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De nouvelles « autoroutes » d’électricité à travers le Québec, jusqu’en Gaspésie

Le paysage va changer alors qu'Hydro-Québec ajoutera 5000 kilomètres de lignes de transport d'ici 2035.

Des lignes électriques d’Hydro-Québec.

La longueur totale des plus grandes lignes électriques va augmenter de 50 % au Québec. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Martin Thibeault

Au moins trois nouvelles lignes de transport d'électricité à très haute tension traverseront le Québec, du nord au sud et d'est en ouest, dans une dizaine d'années, a appris Radio-Canada, dont, pour la première fois, une connexion de 735 000 volts avec la Gaspésie. « Il y a des sacrifices à faire » sur le paysage, prévient le ministre Pierre Fitzgibbon.

Hydro-Québec dit ne pas avoir le choix, car son réseau de transport arrive à saturation et il faut acheminer la nouvelle production d'électricité vers les projets industriels et la population en croissance.

L'immense projet d'Hydro-Québec coûtera de 45 à 50 milliards de dollars, uniquement pour les lignes de transport. Jusqu'à 20 % de tous les travailleurs de la construction du Québec seront requis pour réaliser le plan de la société d'État.

Hydro-Québec doit agir très vite, car les lignes de 735 kilovolts prennent 10 ans à construire et il faudra convaincre les communautés locales de la pertinence des projets.

Le sujet est sensible et la société d'État a refusé de détailler sa planification à Radio-Canada. La porte-parole Caroline Des Rosiers confirme seulement que de nouveaux liens à 735 kV seront requis afin d'acheminer la nouvelle production vers les centres de consommation.

Carte du réseau actuel de lignes 735 kV, en mauve, et 315 kV, en vert.

Carte du réseau actuel de lignes 735 kV, en mauve, et 315 kV, en vert.

Photo : Hydro-Québec

Selon trois sources, une ligne à très haute tension sera ajoutée depuis la baie James, pour renforcer le corridor de transport d'électricité vers la région de Montréal. Il y en aura une autre, sur le même principe, pour ajouter de la capacité entre la Côte-Nord et le sud du Québec.

Toujours selon nos informations, le troisième grand projet de 735 kV connectera les parcs éoliens actuels et futurs du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Jusqu'à la vallée de la Matapédia, a récemment expliqué le vice-président d’Hydro-Québec Dave Rhéaume à des promoteurs de l’énergie renouvelable.

Cela permettrait à Hydro-Québec d’ajouter une ligne en parallèle dans le corridor Lévis-Boucherville, pour augmenter la capacité.

C'est comme si l’autoroute 20, entre Québec et Montréal, était toujours congestionnée et qu’il fallait ajouter une voie.

Une citation de Une source à Hydro-Québec

Il faut bâtir les autoroutes pour acheminer l'énergie là où on en a besoin, explique François Bouffard, professeur agrégé au Département de génie électrique et génie informatique de l'Université McGill.

Il rappelle que la géographie de l'industrie québécoise est en train de changer, avec beaucoup de projets de la filière batterie annoncés au sud du fleuve Saint-Laurent, notamment à Bécancour.

À lui seul, le projet de Northvolt aura besoin d'une puissance électrique de 352 mégawatts (MW), soit plus qu'il n'en faut pour alimenter toutes les résidences de Longueuil.

Des pylônes de lignes à haute tension en hiver.

Chaque ligne à 735 kV peut transporter plus de 2000 mégawatts, assez d’électricité pour alimenter 700 000 résidences.

Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet

Le réseau de transport est, pour l’essentiel, à saturation. Donc, à peu près partout où on veut faire des ajouts significatifs de production, ça va prendre des investissements importants en transport.

Une citation de Dave Rhéaume, vice-président d'Hydro-Québec, lors du colloque de l'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable, le 19 février 2024

En plus d'une nouvelle centrale hydroélectrique envisagée sur la rivière Petit-Mécatina, sur la Côte-Nord, des parcs éoliens vont se multiplier sur tout le territoire.

La place que l’éolien va jouer dans l’avenir est massive et ça ne pourra pas être concentré à un seul endroit au Québec, a expliqué le vice-président d'Hydro-Québec, Dave Rhéaume, aux membres de l'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable (AQPER), en février dernier. Donc, c’est toute l’architecture du réseau de 735 kV qui doit être améliorée pour être capable d’y répondre. Il faut réfléchir à l’ensemble du territoire.

Des éoliennes dans un paysage hivernal le long du fleuve Saint-Laurent.

Des éoliennes le long du fleuve, à Cap-Chat, en Gaspésie (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Jean-François Deschênes

De la pression pour agir vite

Hydro-Québec confirme que, pour construire une ligne de 735 kV, qui est souvent longue, l’échéancier typique peut aller jusqu’à 10 ans pour la réalisation des études d’avant-projet, l’obtention des autorisations requises et les travaux de construction.

Si l'objectif de la société d'État est d'avoir terminé en 2035, il va falloir lancer les projets dans les mois à venir. C'est déjà bien tard, au goût de certains promoteurs.

Nous, ce qui nous préoccupe, ce n’est pas de savoir où mettre les éoliennes, c’est de sortir l’électricité de chez nous pour l’amener vers Montréal, expliquait, le mois dernier, le maire de Saint-Anne-des-Monts, Simon Deschênes, lors d'un colloque organisé par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) au sujet d'Hydro-Québec.

Le maire de Sainte-Anne-des-Monts, Simon Deschênes, devant le parc éolien de Cap-Chat.

Le maire de Sainte-Anne-des-Monts, Simon Deschênes, est vice-président de l’Alliance de l’énergie de l’Est. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Jean-François Deschênes

Avec plusieurs communautés de la région, il a formé l'Alliance de l'énergie de l'Est, qui exploite déjà des éoliennes et a plusieurs projets. D'ici quelques années, les parcs éoliens de la région auront une capacité théorique de 1700 MW. C'est notre Romaine à nous, dit M. Deschênes.

On a des projets qui avancent à bon rythme. Ce qu’on a besoin de savoir avec Hydro-Québec, c’est où vont passer les lignes de transmission.

Une citation de Simon Deschênes, maire de Sainte-Anne-des-Monts

Le professeur François Bouffard rappelle qu'il faut s'y prendre vraiment à l'avance pour regarder les tracés et avoir les parties prenantes et les communautés locales prêtes à embarquer.

Hydro-Québec devra aussi commander les équipements de construction, notamment les transformateurs sur le parcours des lignes. Juste pour ça, vous avez un délai de commande d’environ trois ans, souligne M. Bouffard.

Des millions de dollars par kilomètre

La ligne de 735 kV Chamouchouane-Bout-de-l'île, inaugurée en 2019, qui relie le Saguenay–Lac-Saint-Jean à la région de Montréal, a coûté 3 millions de dollars par kilomètre. La ligne Micoua-Saguenay, mise en service en 2023, a coûté 5 millions de dollars par kilomètre.

La ligne à 735 kV Micoua-Saguenay, mise en service en 2023.

Le réseau de transport d'Hydro-Québec mesure actuellement 34 000 kilomètres, dont 11 000 de lignes de 735 kV.

Photo : Hydro-Québec

Sur une distance de 600 kilomètres entre la vallée de la Matapédia et Montréal, une seule ligne de 735 kV pourrait coûter au moins 3 milliards de dollars, sans prendre en compte l'inflation des dernières années.

C'est énormément de capitaux et ce sera des retombées pour les Québécois en matière de travail et d'entreprises, explique M. Bouffard. Les communautés locales auront aussi des retombées, sous forme de redevances, si une ligne passe par chez elles.

Le gouvernement Legault prévoit que ce développement énergétique et les projets industriels qu'il alimentera seront le moteur économique du Québec dans les 10 à 15 prochaines années.

Hydro-Québec veut qu'on lui facilite les choses

La société d'État, dans son plan 2035, écrit que les prérequis pour la réussite de ce plan seront la main-d'œuvre (55 000 travailleurs de la construction nécessaires en 2033), les chaînes d'approvisionnement et les changements réglementaires.

Elle évoque la Loi sur Hydro-Québec, que le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon, doit bientôt réformer, ainsi que les permis et les règles dans le secteur du bâtiment.

Le ministre Fitzgibbon a lui-même déploré les embûches administratives qui allongent la durée des projets, en évoquant les défis d'Hydro-Québec.

Évidemment, une ligne électrique, ce n'est pas tout le monde qui veut avoir ça dans sa cour; il y a des inquiétudes pour la valeur des propriétés, mentionne le professeur Bouffard.

La ligne à 735 kV Micoua-Saguenay, mise en service en 2023.

La ligne à 735 kV Micoua-Saguenay, mise en service en 2023.

Photo : Hydro-Québec

« Des balafres énormes »

Anne-Céline Guyon, analyste climat-énergie pour Nature Québec, s'inquiète des balafres énormes que font les lignes à haute tension dans le paysage. On parle, en plus, de traverser des régions à haute valeur récréotouristique.

Elle rappelle que, pour bâtir les lignes d'Hydro-Québec, il faut couper des arbres, détruire des milieux humides, voire traverser des rivières, avec des répercussions sur la biodiversité, l'autre grande crise avec celle du climat.

Les grandes lignes électriques s'ajoutent à tout le reste dans un territoire qui est déjà en déficit de protection.

Une citation de Anne-Céline Guyon, analyste climat-énergie pour Nature Québec
Anne-Céline Guyon de Nature-Québec devant le parlement à Québec.

Anne-Céline Guyon, analyste climat-énergie chez Nature-Québec (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Même si Nature Québec est en faveur de la décarbonation de l'économie, elle réclame un débat démocratique sur le sujet pour éviter que ces nouvelles lignes, tout comme l'attribution de l'électricité aux projets industriels, soient enfoncées dans la gorge des citoyens.

Pierre Fitzgibbon dit aux Québécois qu'ils consomment trop d'énergie, qu'ils doivent se serrer la ceinture. Et pendant ce temps, il accorde des blocs d'énergie à la grande industrie. [...] C'est le meilleur moyen de se magasiner une opposition à la transition énergétique et personne ne sera gagnant.

Une citation de Anne-Céline Guyon, analyste climat-énergie pour Nature Québec

« Des sacrifices à faire », prévient le ministre

Interrogé, mercredi, le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie Pierre Fitzgibbon a voulu rassurer : « on ne veut pas avoir de projet qui n'est pas socialement acceptable ».

Il a rappelé que ces projets ont le soutien d'élus de la région, même si le syndrome « pas dans notre cour » est inévitable et « compréhensible ».

C'est l'œuf ou la poule. On veut décarboner, mais il y a des sacrifices à faire.

Une citation de Pierre Fitzgibbon, ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie du Québec

Pour limiter son impact environnemental, Hydro-Québec essaie de remplacer une ligne de plus basse tension par une ligne de plus haute tension, ou bien de regrouper des lignes électriques en parallèle dans un même corridor. Les tracés font souvent l'objet d'ajustements après l'examen du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE).

Et, sur les 5000 kilomètres à déployer, il n'y aura pas que de la haute tension. Ce sera entre 49 et 735 kV, précise la société d'État. Mais même de plus petites lignes peuvent faire l'objet de contestations.

Dans les Laurentides, la municipalité de Saint-Adolphe-d'Howard s'est longtemps battue contre un projet de ligne de 120 kV pour préserver son couvert forestier. Au bout du compte, la justice a donné raison à Hydro-Québec.

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