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AnalyseAlain Rayes à la CAQ? « Il pourrait porter nos couleurs sans problème »

Le député fédéral indépendant de Richmond-Arthabaska est très sollicité, par plus d'un parti, pour faire le saut en politique québécoise.

Alain Rayes devant le micro d'un studio de radio.

Alain Rayes a quitté le caucus conservateur en septembre 2022 pour siéger à titre de député indépendant. Un an plus tard, il a annoncé qu'il ne se représenterait pas après son mandat.

Photo : Radio-Canada / Marie-Eve Cloutier

La politique a le don de transformer des hasards en occasions à saisir.

Le 15 juillet dernier, le whip du gouvernement et député caquiste d’Arthabaska, Eric Lefebvre, convolait en justes noces avec sa conjointe, Geneviève, devant un imposant parterre d’amis, de membres de leurs familles respectives et de politiciens dans la magnifique église de Saint-Christophe, à Victoriaville.

Personne ne se doutait que neuf mois plus tard, jour pour jour, plusieurs des invités qui avaient festoyé ensemble jusque tard en soirée à l’hôtel Le Victorin se retrouveraient au cœur d’une intrigue politique qui alimente les discussions à Québec et à Ottawa depuis 36 heures.

Une trentaine de députés et de ministres étaient présents au mariage d’Eric Lefebvre. Le député fédéral de la région, Alain Rayes, devenu indépendant en septembre 2022 à la suite d’une incompatibilité de caractère et de vision avec le nouveau chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, était aux premières loges du mariage de son ami Eric, qui veut maintenant lui succéder au fédéral dans Richmond-Arthabaska.

Même l’église choisie par le couple Lefebvre-Laliberté a un lien avec l’histoire politique du pays. Alain Rayes était assis non loin du banc de Sir Wilfrid Laurier, que l’ancien premier ministre libéral du Canada (1896-1911) a élimé à force de s’y asseoir des milliers de fois pour assister aux messes et aux événements importants de la communauté.

Wilfrid Laurier, en tant que notable de la ville, avait une belle résidence victorienne tout près de l’église de Saint-Christophe. Il avait même acheté et fait don du carillon de quatre grosses cloches à la paroisse; elles ont été installées en 1896, l’année où Laurier est devenu premier ministre.

Le député d'Arthabaska, Eric Lefebvre, montre la bague qu'il offre à sa future épouse.

Le député d'Arthabaska, Eric Lefebvre, avait demandé sa conjointe en mariage à l'Assemblée nationale en février 2018.

Photo : Radio-Canada

Les libéraux d’obédience n’étaient toutefois pas nombreux sur place en ce 15 juillet 2023, et ce, même si la scène fédérale a toujours été le théâtre où se voyait Eric Lefebvre. Il a beau être un ancien adéquiste, il est avant tout un conservateur fédéral.

Eric Lefebvre a déjà porté les couleurs de Stephen Harper aux élections de 2008, perdant la circonscription d’Arthabaska aux mains du bloquiste André Bellavance. Ce n’était pas faute d’avoir mis toutes ses énergies dans la bataille : il avait recruté pas moins de 3000 nouveaux membres à lui seul!

Déjà, en 2004, alors que Stephen Harper était un nouveau chef en quête de visibilité dans les terres arides d’un Québec dominé par le Bloc québécois et par le Parti libéral du Canada, Eric Lefebvre mettait la main à la pâte comme organisateur.

Pendant la campagne électorale de 2004, Stephen Harper a fait un arrêt d’à peine 15 minutes dans un comptoir laitier de Victoriaville pour manger une crème glacée avec son équipe. Le genre d’arrêt éclair de campagne qui ne passe pas aux nouvelles du soir, disons. Mais Eric Lefebvre avait réussi à mobiliser 300 électeurs pour l’acclamer à sa sortie de l’autobus de campagne. Le cornet à la vanille a certainement eu meilleur goût! Et les images ont été diffusées aux bulletins de fin de soirée...

Après sa défaite en 2008, Eric Lefebvre a trouvé du travail dans le cabinet du ministre conservateur Denis Lebel; il a même été son colocataire à Ottawa pendant neuf mois.

Richmond-Arthabaska n’a jamais élu un député conservateur pendant les années au pouvoir de Stephen Harper, entre 2006 et 2015. Il aura fallu attendre la forte candidature d’Alain Rayes, ancien maire de Victoriaville, pour ravir la circonscription au Bloc, en 2015.

Si quelqu’un peut garder Richmond-Arthabaska dans le giron conservateur, c’est Eric Lefebvre. C’est un formidable organisateur, explique l’ancien bras droit de Stephen Harper, Dimitri Soudas, aujourd’hui commentateur politique aux Mordus, à Radio-Canada. M. Soudas souligne à quel point les gens de Victoriaville aiment d’abord les figures fortes « de la place » avant de songer aux partis politiques.

Un mariage et un ami

Rien de bien étonnant, donc, à voir Eric Lefebvre faire le saut en politique fédérale avec Pierre Poilievre, décision qu’il a annoncée au premier ministre François Legault mardi après-midi. Une rencontre décrite comme difficile et chargée en émotions par l’entourage des deux hommes.

Il faut dire qu’Eric Lefebvre n’est pas un député comme un autre aux yeux du premier ministre Legault. Et ça ne tient pas seulement à son rôle de whip, le gardien de la discipline du caucus, un travail important pour maintenir la cohésion de 89 élus de la CAQ aux intérêts multiples. Ni à celui d’excellent organisateur, d’ailleurs.

François Legault et sa femme, Isabelle Brais, ont assisté au mariage d’Eric Lefebvre à Victoriaville. Et pas seulement pour dire bonjour au passage. Ils sont bons amis.

Le premier ministre, à la surprise générale, a même poussé la chansonnette avec le chanteur Étienne Drapeau, interprétant un passage de Marie-moi qui a bien fait sourire l’assistance. François Legault a prononcé un discours et le couple Legault-Brais a été l’un des derniers à quitter Le Victorin, tard en soirée, le sourire aux lèvres et les gardes du corps, épuisés, sur les talons.

Apprendre le départ d’Eric Lefebvre pour ses premiers amours fédérales est un coup dur personnel pour le chef de la CAQ, de ceux que seule la politique inflige aux amitiés.

Cependant, avec un pas de recul, il pourrait transformer cette démission en occasion politique. Faire du judo avec les circonstances, même si le coup fait mal.

Ce qui nous ramène au trio Legault-Lefebvre-Rayes, présent au mariage l’an dernier.

Depuis mardi après-midi, le téléphone d’Alain Rayes sonne sans arrêt. Comme si l’arrivée d’Eric Lefebvre concrétisait la disponibilité politique d’Alain Rayes.

Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, l’a appelé dans les dernières heures pour s’enquérir de ses intentions.

Des organisateurs libéraux provinciaux, à la recherche de grosses pointures pour leur course à la direction, ont tendu de nouvelles perches, sans plus de succès que l’automne dernier. Le banc d’église de Sir Wilfrid Laurier sera le plus près d’un libéral que ne se sera jamais trouvé Alain Rayes, qui n’a pas de rouge politique dans le sang.

Au cours de la dernière année, ce politicien de 52 ans a souvent répété en privé à des proches qu’il était d’abord et avant tout caquiste sur la scène provinciale. Il est un fédéraliste nationaliste, positionné au centre droit de l’échiquier politique.

Or, dans sa région, la place était occupée par son ami Eric Lefebvre, qu’il n’allait jamais trahir. Toutefois, puisque la circonscription provinciale d’Arthabaska deviendra vacante le jour où M. Lefebvre briguera les suffrages fédéraux, Alain Rayes pourrait-il se laisser tenter par un rôle à l’Assemblée nationale?

Pas de politique provinciale à court terme pour Rayes

La réponse à court terme est sans équivoque. Non, Alain Rayes ne mettra pas sa face sur une pancarte pour quelque parti politique que ce soit! a-t-il tranché en entrevue à Midi info mercredi en parlant de lui-même.

Hors des ondes, blagueur, Alain Rayes affirme en entrevue qu’il n’y [aurait] pas assez d’avocats pour sauver [s]on couple s’il se lançait dans une nouvelle aventure politique après ce mandat à Ottawa. Plus sérieusement, il ajoute : J’ai envie de faire autre chose que de la politique. Je n’aime pas la manière très partisane de faire de la politique ces temps-ci.

L’ancien maire de Victoriaville reçoit des offres des secteurs privé et public, auxquelles il tend l’oreille. En mars, il était dans les studios de Cogeco, à Montréal, pour des tests et des discussions avec la direction en vue d'éventuelles collaborations médiatiques.

Des informations l’envoient aussi diriger le Centre de services scolaire des Bois-Francs, où le directeur général, Alain Desruisseaux, est parti à la retraite le mois dernier. Selon mes informations, la possibilité de voir Alain Rayes lui succéder circule activement au ministère de l’Éducation.

Bref, à court terme, Alain Rayes va s’occuper à autre chose que la politique. Mais à la CAQ, son nom circule aussi, étant donné son profil unique pour le parti de François Legault.

Il pourrait porter nos couleurs sans problème

À plus long terme, c’est un secret de Polichinelle que la CAQ aura besoin de sang neuf lors des prochaines élections générales, dans deux ans et demi. De gros noms du Conseil des ministres vont probablement tirer leur révérence, comme Pierre Fitzgibbon et Christian Dubé, qui ont télégraphié au premier ministre que le mandat actuel serait leur dernier.

Même au plus bas dans les sondages, la CAQ demeure en position de force dans la circonscription d’Arthabaska, selon les estimations de Philippe J. Fournier, du site d'analyse de sondages QC125 (Nouvelle fenêtre). Celle-ci serait évidemment plus facile à conserver avec une candidature vedette.

Les organisateurs caquistes mentionnent la grande notoriété d’Alain Rayes, ses habiletés de communicateur, son côté environnemental développé (il a fait de Victoriaville une pionnière du développement durable) et ses origines égyptiennes comme autant d’atouts pour un parti à la recherche d’un nouveau souffle et de candidats ministrables, notamment au sein de son aile adéquiste.

Sans compter ses talents d’organisateur terrain : Alain Rayes avait servi à son ancien chef Andrew Scheer une superbe brochette de candidats lors des élections de 2019, lorsqu’il occupait le rôle de lieutenant politique au Québec.

À la CAQ, une source haut placée mentionne qu’il n’y a pas d’urgence à solliciter Alain Rayes, sachant son état d’esprit actuel, et qu’il faut laisser reposer le corps d’Eric Lefebvre avant de réfléchir à sa succession. Mais c’est clair qu’il pourrait porter nos couleurs sans problème, ajoute cette personne, proche du chef caquiste.

Les prochaines élections générales pourraient être différentes des précédentes sur la scène québécoise. Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, en tête dans les intentions de vote, promet avec certitude un référendum sur l’indépendance s’il accède au pouvoir. Ça m’inquiète, lâche d’ailleurs Alain Rayes au bout du fil.

La fibre fédéraliste de Rayes, qui a souvent prévenu la garde rapprochée de Pierre Poilievre que l’unité nationale sera un de ses plus importants défis s’il devient premier ministre, prendra-t-elle le dessus à l’approche des élections québécoises? Voudra-t-il reprendre du service?

En politique, surtout pour ceux qui ont la piqûre, l’avenir est long, comme dit l’adage.

François Legault restera certainement attentif à cette possibilité. Et si les astres s’alignent – ce qui n’est jamais certain en politique –, il repensera à ce mariage mémorable de juillet 2023 où Eric Lefebvre, Alain Rayes et lui-même ont été réunis, comme un hasard qui a bien fait les choses.

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