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ChroniqueZoom sur les avions des Plaines et le musée en 1928

Une photo de 1928 sur laquelle on aperçoit des avions sur les plaines d'Abraham ainsi que le chantier du musée.

Deux avions, dont l'un bien caché, sont posés sur les plaines d'Abraham devant le Musée du Québec en construction. (Photo d'archives)

Photo : Gracieuseté Jean-Marie Fecteau / Jean Baptiste Gaudreau

Croquée à la fin du mois d’avril 1928, cette photo aux détails saisissants est un vrai « deux pour un » historique. Non seulement les avions qu’elle montre sont parmi les derniers à avoir atterri sur les Plaines, mais il s’agit aussi d’une des rares photos à montrer le futur Musée national des beaux-arts en construction.

Le résident de Québec à qui l’on doit cette photo, Jean Baptiste Gaudreau, était féru d’aviation. Bon point pour nous, c’était également un excellent photographe. Il ne se séparait guère de sa caméra à soufflet, raconte son petit-fils Jean-Marie Fecteau, devenu pilote à son tour, tout comme son père avant lui.

La photo est tirée de leur album de famille.

Or, ces avions méritent qu’on s’y attarde un peu, puisqu’ils cachent une histoire tout à fait extraordinaire.

L'image avec des pastilles numérotées.

Une photo superbe et six détails qui en ont long à dire (Photo d'archives)

Photo : Gracieuseté Jean-Marie Fecteau / Jean Baptiste Gaudreau

1. Un mystérieux avion du New Hampshire

L’avion à l’avant-plan a longtemps été un mystère. D’une part, parce que la photo n’est pas datée, et d’autre part, parce que rien dans l’album ne précise à qui il appartenait.

À cause du musée en construction en arrière-plan – le chantier a été entamé au printemps 1928 – bien des gens ont pensé qu’il pouvait s’agir de l’avion de Charles Lindbergh. Le célèbre aviateur s’est effectivement posé sur les Plaines, le 24 avril de cette année-là.

Un avion posé sur les Plaines, des toiles de protection recouvrent ses bancs et son hélice.

Un avion au mystérieux propriétaire, posé sur les Plaines

Photo : Gracieuseté / Jean-Marie Fecteau / Jean Baptiste Gaudreau

Un regard attentif permet cependant de constater qu’il s’agit d’un Waco, alors que Lindbergh pilotait un Curtiss Falcon. D’autres photos prouvent aussi que le célèbre pilote s’était posé sur une belle couche de neige, alors qu’il n’y en a pas sur cette image. Mais il restait un indice important : les mots New Hampshire, inscrits sur le flanc de l’appareil.

Une enquête dans les journaux du temps aura permis de résoudre l’énigme. Cet avion, affrété par un média du New Hampshire, transportait des journalistes. Ces reporters américains, armés de leurs caméras, arrivaient alors de la Basse-Côte-Nord, où ils avaient documenté l’arrivée du Bremen, premier avion à faire le chemin de l’Europe à l’Amérique du Nord au-dessus de l’Atlantique, sans escale.

S’ils se trouvaient sur les Plaines ce jour-là, c’est parce qu’ils avaient suivi un autre avion jusqu’à Québec : l’avion-ambulance situé sur la droite.

2. Un authentique avion-ambulance des années 1920

Un avion-ambulance au milieu de la foule

Un avion-ambulance arrivé en urgence de la Basse-Côte-Nord

Photo : Gracieuseté / Jean-Marie-Fecteau / Jean Baptiste Gaudreau

Cet avion-ambulance n’est pas un détail anodin. C’est lui qui permet de remonter le fil de l’histoire cachée dans cette photo.

Après sa traversée de l’Atlantique qui lui avait valu son record mondial, le Bremen était resté cloué au sol sur l’île de Greenly, à la suite d’un atterrissage d’urgence qui avait abîmé plusieurs de ses pièces, dont son hélice.

Dans un formidable élan de solidarité, plusieurs pilotes de renom avaient alors mis le cap vers le Bremen pour prêter main-forte à l’équipage.

Mais l’histoire avait pris une tournure dramatique quand l’un de ces pilotes, l’Américain Floyd Bennett, était tombé gravement malade. Le 22 avril, son état était devenu si préoccupant qu’on avait décidé de l’embarquer d’urgence dans un avion-ambulance, en direction de l’hôpital le plus proche, qui s’avéra être le Jeffery Hale, à Québec, à près de 1000 kilomètres de là.

Lindbergh allait atterrir au même endroit, deux jours plus tard, avec une fiole de médicament envoyée directement des États-Unis, censée guérir Bennett de sa pneumonie.

Au moment de la photo, on devine l’émotion de la foule venue voir les avions dans ce contexte tragique, alors que Bennett venait de quitter les lieux en ambulance, une petite horde de journalistes lancés à ses trousses.

3. Le chantier d’un musée très attendu

Le chantier du Musée national des beaux-arts du Québec, alors qu'il vient de s'entamer. On voit le jour à travers la structure.

Le chantier du Musée national des beaux-arts du Québec, connu d'abord comme le Musée de la province de Québec

Photo : Gracieuseté / Jean-Marie-Fecteau / Jean Baptiste Gaudreau

C’est quelque chose qui arrive parfois, quand une photo prend de l’âge. Le décor, d’abord là par accident, finit par prendre autant d’importance que l’élément au premier plan. C’est exactement ce qui s’est produit avec cette photo.

Selon les historiens à qui j’ai posé la question, cette image est l’une des seules à montrer le chantier naissant du Musée national des beaux-arts du Québec. À part de rares photos dans les journaux du temps – je n’en ai trouvé qu’une datant de la même époque – aucune ne semble avoir ressurgi à ce jour.

Une rare photo montrant le chantier photographié par le Soleil, le 10 mai 1928

Une rare photo montrant le chantier photographié par «Le Soleil», quelques jours plus tard

Photo : BAnQ / Archives Le Soleil

La construction de ce musée a été un dossier important pour Québec. Un dossier très politique aussi. Au moment de commencer le chantier, on en parlait déjà depuis des années.

Il s’est écoulé 11 ans entre l’adoption de la loi qui a permis de le constituer, en 1922, et son inauguration, le 5 juin 1933. Mais, dans les faits, des gens le réclamaient déjà en 1910. Il aura fallu être patient.

Ce premier musée national du Québec s’est d’abord appelé, en toute logique, le Musée de la province, mais les Québécois l'ont aussi appelé « le musée du Québec» et le musée des Plaines avant qu'il ne devienne le MNBAQ. Depuis cette photo, trois pavillons ont été ajoutés au bâtiment d’origine, devenu le pavillon Gérard-Morisset aujourd’hui.

4. Des prisonniers à deux pas de là

La prison des Plaines se profile en arrière-plan, sous des allures plutôt sinistres.

La prison des Plaines, alors qu'elle était encore en fonction

Photo : Gracieuseté Jean-Marie Fecteau / Jean Baptiste Gaudreau

Avez-vous reconnu le bâtiment situé à gauche de l’image? Il s’agit de l’ancienne prison des Plaines. Elle accueillait encore des prisonniers au moment de cette photo. Le dernier contingent l’a quittée en octobre 1970. Les 225 prisonniers restants avaient alors pris la direction du Centre de détention de Québec, à Orsainville, inauguré quelques mois plus tôt.

La prison des Plaines avait été construite sur les plans de Charles Baillairgé, employé à la Ville, pour remplacer l’ancienne prison de la rue Saint-Stanislas, dans le Vieux-Québec. Si l’on avait suivi le plan original, une autre aile aurait été construite, à l’ouest du musée.

Après avoir servi d’auberge de jeunesse de 1971 à 1974, l’endroit est resté abandonné des années avant d'être intégré au musée à titre de pavillon, en 1991.

5. Un clin d’œil au général Wolfe

Le monument Wolfe, avec sa colonne, son casque et son glaive caractéristiques, se découpe à travers les branches dénudées des arbres, devant la prison des Plaines.

Le haut du monument Wolfe, bien visible sur la gauche.

Photo : Gracieuseté / Jean-Marie Fecteau / Jean Baptiste Gaudreau

Avez-vous repéré au passage la colonne dorique surmontée d’une épée et d’un glaive?

On reconnaît bien le monument Wolfe, élevé à l’endroit précis où le général victorieux a rendu l’âme lors de la fameuse bataille des plaines d’Abraham.

L’endroit avait d’abord été marqué par des pierres, puis par une colonne tronquée, avant qu’on ne donne au monument Wolfe sa forme définitive, en 1849. La CCBN l’a refait à l’identique quand les premiers travaux d’aménagement du parc sont survenus, en 1912-1913.

À part quelques rafraîchissements – les plaques unilingues anglaises ont été volées, puis il a dû être rebâti après avoir été renversé, en 1963 –, le monument Wolfe d’aujourd’hui est le même que sur la photo et, surtout, il n’a jamais bougé de son emplacement d’origine.

6. Les derniers atterrissages des plaines d'Abraham

Des enfants regroupés devant l'un des avions semblent particulièrement intéressés par le spectacle.

Un groupe de curieux au milieu des avions

Photo : Gracieuseté / Jean-Marie Fecteau / Jean Baptiste Gaudreau

La foule sur la photo donne une idée du défi que posait la surveillance des avions en 1928, alors qu’il n’existait encore aucun aéroport régional à Québec. Une fois les avions posés, les pilotes partaient faire un tour en ville, et les avions étaient laissés à eux-mêmes.

Or, sur les Plaines, alors le site d’atterrissage le plus couru en ville, la police n’était pas payée pour monter la garde 24 heures sur 24. À défaut de hangars, les avions n’étaient pas protégés des intempéries, pas plus que des petits curieux, tentés de monter à bord pour s’amuser avec les manettes, une fois la nuit tombée.

Un enfant et un policier en gros plan au milieu d'avions posés sur les Plaines

Un enfant à vélo, sous le regard attentif d'un policier

Photo : Gracieuseté / Jean-Marie Fecteau / Jean Baptiste Gaudreau

À la fin des années 1920, les pilotes étaient nombreux à réclamer la création d’un véritable aéroport sur les Plaines, avec une piste suffisamment longue pour faciliter les décollages, quitte à démolir tous les bâtiments se trouvant sur leur chemin en direction ouest.

Le 1er mai 1928, la CCBN mettait fin à ce beau rêve une fois pour toutes, réaffirmant qu’elle entendait gérer un parc et non un aéroport. Aucun pilote ne serait plus autorisé à atterrir sur les Plaines. Au moment de cette photo, personne ne le savait encore, mais une page d’histoire était véritablement en train de se tourner.

Le pavillon de service du parc du Musée occupe l'espace où se trouvait l'avion du New Hampshire autrefois.

Difficile de reconnaître les lieux en faisant la même photo aujourd'hui. Un petit pavillon de services occupe tout l'espace où se trouvait l'avion du New Hampshire d'autrefois.

Photo : Gracieuseté / Jacques A. Fortin

En retournant sur les lieux pour essayer de refaire la photo, j'ai eu toute une surprise en constatant que l'avion situé au premier plan se trouvait bien plus près de Grande Allée que je ne l'imaginais. Aujourd'hui, il occuperait l'espace où se trouve le pavillon de services du parc du Musée. Le terrain de jeu, sa piscine et sa clôture n'existaient pas encore à l'époque, et depuis, plusieurs arbres se sont ajoutés au décor.

Sources :

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