un trouble cognitif et que, depuis son arrivée à l’hôpital, la grande majorité du personnel qui prodigue ses soins lui parle en anglais seulement.

Mme Bazinet affirme avoir fait part de ses préoccupations à maintes reprises, d’abord au personnel infirmier. Ne constatant aucun changement, elle a décidé d’acheminer une plainte par courriel à l’Hôpital d’Ottawa.

L’Hôpital d’Ottawa a décliné la demande d’entrevue de Radio-Canada. Dans une réponse écrite, l’Hôpital assure travailler en étroite collaboration avec les patients, les familles et les fournisseurs de soins pour s'assurer que les commentaires sont entendus et qu'on y donne suite, s'il y a lieu.

Le service des relations avec les patients examine chaque cas qui lui est soumis en suivant une procédure équitable et régulière, indique l’agente des relations avec les médias à l’Hôpital d’Ottawa, Rebecca Abelson.

Portrait de Karine Bazinet.

Karine Bazinet se bat pour que son grand-père puisse être servi en français à l'Hôpital d'Ottawa.

Photo : Radio-Canada / Georges-Étienne Nadon-Tessier

L'Hôpital d'Ottawa offre des soins aux patients en anglais et en français, ou dans la langue de leur choix, afin de répondre aux besoins de la communauté que nous desservons, assure-t-elle dans son message.

À noter que le campus Civic de l’Hôpital d’Ottawa n'est désigné que partiellement en vertu de la Loi sur les services en français. Seules les cliniques de soins dentaires et les cliniques de fécondation in vitro sont assujetties à ladite loi.

Ce n’est que tout récemment que les démarches entreprises par la famille Bazinet auraient commencé à porter fruit.

Karine Bazinet indique qu’un infirmier bilingue a commencé à offrir des soins à son grand-père de manière sporadique le jour, mais pas la nuit. Il ne serait toutefois pas attitré à Léon Castonguay tous les jours, qui recevrait encore la majorité de ses soins uniquement en anglais, selon la famille Bazinet.

Mon grand-père, il ne peut même pas communiquer ses besoins, il ne peut même pas communiquer, s’insurge Karine Bazinet.

Il ne peut pas exprimer le simple besoin d'aller aux toilettes aux infirmières anglophones. Il n'est pas capable, il ne peut pas parler anglais et ne comprend aucun mot anglais.

Une citation de Karine Bazinet

Il doit vraiment se sentir seul, vraiment se sentir isolé, soupire sa petite-fille. J’ai de la peine pour mon grand-père. Je trouve ça triste. Je trouve qu’il ne mérite pas ça.

Karine Bazinet se désole de témoigner de l’anxiété vécue par son grand-père. Il a un peu de démence et il réagit. Je le comprends qu'il réagit parce qu'il ne comprend pas, il ne comprend pas ce qui se passe.

La famille de Léon Castonguay aimerait qu’il soit transféré dans un hôpital francophone, ou encore qu’un interprète l’aide à se faire comprendre auprès du personnel soignant. La famille Bazinet indique d’ailleurs être actuellement en démarches pour tenter de le faire changer d’hôpital.

C'est comme si on est devenus habitués, nous les Franco-Ontariens. On parle français, on est minoritaires, on le sait, il faut apprendre l'anglais, il faut se débrouiller en anglais, soupire Mme Bazinet. C'est toujours nous qui nous accommodons aux autres, on ne veut pas déranger… C'est une drôle de façon d'être, mais c'est comme ça.

Mais dans les hôpitaux, on n’accepte plus. Il ne faut pas accepter ça, insiste cette dernière, précisant qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. Elle allègue que sa grand-mère et d’autres membres de sa famille auraient vécu des situations similaires dans le passé.

Portrait de Suzanne Bazinet.

Suzanne Bazinet s'inquiète pour son père, Léon Castonguay.

Photo : Radio-Canada / Georges-Étienne Nadon-Tessier

Course contre la montre

Frustrée, mais surtout attristée par la situation, la fille de Léon Castonguay et mère de Karine Bazinet, Suzanne Bazinet, tremble en parlant de la situation.

Elle se dit dépassée par les événements. Il va-tu en mourir parce qu’il n’est pas capable de se faire comprendre?

Être soigné dans sa langue à l’hôpital, ce n’est pas un luxe, insiste-t-elle. Ça devrait automatiquement arriver.

Quand on a un infirmier qui parle français, on pense qu'on a gagné la [lotto] 649.

Une citation de Suzanne Bazinet

Quand tu es malade, tu ne peux plus t'adapter, même si tu le voulais, tu ne peux pas, témoigne cette dernière, qui a elle-même récemment dû être hospitalisée.

Tu n’as pas d'énergie, ton corps est fatigué, ton mental est fatigué, comment tu peux prendre le temps d'essayer de trouver le mot en anglais quand tu as mal?

Suzanne Bazinet se fait un sang d’encre pour son père, qui, le rappelle-t-elle, est en fin de vie. On manque de temps. Il faut que ça se corrige, tremble-t-elle, envahie par l’émotion.

Par courriel, le ministère de la Santé de l’Ontario répond qu’il attend des hôpitaux qu'ils fournissent des services d'interprétation linguistique afin de garantir à tous les patients le même accès à des soins de qualité et de veiller à ce que la sécurité des patients soit une priorité.

Le ministère comprend que la meilleure pratique consiste à faire appel à des interprètes professionnels formés, écrit le directeur des communications au ministère, Bill Campbell.

Contacté par Radio-Canada, le bureau de l’Ombudsman de l’Ontario n’a pas voulu commenter le cas de Léon Castonguay, mais invite la famille à les joindre s’ils souhaitent que leur cas soit examiné.

La famille de Léon Castonguay confirme qu’elle a l’intention de porter plainte auprès de l'Ombudsman de l’Ontario.

Une question de santé

Chef de la direction de l'Institut du Savoir Montfort et vice-présidente de la recherche et de l'éducation à l'Hôpital Montfort, Estelle Ethier est consternée par les situations comme celle de Léon Castonguay, où une barrière linguistique se dresse entre les patients et le personnel hospitalier.

Les recherches le démontrent grandement que la langue est un déterminant de la santé, soutient-elle. Obtenir des soins dans sa langue permet de réduire les possibilités de complications et les réhospitalisations, ou même de [diminuer] le taux de mortalité.

Portrait d'Estelle Ethier.

Estelle Ethier est chef de la direction de l'Institut du Savoir Montfort et vice-présidente de la recherche et de l'éducation à l'Hôpital Montfort.

Photo : Radio-Canada / Olivier Plante

Selon une étude réalisée par le Journal de l’Association médicale canadienne en juillet 2022, les décès sont réduits de 24 % pour les patients francophones qui reçoivent des soins dans leur langue maternelle en Ontario.

Plus nos complications sont grandes, plus c'est important d’être soigné dans la langue de son choix, énonce Mme Ethier. Dès qu'on ne se sent pas bien, dès qu'on est malade, dès qu'on veut aider un proche aidant qui vit une situation difficile, on a le goût de se sentir bien, de se sentir servi dans notre langue.

C'est une question de santé.

Une citation de Estelle Ethier, chef de la direction de l'Institut du Savoir Montfort et vice-présidente de la recherche et de l'éducation à l'Hôpital Montfort

Lorsqu’il est impossible pour un patient de communiquer dans la langue de son choix, il arrive que ce dernier donne un petit peu moins d’informations au personnel soignant, note Mme Ethier.

Des fois, il n’a peut-être pas compris complètement ce qu'on lui disait, que ce soit les consignes qu'on va donner aux patients, au proche aidant lorsqu'il retourne à la maison, explique-t-elle.

À titre de pistes de solution, Mme Ethier propose de continuer d'investir dans la formation de nos professionnels en français, nos programmes de formation en français pour augmenter l'accès à la main-d'œuvre. Elle suggère aussi d’utiliser les services d’un interprète formé.

Un parent, un membre de la famille, un ami n'est pas un interprète formé, tient-elle à souligner. Il y a un risque à passer à travers de ces gens-là qui sont mis dans des positions à devoir interpréter pour un proche.

Mme Ethier aimerait que l’ensemble des professionnels de la santé soient capables d’offrir des soins bilingues. Mais dans le cas où ce n'est pas une possibilité, un interprète formé est une belle option acceptable qui permet d'avoir du moins un échange avec le patient pour pouvoir obtenir des soins et être bien compris.

Avec les informations d’Alexandra Angers

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